L’affrontement Trump-CIA se précise

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 1977

L’affrontement Trump-CIA se précise

Il faut suivre avec attention et les relations entre Trump et la CIA, parce que l’on trouve là toute la matière de ce qui, dans la tragédie-bouffe de notre époque, relève finalement de la tragédie même si cela se trouve encore dissimulé. Il se précise et se confirme de plus en plus que le 20 janvier, date d’entrée en fonction du président Trump, commencera une sorte d’affrontement de titans entre la nouvelle présidence avec quelques hommes choisis, et la CIA en tant qu’entité, même en tant qu’égrégore si l’on veut.

Depuis le début du siècle et 9/11 et après avoir vu ses capacités d’analyse dévastées par des purges importantes dans les années 1990, l’agence s’est lancée à corps perdu dans ce qui n’était qu’une partie de ses activités, dépendantes de son “service action” : l’action subversive, les interventions secrètes, les tortures, bref tout ce que l’on a coutume de nommer depuis l’origine les “dirty tricks”. (Dans une sorte de galop d’essai, la période 1981-1986 avec Casey comme directeur avait été un modèle à cet égard, toute l’activité de la CIA ayant été tournée, durant la période, vers l’activisme subversif, pour ne pas dire le gangstérisme pur et simple allant des escroqueries financières, trafic de drogue et blanchiment d’argent, au soutien de divers mouvements clandestins, guérillas, aux liquidations pures et simples, etc.) Cette activité a pris de telles proportions dans le cadre extrêmement vague de “la lutte contre a Terreur”, et dans la rengaine pompeuse des ambitions hégémoniques des utopistes fous qui se sont succédés à la Maison-Blanche, qu’elle est devenue une sorte de “politique” dans le sens le plus large propre à la CIA, bien entendu dans le sens de l’interventionnisme et dans le cadre de l’illégalité internationale la plus complète.

Sous Obama, ou plutôt avec Obama, la CIA a acquis une quasi-autonomie qui n’a sans doute pas de précédent ni dans l’histoire de l’Agence, ni dans l’histoire des grands services de renseignement. Bien entendu, la “politique” de l’Agence est partie prenante dans la situation interne du pays, et elle s’est évidemment placée à 100% contre Trump, parce que la CIA a des liens d’intérêt avec les Clinton, parce qu’elle savait que la politique de Clinton aurait été bienvenue pour elle (l’Agence) et lui aurait laissé la bride sur le cou... Avec Trump, c’était l’inconnu au mieux, et c’est le pire désormais avec l’antagonisme et l’affrontement, comme on l’observe depuis quelques semaines.

Bien entendu, Trump n’ignore rien de tout cela, et surtout pas son conseiller favori, le Général Michael Flynn, qui a dirigé la DIA pendant deux ans (2012-2014), qui a pu mesurer la dérive catastrophique des services de renseignement, qui a tenté de lancer une réforme de la DIA avant de se faire liquider (mise à la retraite) en 2014. Flynn est l’un des principaux concepteurs d’une réforme radicale de la CIA, à laquelle il travaille avec le directeur-nommé à la tête de la CIA, Mike Pompeo. C’est notamment ce que précise un article du Wall Street Journal (WSJ) commenté ce 5 janvier par ZeroHedge.com, le travail de restructuration proprement dit portant d’abord sur l’organisme qui contrôle les dix-sept principales agences de renseignement de la structure US, l’ODNI (Office of the Director of National Intelligence) et sur la CIA elle-même

« Just in case the accusations that president-elect Donald Trump is a puppet of the Kremlin, intent on destabilizing and weakening the US weren't loud enough, moments ago the WSJ assured these would hit an unprecedented level with a report that Trump, a harsh critic of U.S. intelligence agencies, is working with top advisers on a plan that would restructure and pare back the nation’s top spy agency, the Office of the Director of National Intelligence, prompted by a belief that it has “become bloated and politicized.” [...]

» The planning comes in a time of turbulence between Trump and American intelligence agencies: the president-elect has leveled a series of social media attacks in recent months and the past few days against the U.S. intelligence apparatus, at times dismissing and mocking their assessment - perhaps with cause, after all there is still no evidence - that the Russian government hacked emails of Democratic groups and John Podesta and then leaked them to WikiLeaks and others in an effort to help Trump win the White House.

