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208624 novembre 2017 – La réunion à Sotchi d’une conférence-clef des dirigeants des secteurs militaires et industriels de défense avec le président Poutine et le Vice-Premier ministre, chargé de l’industrie d’armement, Dmitri Rogozine, a eu un certain écho dans les différents canaux et domaines de la communication dans le bloc-BAO. Partout, cette réunion, et les déclarations qui l’accompagnent, sont bel et bien interprétées comme une sorte e répétition d’une mobilisation de guerre de toute l’industrie (publique et privée) en cas de guerre du plus haut niveau, – guerre conventionnelle totale, avec ou non une composante nucléaire.
Il semble que ce soit surtout la presse britannique qui se soit attachée à l’information, avec à l’esprit, ou disons dans l’esprit du discours récent de Theresa May, le plus violemment antirusse qu’on ait entendu de la part d’un chef de gouvernement du bloc. The Independent a écrit à ce propos dans l’article qu’il consacre justement à cette réunion sur la mobilisation de l’industrie russe, sur le ton de la dérision et de la diffamation primaire (nommer une émission de satire politique “émission de propagande” est un bon exemple primaire) qui est un des styles utilisés pour aborder le comportement de la Russie tel qu’il est rapporté selon les recettes de la presseSystème :
« Lundi dernier, le Premier ministre britannique Theresa May a déclaré que le Royaume-Uni entendait une riposter pour contrer “l’hostilité de la Russie”. Elle a notamment déclaré, s’adressant aux Russes : “Nous savons ce que vous faites”. La Russie a fait une réponse typiquement diplomatique en faisant de Mme May la vedette principale de la fameuse émission de propagande Vesti Nedeli, dimanche. Le présentateur Dmitri Kiselev a tenu des propos les plus désobligeants : “[Theresa May] a prononcé son discours antirusse le plus agressif à ce jour – mais seulement pour dissimuler la blancheur de sa chair fatiguée”. »
Pour avoir une bonne synthèse des déclarations de Poutine lors la réunion de Sotchi, qui a suivi le sommet dans cette ville avec les dirigeants iranien et turc, on se reportera finalement au site WSWS.org. Bien qu’opposé à la Russie comme il est opposé à peu près à tout ce qui est structuré selon les exigences et la posture de la IVème International trotskiste, ce site se montre depuis quelques temps plus compréhensif pour la position russe, distinguant parfaitement d’où vient objectivement l’agression. D’une certaine façon, on lit même dans les articles de WSWS.org, et particulièrement celui qu’on cite ici, derrière le torrent de vitupérations habituelles contre certaines pratiques de la Russie, une certaine critique indirecte de Poutine pour ce qui serait sa mollesse coupable, pour ne pas riposter avec assez de fermeté à l’agression américaniste-occidentaliste.
...Car si la Russie annonce publiquement des mesures de préparation à une mobilisation de guerre de l’industrie et de l’économie, c’est après tout parce que l’OTAN, les USA et le reste, – bref, le boc BAO, – le fait depuis longtemps d’une façon dissimulée, rappelle furieusement WSWS.org. On admettra que cette furieuse critique trotskiste, avec les habituels clichés et les sornettes doctrinales courantes, constituent par-dessus tout, selon une ironie incapable de faire sourire un trotskiste, une dénonciation indirecte et imparable des pressions agressives du bloc-BAO contre la Russie.
« La crise révélée par l'appel de Poutine à préparer la Russie à une guerre totale est le résultat de ces décennies de guerres brutales menées par les puissances de l'OTAN dans le monde entier. Les tentatives de l'impérialisme américain d'utiliser sa puissance militaire pour compenser son déclin économique et canaliser les tensions de classe provoquées par le chômage croissant et la privation sociale, dans laquelle Washington a été encouragé par ses alliés européens, ont amené le monde à un holocauste nucléaire. [...]
