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1819C’est la meilleure, la plus explicite, la mieux phrasée et dirions-nous la mieux-membrées des attaques neocon contre The Donald. Elle satisfera toutes les bonnes consciences qui se targuent d’être critiques-de-gauche du Système, qui dénoncent avec virulence le populiste US Trump, qui sauront ainsi qu’elles ont à leurs côtés l’OTAN et Gladio, la Commission européenne et son libre-échange, les conservateurs britanniques et la City, et puis d’autres centres de progrès que la commentatrice que nous allons citer omet de mentionner, comme Georges Soros et Wall Street, le Corporate Power et sa globalisation type TTIP/TPP. Les bonnes consciences, elles, ont pour argument un seul mot : “le Mur”, qu’on pourrait neo-majusculer pour l’occasion (nouveau “Mur de Berlin”), qui est celui que Trump, dans son emportement, voudrait ériger sur la frontière mexicaine ; c’est-à-dire cette zone de passage des immigrés clandestins, gérée avec l’humanité et le sens social universaliste qu’on sait par les cartels de la drogue mexicains. (Ce n’est pas pour rien qu’une des premières menaces de mort contre Trump est venue d’un fils d’un des grands chefs de cartel mexicain de la drogue.)
Mais venons-en à l’attaque en ne nous égarant pas trop. Il s’agit de l’article apocalyptique d’Ann Applebaum dans le Washington Post du 4 mars 2016. Le monde-according-to-Trump qu’elle nous dessine est effectivement apocalyptique, d’une apocalypse dont on aurait ôté la rédemption et le renouveau. C’est simple, elle, Sœur-Ann, n’a rien vu venir puisqu'elle n'a jamais vu ça depuis que le “Monde Libre“ existe et continue plus que jamais à exister : « Back in the 1950s, when the institutions were still new and shaky, I’m sure many people feared the Western alliance might never take off. Perhaps in the 1970s, the era of the Red Brigades and Vietnam, many more feared that the West would not survive. But in my adult life, I cannot remember a moment as dramatic as this: Right now, we are two or three bad elections away from the end of NATO, the end of the European Union and maybe the end of the liberal world order as we know it. » (Avec une petite confusion à rectifier : Applebaum a confondu les Brigade Rosso avec Gladio, cela va de soi.)
On s’arrête à Applebaum parce que cette dame, épouse de l’ancien ministre polonais des affaires étrangères Sikorski, constitue la star internationale des neocons US par ses connexions non-US dirigées vers autre chose qu’Israël, c’est-à-dire pour son cas vers l’Europe. Il s’agit donc d’une appréciation de Donald Trump qui rejoint et rencontre ce que l’on pense en Europe de The Donald, puisqu’à cet égard les élites-Système obéissent au doigt et à l’œil à l’inspiration-neocon. Il ne fait pas le moindre doute désormais, bien qu’on en reste en général officiellement aux commentaires type-BHL et Libé (« Le gros bête qui monte, qui monte... ») sur la bouffonnerie et l’amoralité-Système de The Donald, que les experts-Système commencent à explorer avec horreur les conséquences d’un éventuel “président Trump” sur le dispositif transatlantique et antirusse du bloc-BAO, – quoique cette sorte de spéculation reste toujours du domaine situé entre le non-dit et le suggéré. (Et il faut préciser que cette horreur d’un éventuel “président Trump” dissimule en fait une horreur plus générale dans ceci que l’extraordinaire vigueur des élections US pourrait influencer de toutes les façons, Trump ou pas, la politique étrangère des USA, notamment par exemple du côté des grands traités de libre-échange [on verra cela plus loin].) L’élection présidentielle US en tant que crise américaniste n’est pas si loin qu’on croit de se transmuter et une crise transatlantique dans le sens de l’extension, c’est-à-dire une crise interne du bloc BAO caractérisée par une menace de déstructuration et de dissolution si vive que la psychologie en impose la perception à l’esprit comme si la crise était déjà en marche.
Par conséquent, l’originalité de la commentatrice, qui confirme son sens de la solidarité internationaliste intra-BAO, c’est qu’elle ajoute à sa diatribe proprement américaniste, cette dimension européenne propre à éveiller les esprits endormis de ce côté de l’Atlantique au terrible danger qui les menace. Sa logique est de voir Trump et tout ce qu’il représente comme un détonateur et un catalyseur d’un mouvement général. C’est ainsi qu’elle enchaîne à la catastrophe-Trump, les horreurs hongroises d’Orban, l’élection apocalyptique de Marine Le Pen, tout cela lié au démon d’extrême-droite Vladimir Poutine tapi dans son Kremlin comme une araignée dans sa toile. Elle ajoute même l’hyper-catastrophique Brexit, achevant la désintégration de l’Europe, et, horreur des horreurs, l’arrivée au pouvoir de Corbyn, achevant la dissolution-entropisation de l’OTAN.
