La Pologne entre marteau (de l’UE) et faucille (de l’OTAN)

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La Pologne entre marteau (de l’UE) et faucille (de l’OTAN)

Il y a donc, de facto depuis décembre 2015, une “crise polonaise” en Europe, une de plus au sein de l’UE. La première phase de tension brutale au niveau de la communication vient de se terminer après des rencontres et des interventions à Bruxelles, à la fois de dirigeants de l’UE et de dirigeants polonais. Chacun a fixé ses positions avec plus ou moins de fermeté, et l’on a pu que constater le désaccord qui est très sérieux sur le fond des choses puisqu’il concerne la question de la souveraineté (de la Pologne) contre l’impérialisme (de l'UE) ; cet imérialisme, à la fois bureaucratique et sociétal, dans ces deux domaines qui manifestent principalement l’affirmation totalitaire et absolument antidémocratique de l’UE, devenue une branche de la nouvelle URSS que constitue le bloc-BAO, notamment selon l’interprétation de John Laughland s’alimentant à l’évidence et justifiant de présenter les symboles du marteau et de la faucille. Sur la forme, les deux partenaires-adversaires ont quelque peu adouci les excès des premiers échanges. Proche de cet affrontement, il y a l’Allemagne, qui a elle-même sa crise, qui est sa situation vis-à-vis des “migrants” d’une part, et ses illusions d’être la puissance tutélaire et dominatrice de l’Europe d’autre part ; par conséquent, l’Allemagne, dont les relations avec la Pologne sont historiquement complexes, constitue le soutien principal et parfois très autoritaire de la politique impérialiste de l’UE contre la Pologne.

Il y a nécessairement un autre volet de la “crise polonaise”, qui rend cet événement à la fois beaucoup plus complexe et plus important que la seule querelle avec l’UE (l’Allemagne) : il s’agit de la position de la Pologne par rapport aux situations héritées de la Guerre froide, et accessoirement par rapport à la crise ukrainienne. (Nous n’aurions pas écrit “accessoirement” pour la crise ukrainienne il y a deux ans ni même un an : en fait la “crise polonaise” telle qu’elle existe aujourd’hui n’aurait pas pu avoir lieu dans de telles conditions qu’on constate aujourd’hui, même avec le PiS au pouvoir, il y a un ou deux ans, parce que la crise ukrainienne dominait et réglait toutes “situations héritées de la Guerre froide” pour la Pologne.) Ces “situations héritées de la Guerre froide” se résument aujourd’hui à deux volets dont le connexions sont évidentes : d’une part les relations de la Pologne avec l’OTAN et avec les USA, d’autre part les relations de la Pologne avec la Russie.

• ...En effet, comme l’on connaît la subtilité et l’intérêt de Washington pour tout ce qui n’est pas les USA, le système de l’américanisme s’est aperçu, mais oui mais oui, qu’il se passe quelque chose entre la Pologne et l’UE (l’Allemagne). Le réflexe quasiment pavlovien, type-zombie, est aussitôt d’esquisser une position dans le sens de l’UE (et de l’Allemagne) parce que là se trouvent la puissance européenne proaméricaniste selon Washington, et là se trouve le langage bureaucratique et sociétal extrêmement postmoderne qui fait le miel du Système et règle la pensée. Un expert libertarien, Diug Bandow qui est pourtant d’une opinion “réaliste” plus que neocon par rapport à la politique-Système de l’administration, nous présentait le 13 janvier ce qu’on peut considérer comme la position de Washington au seuil de cette “crise polonaise”, qui ne s’exprimait que  par les seuls biais de l’OTAN et de la “menace russe”, comme si l’on se trouvait en 2014-2015 (crise uranienne).

« La Pologne veut déployer les forces de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan) sur son territoire et, dans ce contexte, annonce l’existence d’une "menace russe". Cependant, d’autres pays européens ne considèrent pas la Russie comme un pays dangereux, estime Doug Bandow, expert de l’Institut Cato.

» Dans un article publié dans The National Interest, M.Bandow décrit les intentions actuelles des autorités polonaises. La Pologne a le statut de pays accueillant le sommet de l'Otan de cette année, et dans ce contexte elle a clairement montré le but essentiel qu'elle s'était fixé pour les prochains mois: faire pression sur les membres de l'alliance afin d'obtenir de l'aide militaire. Selon l'annonce du gouvernement polonais, les dirigeants des pays de l'Otan se rendront à Varsovie, en juillet prochain, pour examiner la façon dont ils pourront lutter contre les menaces. Pour les autorités polonaises, c'est la Russie qui représente la menace principale. »

Entretemps ou depuis lors, les amis de l’UE et les complices de Berlin ont informé les cousins de Washington et les cousins ont fait comme s’ils avaient compris. Ainsi les premières manifestations d’intérêt américaniste apparaissent-elles, selon le programme habituel : comme toutes les autres, cette affaire concerne évidemment les USA et seuls les USA peuvent apporter une solution qui se passera conformément aux intérêts du Système, c’est-à-dire, dans l’ordre, des USA et de l’OTAN, de l’UE-Allemagne, et bien sûr dans l’intérêt du peuple polonais démocratiquement élu. L’article de Bruce Ackerman (prof à Yale) et de Maciej Kisilowski (la signature exotique de la Central European University, relais confortable couvert de l’argent de Soros), dans Foreign Policy du 21 janvier est une de ces manifestations, et la plus significative.

