La stratégie syrienne des USA : je boude, donc je suis

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La stratégie syrienne des USA : je boude, donc je suis

La situation proprement militaire en Syrie, maintenant que l’intervention russe est bien installée, a évidemment l’intérêt de révéler au grand jour des positions fondamentales qu’on devinait ou supputait depuis longtemps. Le plus important à cet égard est l’étrange paralysie où se trouvent les USA face à cette intervention. Un cas révélateur à cet égard, parce qu’extrêmement concret, est l’attitude US vis-à-vis de la proposition russe de mettre en place des procédures de coordination entre les forces aériennes US dans la région et leurs propres forces. Le refus du pouvoir politique US, qui a suivi une première réaction des militaires US envisageant avec faveur cette proposition et établissant les premiers contacts avec les Russes, est extrêmement révélateur. Cela conduit à une sorte de “stratégie de la bouderie”, c’est-à-dire un refus sabns véritable argument de coopération qui s’est marqué par l’étonnant refus de recevoir à Washington une délégation russe menée par Medvedev, – acte étonnant, gratuit, de maladroite et insultante anti-diplomatie. Le Saker-US désigne cela de façon assez juste comme “the sulking superpower” (la “superpuissance boudeuse”), en rappelant les circonstances à cet égard qui ont conduit Poutine à se demander s’il n’y avait pas des dirigeants US qui ont “de la bouillie à la place du cerveau”...  

« Right now, the USA appears to be completely clueless. First, they accused the Russians of bombing the “wrong” terrorists. The Russians then replied “okay, give us a list of “bad terrorists” targets and we will destroy them”. The Americans refused. Then the Russians told them, “okay then, in this case at least give us a list of “good terrorist” targets not to bomb, and we will not hit them”. But the Americans refused again! At this point, the Russian began making openly fun of the Americans and Putin even declared that his American “partners” have “mush for brains”.

» Furthermore, the USA have also refused a Russian invitation to send military specialists to the Russian General Staff and now they have apparently even refused to receive a Russian military delegation headed by Prime Minister Dmitry Medvedev himself! I don’t think I have ever heard of a “sulking superpower” but that is what we are apparently observing right now. How long Uncle Sam will continue to pout in his corner is anyone’s guess, but this is clearly not a sustainable policy. In fact, it is no policy at all. »

Cette situation peut être illustrée au niveau militaire pur, justement par la situation de la coordination des vols militaires en Syrie telle qu’elle existe actuellement. Il semble qu’on puisse en avoir une idée assez précise avec l’intervention de deux médias en ligne, l’un (russe) confirmant l’autre (israélien). La situation est ainsi faite que les USA refusent officiellement toute coopération avec les Russes (le troupeau du bloc BAO suivant aveuglément bien entendu, particulièrement les pays européens dont l’ineptie opérationnelle s’en trouve ainsi multipliée) ; mais, en vérité, – et nous avons là une belle vérité-de-situation pour nous aider à comprendre le tableau général des évènements, – ils se coordonnent de facto par le biais des Israéliens qui, eux, ont établi le plus officiellement du monde un processus de coopération avec les Russes.

