La Russie change de ton : ultimatum & conséquences

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 1991

La Russie change de ton : ultimatum & conséquences

Face à l’agitation échevelée et paroxystique, et hystérique également de Washington où l’on vit au rythme des fuites vers la presse-Système, des déclarations d’officiels, des scénarios exposés à ciel ouvert d’agression illégale au regard des lois internationales d’ un État souverain selon une démarche caractérisée par le désordre, l’irresponsabilité et l’agressivité, face à la fragmentation du pouvoir US de sécurité nationale en des blocs concurrents où le Commande-en-Chef (le Président) semble avoir renoncé à son autorité suprême, la Russie a réagi en posant un acte général s’apparentant à un ultimatum sous plusieurs formes. Cet ultimatum est de type passif, c’est-à-dire laissant à l’autre l’initiative de l’action, mais clairement assorti de menaces précises de type politique et de type militaire direct, d’une riposte qui ne s’assortit d’aucune réserve ni conditions de restriction : une riposte totale avec tous les moyens disponibles, qui sont considérables.

(Sur ce dernier point, on sait que la Russie a déployé là où il faut, en Syrie, les moyens précis de répondre à l’agression par la menace d’une riposte militaire effective et considérée comme extrêmement crédible : le déploiement notamment des S300V4 “Anteys-2500” [s’ajoutant aux S400 déjà déployés] qui peuvent constituer un moyen de riposte mettant les forces US devant la possibilité d’un revers militaire significatif, au retentissement international catastrophique, et avec le potentiel, selon le choix qui serait fait, d’une escalade extrêmement dangereuse. Il est important de ne pas oublier que les Russes ont peut-être déployé des missiles SS-26 Iskander à capacités nucléaires à la base de Khmeimim en Syrie : le “peut-être” fait partie de l’incertitude entourant le fait de la dissuasion nucléaire, rendant d’autant plus délicate l’évaluation de la situation. Stratégiquement, s’il y a des armes nucléaires russes à Khmeimim, cette base apparaît alors comme le pendant stratégique parfait de l’élément US dans la base turque d’Incirlink, avec les armes nucléaires US qui y sont entreposées, – ou bien, qui auraient été transportées vers la Roumanie, là encore, incertitude de la dissuasion nucléaire...)

La nouvelle posture russe est une conséquence inévitable de l’évolution hystérique et paroxystique du désordre US, à la fois du fait de la composition hétéroclite et atomisée de sa base d’influence des milieux de sécurité nationale, à la fois de l’atomisation du pouvoir suprême, à la fois de la pression déstabilisatrice de l’élection présidentielle la plus incertaine, la plus controversée et la plus révolutionnaire de l’histoire moderne des USA, au moins depuis 1860. La situation de confrontation n’est donc en rien un classique du genre : il n’y a pas deux blocs cohérents qui s’opposent mais deux ensembles dissymétriques, l’un qui est soudé et l’autre qui est insaisissable et irresponsable. C’est bien entendu ce point qui constitue l’aspect le plus original et le plus volatile, compte tenu de l’extrême gravité de l’enjeu.

Le changement vers le durcissement de la position russe se signale de plusieurs façons, avec des interprétations dans l’un ou l’autre cas. 

• « Poutine a lancé un ultimatum aux USA », voilà le titre de l’article de Rostislav Ishchenko, dans RIA Novosti repris dans Russia Insider le 6 octobre et poursuivi par ce sous-titre : « Poutine ne demande pas seulement des excuses, il veut un changement complet de la politique américaine ». Tout cela concerne la décision de Poutine de cesser la coopération avec les USA dans le domaine du retraitement de l’uranium. Le thème peut ne pas paraître absolument essentiel, mais ce sont bien les conditions que Poutine met à une reprise du processus qui sont intéressantes... Elles montrent que, désormais, dans les relations entre les USA et la Russie, du côté russe le ton est beaucoup plus abrupt, qu’il ressort effectivement de la notion d’ultimatum.

« As for the Syrian issue, this is not the first time the US signs agreements and then breaks them. Russia’s response could clearly not be compared to the US’s official refusal to continue cooperation.Although Putin has withdrawn Russia from the reprocessing agreement, he announced that it could be restarted, under certain conditions, including canceling all sanctions against Russia, compensating Moscow for losses resulting not only from those sanctions but from Russian’s counter-sanctions, canceling the Magnitsky Act, reducing the American military presence in NATO countries near Russia’s border, and ending the policy of confrontation with Moscow.

» Putin’s demands can only be defined as an ultimatum.

» Now Putin demands not just apologies and the release of a couple of prisoners, but a change of America’s entire policy, besides compensation. This is an impractical and insulting demand for unconditional surrender, in a hybrid war which Washington does not consider irreparably lost. » 

• Concernant la situation en Syrie et le déploiement des S300V4 “Anteys-2500”, il y a eu des déclarations officielles du ministère de la défense russe signalant que ces systèmes sol-air, ainsi que ceux qui étaient déjà en place, ont pour mission explicite d’intervenir contre toute attaque aérienne, notamment et essentiellement des USA (et, en général de “la coalition antiterroriste” que les USA ont formée) qui aurait lieu contre la Syrie (c’est-à-dire son gouvernement, ses forces armées, sa population). On voit ci-dessous (le 6 octobre) combien cette déclaration du porte-parole est détaillée et précise, notamment sur les capacités des systèmes défensifs russes et concernant leurs cibles, et combien elle rompt radicalement avec l’explication initiale du déploiement des nouveaux S300V4 “Anteys-2500” (« Le S300 est un système uniquement défensif et il ne constitue en rien une menace pour quiconque »). On note même une allusion précise aux avions et autres systèmes aériens disposant de la technologie furtive (stealth technology), c’est-à-dire nécessairement des systèmes US, pour les avertir qu’ils ne sont nullement à l’abri des tirs russes : par conséquent, avions US ou pas, avions “invisibles” ou pas, les S300 & Cie russes s’occuperont d’eux...

