La porte est franchie

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La porte est franchie

1er avril 2016 – On connaît la proposition ou postulat d’Euclide sur les parallèles, qui fonde sa géométrie : « Les parallèles sont des droites qui, étant situées dans un même plan, et étant prolongées à l'infini de part et d'autre, ne se rencontrent ni d'un côté ni de l'autre. » On sait qu’il existe également la géométries non-euclidienne qui accepte tous les Éléments d’Euclide sauf celui qui est dit postulat, sur les parallèles. A quelle géométrie appartiennent les crises ? Après tout, le concept de “tourbillon crisique” nous permettrait d’échapper à cette délicate question, mais cela pourrait aussi ressembler à un évitement convenu, du type-“botter en touche”.

D’autre part, pourquoi soulever cette “question délicate” ? Les événements l’imposent, selon notre estimation (qui est loin d’être partagée), parce que deux crises que nous jugeons fondamentales sinon ontologiques se sont développées ensemble, comme parallèlement, d’abord comme sans lien apparent entre elles... Si l’on veut bien voir, il y a pourtant une quasi-synchronisation chronologique des deux qui est déjà une précieuse indication.

• D’une part, il y a les événements en Syrie et autour de la Syrie, avec toutes les conséquences qu’on sait. On peut parler d’une nouvelle crise (Syrie-II) avec l’intervention russe en septembre 2015, – et peut-être une nouvelle phase avec le pseudo-“retrait“ russe, qui aurait pu donner Syrie-III, – mais non, finalement qui pourrait plutôt être baptisé Syrie-IIbis, comme nouvelle phase de la même séquence Syrie-II, pour marquer combien nous restons dans la même configuration crisique. Au reste, on voit (reprise/libération de Palmyre, “retrait”-renforcement russes) que les combats n’ont pas cessé en Syrie mais qu’ils ont acquis un sens nouveau qui les rend plus compréhensibles et plus structurants, tout en gardant bien entendu leur caractère crisique. On ajoutera, parce que c’est un prolongement essentiel, que le relatif apaisement des évènements brutaux de Syrie avec le cessez-le-feu tend à transmuter le centre tourbillonnant de la crise, ou centre crisique, vers ses “conséquences européennes” (crise des migrants + terrorisme), donnant au centre crisique syrien un poids encore plus important en impliquant directement l’un des deux composants essentiels du bloc-BAO, c’est-à-dire l’un des deux composants essentiels du Système.

• D’autre part, il y a les événements aux USA, dans le cadre des primaires de l’élection présidentielle, avec le surgissement des populismes (droite et gauche), le phénomène Sanders-Trump qui évolue en deux processus parallèle là aussi, avec l’écho massif de la candidature Trump d’une part, avec la persistance sinon la résilience du phénomène Sanders malgré une certaine insubstance initiale de Sanders et à cause de la puissance du courant qui le pousse. C’est-à-dire qu’il s’agit d’une insurrection populaire à double facette, à l’intérieur même des processus de l’establishment, avec désormais des perspectives très sérieuses de troubles intérieurs graves, c’est-à-dire une insurrection de communication menaçant de devenir insurrection-guerre civile qui s’est déclenchée à partir de l’intérieur du cœur même du Système et que personne n’a vu venir.

• On peut admettre la synchronisation des deux crises en observant que c’est à la fin septembre (intervention russe) que la crise Syrie-II a commencé, d’une part ; que d'autre part c’est à partir du début de l’automne 2015 qu'on a commencé à prendre vraiment au sérieux Trump et Sanders. (Voyez par exemple ces textes du 13 août 2016, du 20 septembre 2015 et du 9 octobre 2015).