C’est DEBKAFiles qui, le 18 octobre, donne des précisions à cet égard. Dans son texte, le site israélien affirme que le drone abattu au-dessus de la Turquie le 16 octobre était bien russe (un Orlan 10), mais qu’il a été détruit à cause de l’absence de coopération avec les Russes, des Turcs mais aussi des USA. Les Turcs ont essayé d’entrer en contact avec le pilote, mais il n’y en avait pas puisqu’il s’agissait d’un drone, et la communication n’a pas atteint le commandement russe en Syrie puisqu’il n’y a pas de coordination à cet égard ; les Turcs se sont tournés vers les USA et n’ont eu aucune information des centres US de contrôle, qui ne manquent pourtant pas chez eux, puisque les USA n’ont aucune coordination avec les Russes... Par contre, explique DEBKAFiles, la coordination entre la Russie et Israël existe, elle est même très soignée (les deux côtés utilisant des contrôleurs parlant couramment les langues de leurs divers interlocuteurs, les Russes avec des contrôleurs parlant arabes, les Israéliens avec des contrôleurs parlant russes, – des officiers venus de l’émigration des juifs russes). Et, précise DEBKAFiles sans doute avec un plaisir secret, l’US Air Force, et aussi des délégués militaires d’autres pays de la “coalition” (les BAO-moutons), ont détaché quelques officiers à eux pour se coordonner-avec-les-Russes malgré tout. (C’est loin d’être la solution idéale parce qu’il faut ainsi passer par les intermédiaires que sont les opérateurs israéliens, et il reste à voir dans quelles conditions se fait ce “partage” d’informations. Les militaires US ont déjà eu quelques déboires dans diverses occurrences de coopération avec les Israéliens.)

« On Sunday, Oct. 18, Russian and Israeli air force headquarters near Latakia in Syria and Tel Aviv began practicing procedures for using the hot line they established last week to coordinate their operations in Syrian skies. They were putting into effect the agreement reached between Vladimir Putin and Binyamin Netanyahu in Moscow on Sept. 22, which was worked out in detail on Oct. 6 by Russian Dept. Chief of Staff Gen. Nikolay Bogdanovsky and his Israeli counterpart Gen. Yair Golan... On Oct 15, the defense ministry in Moscow confirmed that “mutual information-sharing on the actions of aircraft has been established”  to avoid clashes in the skies of Syria “between the Russian aviation command center at the Hmeimim air base and a command post of the Israeli air force.” He added that the two sides were holding practice sessions on the new line. [...]

» DEBKAfile’s military and intelligence sources say it is safe to assume that the Russian end of the hot line with Israel at the Al-Hmeineem air base near Latakia, will be manned by Arab-speaking flight controllers. And at the Tel Aviv end, along with Israeli officers, there will also be a presence of air controllers from western allies, including the US Air Force, who will use the facility to coordinate their flights with the Russian command... »

On peut considérer qu’une confirmation officieuse de cette situation est venue du côté russe par la reprise de l’information de DEBKAFiles par Sputnik.News très tôt ce matin. Le texte est entièrement orienté sur cet aspect du texte israélien, à propos de la présence des petits messagers de l’USAF/du bloc BAO, pour se coordonner tout en affirmant qu’on ne se coordonne pas : « Despite officially denying any cooperation, Russia and the US secretly coordinate their air campaigns in Syria through Tel-Aviv to avoid collisions of aircraft, according to intelligence sources speaking to Israeli media. [...] In reality, however, the US is coordinating actions of its aircraft with Russia, but is doing so through Israel instead of establishing its own direct "hot line" with Moscow, according to Israeli intelligence and military sources speaking to Debka File. Due to political reasons, however, the US can't admit it, insisting that the two nations continue to endanger their pilots by not informing each other about their military flights. »

A Washington, par contre, non il n’est pas question de coordonner quoi que ce soit avec la Russie tant que la Russie ne suivra pas les instructions, – lesquelles sont d’ailleurs inexistantes puisque les USA, comme l’a mentionné le Saker-USA sont incapables de donner des détails de localisation sur les “rebelles-terroristes/non-terroristes-modérés-anti-Assad”. (La raison évidente, mise à part la bouderie, étant, pour ceux que cela intéresse, qu’ils n’existent pas, comme nous en avait informé le général Austin, commandant CENTCOM.) Cela donne donc cette intervention exotique du porte-parole de la Maison-Blanche Josh Earnest sur la question de la coordination avec la Russie : il nous explique que Poutine, hagard, aux abois, est absolument désespéré, complètement isolé comme l’on sait et affreusement embourbé dans le bourbier syrien, demandant pathétiquement de l’aide aux USA qui la lui refusent parce qu’on a là-bas, à WashD.C., le sens de la dignité de de la justice humaines, en même temps que celui de la responsabilités comme inspirateurs de la civilisation, bref qu’on a une attitude à-la-romaine face au Barbare qui prétend vous contester : « We’re not interested in doing that, as long as Russia is not willing to make a constructive contribution to our counter-ISIL effort. Russia has its own agenda right now that they’re pursuing on their own.So it’s not particularly surprising to me that President Putin would resort, in some desperation, to try to…convince us to join them. But the fact is that is a request that’s fallen on deaf ears. »