Le titre est surréaliste : « Obama est le seul espoir de la Pologne ». La “crise polonaise” y est contée en détails, comme une fable pour enfants sages, avec les ornements habituels de la narrative classique. On y dit que ce gouvernement du PiS, avec ses prétentions populistes et proches d’être fascistes, est évidemment  insupportable ; que la souveraineté des “valeurs” imposent qu’on y mette bon ordre, en faisant fi de la souveraineté du pays ; que l’UE a eu l’attitude noble qui convient mais qu’elle n’a malheureusement pas les moyens (l’UE, how much de divisions ?) de faire appliquer les mesures démocratiques qu’elle préconise ; que les USA, eux, peuvent faire, avec la grâce et l’élégance que seul le président Obama peut montrer dans ce monde cruel et grossier. Nous passons sur les détails des explications subtiles des deux plumes et gardons les extraits sur l’essentiel, qui est leurs recommandation si aimable et si bien informée comme doivent l’être menace et chantage : si la Pologne ne s’aligne pas, pas de sommet de l’OTAN en juillet, ou bien, parce qu’il ne faut pas laisser penser que ce que veulent les USA l’OTAN le veut, pas de président Obama à Varsovie lors du sommet de l’OTAN.

« Poland’s political crisis is escalating at breakneck speed... [...] This is where the United States comes in. Only Washington has the power to remedy the structural deficiency in EU law that is undermining Europe’s response. [...]

» The United States does not suffer this historical burden. Quite the contrary: For generations, it has been a refuge for Polish freedom fighters of various stripes, from Casimir Pulaski during the American Revolution to Jan Karski during World War II. Given America’s leading role in the transatlantic military alliance, it is in a position to provide crucial reinforcement for the European initiative. This July, Warsaw is scheduled to host a special NATO summit. This is not a regular meeting of cabinet defense ministers, but an extraordinary session at which the heads of all member states redefine the alliance’s key strategic missions. Law and Justice sees this high-profile event as a chance to show its domestic backers that it remains a respected player on the international stage, even as it destroys constitutional government at home. Poland has concrete diplomatic goals it hopes to achieve as well: The government will be campaigning for the permanent deployment of NATO troops in the country as a tripwire against the threat of future Russian aggression.

» The Obama administration should act now to preempt this gambit. It should make it plain that there will be no summit in Warsaw — or at least not one the United States will attend — so long as Poland’s commitment to constitutional democracy remains under investigation by the commission. [...]

» Otherwise, this is the moment for President Barack Obama to use his bully pulpit and explain that NATO is more than a mere military alliance. It is grounded instead on a transatlantic commitment to the defense of democracy and the rule of law. He should give America’s full support to the commission’s investigation of the Polish government’s conduct amid the greatest crisis in EU history. He should make it plain that, unless it solves its problems in a good-faith fashion, he will not be attending the Warsaw summit. »

• Pendant ce temps, quelle est la position de la Pologne vis-à-vis de toutes ces questions ? On ne s’étonnera pas qu’il y ait un peu de schizophrénie dans l’air : d’une part, les Polonais continuent à parler plus ou moins précisément d’une éventuelle “menace russe”, à réclamer le stationnement permanent de forces de l’OTAN dans le pays et à se satisfaire hautement de la tenue du sommet de l’OTAN en Pologne, en juillet prochain, comme on l’a compris avec les nouvelles précédemment signalées. D’autre part, il semble y avoir, de la part de la Pologne toujours, de discrètes tentatives de rapprochement de la Russie, qui sont de l’initiative du nouveau gouvernement polonais. Elles ont été concrétisées par une rencontre russo-polonaises, le 22 janvier à Moscou, au niveau des vice-ministres des affaires étrangères, à la demande de la partie polonaise. La partie russe semble ouverte à ce processus, mais sans précipitation excessive, loin de là, et surtout à des conditions explicites dont la plus pressante est une intervention plus ferme des autorités polonaises contre des actes de vandalisme contre des monuments commémorant l’action de l’Armée Rouge durant la Deuxième Guerre mondiale  

Agence Tass, le 20 janvier : « On January 22, Moscow will host the Russian-Polish consultations at the level of deputy foreign ministers. “This is the initiative of the Polish side. Warsaw has sent signals that the country’s new leadership that came to power after the October 25, 2015 parliamentary elections would like to bring some fresh ideas to the Russian-Polish relations,” Titov said. “If this is indeed so, then of course we are ready to listen to these ideas.” However, the consultations will come amid Poland’s unfriendly position in the context of the Ukrainian crisis, mass desecration of Soviet military cemeteries and demands to strengthen NATO’s eastern flank. »

