La stratégie du désordre psycho-rigide

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La stratégie du désordre psycho-rigide

Pour commencer, on ne doit pas résister à la tentation de reproduire après les avoir adaptés quelques échanges entre Wolf Blitzer, de CNN-JustNews, et l’un des porte-paroles de la Maison-Blanche interrogé à propos de la “Nouvelle Stratégie” des USA. Blitzer insiste pour connaître la méthodologie employée, et notamment le suivi de cette affaire par le président. On arrangera le dialogue en écartant l’emploi de l’italique pour ne pas enduire d’erreurs diverses les jugements trop vite soupçonneux, et la tambouille ainsi faite nous donnera à peu près ceci :

– Le président a été impliqué dans la rédaction de ce document depuis le début, a été présenté avec des sections de celui-ci au cours des derniers mois et a été informé sur le document final il y a plusieurs semaines, répond le porte-parole Anton. [...] Le président lui-même a personnellement présidé à la présentation du document faite à son cabinet il y a à peine une semaine.

– Mais a-t-il lu le document entier ? insiste Blitzer.

– Je ne peux pas dire qu'il a lu chaque ligne et chaque mot. Il a certainement eu le document ... et a été informé à ce sujet.

– Mais a-t-il participé à son élaboration ?

– ... Le document emprunte les propres mots du président. Il est l’émanation directe de ses discours de campagne et de ses principaux discours en tant que président, cette année.

Traduisons toujours en adaptant mais à peine : bref, le président s’en fiche un peu, beaucoup, etc., – et après tout, peut-on lui donner entièrement tort devant le vide monumental du document ressassant les mêmes lieux communs bellicistes et agressifs qui aboutiront de toutes les façons aux mêmes déculottés et au désordre encore aggravé ?

• Le site WSWS.org s’attache également aux circonstances qui ont entouré l’élaboration de ce document, alternant autant la référence à une rédaction faite en tout-petit comité et dans l’indifférence du Grand Chef qu’à une référence selon laquelle il s’agirait de l’enfant de la cabale des généraux bellicistes qui entourent Trump autant qu’ils l’emprisonneraient...

« Il est loin d’être assuré que Trump ait lu le document. Son discours était un réchauffé de ses discours de campagne et de son discours d’inauguration avec les thèmes d’“America First” et de “Make America Great Again”... [...] Lu sur un ton plat et monotone, le discours avait toutes les caractéristiques d’un texte du conseiller politique fasciste de Trump, Stephen Miller, avec ses thèmes anti-immigrés stridents, son invocation de la “culture” et des “valeurs” américaines et son affirmation “Nous nous défendrons et nous défendrons notre pays comme nous ne l'avons jamais fait auparavant”. [...]

» Tout en incluant les thèmes de Trump sur la militarisation de la frontière et l'enrôlement des immigrants ainsi que les invocations du nationalisme américain, le document reflète la pensée de la cabale des généraux actifs et retraités [McMaster, Mattis, Kelly] qui dominent la politique étrangère américaine ... [...] McMaster, qui aurait joué un rôle de premier plan dans la rédaction du document, a exprimé la portée de son message lors d’une conférence organisée la semaine dernière par un groupe de réflexion britannique, Policy Exchange. “La géopolitique est de retour, et de retour avec une force renouvelée, après ces vacances de l'histoire que nous avons connues dans la soi-disant période de l'après-guerre froide”, a déclaré M. McMaster. »

• RT, mieux connu sous le sobriquet de FakeNews, a interrogé un certain nombre d’expert. Un ancien Marine devenu président des Veterans For Peace, Matthew Hoh, juge d’une formule rapide et indiscutable :« Le discours de Trump sur la “Nouvelle Stratégie” est à la fois le plus orwellien et le moins travaillé des discours de cette sorte produits par la Maison-Blanche. » L’auteur (“Blood On Our Hands: the American Invasion and Destruction of Iraq”) et expert en stratégie Nicolas J.S. Davies explique, après avoir rappelé les chiffres des déploiements externes, que « prétendre que nous sommes en paix et que nous cherchons à la préserver en attribuant des ressources supplémentaires au complexe militaro-industriel ne constitue évidemment pas une stratégie de sécurité nationale. C’est une déflexion de type-orwellien directement tirée des meilleures pages de “1984... »

