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259706 février 2017 – Depuis quelques jours, je le sens bien et même parfois je l’entends ; l’Auteur marmonne, parle entre ses dents (celles qui lui restent), renâcle, remâche et râle... Je sens bien qu’il a quelque chose à me dire et je sais bien de quoi ce quelque chose est fait. L’Auteur, je le connais comme si je l’avais fait, comme si c’était moi...
Ah, le voilà qui approche ; feignons l’indifférence, comme l’on dit dans les grandes pièces classiques, et simulons la surprise lorsqu’il parlera, comme si de rien, vraiment de rien n’était.
— Hum, hum, dit l’Auteur, manifestement en verve.
— Oui, monsieur l’Auteur ?
— Je n’ai rien dit, moi.
— Vous êtes comme tous les auteurs, l’Auteur ! A vous tortiller, à vous trémousser pour attirer l’attention, pour qu’on vous voit du coin de l’œil, pour qu’on s’attache à vous sans trop le montrer, et cela pour vous récrier une fois l’attention éveillée...
— Eh bien, puisque vous insistez, eh bien voici : j’enrage !
— Tiens, j’envisageais de le dire pour vous, mon texte en témoigne... Et pourquoi donc, s’il vous plaît ?
— Oh, c’est vite dit : La Grâce est là, qui nous tend les bras, désemparée et désespérée de cette situation car il n’y a personne ou tout comme pour répondre à son attente ! C’est comme un noyé qui demande de l’aide et qu’on regarde couler, sans un geste, si même on s’en aperçoit.
— Vous exagérez, l’Auteur, vous faites dans le tragique d’une façon excessive... Vous voulez parler de la diffusion de votre chef d’œuvre, n’est-ce pas ? Les ventes ont fait leur petit bonhomme de chemin ; combien ? Au moins 150 exemplaires, non ?
— Et vous trouvez cela satisfaisant, en trois mois ?! Inutile de me détourner de mon juste courroux, notamment par des ironies comme cette remarque déplacée avec le ton qui va avec, – “votre chef d’œuvre”, – le fait est que le bateau sombre... Depuis quinze jours, un, deux exemplaires vendus, pas plus !
— “Juste courroux“, mazette le beau langage ! Enfin, un peu, comment dirais-je...
— Ne dites rien ! Reste que la situation est affreusement affligeante, je dirais presque : tragique !
—Allons, allons, ce mot, “tragique”, je vous l’ai fait comprendre, est excessif... Il faut dire aussi : votre pavé, je veux dire “votre chef d’œuvre”, n’est pas de ces choses que l’on achète comme des petits pains. Certains le jugeront difficile à digérer, vous savez. Alors on pèse, on soupèse, on hésite.
— C’est à vous d’exagérer cette fois ; il faut lire ce livre comme une vache rumine, comme Nietzsche conseillait de faire, en lisant et relisant, comme je fais de plus en plus... Thibon disait, écoutez je le cite : “L’important, ce n’est pas de lire beaucoup de livres, c’est de lire en profondeur le peu qu’on lit. Tout est dans tout.”
— Humm, vous avez des lettres... Et bien entendu, vous êtes assuré que La Grâce est un de ces quelques livres qu’il suffit de lire en profondeur...
— Je n’ai pas dit ça, je n’ai pas dit ça !
L’Auteur a un peu rougi, pour le coup. Je regrette presque ce ton involontairement sarcastique dont j’ai usé.
— ... Enfin, je n’ai pas voulu dire ça ! Vous me récrivez comme on récrit l’Histoire, Monsieur, et ce n’est pas peu dire dans cette époque sans pareille... Écoutez, le fait est que je ne sais pas comment dire ce que je veux dire ; mais quand on écrit et qu’on tient à ce qu’on écrit, on voudrait que tout le monde s’en saisisse et on le proclamerait pour un peu, et puis l’instant d’après, vous comprenez, changeant brusquement d’humeur on se dit : “qu’importe, je n’ai pas écrit pour ‘vendre’, ce mot affreux, je laisse ce livre à son destin, et qui aura l’intuition qu’il lui faut le lire, celui-là le lira, et qu’importe s’ils ne sont que 150” ... D’ailleurs, un peu plus que 150, non ?
— A peine, l’Auteur, à peine, certainement pas plus de 160, et j’espère bien que vous montrerez respect et reconnaissance à ces Happy Few qui se sont aventurés dans le sublime et enchanteur labyrinthe de votre pensée, éclairé en son terme d’une lumière sans exemple...
— Toujours, toujours, vous et vos sarcasmes ! Certes, bien sûr que je dis mon respect et ma reconnaissance à ces lecteurs, à leur courage, à leur endurance, à leur souffle... Mais bon : puisque vous voyez cela comme une épreuve, j’aimerais après tout qu’ils soient plus nombreux à participer, comme s’ils pouvaient espérer une initiation...
Somme toute et sans trop m’attarder aux derniers mots de la dernière phrase qui frisent tout de même la paranoïa du bonhomme, je le comprends : il voudrait qu’on lise son livre, La Grâce (au fait, il faudra que je le lise, moi, “en profondeur” cette fois, à-la-Thibon) ; en même temps, il est mortifié de songer à faire cette chose vile qu’ils nomment aujourd’hui “promotion”, comme un bateleur fait son bataclan. Comme tous les auteurs, je parle de ces auteurs singuliers qui sont plus sensibles à ce qu’ils ont écrit qu’aux règles du jeu du temps, moderniste puis postmoderniste, l’Auteur est fait tout de contradictions, entre le nécessaire et le détestable ; il veut être lu et, en même temps, il se déteste de faire, ou d’envisager de faire cette démarche infâme du publiciste, du voyageur de commerce, qui revient à dire : je veux que vous me lisiez, pour ma gloire et pour ma fortune... Bien, et c’est ainsi que je me décidai à mettre fin à son supplice, puisqu’en vérité il était là, il marmonnait depuis plusieurs jours, pour une requête qu’il jugeait nécessaire de faire, et qu’il jugeait horrible de devoir faire.
— Je viens au-devant de vos souhaits... Et si je vous proposais d’en dire un mot dans mon Journal ? Peut-être qu’un lecteur ou l’autre...
— Oui, oui, c’est ça c’est ça, et mille merci, au moins mille, – je veux dire les “mercis”, pour les lecteurs on verra ... Euh, n’oubliez pas le lien qui renvoie aux conditions de vente... Puisque, vous le savez, et dites-le à vos lecteurs, le Tome-II vint de paraître.
Avisé l’Auteur... Voilà qui est fait : lecteur, voici le lien.
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