L’avion de combat, verrou de la puissance

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L’avion de combat, verrou de la puissance

Pendant des années, nous nous sommes battus, par l’ironie, la fureur, la dérision et toutes cette sorte de chose, contre l’anglosaxonisme dans le système de la communication, à propos des avions de combat (notamment). Pendant des années, depuis la fin de la Guerre froide jusqu’autour de 2010-2012, l’avion de combat français Rafale n’a littéralement pas existé (et avec lui, l’inexistence des capacités technologiques françaises). Existaient seulement les USA et UK bien entendu, un petit peu les Suédois parce qu’à moitié UK et dépendant des technologies US, un tout petit peu les Russes, quelques miettes pour les Chinois, – il faut bien que les ennemis que l’on se forge figurent sur le catalogue, disons en appendice. Du Rafale, pas de nouvelles.

Ce phénomène de communication, qu’il en fût la cause ou l’effet, – et nous serions plutôt enclins à y voir la cause, – soulignait plutôt la fortune des différents et très rares producteurs. Effectivement USA et UK semblaient être les deux seules sources majeures possibles de production sérieuse et d’exportation de l’avion de combat, ou la seule si l’on voit la situation du point de vue de l’anglosaxonisme par le biais de l’alignement aveugle et servile de UK sur les USA comme une évidence de cette situation,. Ce n’était pas rien, tant l’avion de combat est, par excellence incontestée, l’un des outils majeurs si pas l’outil majeur si l’on considère ses rapports économiques, de l’affirmation de la souveraineté. (De l’affirmation de la souveraineté faussaire-invertie pour les clients de USA-UK, car l’on sait comment ils procèdent, – car nous sommes avec cette situation dans le règne de la narrative.) Les évènements récents, très divers, aussi bien aéronautiques que stratégiques, aussi bien que de communication par conséquent, et plus encore aussi bien que des évènements psychologiques récents, ont changé radicalement la situation et imposé une nouvelle version qui découvre une vérité-de-situation. Le système de la communication, acteur et juge en l’occurrence puisqu’il a fait partie de l’épisode décrit autant que du changement intervenu, en est le premier à poser le verdict en nous offrant un événement remarquable dans son domaine, quoique très difficile à distinguer.

C’est en effet un événement remarquable que ce jugement d’un spécialiste US de l’aviation de combat, David Majumbar de The National Interest. (Majumbar est une nouvelle star, d’une nouvelle génération de journalistes spécialistes et commentateurs US des questions de quincaillerie militaire au plus haut niveau. La revue où il publie a un grand poids d’influence politique dans les milieux conservateurs et, par conséquent, il possède un statut déjà affirmé.) Examinant les pays qui sont capables de fabriquer seuls et en toute indépendance un avion de combat qui soit aux normes de la plus haute technologie et qui soient intégrés et opérationnels, Majumbar en nomment trois à l’exclusion de tout autre, – sauf pour un appendice pour la Chine : la France, la Russie et les USA. Il n’est quasiment pas fait une fois mention sérieuse et intéressée du Royaume-Uni (UK) dans son analyse, actant ainsi l’effondrement subreptice et sans bruit de ce pays qui a tout misé sur une politique d’asservissement assortie d’une extraordinaire arrogance, et qui se retrouve aujourd’hui précédant largement son maître dans l’effondrement de l’influence. (L’arrivée de Jeremy Corbyn à la tête du parti travailliste ne garantit rien de l’avenir et en aucune façon, mais c’est certainement, en plus de toutes les significations qu’on donne à l’événement en le plaçant dans un flux transnational de réaction antiSystème, un signe de l’effondrement de UK dans sa formule de complet asservissement aux USA ; pour être plus positif, disons également un signe d’une réaction, ou d’une tentative contre cet effondrement en en contestant radicalement la cause.)

... Mais venons-en à nous avions de combat en citant une partie du texte de Majumbar (The National Interest, 23 octobre), en fait ses quatre paragraphes de conclusion. (On notera que le titre et le sous-titre du texte repris par Russia Insider, le 26 octobre, disent tout à l’égard du sujet qui nous importe : « Only Three Nations in the World Can Build a Modern Jet Fighter on Their Own – They're Russia, US and France. All other powers need help or cooperation of others – or have to settle for inferior technology », – et imaginez la mine du Britannique, Typhoon en bandouillère en attendant le JSF.)

 « If a nation does choose to develop an indigenous fighter with outside help from Russia, France or the other Europeans, that nation has to be aware that—like the United States—those powers are not going to share the crown jewels of their technology. While the French, Russians and rest of the Europeans are somewhat more generous in terms of technology transfer—they generally have to be in order to compete with the United States. But even then—Dassault, for example, will not just hand over the keys to the kingdom to India or anyone else.

» The other option is to try and reinvent the wheel and develop a fighter from scratch. It’s a fool’s errand. Very few nations on Earth save for the United States, Russia, France and the Chinese—to an extent—have the capability to develop a completely indigenous fighter from the ground up. Developing the subsystems independently—particularly the engines—from scratch is an endeavor that can break the bank. The French Rafale is a prime example of this phenomenon.