Jusqu’ici, on remarquait dans la succession des crises, le passage normal de l’intensité crisique d’une crise à l’autre, dans l’ordre de la succession. Même si les plus récentes ont pris des formes crisiques complexes, passant de la chaîne crisique au tourbillon crisique. Ainsi, et pour prendre le plus récent épisode de cette sorte d’enchaînement, on peut considérer qu’il y eut un épisode central nous faisant passer de la chaîne crisique au tourbillon crisique avec la crise Syrie-I ; laquelle céda de son importance, puis de sa tension crisique, à l’Ukraine à partir de novembre 2013-février 2014 (“coup de Kiev”)... Jusqu’à la mi-2015, la crise syrienne disons s’éclipsa du système de la communication, pour revenir sur le devant de la scène à la fin de l’été (tandis que la crise ukrainienne s’effaçait au deuxième plan durant la première moitié de 2015, non sans avoir laissé une trace gigantesque sous la forme de l’exacerbation de la tension Russie-BAO alimentant les divers autres centres crisiques).

Cela ne signifie évidemment pas que les crises s’apaisent sinon se terminent puisqu’aujourd’hui, dans notre infrastructure crisique générale, aucune crise ne s’apaise, et encore moins ne se termine. Ce que nous décrivons signifie que le principal point de la tension crisique, si l’on veut le nœud central du tourbillon crisique, se déplaçait d’une crise à l’autre selon l’enchaînement qu’on a décrit. Ce fut donc le cas entre Syrie-I et l’Ukraine en novembre 2013-février 2014. Par contre, à l’automne 2015, un événement crisique nouveau apparut. La Syrie redevint un centre majeur de crise, Syrie-I transformée et Syrie-II avec un essaimage vers l’Europe déjà déstabilisée par la crise ukrainienne et ses remous intérieurs (Grèce), tandis que ce qui avait jusqu’alors été considéré comme une péripétie originale et vulgaire de l’approche des élections présidentielles US se transformait en une menace directe contre l’establishment. Les semaines passant, aucun de ces deux évènements ne le cédait à l’autre en fait d’intensité et de tension crisique. Du côté syrien, ni l’accord USA-Russie suivi d’un cessez-le-feu effectif, ni le “pseudo-retrait” des Russes n’ont fait passer le dossier au second plan.

• Il est vrai qu’il existe de multiples points annexes qui permettent de maintenir une pression crisique maximale : c’est le cas aujourd’hui de la situation turque, à la fois face aux terrorisme où Daesh n’est pas absent, à la fois dans l’attaque turque contre les Kurdes, à la fois dans la crise des migrants et l’extraordinaire effondrement politique et psychologique de la direction européenne face au chantage turc. Un tel “tourbillon crisique” régional a suffisamment de fers au feu pour maintenir cette tension crisique dont nous parlons, et Syrie-II/Syrie-IIbis poursuit sa route...

Plus encore, bien entendu, avec les attentats de Bruxelles, qui relancent et prolongent les conclusions développés avec l’attaque 13/11 de Paris d’une offensive terroriste structurée et durable contre l’Europe à partir de l’ensemble terroriste du Moyen-Orient s’appuyant financièrement/logistiquement (Arabie) et opérationnellement (Turquie) sur des structures étatiques complètement impliquées dans l’opération. C’est une situation extrêmement tendue, une sous-crise (issue de la nébuleuse Surie-I et Syrie-II) potentiellement dévastatrice pour la stabilité de l’Europe dans tous les domaines, avec des situations politiques schizophréniques totalement chaotiques, – l’Europe, soit par des État-Membres, soit par l’UE, ayant des liens contraints et autres avec les deux principaux sponsors de la structure terroriste, l’Arabie et la Turquie.

Cet épisode de crise venue du centre moyen-oriental vers l’Europe, doublant sinon s’ajoutant, sinon se mélangeant à la crise des migrants de même origine, établit un lien de communication extrêmement solide avec la “crise américaine de l’américanisme”. La quasi-indifférence d’Obama pour les attentats de Bruxelles lors de sa visite à Cuba a plus mesuré son inexistence politique que la véritable attitude US, laquelle se reflétait au contraire dans l’intérêt redoublé des candidats républicains à la nomination, Trump en tête, pour le terrorisme en Europe qui alimente leur propre thème de campagne. La crise européenne des migrants est également un très fort lien de communication entre l’Europe, et au-delà la crise moyenne-orientale, avec la campagne présidentielle US qui représente désormais un débat animé pour déterminer l’évolution de la politique US. Il ressort de tout cela, principalement pour notre propos, qu’il existe des liens fondamentaux entre les deux centres de crise fondamentaux désormais, et leur évolution en parallèle s’en trouve mutuellement renforcée.

