La Libye et le choix funambulesque des amis de fortune

Bloc-Notes

   Forum

Un commentaire est associé à cet article. Vous pouvez le consulter et réagir à votre tour.

   Imprimer

 1526

Il est vraiment très, très difficile de s’engager avec certitude et assurance dans le conflit libyen, dans tous les cas par rapport aux autres qui s’engagent également. Les rencontres qu’on y fait, en adoptant tel ou tel parti, sont parfois bien étonnantes. Dans le cas que nous allons examiner ici, voyons d’abord une interview de Stephen Brown, rédacteur en chef du site FrontPage.com, par Russian Today (RT), le 31 août 2011. C’est une analyse du rôle du colonel Kadhafi, qui est aussi un hymne à la gloire de l’habileté de l’ancien dirigeant libyen.

Parlant de l’action et des espérances des rebelles vis-à-vis de Kadhafi, Brown explique :

«“Until then, they are going to have a major guerilla war on their hands. Secondly, I think even if they do find Gaddafi, this is only the first stage of a multi-stage war in Libya. Now the tribes are going to fight each other over the oil revenues, or the Islamists are going to start fighting the Transitional National Council. They have already assassinated the head of the military. That is just the beginning of the problems.”

»Sending his family away and keeping in hiding is a calculated move on Muammar Gaddafi’s part, Brown suggested. “This is a smart move on the part of Gaddafi, who wants to maintain power,” he said. “I think he is going to go underground and launch a guerilla war. In a few months, when the rebel National Council and the tribes start fighting one another, he can make a political comeback. And now he has got part of his family outside of the country, where they can also help make that political comeback on the international scene. I think it is a very calculated move on his part.”»

Voilà donc l’avis de Stephen Brown, de FrontPage.com, très pro-Kadhafi, interviewé par RT, la chaîne indépendante également pas insensible aux exploits du colonel, devenue le porte-drapeau des indépendants anti-Système, ceux-là complètement dégoûtés par l’évolution d’Aljazeera. Au fait, qu’est-ce que c’est que le site FrontPagre.com ?

Il a été créé et est dirigé par David Horowitz, un ancien trotskiste devenu sans doute l’un des plus sionistes et l’un des plus extrémistes parmi les neocons US pro-israéliens. Dans l’affaire libyenne, FrontPage.com est résolument, sans réserve, du coté de Kadhafi. Il s’appuie notamment sur la documentation de DEBKAfiles, le site israélien dont il est affirmé hautement que les liens avec le Mossad sont évidents. Par conséquent, on en déduit que le Mossad est plutôt favorable à Kadhafi.

Autre exemple de cet engagement de FrontPage.com en faveur de Kadhafi, avec l’aide de DEBKAfiles30 août 2011.

«The fall of Muammar Gaddafi is making some in the West giddy with the usual “Arab Spring” wishful visions of democracy and freedom flourishing throughout the Muslim Middle East, even as the last binge of democratic intoxication, the fall of Egyptian strongman Hosni Mubarak, has left the hangover of a newly empowered Muslim Brotherhood, increasing assaults on Christian Copts, growing anti-Americanism, and terrorist attacks on Israel originating in Egypt and including Egyptian citizens among the attackers. And now, according to DEBKAfile, we may see Libya heading in the same anti-Western, Islamist direction.

»“Members of the Al Qaeda-linked Libyan Islamic Fighting Group – LIFG, are in control of the former strongholds of Muammar Qaddafi captured by Libyan rebels last Sunday,” DEBKAfile reports. “They are fighting under the command of Abd Al-Hakim Belhadj, an al Qaeda veteran from Afghanistan whom the CIA captured in Malaysia in 2003 and extradited six years later to Libya where Qaddafi held him in prison. Belhadj is on record as rejecting any political form of coexistence with the Crusaders excepting jihad.” Despite the media’s depiction of the Libyan National Transitional Council (NTC) as a coherent, controlling leadership structure, it is unclear who controls Tripoli at this point, the NTC, or the LIFG, and it is doubtful that the NTC will in the future be able (assuming they are willing) to control or disarm the Islamist outfits.

»Worse yet, in addition to being armed with weapons looted from Gaddafi’s weapons depots, the fighters in Tripoli succeeded in capturing the compound because they were given advanced weapons by British and French special operations forces, in addition to U.S.-supplied intelligence. As DEBKA concludes, “Tripoli’s institutions of government have wound up in the hands of fighting Islamist brigades belonging to al Qaeda, who are now armed to the teeth with the hardware seized from Qaddafi’s arsenals. No Western or Libyan military force can conceive of dislodging the Islamists from the Libyan capital in the foreseeable future.” And let’s not forget the remnants of Libya’s WMD program– including 10 tons of mustard gas and dumps of raw nuclear fuel – that we are depending on the NTC to secure, on the assumption that the NTC actually is in control of the country. This is the same TNC, by the way, that has just announced it will not hand over Lockerbie bomber Abdelbaset Ali al-Megrahi.