» Developing a new fighter taxes even the most powerful nations on Earth to the limit—with the exception of the Chinese who steal most of their technology from Russia and others. Even if a nation is willing to bear the crushing expense—most often indigenous subsystems end up being extremely expensive and grossly inferior to imported components. The Indians discovered that the hard way with their Tejas—which ironically had to replace most of those domestic subsystems with foreign imports.

» The bottom line is that a country that doesn’t have a domestic military aircraft industry would be foolish to invest in the development of its own indigenous jets—not if that nation’s leadership cares even slightly about their taxpayers. It’s just not worth the price and there is little return on investment. At the end of the day, developing an indigenous fighter would be a vanity project rather than a military necessity for the overwhelming majority of countries. »

On notera que l’article ne porte pas sur cette classification, mais sur la  question des exportations et des transferts de technologies aux acheteurs. L’auteur explique, fort justement, que les pays vendeurs de produits de très hautes technologies à des acheteurs qui n’en sont évidemment pas dotés, ne transfèrent jamais les plus hautes technologies, ou disons les technologies qui sont du domaine des demi-dieux et constituent le verrou, la clef de l’accès à la production autonome de telles machines. Ce n’est qu’en passant, – mais justement, comme naturellement, comme allant de soi, et donc de façon bien plus convaincante, – qu’il cite les trois pays (France, Russie, USA, avec l’appendice chinois qui reste en suspens pour l’instant) disposant de toutes les clefs du royaume suprême de la “production autonome de telles machines”, et seuls en leur royaume puisqu’ils ne donneront pas ces clefs. Jamais vous n’auriez lu une telle précision “en passant” dans aucun article sérieux UK/USA sur l’aéronautique militaires il y a quinze ans, dix ans ou même cinq ans. On notera également que la Russie est désormais regardée comme membres incontestée de ce royaume des demi-dieux, de ce triumvirat technologique, – et là, les évènements militaires et politiques de ces deux dernières années n’y sont pas pour rien.

Bien entendu, on ne peut en rester là, car cette classification que nous jugeons révolutionnaire pour une publication américaniste-Système et sous la plume d’un spécialiste du genre, doit s’accompagner d’un commentaire politique, sinon métahistorique pour sa signification profonde. La présence de la Russie, on l’a déjà vu, est relativement nouvelle et ressort de l’affirmation nouvelle et tonitruante de cette pays, dans les trois dernières années correspondant à une dimension nouvelle de la politique russe, et nous dirions jusqu’à sa dimension spirituelle en plus de la quincaillerie mise à l’épreuve du monde plongé dans le désordre de ses conflits incertains et cruels. Pour les USA, sa présence n’est certes pas étonnante puisqu’elle fut constante à cet égard, mais elle souffre désormais d’une terrible hypothèque : à quoi sert-il d’être un des trois demi-dieux de la technologie militaire, notamment dans ce domaine de l’avion de combat, si cette “excellence technologique” s’est transformée en “pathologie hyper-technologique” et produit désormais des monstres porteurs certes de toutes les technologies avancées mais qui ressemblent de moins en moins à des avions de combat, et de plus en plus à des artefacts du type-Frankenstein, incapables d’accomplir ce pour quoi ils sont faits, emprisonnant ses producteurs dans l’impuissance et la paralysie, et éventuellement dans la banqueroute ? Si vous pensez au JSF, alias F-35, nous ne vous en feront nul grief.

Quant à la France qui est ici le centre de notre propos, c’est “la France étant ce qu’elle est” dans sa version la plus attristante. On connaît l’état lamentable de la situation politique, structurelle, psychologique de ce pays dont Maistre disait en 1796 « La France exerce sur l’Europe une véritable magistrature, qu’il serait inutile de contester... », puis terminant cette phrase d’une façon qui convient si bien aujourd’hui : «...dont elle a abusé de la manière la plus coupable ». Simplement, la résilience de sa puissance souveraine venue de son passé qui s’en remettait à un avenir qu’elle jugeait à la hauteur de ses croyances avant qu’elle ne se perdît dans la vaine tentative d’un hybris postmoderne attaché à se forger un futur qui ressemblât aux phantasmes idéologisées de ses élites-Système, la France donc maintient sans vraiment le savoir quelques domaines dans un état également souverain. C’est le cas des avions de combat où, désormais, le système de la communication lui reconnaît toute sa valeur. Le paradoxe est que cette survivance du domaine souverain et principiel se fait pour une matière, – le technologisme, – qui est porteuse d’une constante attaque du Système contre toutes les matières principielles. Dans cette époque de si grand désordre, le paradoxe et la contradiction sont partout ; seul le fondement principiel, même s'il est à un mauvais propos, survit dans la tempête.

 

Mis en ligne le 28 octobre 2015 à 11H53