• Dans son “Humeur de crise-8”, PhG expliquait ce qu’il jugeait être une faiblesse conjoncturelle de sa part en ayant ignoré le jour même l’annonce du retrait russe de Syrie, – annonce qui s’est notablement relativisée depuis pour prendre sa vraie dimension d’une simple (quoiqu’excellente) manœuvre tactique et de communication dans la crise, et nullement un tournant stratégique. (Plutôt de Syrie-II à Syrie-IIB, et non de Syrie-II à Syrie-III.) Néanmoins, dans le premier paragraphe, PhG abordait pour les besoins de son explication un autre thème qui est celui du choix entre les deux crises (qui fut poursuivie dans “Malaise...” par l’explication du choix de la “crise américaine de l’américanisme”) :

« Certes, “humeur de crise” d’entre-deux crises, – les élections US et/ou le retrait russe de Syrie, – et le désarroi qui va avec ; et le résultat étant un soudain déséquilibre de la perception puis du jugement, sinon de l’intelligence. Il est vrai, comme on l’a lu, que toute mon attention ardente s’est portée, ces derniers jours, et même ces dernières semaines, sur les élections US. Il y a, là-dessus, un dossier, argumenté, solide, – qu’on accepte ou pas l’argument central et fondamental qui est que cette crise est, entre toutes, justement la crise centrale et fondamentale. Ce dernier point justifie de mon point de vue la démarche décrite ci-dessus mais n’en fait certes pas une vérité incontestable. Il explique aussi, et dans ce cas au contraire ne justifie en rien le désintérêt que j’ai eu pour ce qui se passait du côté russo-syrien. »

Ce passage signifie implicitement la reconnaissance que la tension crisique fondamentale n’est pas passée d’une crise à l’autre mais subsiste parallèlement dans les deux crises. On peut même voir plus haut, notamment avec la problématique Syrie-II-terrorisme et migrants en Europe-élection présidentielle US, que ces deux crises subsistent parallèlement en se renforçant l’une l’autre (les unes les autres), chacune dans leur spécificité. Sur ce point, on pourrait dire que la “sous-crise” européenne (terrorisme + migrants) qui est en train de devenir l’essentiel de Syrie-II, n’intéresse pas la campagne présidentielle US en tant que telle, mais en exacerbant les composants US de cette sorte de crise (les USA face à l’émigration du Sud, face au terrorisme par le biais de l’attitude face aux musulmans, etc.). L’influence d’un grand centre de crise sur l’autre ne dénature pas le second à l’avantage du premier au point où l’on pourrait dire qu’un centre remplace l’autre, mais il le renforce dans sa spécificité au point où l’on peut dire que le parallélisme avec des liens d’influence renforce les deux centres crisiques en maintenant, sinon en renforçant leur spécificité. L’on voit également l’intégration de toutes les spécificités de l’époque postmoderne dans la situation crisique, comme on le note ce 1er avril 2016 pour le facteur sociétal, que nous avons désigné comme la “doctrine des valeurs”, entrant dans la problématique Système versus antiSystème, et s’organisant par rapport au désordre-devenant-chaos.  

Le même raisonnement pourrait affecter d’autres situations importantes, celle d’un acteur de l’importance de la Russie par exemple, dont on voit aisément l’implication dans nombre de crises, et particulièrement dans celles que nous avons évoquées. (Loin, très loin de la ridicule prétention du bloc-BAO de l’isoler, la Russie est au contraire l’un des acteurs, sinon l’acteur le plus actif de la situation crisique générale, mais dans un rôle antiSystème avéré qui lui amène de plus en plus d’adhésions et justifie chaque jour davantage son importance.) En d’autres termes, nous sommes en train de passer d’un monde multicrisique (avec le centre essentiel passant de l’une à l’autre) à un monde unicrisique où toutes les crises sont absolument liées entre elles jusqu’à fusionner en une seule immense crise qui ne peut être que la grande Crise d’effondrement du Système parvenue à son schéma suprême.

