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643622 mars 2019 – Un grand mystère subsiste à propos des Gilets-Jaunes, sur la cause opérationnelle exacte et profonde de leur fureur collective qui s’exprime depuis novembre 2018 ; et d’ailleurs, à mon sens, même mystère pour la vague de populisme général qui déferle sur le monde... Je parle bien ici, de “la cause opérationnelle exacte”, précisément identifiée, et non pas la cause intellectuelle générale qui n’est nullement un mystère, dont tout sens commun conviendra qu’elle se trouve dans l’iniquité, la corruption, la pourriture du Système et de son néo-capitalisme, la financiarisation, les écarts abyssaux entre les plus riches qui ne cessent de devenir plus riches et les pauvres (en général) qui ne cessent de s’appauvrir, etc.
Je tente donc de percer ce mystère à partir d’une activité que j’ai pratiquée dans les années 1960, qui est la publicité (la “pub”). En un sens, ce texte, ici, complète celui du 3 septembre 2018, avec son titre “Pubagandastaffel”. Dans ce texte de septembre 2018, je développais mon constat de l’extraordinaire idéologisation de la publicité en faveur du Système, aujourd’hui par rapport aux années 1960 ; à mon sens, et pour compléter ce constat, bien plus efficace en influence que la presseSystème, la propagande officielle, les narrative des experts et philosophes subventionnés, des zombieSystème qui dirige nos simulacres de gouvernement, etc.
(La pub a cet avantage de pouvoir prétendre agir en-dehors de toute idéologie, de tout but politique, simplement pour vendre et faire vendre, faire du fric et faire circuler le fric. Elle n’aborde jamais de façon directe l’argument politique en faveur du Système bien qu’elle l’exprime massivement, selon son idéologisation forcenée. Elle est massivement présente dans tout le système de la communication, et surtout la télévision, elle est massivement répétitive sans que nul ne s’en étonne ou ne proteste de ce point de vue. Elle est massivement pourrie et pourrisseuse, et perçue comme telle, mais jamais directement mise en cause comme instrument directement et explicitement politique.)
Maintenant, revenons à mes années 1960. (Pour rappel, pour mes années 1966-1968, citant le texte référencé plus haut : « Mon beau-frère d’alors travaillait dans la publicité, et je fus tenté par ce métier qui commençait, au début des années 1960, à s’imposer comme l’un des plus “modernes”, l’un des plus “avancés”, etc., l’un des plus propices aux manigances du futur que nous attendions tous. Brièvement dit, je fis deux stations, l’une dans la petite agence qu’avait lancé ce beau-frère, l’autre à l’agence Interplans, le n°4 parisien après Havas, Publicis et Synergie. »)
Voyant un documentaire-série sur la chaîne Histoire, intitulé « The Mad Men », sur l’évolution de la publicité à New York dans cette décennie des années 1960, j’ai réalisé que ce laps de temps constitua pour le métier une époque de rupture, ce qui constitue le déclic de cette remarque générale que je fais ici. On passa vraiment de “la réclame” à “la publicité”, d’une activité d’influence somme toute statique et conventionnelle à une activité d’influence dynamique et moderniste. Cette période est d’ailleurs désignée comme la “Creative Revolution” de la publicité, et l’activité fut brusquement considérée comme une sorte d’“art” dans la manufacture et la forme, avec des recherches esthétiques et dynamiques. C’est à partir de cette époque qu’on put envisager qu’un concepteur ou un réalisateur notamment de films publicitaires pouvait envisager de passer au cinéma sans avoir l’impression d’aborder un autre métier, – là aussi avec la latence de se croire dans le domaine de l’art, selon évidemment un entendement complètement moderniste où l’argent joue un rôle prépondérant.