» According to the Journal, among those helping lead Mr. Trump’s plan to restructure the intelligence agencies is his national security adviser, Lt. Gen. Michael Flynn, who had served as director of the Defense Intelligence Agency until he was pushed out by DNI James Clapper and others in 2013. Also involved in the planning is Rep. Mike Pompeo (R., Kan.), who Mr. Trump selected to be his CIA director.

» It's not just the ODNI: one of the people familiar with Trump’s planning told the WSJ his advisors also are working on a plan to restructure the Central Intelligence Agency, cutting back on staffing at its Virginia headquarters and pushing more people out into field posts around the world. The CIA declined to comment on the plan. “The view from the Trump team is the intelligence world [is] becoming completely politicized,” said the individual, who is close to the Trump transition operation. “They all need to be slimmed down. The focus will be on restructuring the agencies and how they interact.”

• C’est demain que le président Trump doit recevoir les directeurs de la DNI (Clapper), de la CIA (Brennan) et du FBI (James Comey), après un premier rendez-vous reporté de deux jours au grand dam de Trump. La confusion est considérable sur les diverses positions des uns et des autres, et concernant des documents qui sont signalés dans tous les sens autour de la grande querelle du “complot russe” contre les présidentielles US. Il reste que Brennan est considéré comme l’un des acteurs anti-Trump principaux, comme très proche d’Obama à qui il doit remettre aujourd’hui un nouveau rapport de la CIA, – comme il a été officiellement annoncé, et cela aussitôt dénoncé par quelques spécialistes indépendants, dont Larry Johnson, ancien de la CIA et membre de la fameuse et très hautement considérée association des vétérans des services de renseignement, le VIPS... Johnson écrit, le 4 janvier, renforçant l’idée du rôle politique de Brennan et de la CIA avec lui, dans une croisade anti-Trump (un Silent Coup) :

« First a note about the John Brennan report being delivered to Barack Obama tomorrow regarding the bogus claim that Vladimir Putin hacked the U.S. election. It is not an “Intel Community” document. It will be presented on the news as such, but it is not a fully coordinated intelligence document like a National Intelligence Estimate. This is nothing more than a political document prepared under the direction of John Brennan to push a meme that is completely and totally without evidentiary foundation... »

• L’offensive contre Trump ne cesse absolument pas, au contraire elle se renforce, notamment du côté de parlementaires qui lui sont hostiles, et singulièrement des frères jumeaux McCain-Graham, qui sont pourtant de son propre parti. La dernière polémique “du jour”, c’est un tweet de Trump où le président cite favorablement Assange contre les diverses positions de la coalition constituée contre lui autour de la CIA (le tweet : « Julian Assange said ‘a 14 year old could have hacked Podesta’—why was DNC so careless? Also said Russians did not give him the info! »). Il s’agit d’une position sans précédent et totalement inacceptable pour la narrative du politically-correct de “Washington-Officiel”, où les noms de dissidents tels qu’Assange et Snowden sont excommuniés et assimilés à la trahison pure et simple... D’où la réaction après ce tweet :

« In response, Trump was criticized by both Democratic and Republican lawmakers and from intelligence and law-enforcement officials for praising Russian President Vladimir Putin, for attacking American intelligence agencies, and for embracing Mr. Assange, long viewed with disdain by government officials and lawmakers. “We have two choices: some guy living in an embassy on the run from the law…who has a history of undermining American democracy and releasing classified information to put our troops at risk, or the 17 intelligence agencies sworn to defend us,” said Sen. Lindsey Graham. “I’m going with them.” »

... Ce à quoi, ZeroHedge.com commente qu’avec toutes ces rumeurs de restructuration de la CIA et les citations par Trump de personnages tels qu’Assange, « nous nous attendons à entendre très prochainement des accusations de trahison lancées contre Trump lui-même ». C’est effectivement le cas, à peine implicitement, par exemple dans la remarque de Lindsay Graham, et cela rejoint effectivement la supputation que nous faisions hier concernant la position de confrontation intenable au niveau que nous allons atteindre, où les deux partis vont se considérer l'un l'autre comme coupables des pires forfaits, l’un (le président) de trahison, l’autre (l’opposition à Trump) de forfaiture et de violation fondamentale de la légalité constitutionnelle :