Nous avons inversé le schéma que les forces humaines avaient fait évoluer, – du monde unipolaire au monde multipolaire, – en le retournant avec le remplacement du terme “pôle” qui désigne un centre de puissance imposant son ordre, par le terme “crise” qui désigne un phénomène naturellement générateur de désordre. Le résultat est le chaos, et cela en employant ces termes avec précaution et précision, et nullement d’une façon imagée, c’est-à-dire de la façon que nous les avons déjà définis.

Nous rappelons ici les deux définitions que nous avions offertes pour les concepts de “désordre” et de “chaos”, dans le Glossaire.dde du 16 février 2015, sous le titre « Hyperdésordre (désordre & chaos) ». Le sujet étant donc “l’hyperdésordre”, variante maximale et vertueuse du désordre, et si l’on veut passerelle d’évolution entre “désordre“ et “chaos”, où ce dernier est considéré d’une façon absolument positive : « L’hyperdésordre est une avancée décisive et rupturielle par rapport au désordre dans la mesure où il ouvre le désordre à tous les éléments possibles, donc ouvre la possibilité à [une situation d’où pourrait sortir] la création d’un ordre qui sera nécessairement complètement différent de l’ordre qui a précédé le désordre. Il ouvre la porte au chaos. »

...Voici les deux définitions, successivement “désordre” et “chaos”...

« • “Désordre” signifie sans ordre, avec “ordre” équipé du préfixe “dis- ou dé- avec un s intercalaire euphonique”. ‘Sans-ordre’, cela implique pour notre [compte] une perte par rupture ou par désintégration de l’‘ordre’ qui régnait auparavant, quelle que soit sa qualité, sa justesse, son équilibre, son harmonie, etc. Cela signifie pour nous que le ‘désordre’ comprend par définition des éléments, des données, des informations, des variables, dont le rangement est soudain bouleversé, transformant ordre en désordre. Cela signifie que le désordre n’est pas équipé pour créer un ordre qui soit différent en essence de celui qui a précédé, c’est-à-dire un ordre promis à l’échec puisque ce désordre ne pourrait par définition créer qu’un seul ordre et que c’est cet ordre qui s’est transformé en désordre.

» • Chaos, du latin Chaos et du grec ancien Khaos. En théologie, le chaos est la «confusion générale des éléments avant leur séparation et leur arrangement pour former le monde». Dans la mythologie grecque, Khaos précède tout : “Dans la mythologie grecque, Chaos (en grec ancien Khaos, littéralement ‘Faille, Béance’, du verbe kainô, ‘béer, être grand ouvert’) est l'élément primordial de la théogonie hésiodique. Il désigne une profondeur béante... [...] Selon la ‘Théogonie’ d’Hésiode, il précède non seulement l’origine du monde, mais celle des dieux...” Nous nous appuyons sur cette puissante référence pour considérer que ‘le chaos’, dans nos conceptions, est absolument différent du désordre. Le chaos est un état supérieur de désordre, un sur-désordre si l’on veut ; alors que le désordre comprend “des éléments, des données, des informations, des variables, dont le rangement est soudain bouleversé”, le chaos comprend, en désordre, tous les éléments, toutes les données, toutes les informations et toutes les variables possibles... C’est un sur-désordre, c’est-à-dire selon notre appréciation propre dans notre époque, un désordre qui se détache décisivement de l’époque dont il est issu parce qu’il contient tous les éléments (toutes les informations) pour la création d’une nouvelle époque, d’une nouvelle ère, – mais non, encore mieux, et décisivement mieux dit, – pour un nouveau cycle métahistorique... (De même il est évident que le chaos est ‘créateur’ par définition, ou ‘nécessairement créateur’, mais dans un sens qui est le nôtre, sans aucun rapport avec la dialectique de Café du Commerce luxueux, comme à Davos, de l’hypercapitalisme et des neocons.) »

Appréciation du “désordre-devenant-chaos”

Nous considérons certainement que l’éclatement de ce que nous jugeons être la vraie crise US est un facteur essentiel, le facteur fondamental et décisif du passage du “désordre” au “chaos”. Il l’est parce qu’il ne s’agit pas d’une “crise de l’américanisme” de plus (comme par exemple celle de l’automne 2008, qui impliquait seulement des éléments internes de l’américanisme et pouvait être considérée comme un soubresaut de plus de l’américanisme), mais bien, selon l’énoncé que nous avons constamment adopté, d’une “crise américaine de l’américanisme”, ou plus précisément et décisivement dit, de “la crise américaine du système de l’américanisme”.