»If these reports about the LIFG are accurate, then the U.S. endorsement and financing of the NATO operation to oust a defanged Gaddafi, who presented no immediate threat to us, without any idea of who would take his place, is as shortsighted as the abandonment of another unsavory but geopolitically stabilizing figure, Egypt’s Mubarak. This lack of prudence, moreover, is still being camouflaged by the usual question-begging rhetoric about the “march of freedom” and democracy’s irresistible spread, with all the liberalizing boons assumed to follow the removal of an autocratic thug and the establishment of democratic machinery absent the liberal values that such machinery is supposed to serve. We forget that those values in the West are the fruit of 25 centuries of difficult, doubtful development from the legacies of Athens, Rome, and Jerusalem. We simply keep repeating the mantra that the “love of freedom” exists in everyone, a half-truth that ignores the fact that many other desires inhabit the human breast, such as the desire to serve and obey God, and that these can conflict with the love of freedom, and often take precedence over it. And how do we know that the “freedom” demanded in the Middle East is the freedom we believe in? What if it means the “freedom” to be a good Muslim living under Shari’a law, as we are told by both the NTC’s draft constitution, and the Cairo Declaration of Human Rights in Islam, whose Article 24 reads, “All the rights and freedoms stipulated in this Declaration are subject to the Islamic Shari’ah”?»

Ainsi, FrontPage.com se retrouve en symbiose avec Antiwar.com sur l’affaire libyenne, et avec les émanations du Mossad, alors que Dieu sait combien Justin Raimondo (Antiwar.com) dénonce tout cela (FrontPage.com, Horowitz et Mossad) avec fureur et à tour de plume. L’inverse est aussi vrai, la haine de Horowitz et de FrontPage.com pour Antiwar.com étant bien connue et largement distribuée…C’est la partie US de la situation, mais elle vaut bien entendu pour nous. Nombre de ceux qui se sont ralliés plutôt du côté de Kadhafi parce qu’il leur semblait absolument impensable de se trouver aux côtés des rebelles et de l’OTAN, se retrouvent aux côtés des plus radicaux des neocons et d’une partie importante de l’appareil de sécurité nationale d’Israël.

Bien sûr, on comprend bien la logique de tout cela… Horowitz et ses amis du Mossad détestent chez les rebelles libyens la partie islamique qui s’y est développée et jugent que Kadhafi a joué loyalement un jeu anti-islamique ces dernières années. Les autres, les indépendants qui luttent depuis des années contre l’impérialisme du bloc BAO, sont plutôt du côté de Kadhafi parce que Kadhafi est l’objet des attaques cruelles et impérialistes de l’OTAN, sous la direction éclairée du grand esprit qu’est Sarkozy… Ainsi, ceux qui, depuis des années, dénoncent les adversaires d’Israël, avec le soupçon habituel d’antisémitisme, et représentent l’aile maximaliste des neocons, se retrouvent aux côtés de ceux qui dénoncent, depuis des années, la politique d’Israël et l’inspiration subversive de leurs âmes données, les neocons maximalistes. Quant à ces mêmes neocons maximalistes qui ont salué dans Sarkozy l’arrivée d’un ami de l’Amérique bushiste et d’Israël, ils vouent discrètement aux gémonies le même Sarkozy, avec BHL en bandouillère…

Tout cela est un peu fou, – non, complètement fou, plutôt, – et ce n’est qu’un début, et qu’un exemple parmi d’autres du désordre absolument considérable des engagements politiques, et c’est aussi complètement logique, selon la logique d’une époque folle et marquée par un désordre tout aussi considérable. Notre conclusion est donc du domaine de l’“inconnaissance” appliquée aux prises de position par rapport aux évènements, – “inconnaissance” dans ce cas signifiant le refus d’un engagement circonstancié selon les termes imposés par ceux avec lesquels on s’engagerait, et qui, à un moment ou l’autre, risqueraient de faire avec le Système auquel, souvent, ils sont fondamentalement liés ; il s’agit, de façon très différente, de suivre une politique de prises de position distanciée, sélective et extrêmement libre d’elle-même, allant de l’un à l’autre, sans aucun engagement affirmé, – et cela selon une seule référence, impérative : soutenir, le temps qu’il faut et rien de plus, celui dont l’action peut être objectivement appréciée comme hostile au Système le temps qu’elle s’accomplisse. Qu’un super-neocon soit anti-Système pour un temps (ce qui est le cas puisque les références citées font de ces neocons-là des adversaires de l’OTAN et du bloc BAO), et l’on admettra de se trouver aux côtés de ces neocons, avant de les dénoncer lorsqu’ils retrouveront leur dialectique habituelle, pro-guerre, déstabilisatrices, etc. Il n’y a qu’une seule voie, un seul impératif, – l'ardeur et la bataille anti-Système, encore anti-Système, toujours anti-Système. L’habileté est de distinguer, dans ce formidable bouillonnement qui l’est, anti-Système, et qui ne l’est pas, pour le moment présent où vous posez votre jugement. Il n’y a aucune morale à avoir au niveau de cette soupe politique des idéologies, des emportements et des corruption, mais il y a une règle de fer, qui peut vous servir de morale ou pas, mais qui représente une orientation impérative, à suivre sans dévier : tout contre le Système et sus au Système.


Mis en ligne le 31 août 2011 à 12H56