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25552 mai 2016 – Il commence ainsi son discours, sur un ton incroyablement cool, au sommet de sa forme : « Vous avez l'air superbes. La fin de la République n'a jamais eu autant de classe! » Il marque une pause. « Ce sera ma dernière intervention à ce dîner, et ce sera peut-être aussi le dernier de vos dîners! » Ainsi le président des États-Unis (POTUS) commença-t-il son discours, vendredi soir, lors de l’annuel WHCD (White House Correspondant Dinner), offert par le président aux journalistes accrédités à la Maison-Blanche ; c’est-à-dire quelques journalistes et le tout-Washington style-House of Cards gloussant et ricanant lors de cette occasion qu’Obama a transformée en une démonstration éblouissante de sa “cooltitude” : BHO n’a jamais eu autant de classe !
... Car le fou du Roi est beaucoup plus drôle, enjoué, plein d’entrain, lucide sans aucun doute et sans autre forme de procès, disert et maître du verbe argotique sans vulgarité, beaucoup plus que le Roi lui-même. Il est vrai qu’avec lui, et comme selon un tour de magie de la postmodernité, tout s’explique lorsqu’on découvre que “fou-du-Roi” et “Roi” ne font qu’une seule et même personne. Obama est tout à la fois, lui-même et le fou de lui-même ; cela rend la matière extrêmement complexe, on en conviendra, mais finalement assez compréhensible une fois qu’on a trouvé la clef de la formule... Le personnage se débarrasse un instant pour ses adieux à la presse de la pesante et superflue tunique de Nessus qui l’accable depuis 2008, qui le charge d’une morgue et d’une pompe parfois insupportables, qui l’oblige constamment à proclamer l’exceptionnalisme de la Grande République.
J’ai été entraîné joyeusement et un peu mais heureusement stupéfié par ce discours, dit avec une telle aisance, une telle maîtrise de soi et un art certain des effets et des formules, et disant certaines énormes vérités-de-situation sur le Système et sur lui-même, sans en avoir l’air, et surtout sans pompe ni cérémonie. Obama y dénonce tout le monde, et lui-même par conséquent, mais tout de même commençant par sa favorite, celle qu’il soutient en la détestant absolument, lorsqu’il glisse aussitôt après l’entrée en matière quelque chose comme ceci, – “si ce truc (ce discours) marche bien, je le vendrai l’année prochaine à Goldman Sachs, et il me faudra du lourd”.... (« “If this material works well, I'm gonna use it at Goldman Sachs next year. Earn me some serious Tubmans,” said Obama, hitting on Clinton's high Wall Street corporation speaking fees and the recent Treasury Department announcement that escaped slave Harriet Tubman will appear on the $20 bill starting in a few years. »)
Imperturbable, la presse-Système (voir Washington Examiner, d’où j’extraits ceci ou cela) cherche le message politique, constate qu’il (le POTUS) attaque tous les candidats à sa succession, impliquant le pitoyable état de la Grande République dont il salue la fin, comme s’il aimerait rester dans l’Histoire comme l’incomparable personnalité qui a personnellement achevé l’existence de ce beacon of freedom, de cette House on the Hill, les États-Unis d’Amérique. Il est vrai qu’en fait de legs marquant, on ne voit plus guère que cela qui fasse véritablement le poids et qui ait une signification historique réelle. Il est vrai aussi qu’il est possible qu’Obama n’ait fait cela (son discours et son spectacle) que pour le fun, mais c’est vraiment si bien fait qu’il n’est pas nécessaire qu’il y croie lui-même pour que nous y croyons absolument, – puisqu’il dit tant de solides vérités-de-situation, emporté froidement par la chaleur de l’ambiance, – qu'il le sache ou pas, hein...
La caricature à ce point, avec tant de talent dans le sens de la conviction qu’on semblerait avoir, avec tant de densité, avec tout le territoire observé soumis à la causticité douce du sarcasme obamesque, sans nulle échappée laissant apparaître le moindre espoir de changement si l’on observe bien la chose et surtout si on la ressent comme elle doit l’être, – tout cela doit vous en dire long sur l’état de l’esprit régnant dans la capitale suprême de la Grande République. Dans ce discours d’Obama, mais bien sur avec les mots directs en moins (corruption, dissolution, médiocrité, etc.), on croirait entendre des accents du grand H. L. Mencken des années 1920 et 1930, le polémiste, auteur, satiriste, journaliste, éditeur et rassembleur des littératures les moins “politiquement-correct lisibles”, l’intellectuel je plus ardemment critique et méprisant de la basse-cour washingtonienne représentant la soi-disant démocratie américaniste, sans faire la moindre exception.
La différence, c’est que Mencken n’était pas président, qu’il était libre de tout engagement politique, vivant de sa seule plume et de sa notoriété considérable, donc évidemment exerçant sa critique sans aucune contrainte, sans les prudences inconscientes mais évidentes, sans avoir à écarter les frein, les pressions extérieures, les interdits du non-dit que le Système fait peser sur un politicien. Obama n’est certes pas dans cette position, puisqu’il est dans les rangs adverses, et encore au sommet, mais on croirait vraiment qu’il avait abandonné, pour cet instant du discours de vendredi (et sans doute cela n’ira-t-il pas loin pour son compte), toutes les narrative, toutes les enflures du discours-Système, toutes les formules convenues du simulacre d’existence, de sagesse et de haute morale à quoi tout cela prétend. Qu’Obama, le POTUS en cours et en fonction pompeuse, puisse prétendre être comparé, en vigueur de l’esprit critique, à un H.L. Mencken, ce dissident professionnel, ce ricaneur hors-Système de la démocratie corrompue et corruptrice, voilà qui vous éclaire sur le chemin parcouru et sur l’impasse qui se dresse désormais devant eux. Ils ne dansent plus sur le Titanic mais sur l’épave engloutie du Titanic, – glou glou glou, et salut les poissons...