La signification de cette précision est bien entendu que la crise qui s’est ouverte aux USA, d’une façon complètement imprévue et inattendue tant l’élection présidentielle de 2016 était considérée il y a un an encore comme complètement anodine, sinon faite et jouée d’avance, a l’exceptionnalité de confronter directement le monde américain et le monde du système de l’américanisme. Jusqu’alors, sauf en de très rares circonstances qui bornent fondamentalement l’histoire des USA (la Guerre de Sécession et la Grande Dépression), les crises aux USA affectaient soit le système de l’américanisme lui-même, comme extension du Système, soit la population américaine. Encore, les deux exemples cités (Guerre de Sécession et Grande Dépression) constituaient des évènements inévitables qui confrontaient les deux acteurs (le système et la population) d’une façon contrôlée ou d’une façon accidentelle, le premier sous une forme offensive de la nécessité d’une centralisation qui cherchait une occasion pour s’imposer et fonder (re-fonder, si l’on veut) les véritables États-Unis tels que le voulait un destin né spécifiquement du “déchaînement de la Matière”, le second d’une forme accidentelle dépendant d’une crise générale engendrée par la rupture civilisationnelle que fut la Grande Guerre, également dans la logique du “déchaînement de la Matière”. En quelque sorte, il s’agissait d’évènements inscrits dans la logique du développement de cette contre-civilisation née à la jointure des XVIIIème et XIXème siècles, donc faisant partie d’un courant général qui n’en fut nullement contrarié, mais au contraire accéléré, directement pour la Guerre de Sécession, indirectement pour la Grande Dépression qui précipita les USA dans la Deuxième Guerre mondiale en lui donnant le rôle central succédant au pangermanisme dans la poursuite de l’“idéal de puissance” et l’achèvement de la constitution du Système. En d’autres mots, il s’agissait d’évènements structurants de cette formule maléfique qui caractérise la contre-civilisation.

Au contraire, avec la crise actuelle le processus est complètement différent, il est même inverti dans le sens d’une inversion vertueuse de notre point de vue d’adversaire intransigeant de la contre-civilisation. Cette crise se situe au cœur même d’un processus, d’une structure de fonctionnement du système de l’américanisme/du Système, sans intervention ni interférence d’un dessein intérieur précis ou d’un événement extérieur incontrôlé... En effet, la crise est bien dans la subversion de la méthodologie du processus et nullement dans le résultat de l’élection, quel qu’il soit, et notre conviction reste bien entendu plus que jamais que ce phénomène ne sera pas interrompu par l’élection, quel que soit son résultat. (On observera qu’il commence même à y avoir, chez les commentateurs les plus inclinés aux hypothèses déstabilisatrices et parfois fantaisistes, mais parfois aussi bien avisées, l’interrogation concernant l’hypothèse que, dans le désordre actuel, l’élection présidentielles US pourrait être purement et simplement annulée. Il ne s’agit pas pour nous d’une hypothèse prévisionniste utilisable pour la compréhension et la description des évènements mais d’un signe de chaos au sens caché, au-delà du désordre sans aucun sens, touchant la psychologie des acteurs et des commentateurs.)

