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2552L’historien libertarien Michal S. Rozeff, que nous citons régulièrement, n’a pas l’habitude de se laisser emporter par es émotions ni de laisser sa raison capituler devant ce qui serait l’impossibilité d’expliquer rationnellement un fait. Dans certains cas, pourtant, l’irrationalité psychologique force à composer.
Rozeff s’est attaché hier à une tentative d’explication de l’attaque US contre des forces favorables au régime Assad, que le Pentagone ne s’est même plus donnée la peine de tenter de camoufler sous l’argument dérisoire d’une “erreur” dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Rozeff constate que, d’une façon graduelle, par leur engagement aux côtés de divers groupes, – des Kurdes (entre deux trahisons du côté US) et des terroristes subventionnés par la CIA, – les USA sont en train d’entrer directement dans la guerre en Syrie, naturellement contre le régime Assad sans toujours savoir pourquoi “Assad must go”.
On sent même qu’il conduit plus loin dans le jugement, chez Rozeff comme chez de plus en plus d’analystes, ce constat de l’engagement systématique des USA partout où il y a la guerre, où il y a une occasion de guerre, etc. Il écrit le mot, que nous soulignons de gras avec la phrase qui le soutient, qui suggère le domaine de la psychiatrie et du déséquilibre psychologique catastrophique... Nous citons ci-après les trois derniers paragraphes de son texte, après qu’il ait décrit une attaque US jugée en général particulièrement dévastatrice :
« ...Les États-Unis semblent incapables de résister à la fascination de la guerre. Les guerres sont comme un aimant pour l'échelon supérieur des dirigeants américains. À peine les soldats sont-ils retirés d’Irak qu’ils sont réaffectés à l’Afghanistan. Les États-Unis sont attirés par les zones de conflit en Afrique. Les États-Unis fournissent un soutien à l'armée de l'air saoudienne au Yémen et intensifient également leurs propres attaques de drones dans cette zone et partout ailleurs. Les États-Unis cherchent de mauvaises querelles à la Chine et à la Russie. Les États-Unis ne renoncent pas à une première frappe avec des armes nucléaires et ils considèrent que les armes nucléaires à faible rendement constituent une option de combat viable. La guerre pour les États-Unis équivaut à une compulsion psychologique.
» On ne peut s'empêcher d'arriver à la conclusion que quelque chose est irrémédiablement pervers dans notre système. L'Allemagne, l'Italie et le Japon, quand ils étaient contrôlés par les fascistes, ont également lancé des actions expansionnistes et agressives contre diverses régions. Le “quelque chose” qui est pervers en Amérique est ceci que l'agression et les menaces d’agression sont devenues une démarche systématique du gouvernement, soutenues par le Congrès et leurs médias, soutenues par l'idéologie et les fausses menaces, et sans la moindre opposition d’aucun mouvement antiguerre significatif. L'empire a laissé subsister la coquille de la république américaine et le système constitutionnel, mais à l'intérieur, il y a eu une transformation du pouvoir en une sorte de fascisme. [...]
» Bien qu'il soit clair que c'est l'intérêt personnel qui détermine pour une partie ce penchant pour l'agression, il est particulièrement effrayant de constater qu’il y a aussi une grande part de croyance aveugle que ces agressions sont justifiées, pour le bien des Américains et du monde. La promotion fervente et irréfléchie des interventions militaires américaines est effrayante à cause du pouvoir de destruction, particulièrement du pouvoir de destruction nucléaire, qui se trouve entre les mains du gouvernement et de ses zélotes. Cela ne peut conduire qu’à un terme catastrophique à moins que cette tendance soit contenue et abandonnée. »
Cette conclusion qui suit un exposé stratégique de l’attaque aérienne US en Syrie est caractéristique de l’évolution du sentiment qui est de plus en plus perceptible chez nombre de commentateurs qui sont au bout de leur explication rationnelle. (On mettra à part la référence aux cas historiques de fascismes qui, bien qu’effectivement agressifs, cultivaient plus de sens dans leurs agressions que ne le font les USA.) Dans ce cas des USA, la Syrie n’est plus qu’un exemple de démonstration parmi d’autres et l’explication de Rozeff passe de l’opérationnel au psychologique. Cette évolution est tout à fait justifiée.