« ...Trump has advocated torture, mass deportation, religious discrimination. He brags that he “would not care that much” whether Ukraine were admitted to NATO; he has no interest in NATO and its security guarantees. Of Europe, he has written that “their conflicts are not worth American lives. Pulling back from Europe would save this country millions of dollars annually.” In any case, he prefers the company of dictators to that of other democrats. “You can make deals with those people,” he said of Russia. “I would have a great relationship with [Vladimir] Putin.” [...]
» ...And Americans aren’t the only ones who find their alliances burdensome. A year from now, France also holds a presidential election. One of the front-runners, Marine Le Pen of the National Front, has promised to leave both NATO and the E.U. , to nationalize French companies and to restrict foreign investors. Like Trump, she foresees a special relationship with Russia, whose banks are funding her election campaign. French friends assure me that if she makes it to the final round, the center-left and center-right will band together, as they did two decades ago against her father. But elections are funny things, and electorates are fickle. What if Le Pen’s opponent suddenly falls victim to a scandal? What if another Islamic State attack jolts Paris?
» By the time that happens, Britain may also be halfway out the door. In June, the British vote in a referendum to leave the E.U. Right now, the vote is too close to call — and if the “leave” vote prevails, then, as I’ve written, all bets are off. Copycat referendums may follow in other E.U. countries too. Viktor Orban, the Hungarian prime minister, sometimes speaks of leaving the West in favor of a strategic alliance with Istanbul or Moscow.
» It’s not hard at all to imagine a Britain unmoored from Europe drifting away from the transatlantic alliance as well. If the economic turmoil that could follow a British exit from the E.U. were sufficiently severe, perhaps the British public would vote out its conservative government in favor of the Labour Party, whose leadership is now radically anti-American. Everyone discounts Jeremy Corbyn , the far-left Labour leader, but they also discounted Trump. Corbyn is the only viable alternative if the public wants a change. Elections are funny things, and electorates are fickle...
... Et là, sur ce dernier point, c’est peut-être un ouf ! de soulagement pour les bonnes consciences, mais aussi un étrange hoquet dans un arrangement qui avait jusqu’ici une si belle allure d’extrême-droitisme diabolique. Corbyn, en effet, n’est pas précisément de ce bord puisqu’il est en général catalogué “gauchiste” à la bourse des valeurs conformistes, selon les Moody’s et S&P des idéologies. Ainsi Sainte Sœur-Ann nous rappelle-t-elle que la hache de l’antiSystème a deux tranchants, comme une belle et bonne francisque de l’affreux vieux temps, une de droite (extrême) et une de gauche (radicale). Les antiSystème de gauche sont à cet égard moins à l’aise, beaucoup moins à l’aise que leurs collègues de droite, car la dialectique-Système leur emprunte énormément, cela logiquement dans la mesure où la gauche s’est spécialisée depuis très longtemps dans un discours d’une dialectique morale avec des aspects modernistes de déconstruction et de dissolution qui ont d’étonnantes (ou pas) proximités avec certains aspects des fondements de l’“héritage chrétien”.
Ce constat vaut pour l’instant beaucoup plus pour l’Europe que pour les USA. En effet, aux USA la candidature Sanders sert à la fois d’expression-exutoire et d’accélérateur d’une certaine libération de l’antiSystème de gauche de l’emprisonnement de la dialectique du domaine. On a déjà vu le nombre important, impressionnant d’électeurs de Sanders qui, en cas de non-désignation de Sander, préfèreraient voter Trump que Clinton. Cette situation devrait se renforcer dans la mesure où l’on voit Sanders se renforcer après un relatif passage à vide durant le Super Tuesday. Sa troisième victoire du week-end dans le Maine a été suivie d’un débat entre les deux candidats démocrates où Sanders, pour la première fois peut-être, s’est montré offensif et agressif contre Clinton. Pour la première fois d’une façon appuyée, il s’est emparé de thèmes d’attaque fondamentaux qui ont un vrai poids antiSystème : les liens de Clinton avec Wall Street et les catastrophiques (selon Sanders, comme pour Trump) traités TPP et TTIP de libre-échange. Il s’agit d’une orientation qui devrait se répercuter au niveau de son électorat, dans le sens de la polarisation, c’est-à-dire dans le sens d’une accentuation de la fracture au sein du parti démocrate. Le Guardian du 7 mars donne ici quelques détails sur ce débat et l’ambiance qui y régnait, qui contrastait notablement avec l’atmosphère policée qui avait marqué jusqu’ici les rencontres Clinton-Sanders....
« Shortly after they [Clinton & Sanders] took the stage, the Associated Press announced that Sanders had won the Democratic caucuses in Maine, his eighth victory in the 2016 presidential primary race. In a statement, the leftwing Vermont senator thanked Maine’s voters and claimed “momentum” heading into Tuesday’s primaries in Michigan and Mississippi. On stage he and the former secretary of state had one of their sharpest exchanges yet when they were asked by a member of the audience about trade and job creation, an issue Sanders had been attacking Clinton over in the lead-up to the debate.
» “Secretary Clinton supported virtually every one of the disastrous trade agreements written by corporate America,” Sanders said. “He voted against the money that ended up saving the auto industry,” Clinton replied. “I think that is a pretty big difference.” “If you are talking about the Wall Street bailout, where some of your friends destroyed this economy … ” Sanders began. “You know…” Clinton interjected, before Sanders cut her off: “Excuse me, I’m talking,” he said, dismissing her with his hand.