Ma remarque principale aborde pourtant une autre dimension, étant admis que la publicité devenue “pub” avait complètement tué “la réclame” pour devenir une activité extrêmement populaire (mais nullement “populiste”), moderniste sinon avant-gardiste. Encore une note du même texte référencé, à laquelle je donne une signification de plus désormais :
« Certes, on conditionnait le public, mais on ne s’imaginait pas faire autre chose que “du commerce”, juste d’une façon un peu vicieuse ; on ne faisait pas trop de théorie à ce propos, bien qu’on se sentît naturellement très-proches des courants politiques et philosophiques modernistes. Bien entendu, on était dans le courant consumériste et américaniste dans le sens culturel, qui explosait littéralement dans ces années 1960, mais sans croire en être l’inspirateur ni le chien de garde. Je n’aimais guère cette corporation bien qu’il arrivât que j’y m’y fisse l’un ou l’autre ami, mais je ne lui voyais aucun rôle disons politique, voire métaphysique (!), sinon de façon indirecte à très indirecte, selon les thèses des Gustave Le Bon, Edward Bernays, etc. Je ne lui attribuais pas un rôle essentiel par elle-même, ni qu’elle pût constituer un danger majeur, sinon mortel pour l’esprit. (Je n’ai jamais eu le don de la voyance.) »
Ce qu’il faut développer différemment, ce sont les quelques mots du début : « Certes, on conditionnait le public, mais... » ; et je poursuivrais différemment pour ce cas, abordant l’appréciation complémentaire que j’annonçais plus haut : “...mais le public ne demandait qu’à être conditionné”. Il faut se remémorer l’époque, où le sentiment général était largement optimiste, où la vague consumériste emportait tout, dans un assentiment très majoritaire. En France, on était encore dans les “Trente Glorieuses”, lorsqu’une économie triomphante distribuait ses fruits à chacun. Du coup, le public accueillait la publicité devenue dynamique et presque à prétention “artistique”, comme une utile et agréable incitation à faire ce qu’il avait naturellement envie de faire : consommer.
Ce que présentait la pub, les choses coûteuses, les perspectives de riches, le tourisme en pleine expansion, le confort à portée de tous, les filles magnifiques, etc., faisait partie d’un monde à venir dont peu de gens doutaient qu’ils n’en feraient pas partie. Dans ce temps-là, il y avait des augmentations de salaire, des perspectives de promotion, des vacances en expansion, des nouvelles voitures à acheter, un chômage très réduit, etc. En quelque sorte, la pub n’imposait pas un monde à son public, elle illustrait et anticipait le monde dont son public voulait. Mai-68 n’a pas été fait par les pauvres privés de moyens jusqu’à souffrir horriblement, mais par des nantis (fils de nantis) qui se payaient, non sans un romantisme de midinette branchée-sociétale (à voir ce qui a suivi), le luxe de se révolter contre le confort dont ils disposaient.
Aujourd’hui, la pub n’a pas changé d’orientation et encore moins de nature, elle a changé de puissance, – elle est en état d’ivresse et d’hyperpuissance, – et son “idéologisation” qui existait déjà mais que nul ne relevait puisqu’en accord avec l’“esprit public” (!) éclate comme une véritable agression pour une impitoyable pression, sinon une contrainte carcérale de l’esprit : « Au milieu de la débauche, des possibilités et du luxe incroyable des moyens technologiques pour construire les images dont témoignent tous ces “messages“, films, montages, etc., j’ai ressenti l’extraordinaire unicité d’un discours absolument idéologisé, d’une “ligne” absolument impitoyable. Je dirais même qu’à cet égard, la forme idéologisée précède la spécificité du contenu, et le contenu lui-même. »
Ce n’est pas la pub qui a changé, elle a simplement accéléré en mode de surpuissance, et s’est découverte pour ce qu’elle était déjà ; c’est le public qui a changé, lui, complètement, du tout au tout... Aujourd’hui, l’époque est comme on la connaît, dans l’inégalité terrifiante à force d’absurdité, dans l’appauvrissement généralisé des gens pauvres avec de plus en plus de gens pauvres, etc., au milieu d’un monde de chaos semblant se précipiter vers sa destruction, son autodestruction.