« Comment veut-on que, sur cette question, selon la réponse envisageable par l’alternative du “oui” et du “non”, puisse se faire une entente entre Trump et ses adversaires (entre Trump-antiSystème et le Système) sur une issue qui implique nécessairement, soit que le président est un traître, soit que les adversaires du président sont eux-mêmes des traîtres en accusant le président d’en être un alors qu’il ne l’est pas. »

• Le conflit, l’affrontement est en train de devenir complètement politisé, à ciel ouvert, alors qu’il ne l’était jusqu’ici qu’implicitement, et que les réformes envisagées portaient sur un point de vue technique. Mais il apparaît de plus en plus que les positions des uns et des autres s’exercent effectivement sur le terrain de la politique partisane, chacuns de leur côté, et sans plus s’en cacher. Une source proche de l’équipe Trump expose que « le point de vue de l’équipe Trump est que le monde du renseignement est complètement politisé [dans ce cas au profit du Système]... Ils doivent tous être épurés et l’accent sera mis aussi bien sur la restructuration que sur les rapports entre les agences ». Du côté de l’administration Obama, l’attitude de Trump vis-à-vis du renseignement US (de la CIA) est l’objet de commentaires officieux extrêmement durs : « “C’est effrayant”, dit une source citée par le WSJ. “Aucun président n’a jamais défié et diffamé de cette façon la CIA , en espérant pouvoir s’en sortir sans encombres.” »

• A cela, on ajoutera la persistance de l’absence, dans ce débat, de la seule agence qui, de l’avis unanime des experts indépendants, dispose de l’ensemble du matériel électronique intercepté, et donc d’éventuelles “preuves” de l’implication russe (voir encore Ray McGovern, citant le groupe VIPS dont il fait partie dans le Cross-Talk de Peter Lavelle, sur RT ce 5 janvier). L’absence de la NSA dans ce débat est pour le moins remarquable et ne plaide pas, c’est le moins qu’on puisse dire, pour la thèse CIA/Clinton/Obama. Là-dessus, il y a cet étonnant rapport d’un site qui ne l’est pas moins, mais qui a acquis ces derniers temps certains arguments de crédibilité, le WhatDoesItMeans de Sorcha Faal d’ailleurs cité dans la blacklist de ceux-qu’il-ne-faut-pas-lire, de WaPo, et dont nous disions le 20 décembre 2016 :

« On prendra garde à ceci que le site WhatDoesItMeans, dont nous avons déjà parlé à plusieurs reprises, est en train d’acquérir un certain crédit qui ne peut vraiment étonner dans une époque si originale. On le voit notamment à la lecture d’un article de Larry Johnson sur NoQuarter du 17 décembre, où WhatDoestItMeans est abondamment cité comme une source par divers commentateurs de la campagne USA-2016 dès mai dernier. Larry Johnson est un homme sérieux puisque, ancien officier de la CIA, il fait partie de l’association fameuse des officiers du renseignement US “dissidents” VIPS. »

Le 4 janvier, WhatDoestItMeans signale, selon ses formules habituelles d’un rapport “circulant au Kremlin”, qu’un site de la NSA à New York a été l’objet d’une tentative de cambriolage (de “données”, suppose-t-on ?) de la part d’une équipe de la CIA, qui s’est terminée par un échange de coups de feu et un blessé du côté de la CIA. Le texte donne certaines références qui ne constituent pas des preuves incontestables, mais qui s’accordent avec le récit, tout cela se faisant parallèlement à l’annonce que la rencontre entre Trump et les chefs du renseignement est reportée à vendredi, et que Trump en est furieux jusqu’à diffuser le tweet qu’on connaît. Quoi qu’il en soit de la véracité du récit, il va dans le sens ressenti de plus en plus unanimement dans le camp indépendant/antiSystème de l’abstention significative de la seule agence qui possède toutes les données interceptées par les USA ; abstention significative selon l’hypothèse que la NSA, qui sait exactement à quoi s’en tenir, se tient complètement à l’écart d’une manœuvre promise à s’aliéner le nouveau pouvoir civil ; et soupçon irrésistible de la CIA, complètement enfermée dans la croyance à sa narrative-“complot russe” et refusant d’admettre qu’il n’y a pas d’éléments impliquant les Russes, que la NSA a choisi le camp Trump et qu’elle refuse de donner ce matériel mythique prouvant l’implication des Russes. (D’où nécessité de cambriolage ?)

