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2124Bien entendu, il faut suivre les sources russes pour trouver des éléments épars qui permettent un rassemblement autour d’un thème, et une appréciation dans la perspective, dans le tourbillon de l'immense crise révélée par l'affaire ukrainienne. Deux nouvelles mises en commun permettent d’avoir une meilleure appréciation (l’appréciation est en constante progression) de ce que nous nommerions “la dictature de la narrative”, en attendant une dénomination plus précise et plus spécifique. Les deux nouvelles viennent évidemment de Washington, qui est le siège central de l’activisme du Système, et donc l’émetteur le plus constant, le plus entêté, de la narrative qui soutient toute l’action de Système/du bloc BAO.
• La première intervention est celle de la désormais-fameuse porte-parole du département d’État, Jen Psaki. Sputnik.News met en évidence, le 14 février 2015, un passage de l’intervention de Psaki où elle répond à un journaliste qui lui demande quelles preuves elle peut donner de son affirmation selon laquelle les Russes auraient livré des équipements aux séparatistes du Donbass dans les dernières 48 heures, soit depuis la signature de l’accord Minsk-2. Les correspondants des réseaux russes sont attentifs, car le passage est perdu dans une transcription verbatim, mot à mot jusque dans les onomatopées révélatrices ... (Extrait du Daily Press Briefing du 13 février 2015, Département d’État.)
Question : «Back to the Russian equipment coming from Russia into Ukraine.»
Psaki: «Mm-hmm...»
Question : «You have seen this deployment of military equipment over the last 24 hours, since the agreement has been...»
Psaki: «Past couple of days, past couple of days I think is an accurate way...»
Question : «And not since the agreement has been signed in Minsk?»
Psaki: «Well, as you know, it was signed I guess it was two days ago. This has been a bit of a long week, so I think that’s correct. So yes, the past couple of days this has been happening... Go ahead.»
Question : «Hi, Jen. Would you be willing to present the evidence that you have? Because this is what the Russians keep saying, that all of these allegations from the American side are just words. They’ve been asking for evidence to be presented to I don’t know whom – to the international community I guess, to the press.»
Psaki: «Well, I think that’s quite quaint, because not just the United States but – I’m getting to my point...»
Question : «Right.»
Psaki: «...the United States, Ukraine, Europeans, NATO – there are a range of officials around the world who have consistently conveyed; there has been information put out by NATO over the course of time. I am sharing with you information that I am able to share from our own internal analysis. I don’t have more details to provide. We always make efforts to provide as much information as we possibly can.»
Question : «You know how – Jen, I understand. “We all say the same thing” is not proof. You all say the same things, you are all in the same – yes, in the same camp.»
Psaki: «Well, I would point you to what the prime minister of Ukraine said when he offered to – he offered his glasses to his Russian colleagues so that they could see what’s happening in Ukraine.»
... Et l’on admirera la chute, – “Jen, ... dire ‘nous disons tous la même chose’ n’est pas une preuve. Vous dites tous la même chose, vous êtes tous dans ... le même camp” / “Eh bien, je vous renverrais à ce que disait le premier ministre ukrainien quand il a offert ... ses lunettes à des collègues russes pour qu’ils puissent voir ce qui se passait vraiment en Ukraine.” Il y a un extraordinaire automatisme de la porte-parole Psaki, une sorte de vertu de l’automatisme, à répéter l’argument-massue de la narrative, qui est “ce que je dis est une preuve suffisante parce que ce que je dis est vrai, et puisque ce que je dis est vrai c’est bien que c’est une preuve suffisante...”, jusqu’à conseiller de porter les lunettes magiques de Iatseniouk qui permettraient même à un Russe de distinguer enfin la réalité de l’Ukraine. Il est vrai que la voix-qui-dit-le-vrai n’a pas besoin d’être éprouvée par des preuves ; encore plus, exiger une preuve de la vérité de cette voix-qui-dit-le-vrai, en quelque sorte c’est déjà abîmer gravement la vérité en la mettant en cause, jusqu’à risquer de la perdre (la vérité).
Ou bien est-ce que Psaki ne devrait-elle pas faire, après tout, comme son chef vénéré, le Secrétaire d’État soi-même ? On sait que, confronté à cette agaçante question des “preuves”, il riposta par “allez voir ailleurs”, c’est-à-dire dans les réseaux sociaux où l’on trouve toutes les preuves du monde, – pour conclure : “c’est bien suffisant”, exactement comme l’on botte en touche au rugby. (Voir le 6 février 2015.)