La pub, elle, continue à vanter toutes les promesses coûteuses, le luxe à portée de tous, les technologies racoleuses, à des non-consommateurs, à des interdits de consommation ; offrir de l’accessoire rutilant à ceux qui luttent pour survivre, c’est ajouter une terrifiante frustration, une humiliation constante à ceux qui supportent les souffrances les plus constantes, les souffrances quotidiennes, les plus banales dans leur répétition. Dans l’intervalle chronologique observé, la pub a conquis tous les espaces et tous les moyens de communication dans un univers qui n’est que de communication, devenant absolument obsédante, impossible à écarter, aggravant encore les sentiments de frustration et d’humiliation du public ; et puisqu’elle s’est découverte pour ce qu’elle était, un véhicule absolument acquis à un Système jusqu’à proclamer son idéologisation constante, elle conduit à ne rendre possible qu’une seule issue pour la situation extrême de la vie quotidienne : la révolte, et rapidement la révolte devenue politique puisque révolte contre une idéologisation. Et voici donc les Gilets-Jaunes...
(...Et des Gilets-Jaunes soutenus par une grande partie du public malgré toutes les manœuvres et manipulations contre eux, ce qui montre qu’au-delà des conditions de départ effectivement réelles, – la “France-périphérique” délaissée contre les concentrations urbaines favorisées, – c’est toute la population qui se révèle inconsciemment concernée. Cela promet et cela tiendra.)
Je pense que ce facteur somme toute “technique” qu’est l’évolution de la pub par rapport à l’évolution du public joue un très grand rôle dans les révoltes en cours, à commencer donc par les Gilets-Jaunes dont on ne sait ni pourquoi ni comment ils se sont soulevés d’un mouvement qui paraît comme concerté du-dehors d’eux. Effectivement, la publicité est une activité de conditionnement, mais d’une façon complètement paradoxale, on la découvre comme une activité de conditionnement pour la révolte. Elle a contribué d’une façon extraordinairement surpuissante à transformer les moutons consentants des années 1960, et consentants parce qu’ils y trouvaient leurs avantages, en une troupe furieuse qui ne songe désormais qu’à la révolte, à l’émeute, à la révolution, à tout ce que vous voulez qui conduit nécessairement à la violence. Elle a joué un grand rôle en rendant collective cette terrible frustration, elle a contribué très fortement à créer ce qui est, du point de vue du Système (de l'avorton-Macron, son délégué), un monstre incontrôlable.
Vous remarquerez, car vous êtes attentifs, que je me garde bien de désigner des responsabilités conscientes et calculées, de jeter les anathèmes qui vont bien contre des manipulations dissimulées, etc. La pub, en passant de “la réclame” à “la publicité” et la suite, n’a fait que suivre la pente naturelle de son développement selon ce qu’elle est, comme calamité née de la modernité et de son adoration pour l’argent et la circulation de l’argent ; de même pour le Système, en faisant basculer les mécanismes de l’économie vers la “financiarisation” pour produire des inégalités folles sans le chercher précisément ; de même pour les zombieSystème qui nous dirigent, rassemblés désormais (comme des moutons, eux) selon les critères du crime organisé puisque privés de principes, de souveraineté et de légitimité. La mécanique a fonctionné irrésistiblement, – en aveugle en un sens, c’est-à-dire pour notre entendement, – poussée par une force directrice qui nous dépasse et dont nous ne savons rien parce qu’elle nous échappe absolument, en vérité parce qu’elle n’a nul besoin de nous consulter ni de nous informer pour faire ce qu’elle a à faire.
Toujours l’on retrouve ce caractère irrésistible des événements hors de notre contrôle, cette inéluctabilité de l’équation surpuissance-autodestruction. Notre raison peine à rendre compte de ce grand dessein qui conduit notre destin ; pour ma part, je lui préfère l’intuition,quand elle veut bien s’intéresser à moi, c’est-à-dire se servir de moi.
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