» Vues de Moscou, les menaces d'une action militaire agressive menée par l'impérialisme américain autour de la planète ressemblent à un nœud coulant autour de la Russie... [...] La politique du Kremlin, enracinée dans le nationalisme russe en faillite de l'oligarchie capitaliste post-soviétique, est réactionnaire et incapable de s'opposer à la pulsion de guerre impérialiste. Incapable de faire appel au sentiment anti-guerre dans la classe ouvrière internationale, et dépendant financièrement des centres impérialistes, le Kremlin oscille entre essayer de conclure des accords avec les puissances de l'OTAN et risquer une confrontation militaire totale avec eux. Les stratèges s'attendent clairement à ce qu'un tel conflit dégénère rapidement en une guerre nucléaire à grande échelle menaçant la survie même de l'humanité. »
On en vient maintenant à l’objet du délit, qui est cette “déclaration de travail” solennelle faite par Poutine aux principaux dirigeants de l’ensemble militaro-industriel pour réaliser très rapidement un programme d’application immédiate de transformation de l’économie du pays en une économie de guerre, particulièrement au niveau de la production, en cas de conflit. Comme l’explique le texte, ces instructions ne constituent nullement un cadre théorique mais un programme d’action immédiatement applicable, à la suite des enseignements des manœuvres de septembre, dite Zapad 2017, dont il s’avère qu’elles impliquaient une importante composante portant justement sur des mesures de mobilisation (rappel de réservistes, transfert de la production civile à la production militaire dans diverses industries, transferts pour adaptation de matériels civils de transport à des fonctions militaires, etc.).
Ces manœuvres étaient normalement effectuées dans le cadre de la préparation courante et constante des forces armées russes qui sont très avancées dans un vaste programme de modernisation lancée en 2005-2007 et accélérée suite à l’expérience de la guerre contre la Géorgie (août 2008) qui avait révélé des déficiences importantes. Mais leur impact de communication a été exponentiellement augmenté par les réactions du bloc-BAO, notamment des pays de l’OTAN les plus antirusses, et de l’OTAN elle-même, comme nous l’exposions le 15 septembre 2017. C’est à la lumière de cette dramatisation que les déclarations de Poutine, mercredi à Sotchi, prennent tout leur sens, qui est largement et dramatiquement exposé dans le texte déjà signalé de WSWS.org (de Alex Lantier et en anglais, du 24 novembre 2017)...
« Des informations ont été publiées hier dans la presse britannique selon lesquelles le président russe Vladimir Poutine a ordonné à l'industrie russe d'être prête à consacrer tous ses efforts à la production de guerre. Après la re-militarisation officielle de la politique étrangère de l'Allemagne en 2014 et la réintroduction du projet par la Suède, un peu plus d'un siècle après le déclenchement de la Première Guerre mondiale en 1914, les pays européens et le monde entier se préparent à la guerre totale.
» Poutine aurait fait cette remarque au sommet de Sotchi, où il a discuté de la guerre syrienne avec les responsables turcs et iraniens. Pendant qu'il parlait, il passait en revue l'exercice militaire annuel Zapad de l'armée russe, qui a eu lieu en septembre, avec le personnel de l'armée russe. Poutine a déclaré : “La capacité de notre économie à accroître la production et les services militaires à un moment donné est l'un des aspects les plus importants de la sécurité militaire. À cette fin, toute entreprise stratégique et simplement à grande échelle devrait être prête, indépendamment de son statut, public ou privé.”
» Ses remarques ont clairement montré que l'exercice Zapad de cette année était destiné à vérifier si la Russie pouvait soutenir la mobilisation totale de ses ressources économiques pour une guerre nucléaire à grande échelle. Le scénario de l'exercice était que les forces nucléaires stratégiques s'entraînent à tirer leurs missiles - les plus grosses bombes à hydrogène du pays, destinées à détruire un pays qui a attaqué la Russie - au milieu de simulacres d'invasions terrestres et de missiles à grande échelle contre la Russie. Dans une telle guerre, l'armée prendrait le contrôle de l'économie, réduirait la production pour les besoins civils et réorienterait toute capacité industrielle survivant à des bombardements massifs d'avions et de missiles vers l'effort de guerre.
» Poutine a déclaré : “ Premièrement, nous avons vérifié notre capacité de mobilisation et notre capacité à utiliser les ressources locales pour répondre aux besoins des troupes. Des réservistes ont été appelés pour cet exercice, et nous avons également testé la capacité des compagnies civiles à transférer leurs véhicules et leur équipement aux forces armées et à fournir une protection technique pour le transport des communications. ... Nous avons également évalué la fourniture de services de transport et de logistique, ainsi que de nourriture et de médicaments à l'armée. Nous devons réexaminer la capacité des sociétés de défense à augmenter rapidement leur production.”