Lorsqu’on lit (moyennement) en détails le document, l’on entre dans la forêt des mêmes lieux communs qui sont débités au gré des présidences au moins depuis 9/11, 1) sur le rôle stabilisateur et de mainteneur de la paix des USA ; 2) sur le rôle d’épandeur universel des “valeurs” que remplissent les USA ; 3) sur la description des nombreuses menaces qui pèsent à la fois sur la démocratie, sur la liberté, et donc sur les USA ; 4) sur la nécessité pour les USA d’accélérer leur surarmement au profit d’un complexe militaro-industriel exsangue à force de courir après les commandes ; 5) enfin, sur la nécessité bien méritée de faire en sorte qu’en toutes choses, cela soit “l’Amérique en premier”. On y ajoutera quelques gâteries trumpistes comme l’invasion par immigration incontrôlée et la nécessité d’ériger un mur sur la frontière méridionale des USA.

Le fait essentiel de ce funambulesque document est peut-être que le Si Vis Pacem, Para Bellum de l’équipe Trump pourrait bien s’énoncer de cette façon, à la manière invertie : Si Vis Bellum, Para Pacem (ou encore : “Si tu veux préserver la paix, poursuis les guerres en cours et ajoutes-en quelques-unes”). Certes, l’incroyable document parle bien de “préserver la paix” alors que le Pentagone lui-même n’arrive pas à décompter le nombre de conflits où sont engagés des soldats US, alors que 291.000 hommes des unités régulières et 44.000 hommes des forces spéciales sont réparties respectivement dans 191 et 143 pays (les chiffres cités par J.S. Davies).

La pensée des soi-disant inspirateurs de la “stratégie” est à mesure et nous ne nous inquiéterions pas trop des actes soi-disant décisifs (par exemple, comme une guerre de bon et haut niveau) d’individualités chargés d’étoiles et ânonnant de telles stupidités. Le ridicule de McMaster parlant de “vacances de l’histoire” depuis 1991 est difficile à décrire en quelques adjectifs exprimant l’excès furieux et abracadabrantesque. On nous pardonnera de ne pas être terrifiés par de telles déclarations, mais plutôt navrés de la sottise du propos : McMaster lit-il plus que Trump les discours stratégiques qu’il débite au kilo ? Il ressemble aux maréchaux gâteux qui entouraient Brejnev au début des années 1980.

En d’autres mots, si Trump est une sorte d’idiot (utile ?), les généraux du Pentagone, derrière tout leur jargon et toutes leurs étoiles, ne valent guère mieux. Leur stratégie est effectivement “psycho-rigide” parce qu’on ne peut rien changer depuis 9/11 et sans doute depuis avant, enfermé dans un impératif stratégique belliciste et producteur de quincailleries diverses en constante augmentation ; et cette impuissance-paralysie “rigide” n’est productrice ni d’hégémonie, ni de conquête, ni d’influence, ni de puissance, mais d’erreurs catastrophiques et de défaites sans nombre, sous la forme d’un désordre absolument apocalyptique. Là-dessus, on ajoutera quelques pelletés de dizaines de $milliards en plus pour le Pentagone et on fera comme Brejnev & Cie en 1981-82, lorsque le premier demandait à ses collègues du Politburo : “Fermez les rideaux des fenêtres et faites ‘tchouc-tchouc-tchouc’ avec moi, comme ça on croira que le train avance”. (Blague de la période dite du brejnévisme-tardif.)

Nous constatons finalement qu’en matière d’intelligence du bordel, de dextérité du gaspillage et de talent de la corruption des psychologies, “D.C.-la-folle” vaut bien “Kiev-la-folle”. On finira bien par croire que Trump a un petit air de Porochenko-sur-le-Potomac. Le document sur la “nouvelle stratégie” des USA a beau indiquer une préparation à la guerre (sans doute mondiale), comme l’estime vertueusement WSWS.org, il est d’abord caractérisé par un vide extraordinaire de la pensée qui conduit à cette étonnante combinaison, d’une part de paralysie-impuissance, d’autre part d’extension continue du domaine du désordre. Sans doute Trump est-il en partie prisonnier de ses généraux, et ses généraux en partie prisonniers de son incontrôlabilité, sans parler du foisonnement des intérêts particuliers des divers centres de la sécurité nationale qui s’emprisonnent les uns les autres ; par contre, il est tout à fait certain que cette cohue vociférant est prisonnière du Système et de ses caprices sans fin de simulacre pour faire croire qu’il développe sa surpuissance alors qu’il suit la pente de l’effondrement menant à l’autodestruction.

 

Mis en ligne le 19 décembre 2017 à 16H21