Il n’y a pas un souffle d’espoir dans cette causticité souriante et sarcastique, le “Yes We Can” majusculé remplacé par un “laisse tomber” fataliste. Dans toutes ses finesses, ses allusions, ses blagues, et sans doute sans le vouloir expressément, avec pour simple but d’obtenir un bon succès d’audience car il n’a pas mis sa vanité au porte-manteau, Obama trace un portrait caricatural de tout le Système, sans vraiment faire d’exception. Un mot ici, une expression là, et tout y passe, y compris le racisme qui ne faiblit pas comme les sottises impuissantes de leur “politically correct” qui rendent l’antiracisme institutionnalisé aussi insupportable que ce qu’il prétend réduire.
Ainsi, avec nonchalance et sans un seul signe qu’il en ait la moindre conscience ni le moindre remord éventuel s’il en avait conscience, Obama dessine finalement l’échec de ses huit années de présidence, comme un échec inéluctable, inévitable, qui est la marque de la marche inarrêtable du Système dans sa folle course. Il n’est plus exceptionnel, ni comme “premier président Africain-Américain”, ni comme constructeur d’un échec sans pareil par rapport aux promesses que supposait son élection, ni comme rien du tout, ni comme l’Amérique elle-même d’ailleurs, – sinon dans sa façon d’étaler sa décadence et de l’accélérer pour qu’elle ressemble enfin, cette décadence, à un effondrement à la hauteur (!) de l’exceptionnalisme en question. Et le public washingtonien avec sa variété bigarrée de people et de professionnels de toutes les sortes de la politique et de la corruption de s’esclaffer et de s’esbaudir, et d’applaudir, ravi, comme s’il avait trouvé à la fois son maître, son double, son débiteur, son valet...
Cela, cette sorte de choses, n’était pas pensable il y a trente ans, quarante ans, cinquante ans, et ainsi de suite en remontant l’histoire de la Grande République. On ne peut imaginer un Roosevelt, un Eisenhower, un Kennedy, un Nixon, un Reagan, un Bush dire cela. Le premier qui ait tenté cette approche caricaturale de la fonction, marquant combien cette fonction était dévoyée, – justement, par des gens comme lui-même, – ce fut Clinton, en 2000, tournant un film caricatural sur son pauvre sort dans les dernières semaines de sa présidence, dans l’attente de son successeur, alors que plus personne ne fait attention à lui, qu’on le bouscule comme un objet encombrant. Obama est dans la veine de Clinton pour cela, il est du type “fait-pas-très-sérieux”, et les deux, à quinze ans de distance, illustrant le mieux la prodigieuse désacralisation de la fonction sans cesse en accélération où ils ont eux-mêmes toutes les responsabilités du monde, à mesure de l’impuissance grandissante de la politique, de l’enfermement infernal dans les rets du Système. Ils en rient bien fort parce que c’est vrai, les plus terribles tragédies, dans cette époque qui ne sait plus ce que c’est que les tragédies, sont traitées par la dérision et appellent le rire. L’Empire est arrivé au terme : le Panem et Circenses que l’on jetait au peuple pour qu’il se tienne tranquille est arrivé au terme ; c’est l’Empereur qui est jeté, et même qui se jette lui-même en pâture au peuple, pour se transformer lui-même en “cirque”, pour nourrir la dérision où les enferme le Système, comme s’il était du “pain” en voie de se rassir très rapidement. C’est le dernier simulacre de l’Empereur vidé de sa substance. Derrière, il n’y a plus rien.
Obama pouvait bien se moquer particulièrement des républicains et de leur crise intérieure en mode-turbo (« Glad to see that you feel you've earned a night off. Congratulations on all your success. The Republican Party, the nomination process; it's all going great. Keep it up ») ; au moins, cela semblait de bonne guerre, au milieu des ruines de ce qui fut un système (de l’américanisme) tournant comme sur des roulettes. Mais, s’il avait fait son discours aujourd’hui, il aurait du y ajouter le parti démocrate (« The Democratic Party, the nomination process; it's all going great. Keep it up »), puisque Sanders pourrait bien y amener autant de désordre que Trump dans le parti républicain.
Enfin, il faut mesurer ses émois... Il y a bien écrit plus haut “qu’il avait abandonné, pour cet instant du discours de vendredi [...] toutes les narrative, toutes les enflures du discours-Système, toutes les formules convenues du simulacre d’existence, de sagesse et de haute morale à quoi tout cela prétend”, mais avec, glissé au milieu de tout cela, “et sans doute cela n’ira-t-il pas loin pour son compte”. C’est-à-dire qu’il n’y a rien, raisonnablement et à moins d’une surprise que l’on ne peut prévoir, à attendre de plus de tout cela. Mais ce n’est pas l’objet du propos ; il s’agit de signaler un instant de plus où fut éclairé le chaos/champ de ruines qu’est devenu le domaine politique de la Washington. Rien de plus, mais rien de moins, – et, mon Dieu, ce n’est pas rien...
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