Agence Tass, le 22 janvier : « Unfriendly rhetoric must be rejected to see Russian-Polish relations normalized, a report of the Russian Foreign Ministry said after bilateral consultations at the level of deputies to the foreign ministers. Russia is ready to pragmatically build contacts with the new Polish government, advancing on those directions where it is possible, the report said after consultations of Russia’s First Deputy Foreign Minister Vladimir Titov and Polish Deputy Foreign Minister Marek Ziolkowski.  “It was not at Russia’s initiative that channels of a dialogue were blocked,” the ministry said. “It was stressed that if there is a bid to normalize relations, adequate atmosphere must be created for that, while unfriendly rhetoric and action must be avoided,” the report said. “An accent was put on a need to take measures towards due protection of Russian monuments and military burial sites in Poland given vandalism incidents that are getting increasingly frequent,” the ministry said.

» The sides agreed to organize shortly a meeting of a joint working group for the implementation of the February 22, 1994 intergovernmental agreement on memorial sites for victims of wars and repressions. The report also said the sides had agreed at consultations to pragmatically settle disputes concerning diplomatic property in both countries. It said “the sides agreed to pave the way for negotiations with the prospect to arrive at an intergovernmental agreement”. »

Comme on le voit, les Polonais vont devoir pédaler ferme s’ils veulent améliorer de façon significative leurs relations avec la Russie. D’autre part, ils doivent être convaincus qu’ils sont obligés d’y aller avec la plus extrême prudence pour ne pas donner un argument de plus à ceux qui exercent des pressions sur eux, du côté de l’UE et de l’Allemagne, de l’OTAN et des USA. Il n’empêche, avec l’habituelle dérive maximaliste US allant dans le même sens que le “totalitarisme démocratique” de l’UE et de l’Allemagne, d’autant plus pressant qu’UE et Allemagne sont elles-mêmes dans de graves crises, il ne sera fait strictement aucun cadeau à la Pologne et les pressions qui vont s’exercer sur ce pays se feront comme si la Pologne avait d’ores et déjà conclu une alliance avec la Russie. A notre sens, les rapports et les relations dans ce sens ne vont aller qu’en s’aggravant, avec de très probables tentatives de déstabilisation type-regime change en Pologne.

L’inconnue se trouve plutôt du côté russe. Poutine va-t-il “jouer un jeu” avec la Pologne ou laisser venir sans autre dessein qu’une certaine amélioration des relations, – à commencer, à condition que les Polonais respectent les lieux de commémoration, c’est-à-dire que les autorités interviennent durement dans ce sens ? On retrouve dans ce cas une certaine incertitude du côté russe, avec l’ambiguïté de Poutine lorsqu’il s’agit de ses relations directes avec le bloc-BAO (UE, Allemagne, USA). C’est le côté “un pied dedans” de la Russie de Poutine (“en-dedans et en-dehors du Système”) qui existe beaucoup plus dans ce cas, avec les structures financières et monétaires et une partie de certaines puissances d’argent (oligarques), toujours perçues comme de tendance “occidentaliste”, proches du Système et de la globalisation malgré les promesses de changement envisagées au moment du paroxysme originel de la crise ukrainienne ; c’est le côté qui vaut des critiques à Poutine même de la part de “pro-poutiniens” assez constants, comme par exemple dans l’article du Saker-US du 24 février 2016 (“Poutine’s biggest failure”) ou dans celui d’Israël Shamir le 23 décembre 2015 (« Putin Supporters Dislike His Friends, Government – Putin may be popular in Russia but the people he rubs shoulders with aren’t »). La “crise polonaise” vient s’inscrire dans ce contexte pour la Russie, d’où l’extrême prudence, sinon une certaine réticence de ce côté.

D’autre part, les Russes peuvent être fondés de croire à un nouveau scénario “à le grecque” (Tsipras envisageant de demander l’aide de Moscou contre l’UE, alors qu’il a fini par complétement capituler face à l’UE et à l’Allemagne). D’autre part encore, la Pologne n’est pas la Grèce, et il y a beaucoup d’éléments pour que cette crise devienne beaucoup plus grave que la crise grecque, avec un facteur géopolitique fondamental. Les Russes auraient alors beaucoup de mal à ne pas s’intéresser de plus près à cette affaire.

Les Polonais pourraient se trouver, grâce aux maladresse, à l’arrogances et à la brutalité proverbiales du quadrille UE-Allemagne-USA-OTAN, dans un dilemme où ils devraient choisir entre une position intraitable qu’ils devraient renforcer en établissant des liens plus fermes avec la Russie (si celle-ci “joue le jeu”) ou capituler complètement et tenter de se rattraper dans un antirussisme renouvelé relançant la tension entre le bloc-BAO et la Russie. Il est donc possible qu’à un moment les Russes en arrivent à juger qu’il est plus dommageable pour eux de ne pas répondre avec plus d’enthousiasme aux sollicitations polonaises.

 

Mis en ligne le 25 janvier 2016 à  12H06

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