» Les remarques de Poutine sont un avertissement urgent à la classe ouvrière internationale. Le capitalisme mondial subit un effondrement politique historique. Le danger d'une troisième guerre mondiale, enraciné dans le conflit entre le système de l'Etat-nation et le caractère global de la production économique, est imminent et croissant. Ce que Poutine a annoncé ouvertement au sommet de Sotchi, c'est ce que les gouvernements de l'OTAN font derrière le dos du peuple : préparer une guerre globale entre les grandes puissances nucléaires et, si nécessaire, contre leur propre population. »
Cette fameuse manœuvre Zapad 2017 avait été réalisée également dans un climat politique à plus long terme que les seuls glapissements venus de l’OTAN, à partir d’une tentative secrète de Poutine, contenue dans un document transmis par Poutine à Trump, sans doute en janvier, pour un redémarrage (reset) de relations américano-russes. Ce message ne donna aucun résultat, et les actions US dans l’entretemps, la politique erratique et irresponsable jaillie dans le désordre de “D.C.-la-folle”, constituèrent une fin de non-recevoir brutale et irresponsable, et elles chargèrent encore plus le climat politique dans lequel eurent lieu les manœuvres Zapad 2017. Dans notre texte déjà référencé, nous écrivions :
« ... La conclusion étant, à la révélation de ce document, qu’il n’y a vraiment plus d’espoir avec l’actuelle cacophonie du pouvoir à “D.C.-la-folle”, qu’on puisse espérer à quelque arrangement que ce soit dans les relations avec la Russie. Ce n’est pas un complot ni une politique, c’est simplement une espèce de désordre figé dont l’une des clefs est l’absence complète de tout espoir de meilleures relations avec la Russie puisque la Russie est elle-même dénoncée comme responsable en bonne partie de cette situation figée. »
Autre élément-de-situation à observer, qui constitue pour les Russes une vérité-de-situation de plus pour les convaincre de la gravité de la période : les enseignements que WSWS.org rapporte d’un récent sommet de l’OTAN à Bruxelles. Les indications qui sont recueillies montrent que les Russes ne peuvent être conduits à une autre conclusion que celle qu’il y a vraiment, sans aucun doute, une préparation de conflit en cours du côté de l’alliance. Les détails présentés dans le texte impliquent également une mobilisation de certaine infrastructures (notamment financières, avec les banques), qui impliquent une action intérieure aux pays de l’OTAN pour organiser une orientation vers la guerre et contrôler les réactions des populations.
« Il y a deux semaines, l'OTAN a tenu un sommet à Bruxelles pour discuter de la construction de bases navales et logistiques pour transporter les troupes américaines et européennes à travers l'Atlantique et le continent européen pour combattre la Russie. Lors de la révision du programme du sommet, le magazine d'information allemand Der Spiegel a conclu: “En langage clair: l'OTAN se prépare à une éventuelle guerre avec la Russie”.
» Comme en Russie, les responsables de l'OTAN préparent une telle guerre avec des plans visant à subordonner toute la vie sociale et économique au diktat des banques et de l'armée. Lors du sommet de Bruxelles, le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, a précisé que l'OTAN coordonne également étroitement sa planification de la guerre avec les agences de renseignement, la police et les banques. Cette planification, a-t-il dit, “nécessite une approche pangouvernementale. Il est donc important que nos ministres de la Défense sensibilisent nos ministres de l'Intérieur, des Finances et des Transports aux exigences militaires.” »
Plusieurs autres éléments sont apparus ces dernières semaines, entre Zapad 2017 et le cri d’alarme de Poutine en conclusion des enseignements de ces manœuvres, il y a deux jours. Ce cri d’alarme concerne les intentions du bloc-BAO, mais essentiellement des USA, – c’est-à-dire des intentions incontrôlables et jaillies en désordre, sans qu’on puisse distinguer une ligne directrice sur laquelle argumenter, mais tout cela étant conduit par une tendance belliciste évidente qui émane du Système lui-même. On en rappelle quelques-unes...
• Plus qu’une menace de conflit ou quelque intention que ce soit, les Russes ont été particulièrement frappés par les déclarations erratiques et contradictoires de responsables US (Mattis, Haley) sur la grotesquerie presque éthylique de la constitutionnalité internationale de la présence US en Syrie ; la seule chose assurée étant l’affirmation que “nous y sommes parce que nous avons décidé que nous avons le droit d’y être, point final”. Les forces US en Syrie atteignent les 5.000 hommes, tandis que des précisions récentes indiquent que l’ensemble des forces US dans la région du Moyen-Orient est plus importante de 30% à 40% que ce que l’on croyait, pour atteindre un chiffre proche de 55.000 hommes.