Cet épisode est donc très intéressant comme illustration de la situation washingtonienne. Il est manifeste que les militaires US ne demandent qu’une chose, c’est l’établissement d’une coordination avec les Russes ; ils ne veulent pas entendre parler de la possibilité d’un incident aérien qui, en plus de sa gravité propre, déclencherait un processus de communication incontrôlable (médias, intervention des milieux bellicistes de communication, bref de toute la puissance-Système dans ce sens) pouvant conduire aux situations les plus graves qu’on puisse imaginer. Il est possible/probable, peu importe, que le pouvoir civil (la Maison-Blanche) est au courant de l’arrangement avec les Israéliens, et qu’il n’y trouve rien à redire. Obama ne veut pas d’incident avec les Russes, peut-être même veut-il un arrangement et comprend-il parfaitement le sens de l’intervention russe ; mais, dit crûment pour ce qui est du fond de l’affaire, il s’en fout car seule compte la communication à Washington.

La seule chose importante pour Obama, c’est donc de ne pas paraître “faible” (weak), de ne pas sembler être une poule mouillée (whimp), de garder intacte ce qu’il croit être sa stature présidentielle de gardien de l’exceptionnalisme américanistes, et pour cela d’en passer par toutes les exigences d’apparences du parti dominateur à Washington, le War Party ou disons le parti-Système qui poursuit absolument son but de déstructuration-dissolution-entropisation. D’où les déclarations du porte-parole, stupéfiantes à la fois d’ignorance et de désintérêt pour la vérité, de stupidité d’un point de vue politique, d’absurdité insensée d’un point de vue diplomatique. (La même chose doit être dite du refus abrupt et insultant signifié au Premier ministre de la Fédération de Russie, lorsque Medvedev a proposé une rencontre à Washington pour régler les questions de coordination.) Le résultat, parce que personne n’est dupe de cette pantomime déterministe-narrativiste, c’est évidemment de détruire méthodiquement, avec une sorte d’entêtement aveugle, ce qu’il reste de “crédit de puissance” (influence, prétention à diriger, etc.) aux USA, dans la région bien entendu, mais également auprès de ses “concurrents-partenaires”, auprès des “neutres-attentistes“ et même (secrètement mais de moins en moins) auprès des fidèle alliés-moutons du bloc BAO.

Il faut bien prendre garde à ceci que cet “incident“ de la question de la coopération refusée entre Russie et USA (alors que les premiers contacts entre militaires russes et les militaires US montraient une volonté commune d’aboutir) est un signe parmi bien d’autres de l’anti-stratégie suicidaire des USA pour les raisons qu’on a vues. Au-delà de la question de la communication, il y a bien un effondrement psychologique comme nous l’observions hier (« Cette déroute est essentiellement de l’ordre du psychologique, faite d’impuissance, de paralysie de la volonté, d’une sorte d’apragmatisme mortel si l’on veut jouer au psychiatre »). L’événement, confirmant des années d’évolution américaniste dans ce sens, entretient un boulevard ouvert aux Russes pour qu’ils installent leur position d’influence au Moyen-Orient et se confirment comme le point de ralliement de tous les antiaméricanismes ; c’est-à-dire, dans cette circonstance, tout ce qu’il y a de forces antiSystème potentielles dans le vaste monde où l’on finit par se rendre compte que quelque chose se passe, qui n’a aucun précédent et qui est bien difficile à appréhender, qui est cette Grande Crise de l’effondrement du Système.

 

Mis en ligne le 20 octobre 2015 à 10H43