L’attaque contre des milices pro-Assad dans la région à l’Est de l’Euphrate peut être expliquée en détails par l’évolution sur le temps très court d’une situation syrienne incroyablement complexe, justement à cause de cette complexité qui permet une explication à mesure, également complexe et ainsi dissimulant la vide complet de la stratégie en action, notamment et essentiellement de la part des USA qui constituent le moteur central des troubles et des affrontements... Car finalement, ce “temps très court” est impuissant à rendre compte du tableau général de la situation, et notamment et à nouveau, de l’attitude des USA, – et l’on parle plus volontiers de “l’attitude des USA” que d’une éventuelle et très-hypothétique “politique des USA”.
Ainsi Rozeff sollicite-t-il la psychologie, et même la psychiatrie en parlant de la compulsivité de l’attirance des USA pour la guerre, qui les conduit à ne jamais cesser de surenchérir dans la participation à tous les conflits, dans la création de nouveaux conflits, etc. Il s’agit donc de la compulsion (« La guerre pour les États-Unis équivaut à une compulsion psychologique »), qui définit effectivement le comportement US selon une psychologie dont on ne peut dénier dans ce cas qu’elle a un caractère pathologique. Une définition de la compulsion dit ceci, qui peut s’avérer bienvenu pour ce qui s’avère une “addiction” à l’action guerrière, – l’addiction étant dans ce cas le complément provoquant la compulsion et non son substitut aggravé comme il est apprécié dans certains cas d’interprétation de la pathologie :
« Dans le trouble obsessionnel-compulsif, l'action produite suite à une pensée obsessionnelle est la compulsion. La nature dérangeante de l'obsession contraint habituellement les gens à effectuer un geste pour réprimer la pensée et l'état dans lequel ils sont plongés. [...] Le but de la compulsion est d'éliminer le danger dont l'obsession nous menace. Les actions compulsives apportent un soulagement temporaire à la détresse, au malaise ou au dégoût engendré par l'obsession. [...]
» La compulsion peut prendre la forme d'une stratégie mentale lorsque le moyen pour se débarrasser de l'obsession est de remplacer cette pensée par une autre image réconfortante ou une histoire, de compter ou d’effectuer un rituel magique. Cette forme particulière de compulsion s’appelle également la neutralisation... »
Dans de nombreux cas, notamment les cas syriens qui dépendent d’un commandement de zone important (CENTCOM), l’“acte de compulsion” est facilité par une chaîne de commandement éparpillée en autant d’anneaux dont elle est composée, qui disposent d’une autonomie plus ou moins grande en fonction de la situation de crise d’effondrement du pouvoir central, à “D.C.-la-folle”. Le cas de la Syrie et de CENTCOM est important parce que CENTCOM est réputé pour son autonomie et ses initiatives qui se passent des consignes venues du Centre, et parfois même les contredisent. L’exemple de la précédente attaque US contre des forces syriennes pro-Assad, de septembre 2016, portait déjà les marques de l’initiative parcellaire, ou disons d’insubordination par indifférence pour la chaîne de commandement, plus par hyperdésordre que par machination avérée. Cette fois encore, il pourrait bien s’agir d’une de ces actions décidées au niveau de CENTCOM dans le sens d’opérationnaliser à sa manière la stratégie générale du Pentagone à la fois de démembrement de la Syrie et d’entretien du chaos passant par l’obsession également compulsive de l’élimination d’Assad.
(On a peut-être eu un écho de cette charmante dichotomie, à l’intérieur même de la structure du Pentagone, dans l’empressement du porte-parole de ce même Pentagone à affirmer que les Russes avaient été avertis de l’attaque, – ce que les Russes ne confirment pas vraiment car on peut supposer qu’ils ne tiendraient en aucun cas à endosser l’ombre du soupçon d’une telle possibilité qui ressemblerait, par l’absence de relais de communication vers les Syriens, à une trahison de l’allié syrien. L’affirmation de la porte-parole a ceci de rassurant pour la communication de sa hiérarchie qu’elle tend à faire croire implicitement que le Pentagone lui-même, et non CENTCOM, a mené le jeu, et qu’on ne peut donc parler à ce niveau d’une insubordination qui ferait perdre la face pleine de fierté au général des Marines Mattis, ci-devant secrétaire à la défense.)