Le caractère révolutionnaire de la crise est donc bien que, pour la première fois, sans cause extérieure ou impérative identifiable en tant que telle, les deux, le processus de l’américanisme et le peuple américain, sont en état de confrontation directe... Il s’agit d’une rupture contractuelle immense du rapport qui est à la base de cette Grande République, selon lequel le peuple s’exprime le plus démocratiquement du monde dans les normes, sinon les bornes, sinon les rails d'un processus strictement appliqué et contrôlé, – cela qui forme une des structures maîtresse du système de l’américanisme, – c’est-à-dire, si l’on veut dire une expression absolument tonitruante, qu'il doit s'agir impérativement d’une démocratie absolument contrôlée. Dans un langage actuel, le caractère révolutionnaire qui met en cause ce “contrat” fondamental (et forcé) se résume par ce constat de l’universitaire et financier, dit “le dissident de Wall Street“, Nassim Nicholas Taleb : « People are not voting for Trump (or Sanders). People are just voting, finally, to destroy the establishment »...  Dans le processus électoral qui lui est indispensable, le système de l’américanisme a besoin du peuple américain comme figurant absolument nécessaire mais silencieux et obéissant. Le figurant est soudain devenu acteur, et il réclame, non il exige un autre scénario, sinon le remplacement du metteur-en-scène lui-même.

Cela situe la profondeur et la vigueur de la crise, qui n’affecte pas précisément les USA, mais d’abord le système de l’américanisme et l’un des principaux composants des USA, et par conséquent les USA certes mais sous une forme confrontationnelle entre les deux forces qui les composent. En d’autres termes, les USA sont entrés dans la zone du désordre qui affectait déjà les principales zones du bloc-BAO et de ses dépendances, c’est-à-dire du Système, et de tout le reste qui en dépend puisque le Système est par définition global. Et c’est à ce point que nous disons que nous passons du désordre au chaos... En effet, avec ce phénomène de l’entrée en crise de l’ensemble système de l’américanisme/population américaine, pour la première fois tous les éléments constitutifs du Système et de notre civilisation, ou de la contre-civilisation que nous subissons comme nous disons plus volontiers, sont dans un état de désordre en même temps. Tous les éléments étant réunis, on peut alors dire que le désordre, voire l’hyperdésordre dont nous faisons état dans le Glossaire.dde cité comme état transitoire, sont entrés dans la situation du chaos telle que nous la définissons. La “porte du chaos” n’est pas seulement ouverte comme elle l’était avec la phase de l’hyperdésordre, nous l’avons désormais franchie.

Les évènements sont désormais incohérents du point de vue du champ habituel de la politique, c’est-à-dire le champ de l’appréhension rationnelle de dynamiques humaines où entrent le calcul, l’intérêt, la prospective, et les diverses passions qui les accompagnent. Les grands principes auxquels se réfèrent d’habitude les politiques humaines bien ordonnées, – que ce soit la souveraineté, la légitimité, la sécurité, etc., – n’apparaissent plus à la plupart des esprits des élites-Système dont la psychologie, donc la perception, sont totalement épuisées par leur soumission au Système et à toutes ses exigences (dont le terrible déterminisme-narrativiste qui oblige à vivre dans le constant déni des vérités-de-situation). Ces facteurs fondamentaux, les principes, se situent désormais dans des évènements hors de notre atteinte et ne peuvent être saisis que par des esprits clairvoyants disposant d’une psychologie forte et du caractère à mesure. Ils sont toujours très actifs, et même plus que jamais, mais hors du champ de notre politique courant, comme des facteurs d’une éventuelle reconstruction, ou plutôt d’une restructuration de la situation du monde.

Cette situation de chaos signifie effectivement un désordre complet, à notre niveau humain, mais un désordre qui contient désormais tous les facteurs, notamment les informations et les dynamiques de communication qui permettraient éventuellement “une reconstruction, ou plutôt une restructuration”. Nous sommes entrés dans la période transitoire finale entre effondrement et redressement, ce qui se rapprocherait effectivement comme phase d’achèvement de la crise de la définition complète de l’apocalypse (interprétée d’abord hors de sa dimension religieuse, sans nécessairement la rejeter : « Littéralement donc “[chose] dé-cachée”, et donc par extension, “[chose] dévoilée aux hommes”, “retrait du voile qui cachait la chose”, “le voile est levé” »). Il est effectivement essentiel à cet égard que tous les éléments essentiels de la civilisation/contre-civilisation soient affectés par les événements pour qu’un ordre et un rangement affectant tous les composants finissent par se dégager.