• Le même registre des “preuves” de l’implication des Russes, en unités régulières et authentiquement identifiées, a été illustré par le sénateur Inhofe, républicain de l’Oklahoma et intraitable partisan de l’envoi d’armes US au secours de l’Ukraine agressée. Inhofe a appris que des photos qui lui avaient été communiquées pour renforcer son argument en faveur d’une loi, co-sponsorisée par lui, pour recommander l’envoi d’armements pour l’Ukraine, étaient des faux pour ce qu’il en était dit des événements décrits. Prétendant représenter des forces russes en Ukraine en août-septembre 2014, elles représentaient en réalité des forces russes en Géorgie. Inhofe avait communiqué ces photos, qui lui avaient été confiées avec émotion et en exclusivité par deux députés ukrainiens en décembre 2014, au Washington Free Bacon (WFB), également en exclusivité. (Voir ZerHedge.com qui rapporte toute l’affaire, le 13 février 2015.) Depuis, durement accroché par ses lecteurs, WFB a du rétropédaler par un Update du 13 février 2015 se terminant par «The Washington Free Beacon regrets the error.»
Inhofe, lui, est extrêmement furieux. Il a publié un communiqué qui dit à peu près ceci (selon Sputnik.News du 14 février 2015) : «Les représentants du parlement ukrainien nous ont remis ces photos comme tout à fait récentes. Ils nous ont joué un mauvais tour! Nous avons estimé pouvoir les publier, les images correspondant aux reportages depuis la région. J'ai été furieux, en apprenant que l'une des photos avait été truquée en utilisant une photo d'Associated Press prise en 2008...» Pour conclure, Inhofe termine en toute logique en réaffirmant son ferme engagement derrière les Ukrainiens, contre les Russes qui envahissent l’Ukraine comme si l’on était en Géorgie en 2008 : «Cela ne change rien au fait qu’il y a une multitude de preuves montrant que les Russes ont fait des intrusions [en Ukraine] avec des chars T-72 et que des séparatistes pro-russes ont tué des Ukrainiens de sang-froid.» («This doesn’t change the fact that there is plenty of evidence Russia has made advances into the country with T-72 tanks and that pro-Russian separatists have been killing Ukrainians in cold blood.»)
Le caractère enfantin ou curieusement “amateur” des “multitudes de preuves” qui continuent à exister, – l’identification du char T-72 et le caractère “de sang-froid” des tueries sont vraiment des détails d’une stupéfiante naïveté, – suivant la démonstration de la tromperie des photos reçues en décembre 2014 (avec notamment des T-72, tiens) montre simplement que le sénateur Inhofe se fout complètement de connaître l’exactitude des choses qu’il manie, et d’ailleurs qu’il n’y connaît rien. D’une part, ce qui lui importe c’est que sa loi sa votée, sa notoriété assurée, le soutien financier nécessaire pour sa réélection verrouillée de même que sa réélection. Mais il y a un “d’autre part”, qui est son engagement pour l’Ukraine-Kiev, qui constitue une variation du même comportement qu’on trouve chez Psaki, la même sorte d’automatisme d’en revenir toujours à la même affirmation, toujours faite avec la même fragilité factuelle compensée par l’espèce de certitude massive, écrasante, refusant par avance toute réfutation, imposée par la narrative.
Le caractère exceptionnel de la situation prévalant en Ukraine est que toutes les démonstrations sérieuses d’enquête qui ont été faites ont abouti à la mise en évidence que les affirmations, les dénonciations antirusses, et bien entendu “les preuves” étaient fausses. Il semblerait que plus l’on démonte les montages, plus l’on montre la fausseté, plus l’on met en lumière les manipulations, plus la “vérité” est affirmée dans le même sens faussaire avec une espèce de fébrilité grandissante qui ne souffre pas la contradiction, qui souffre de moins en moins la contradiction. Même s’il parle de preuve, Inhofe suit la même logique que Psaki en réagissant à la mise en évidence de la fausseté des preuves par une surenchère de la correspondance de son engagement avec la vérité ; même logique que celle de Psaki, qui est celle du “ce que je dis est une preuve suffisante parce que ce que je dis est vrai, et puisque ce que je dis est vrai c’est bien que c’est une preuve suffisante...” Il n’y a aucune rouerie dans leur comportement, aucun désir de tromper, car si c’était le cas la cause serait bien mieux défendue et les montages effectués bien plus habiles. Il y a une réelle conviction, qui ne dépend d’aucune démarche personnelle, d’aucun débat interne, d’aucune introspection, – lequel de ces gens connaissait vraiment l’existence de l’Ukraine avant février 2014 ? – mais qui est simplement une façon de s’en remettre à une évidence écrasante, c’est-à-dire à l’empire de la narrative, ou à la “dictature de la narrative”. Mais il y a aussi une fatigue psychologique grandissante, à mesure de l’affaiblissement de leur psychologie qui permet son investissement par la narrative, sans coup férir ; cette fatigue, c’est, si l’on veut, “le poids de la dette” que leur psychologie contracte vis-à-vis de la vérité de la situation ukrainienne, et qui ne cesse de grandir, de peser, et qui ne cesse d’affaiblir leur force de persuasion et, par conséquent, leur efficacité.
Mis en ligne le 14 février 2015 à 17H05
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