» Sanders repeatedly attacked Clinton’s past support for international trade agreements, an issue he is attempting to use against her in Michigan in order to win blue-collar votes in the rust-belt industrial state. “I am very glad … Secretary Clinton has discovered religion on this issue,” Sanders said, referring to her position on trade. “We’ve lost 60,000 factories since 2001, they’re going to start having to — if I’m president — invest in this country, not in China, not in Mexico.” »
... Peut-être Sanders a-t-il admis qu’il avait intérêt à radicaliser, non pas tant sa position que sa critique de Clinton, car c’est sur ce terrain-là qu’il a de l’espace, et de la popularité à gagner par contrecoup tant Clinton a basculé dans une fonction-Système tout-terrain, qui en fait un repoussoir exceptionnel, avec des effets négatifs pour elle malgré le confortable tapis de $millions et de soutiens de l’establishment sur lequel elle se repose. Ce terrain-là, où Sanders a de l'espace, n’est rien d’autre que le terrain de l’antiSystème. On verra ce que nous dira la suite des événements à cet égard, mais si Sanders redevient à nouveau un concurrent crédible, c’est toute la tactique anti-Trump de l’establishment républicain et de ses alliés de circonstance, – qui vont parfois jusqu’à un Ron Paul, dans ce cas en net désaccord avec un Justin Raimondo, – qui est compromise, parce que cette tactique requiert une unanimité dans le camp républicain et la poursuite de l’apaisement du front démocrate depuis que Clinton semblait avoir pris l’avantage décisif.
Ces différents événements, ces interprétations, ces perceptions indiquent que la crise des présidentielles US peut accroître son importance en se diversifiant, notamment dans deux directions :
• En affectant de plus en plus les Européens dans la mesure où peuvent intervenir dès 2017 des changements importants de la politique extérieure générale des USA. Applebaum donne une bonne mesure de tout ce qui peut passer par la tête des élites-Système, mais l’algarade Sanders-Clinton nous conduit sur un autre terrain, beaucoup plus concret : l’hostilité considérable qui entoure les traités TTP et TTIP aux USA, un peu à l’image de celle qui existe en Europe. (Cela tend bien à mettre une lumière ce que les Européens ignorent souvent lorsqu’ils dénoncent le TTIP : ce n’est pas une “machine de guerre US” mais bien une “machine de guerre globaliste”, – et alors, on pourrait l’appeler “machine de guerre américaniste”, le système de l’américanisme étant considéré comme une courroie de transmission du Système.) Ce n’est certes pas un hasard si les consignes, actuellement au sein des institutions de l’UE, recommandent une discrétion maximale pour tout ce qui concerne les négociations autour du traité TTIP, avec l’espoir assez étrange qu’il arrivera à bon port sans que l’attention de l’opinion publique et du système de la communication ne soit éveillée. L’UE se rend compte qu’il s’agit d’une polémique explosive pour la campagne électorale US qu’il faut tenir absolument à distance ; mais nul ne mesurent quels avatars inattendus, – essentiellement politiques sinon politiciens, dans tous les cas de politique intérieure, – peuvent surgir de façon complétement inopinée du débat actuel aux USA et mettre le cas du TTIP au premier plan, aux USA certes, mais aussi nécessairement dans le champ transatlantique.)
• Le cas Clinton-Sanders devrait relancer, ou plutôt accélérer la supputation autour de la position que doit prendre la gauche antiSystème pour l’être réellement (antiSystème). Pour l’instant, cette sorte d’inhibition existe beaucoup moins à droite (droite antiSystème vis-à-vis de l’aspect antiSystème de la gauche antiSystème) qu’à gauche (pour elle, l’aspect antiSystème de la droite antiSystème ne parvient pas à dépasse les oppositions idéologiques, souvent sociétales et de communication, c’est-à-dire les plus difficile à surmonter où à réfuter). Nous nous trouvons dans un cas de plus en plus souvent rencontré, qui est la compréhension, l’accord, la coopération nécessaires se heurtant à l’anathème, à l’excommunication sans issue entre les différents antiSystème. Cela n’est pas le résultat essentiellement d’une machination du Système, sinon celle assez classique et qui existe depuis longtemps puisque le Système a toujours utilisé à son avantage des dialectiques idéologiques de ses adversaires. L’actuel antagonisme entre antiSystème vient plus simplement des conséquences pour les uns et les autres des difficultés grandissantes du Système, de ses faiblesses considérables, de la proximité grandissante entre sa dynamique de surpuissance et sa pulsion d’autodestruction ; l’ennemi central, s’il est toujours aussi puissant, devient vulnérable ; cela donne du temps et du champ à ses adversaires pour détailler leurs caractères, et à chacun de retrouver des exigences qui leur soient propres au risque de perdre l’avantage acquis dans la lutte antiSystème.
Mis en ligne le 7 mars 2016 à 16H18
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