• ... Donc, toujours cette situation surréaliste, où deux parties s’affrontent sur un sujet à la fois si dérisoire dans ses origines, si contestable jusqu’à l’absurde dans sa manufacture, si dépendant d’une fabrication de type-simulacre, et pourtant promu comme étant si important qu’il en écarte tous les autres dans les préoccupations de sécurité nationale US. Cette situation surréaliste s’opérationnalise notamment dans la rencontre de demain entre Trump d’une part, Clapper et Brennan de l’autre ; Trump qui ne cesse de faire répéter qu’il ne croit rien de ce “complot russe”, et qu’il connaît des indications qu’il est le seul à détenir, qui contredisent complètement cette bouffonnerie ; Clapper et Brennan, avec la mission d’édifier le nouveau président dans le sens qu’on sait sur instructions du président-sortant qui n’en a plus que pour quinze jours et qui n’a quasiment plus aucun pouvoir effectif depuis la mi-novembre ; eux-mêmes, Clapper et Brennan, qui n’ont pratiquement plus aucune légitimité puisqu’en fin terminale de mandat et sachant qu’ils n’ont en rien la confiance du nouveau président (Clapper devait effectivement quitter son poste le 25 décembre, mais il a retardé son départ sur ordre d’Obama). Pour l’instant, même si l’affaire peut tourner au tragique, nous en sommes toujours à l’aspect bouffe de la tragédie-bouffe.

Reste que c’est une affaire peu ordinaire, – un épisode de plus, – de voir l’affrontement entre un président et la CIA prendre une allure aussi ontologique, avant même l’entrée en fonction du président. Jusqu’ici, il y a eu des affrontements présidents-CIA, sans doute même du sang (Kennedy), mais dans des occurrences qui n’avaient rien d’être “à ciel ouvert” et tout pour répondre à la clandestinité des secrets d’État qui ne peuvent être rendus publics. Il y a eu des volontés de réforme préalables de nouveaux présidents, mais dans un cadre implicitement légitime n’engageant pas le seul président, appuyées sur des recommandations implicites du corps législatif (le président Carter, élu en novembre 1976, plaçant l’amiral Turner à la tête de CIA en 1977 avec mission de réformer l’Agence suite à l’enquête du Congrès sur le Watergate et sur la CIA en 1975-1976). Il n’y a jamais eu une telle situation d’affrontement “à ciel ouvert” où la légitimité du nouveau président est constamment mise en cause sous une forme de facto qui s’institutionnaliserait elle-même, par les protagonistes impliqués, en de jure...

Ainsi, Brennan, complice et proche d’Obama et des Saoud d’Arabie, agit-il, notamment en produisant pour Obama des rapports personnels qu’il fait passer pour des rapports de ses services, comme s’il considérait que le président légitime reste Obama. C’est vrai formellement jusqu’au 20 janvier, mais c’est d’une futilité, d’un pointillisme juridiques tels que c’en est entièrement un élément bouffe, mettant en lumière la situation incroyablement confuse et insaisissable de la légitimité du pouvoir à Washington. La vérité-de-situation reste à être fixée et elle le sera brutalement. C’est dire qu’il est encore et toujours plus évident que l’entrée en fonction de Trump se fera dans des conditions très brutales et l’on s’interroge tout de même sur le degré de conscience de la situation de ceux qui s’opposent frontalement à lui, sans s’en dissimuler d’aucune façon.

Inutile d’ajouter, tant c’est l’évidence, que USA-2017, même sans élections, vaudra bien USA-2016 en intensité de la tension. L’atmosphère de “guerre civile de la communication” qui a marqué USA-2016 a très aisément survécu et ne cesse de se renforcer, et par conséquent de devenir structurelle.

 

Mis en ligne le 05 janvier 2016 à 16H38