Par conséquent, l’obsession compulsive de la direction US pour la guerre, même si les actes compulsifs ont éventuellement des aspects d’insubordination contredisant le soi-disant sacro-saint principe du commandement, est parfaitement rencontrée par l’état chaotique de la chaîne de commandement, et les manœuvres individuelles des commandements et centres de pouvoir qui ressentent encore plus le besoin convulsif obsessionnel de la guerre. Ainsi arrive-t-on à identifier une sorte de psychologie collective, où la pathologie ne s’attache plus aux individualités, ni n’apparaît simplement que comme un symbole, mais prend effectivement une forme collective et quasiment doctrinale tout à fait singulière et originale. Les fous pensent collectivement...
En un certain sens, c’est tout le commandement US, d’ailleurs complètement à l’image de sa direction politique pour sa propre partie, qui devient aussi fou que les monstres type-Daesh qu’il a créés selon la recette de la recherche de la folie comme excellent moteur de la création du chaos et la multiplication du domaine des possibilités de guerre. Ils se ressemblent tous finalement, tous ces chefs militaires US de la postmodernité, et leur modèle secret emprunte beaucoup dans une sorte de “à la manière de” dans l’esprit de la chose, – l’anarchie héroïque en moins, bien sûr, puisque ce sont des bureaucrates, – au fameux et terrible colonel Kurtz (rôle admirable de Marlon Brando), le héros dément et absolument symbolique à lui seul de la véritable signification de l’engagement US au Vietnam, dans le film si bien-nommé pour notre temps, – Apocalypse Now.
Mais ils ne sont pas seuls... Il est vrai qu’il y a d’autres acteurs en Syrie, qui ont moins de goût pour la compulsion et l’addiction à la guerre. Les Russes notamment, qui sont de plus en plus mal pris, qui croyaient en avoir fini avec la Syrie jusqu’à l’annonce par Poutine, toujours dans l’espoir d’être compris par Washington, d’un retrait partiel en décembre 20I7... Les dirigeants russes n’arrivent pas à accepter les obligations opérationnelles de ce qu’ils savent pourtant bien : qu’ils ont des fous qui se conduisent nécessairement en voyous en face d’eux, et qu’il importe de traiter les fous-voyous comme ils le méritent. C’est certainement ce que voulait dire l’un des experts les plus roués du renseignement israélien, l’ancien chef du service israélien Nativ lié au Mossad, Yaakov Kedmi, lors d’un talk show récent à la TV russe :
« C’est la même chose depuis 20 ans et même plus. Vous avez toujours été traités d’une façon agressive [par les USA], mais au moins ils vous parlaient aimablement. En plus, maintenant, ils vous parlent agressivement. C’est parce que vous [les Russes] le méritez. Vous avez toujours essayé d’avoir des discussions avec eux. Votre ministre des affaires étrangères est un homme extrêmement poli, et votre président aussi. Ils essaient d’expliquer aux Américains que les diplomates ne se conduisent pas comme ils [les Américains] le font.
» C’est inacceptable de se conduire d’une façon aussi agressive dans le monde diplomatique. J’ai grandi dans la rue et j’ai appris dès mon enfance que vous ne pouvez pas parler poliment avec des gens agressifs. Vous devez parler aux voyous d’une façon telle qu’ils puissent comprendre. Avez-vous réagi comme il le faut à leurs manières et attitudes agressives, par le canal de votre diplomatie et de vos divers moyens ? Pas du tout. Vous avez juste continué à expliquer qu’il est impoli et déplacé de se conduire de cette façon. Vous semblez dire que peut-être à l’avenir vous pourrirez leur répondre de la façon qu’ils méritent. Mais vous n’avez rien fait dans ce sens jusqu’ici. »
... Peut-être y a-t-il là, anecdotiquement ou symboliquement, un indice de ce que devrait être la “feuille de route” d’un Poutine réélu, en mars 2018, initiant un tournant complet dans les relations de la Russie avec les USA. On verra s’il s’avère que l’activisme agressif et illégal des fous-voyous US de cette période, entendait profiter de ce que les stratèges US jugeraient comme une paralysie du président Poutine, – crainte de l’impopularité d’un engagement renouvelé et plus affirmé en Syrie, – jusqu’à sa réélection.
Mis en ligne le 09 février 2018 à 13H45