« Russia’s Defense Ministry has cautioned the US-led coalition of carrying out airstrikes on Syrian army positions, adding in Syria there are numerous S-300 and S-400 air defense systems up and running. Russia currently has S-400 and S-300 air-defense systems deployed to protect its troops stationed at the Tartus naval supply base and the Khmeimim airbase. The radius of the weapons reach may be “a surprise” to all unidentified flying objects, Russian Defense Ministry spokesperson General Igor Konashenkov said. According to the Russian Defense Ministry, any airstrike or missile hitting targets in territory controlled by the Syrian government would put Russian personnel in danger.

» The defense official said that members of the Russian Reconciliation Center in Syria are working “on the ground” delivering aid and communicating with a large number of communities in Syria. “Therefore, any missile or air strikes on the territory controlled by the Syrian government will create a clear threat to Russian servicemen.” “Russian air defense system crews are unlikely to have time to determine in a ‘straight line’ the exact flight paths of missiles and then who the warheads belong to. And all the illusions of amateurs about the existence of ‘invisible’ jets will face a disappointing reality,”  Konashenkov added. »

Il ne semble nullement assuré que cette évolution de la position russe soit une mauvaise chose ou dans tous les cas un facteur d’aggravation, dans un contexte général qui est à la fois gravissime mais aussi bouffon avec l’agitation grotesque à Washington et les incroyables médiocrités de l’un ou l’autre supplétif (à Ayrault, en sinistre visite à Moscou avant la venue de Poutine à Paris, le pompon du grotesque d’une ternitude qui fait penser que la politique étrangère française ressemble au Désert des Tartares revu par un notaire). Il s’agit de notre fameuse “tragédie-bouffe” où le concept de tragédie ne cesse de s’aggraver tandis que l’humeur-bouffe ne recule en rien dans le domaine du désordre hystérique. Aucun des facteurs n’influence l’autre, notamment dans le sens de la modération ; les deux, le tragique et le bouffe, sont simplement représentatifs de la structure obscène de notre façon de traiter les grandes affaires du monde, comme des “sous-traitants”, des “stagiaires” d’occasion, sans nulle vision globale.

La nouvelle position russe a la mérite, elle, de la clarté structurée. Elle devient une référence dans la crise, et chacun devra s’en arranger dans le sens qui lui plaît. Il n’est pas assuré, par exemple, que la position d’extrême de l’extrême du sénateur McCain en soit confortée : ce que fait Poutine n’apporte pas d’eau à son moulin déjà beaucoup fourni à cet égard, par contre elle fixe une échéance et une occurrence qui n’est pas vraiment sans très grave danger pour le statut de la puissance US, – et cela constitue une nouvelle d’une importance considérable, un tournant dans la crise générale... Cela vaut pour tous les acteurs hollywoodiens de Washington : désormais ils ne brassent plus du vent où ils peuvent écrire ce qu’ils veulent en sachant que le vent emporte et disperse tout cela. Désormais, ce qu’ils disent et ce qu’ils annoncent à grands cris et à coup de “fuites” irresponsables dans la presse-Système rencontrent une réalité très concrète, très dure, très effrayante, très risquée, où la communication ne se suffit plus à elle-même mais porte sur des domaines extrêmement concrets. Pour parler d’un cas très concret puisqu’il s’agit d’une incursion dans une vérité-de-situation qui a des aspects immédiatement menaçants, le facteur S300V4 “Anteys-2500” qu’on a vu hier, qui est désormais affiché pour ce qu’il est, ne représente pas le mythe réalisé de l’“arme-miracle”, ou “arme-absolue” qui bouleverse tout, mais c’est une noix extrêmement dure à croquer, du type où l’on peut se casser bien des dents, qui a fait reculer plus d’un général US ayant une conscience claire du risque couru.

De ce point de vue, les Russes ont avancé d’un pas, peut-être décisif, dans leur position en Syrie. Pour l’instant, il ne s’agir que de communication, et peut-être cela le restera-t-il (sans attaque  US contre Damas) ; d’ailleurs, dès hier, il semblait qu’à nouveau, dans la valse-hésitation sans aucun doute grotesque dont Washington nous donne le spectacle permanent, ce soit plutôt à nouveau l’approche diplomatique qui soit favorisée (et, peut-être le déploiement des S300V4 “Anteys-2500” y est-il pour quelque chose...). Cette position de communication des Russes s’appuie sur une très forte position militaire tactique, avec des objectifs stratégiques affirmés officiellement et au plus haut niveau. On sait maintenant que, le plus officiellement du monde, avec les moyens pour le faire, la Russie assure la défense aérienne de la Syrie contre n’importe quel adversaire, y compris et surtout les USA.

 

Mis en ligne le 7 octobre 2016 à 13H12