• D’une façon plus générale, les déclarations précises, du Pentagone, voire de Mattis, selon lesquelles, Daesh ayant été vaincu (par les forces US, cela va de soi...), il est capital que les forces US demeurent en Syrie, dans un ensemble de treize bases selon les Turcs, pour veiller à ce que Daesh ne se reconstitue pas. L’espèce d’extraordinaire désinvolture de ces déclarations, à la fois surréalistes et évidemment sans le moindre souci ni le moindre rapport avec la légalité, – “hors-sol” dirait-on dans les salons parisiens, – apparaît extrêmement choquante et inquiétante pour les Russes, mais aussi pour les Turcs et les Iraniens (et les Syriens, bien sûr). Il y a cette impression de l’absence complète de contrôle, de l’irresponsabilité, de l'indifférence aux événements et aux faits, et encore plus de la part de chefs militaires décrits comme contrôlant l’incontrôlable Trump, dont il est partout proclamé qu’ils sont “les seuls adultes” dans les pièces où ils se réunissent avec le président, etc.
• Ce même chapitre de l’irresponsabilité et de l’absence de contrôle est complété par les épisodes-StratCom, dont nous avons rendu compte à différentes reprises (les 17 novembre, 19 novembre, et 20 novembre 2017). Il y a assez dans tout cela pour inquiéter les Ruses, dont la lecture à cet égard est parfaitement réaliste puisqu’ils comprennent qu’il s’agit bien d’une querelle interne à l’appareil militaro-politique. Les gens de StratCom, en écrasante majorité de l’USAF (avec la Navy), sont perçus à cet égard comme agissant, non pas comme représentants du Deep State contre Trump, ce qui est une hypothèse évidemment impropre, mais comme représentants d’une arme qui s’estime autonome et quasiment prépondérante dans le domaine des forces nucléaires stratégiques, – bien qu’il y ait évidemment la composante navale, mais il s’agit là aussi d’une arme stratégique et les marins sont dans ce cas proches des aviateurs. Le fait pour ces armes d’être placés sous l’autorité directe du Corps des Marines (Mattis, secrétaire à la défense, et Dunford, chef d’état-major général, sont deux généraux des Marines, sans compter Kelly comme chef de cabinet de Trump) représente une situation qu’ils jugeraient bien inacceptable, et leurs affirmations d’insubordination sont aussi, et peut-être principalement, une pression (avec un certain soutien du Congrès) pour que cette situation soit modifiée.
• Là aussi, pour les Russes, l’impression d’un bateau ivre, alors qu’on joue avec le feu nucléaire, dans un domaine où le président semble, lui, évoluer sur une autre planète d’où il insulte périodiquement les Nord-Coréens en passant aussitôt après à l’évocation d’un arrangement entre amis. Le problème central actuel est que les USA jouent le jeu de la confrontation avec les Russes sans vraiment être préoccupés des Russes, ni des risques de conflit, mais d’abord préoccupés par la situation intérieure US et l’affirmation des intérêts que chaque groupe représente.
Dans ce cadre complètement distordu, ce miroir déformant, l’OTAN, qui joue continuellement son existence puisqu’elle n’existe plus vraiment depuis un quart de siècle, la joue dans ce cas en tenant le rôle qu’elle préfère et où elle excelle. Elle est une excellente organisatrice bureaucratique, cette espèce de force structurante aveugle et inexorable qui, substituant le “comment ?” au “pourquoi ?”, “met en musique” (en planification, ce qu’elle est experte à réaliser) d’innombrables scénarios de conflits auxquels, est-il annoncé avec une extraordinaire indifférence aux vérité-de-situation, les Russes ne cessent de la pousser. -Elle s'offre donc toute entière comme structure d'accueil et de rangement des folies washingtoniennes et du bloc-BAO : folle également, l'OTAN, mais comme un hôpital psychiatrique où la direction déploie et balade une folie convenable et propre sur elle.
Ces divers avatars où l’on cherche en vain la moindre cohérence, le plus petit projet stratégique, mais où l’on trouve en abondance paranoïa, schizophrénie et frénésie maniaque, constituent le lot quotidien de la situation internationale à laquelle est confrontée la Russie. Aucune tension ne s’apaise puisque la cause en est insaisissable, toutes elles s’ajoutent les unes aux autres et sont emportées par le “tourbillon crisique”. Chaque épisode nous confronte à une situation générale plus grave et plus tendue que les précédentes. La réunion de Sotchi et les déclarations de Poutine est le dernier épisode en date.