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796918 novembre 2018 – Hier, j’avais très mal au dos, attaque pernicieuse et violente à la fois d’une sciatique irréfragable, une du grand âge.... Alors, j’ai sacrifié pas mal de mon temps sur un fauteuil à dossier très droit et, avec peu de courage pour lire, j’ai laissé aller l’“étrange lucarne”. Il n’était question que de cette “journée en jaune”
Je me fixe sur le “centre de crise” de la chaîne, Arlette Chabot aux commandes, conduisant un talk-show permanent avec deux vieilles badernes de ma génération, dont l’incurablement pontifiant d’Orcival, de Valeurs Actuelles, avec en arrière-plan les reportages constants sur les divers points stratégiques choisis comme références de cette “journée en jaune”.
Vers la fin de l’après-midi, l’habituel “tour de France” des correspondants était ramené aux points d’ébullition de la capitale, comme font en général ces adeptes de la décentralisation. On discutait : et comment, et pourquoi, et qu’est-ce qu’ils veulent, qui commande, qui coordonne, quels sont leurs mots d’ordre, et blablabla ...
Dans un de ces moments, alors que d’Orcival expliquait avec calme et sang-froid le sens fondamental de l’événement, Chabot interrompt son petit monde une fois de plus et indique la retransmission en arrière plan où l’on voit les fameux “gilets-jaunes”, dont certains sans gilets, qui semblent reprendre ensemble une déclamation, avec une certaine coordination si rarement atteinte, – peut-être scandent-ils des slogans explicatifs... Chabot dit alors “Excusez-moi de vous interrompre, mais nous allons écouter, cela semble être des slogans qu’ils reprennent tous, enfin nous allons peut-être savoir ce qu’ils réclament... Écoutons... ” Et nous écoutâmes la foule clamer...
« Allons enfants de la patrie-i-e
» Le jour de gloire est arrivé.
» Contre nous de la tyrannie... »
On connaît la suite et si l’on n’est pas plus avancé l’on est donc assuré d’une chose : le 17 novembre 2018 était “un jour de gloire”... Pour autant, ce n’est certainement pas la gloire de comprendre ce qu’il signifiait et, exactement, ce qui était en train de se passer.
L’accord se fit assez vite et unanimement : la chose était réussie, moins par le nombre de manifestants que par la diversité et l’universalité française des points de rassemblement (2 000 sur tout le territoire). La “journée jaune” s’était constituée opérationnellement comme une armée de bon niveau en campagne, comprenant parfaitement l’intérêt et l’efficacité d’une bonne tactique.
Là-dessus, vous comprendrez que je passe rapidement sur les innombrables et interminables conciliabules des commentateurs sur le sens, le but, la raison d’être, la perspective de la chose, et idem pour les différents interviews, les inévitables “ça me rappelle un peu mai 68” et ainsi de suite. La fait est que personne ne sait vraiment et moi-même le premier, et les “gilets-jaunes” pas tellement plus que moi ; que nous sommes bien loin du prix du gazole, qu’il y a simplement un immense malaise qui ne peut être en aucune façon une surprise ni une explication, et ainsi de suite...
Expression très souvent employée, ce “ainsi de suite”, un des lieux communs les plus sollicités pour décrire les causes tant l’incompréhensibilité de l’événement n’est pas dans ses causes qui sont partout et nulle part, ici-et-maintenant mais insaisissables, évidentes et inexprimables, fichées dans une psychologie dévorée par l’angoisse de l’absence de sens, – mais cette incompréhensibilité de l’événement, certes, dans ce fait qu’il ait eu lieu comme il a eu lieu, jusqu’à faire se taire, le souffle un peu coupé et presqu’une pointe d’admiration, tous les caciques du Parti et autres élites-Système.
Je crois que j’ai entendu cette remarque, je veux dire qu’elle ne vient pas de moi mais je ne pense pas que le causeur ait mesuré toute l’importance de la remarque, dans tous les cas comme je la comprends aussitôt pour mon compte ; et je la donne en italique comme une citation exacte car elle m’a assez frappé pour que je sois presque assuré de la restituer mot pour mot : « Jusqu’à maintenant, on disait que la nouveauté était que l’on pouvait décider des manifestations grâce aux réseaux sociaux, mais cette fois la nouveauté c’est que ce sont les réseaux sociaux qui décident eux-mêmes les manifestations. »
Simplement, je ne crois pas que l’auteur de cette remarque, en la faisant, ait pensé aux “réseaux sociaux” comme à une entité, mais bien comme au foisonnement de ceux qui les constituent et les utilisent. Au contraire, je prends la chose comme une entité, l’entité “les réseaux sociaux”, au singulier de l'Unité primordiale, sans nom, sans visage, sans carte d’affiliation, je veux dire hors du champ de notre politique et de nos agitations et ainsi d’une incomparable puissance.
Un événement s’est donc produit, venu d’on ne sait où au-delà de nos références courantes. L’époque sans égale que nous vivons s’est enrichie pour la perception de tous de la mise en évidence que les événements et les entités qui les suscitent se manifestent désormais à visage découvert. Simplement, nul ne reconnaît ce visage et les intentions qu’il manifeste, et nous savons bien désormais que tout peut se produire à partir d’un domaine inconnu d'une raison humaine en général contrainte et emprisonnée par le Système.
La vieille chanson qui a suggéré notre titre revient dans notre mémoire buissonnière des temps disparus, qui parlait de La vie en rose. Seule la couleur change, – mais du tendre à l’acide et le bonheur devient malheur, et c’est tout un monde se jugeant avec arrogance “postmoderne” qui bascule. Nous sommes conduits sans ménagement à nous interroger avec plus d’intensité, avec plus d’incertitude, avec plus d’angoisse aussi et d’espérance pour certains, voire d’illusions ; mais surtout avec une conviction imposée qu’un simple changement de couleur dans ce cas signale à notre attention l’extraordinaire puissance des événements souterrains venus d’on ne sait où et qui sont en train de secouer le monde comme un tremblement de terre dont on entend le grondement dans le lointain soudain tout-proche.
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