L’axe crisique du monde

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L’axe crisique du monde

10 janvier 2019 – Nous partons pour ce commentaire d’une analyse de l’ancien parlementaire britannique George Galloway, dissident notoire et affiché, notamment depuis l’invasion US de l’Irak de 2003. Présentateur et animateur de TV, auteur de documentaires filmés, Galloway reste très actif dans l’analyse politique écrite, et il s’agit ici d’un de ses plus récents textes de cette sorte, – publié sur RT.com le 9 janvier 2019, – qui considère l’état de ce que nous nommons le bloc-BAO, au travers de ce que nous serions conduits à identifier comme son “axe crisique”, reflétant en cela l’analyse de Galloway : l’“axe” Washington-Londres-Paris, plongé dans une crise profonde par le biais de trois crises intérieures parallèles...

« Malgré le vacarme fait autour des apparences que se donne l’OTAN en pleine activité de désinformation, le cœur vibrant de l’Empire entre dans l’année 2019 dans un état de complet chaos

» Washington, Londres et Paris – les trois capitales de l’Empire, – sont effectivement aujourd’hui hors de tout contrôle gouvernemental, dans un état complet de paralysie, chancelant au bord de l’effondrement ou complètement assiégés par leur propre population... »

Galloway passe ensuite en revue les situations internes des trois pays, les “trois piliers de l’Empire” si l’on suit son rangement, et il a fort peu de peine à nous montrer effectivement l’état complet de chaos où ils se trouvent.

• Les USA sont actuellement dans une situation de cessation complète des activités courantes du gouvernement (shutdown) pour ce qui concerne ses interventions financières habituelles auprès de la population, des travaux courants, de son fonctionnement administratif hors des fonctions internes essentielles de sécurité. Cette mesure, décidée par le président Trump, constitue un bras de levier pour peser sur le Congrès, pour obtenir du pouvoir législatif l’autorisation de financement pour la construction du fameux “mur” à la frontière mexicaine des États-Unis. L’une des possibilités pour Trump est la proclamation de l’état d’urgence lui permettant de prendre des mesures discrétionnaires sans l’aval du Congrès.

... Le  Congrès, justement, tourne pour l’instant autour de l’activisme forcené de la nouvelle Chambre des Représentants à majorité nouvellement démocrate, et pleine de projets plus révolutionnaires les uns que les autres. L’hypothèse de la procédure de destitution est plus que jamais agitée de diverses façons. L’enquête du procureur spécial Mueller (Russiagate) dont on annonce chaque jour le bouclage dans un tohu bohu de révélations extraordinaires, continue à jouer son rôle d’épouvantail.

Ainsi Trump menace-t-il chaque jour de s’effondrer, ainsi Trump résiste malgré tout au milieu du chaos que sa présence suscite : « Personne ne sait si le président Trump restera encore longtemps et la plus petite considération d’opinion sur celui qui serait son successeur en cas de départ, – le vice-président Mike Pence, – rappelle la fameuse photo du président Nixon avec son vice-président, Spiro Agnew, à ses côtés. La bulle satirique qui avait été rajoutée faisait dire à Nixon “Personne ne me tirera dessus avec ce type-là comme successeur si je meurs”. »

• Moins spectaculaire, –  quoiqu’une grande manifestation soit prévue à Londres ce week-end, – la situation britannique n’en est pas moins accablante, selon Galloway. L’extraordinaire marigot politique qu’est devenu leBrexit fait découvrir un état de faits inimaginable : l’espèce d’impossibilité organique où se trouve le Royaume-Uni, – comme tout pays de l’UE, au reste, – de sortir de cette institution monstrueuse et tentaculaire qu’est l’Union. Il n’y a là ni complot, ni même  bataille, mais une situation de fait, effectivement bien illustrée par des images telles que “marigot”, “sables mouvants”, “univers tentaculaire”, etc. L’on se trouve au point où des pans entiers de la bureaucratie britannique sont incapables de retrouver des réflexes souverains, de reprendre en mains leurs propres compétences, tant ils s’en sont remis à l’organisation monstrueuse de l’UE, – que nous baptisions justement des noms plus que jamais mérités d’Orque ou de Mordor à propos de la crise grecque.

Ces diverses remarques nous ont été faites par une source qui a trente d’expérience de travail au sein de l’UE et qui, découvre, horrifiée, cet état de fait que les fonctionnaires européens eux-mêmes ignoraient. Il s’agit là d’une entité monstrueuse, mi-Gorgone, mi-Égrégore, qui ne peut se ramener à quelques personnes, d’ailleurs d’un calibre extraordinairement médiocre (Juncker et ses canettes de bière, Merkel et la “sottise du diable”, etc.) : « On est conduit, disions-nous à cette source, à conclure que la seule solution est la destruction : l’UE doit avoir ses Gilets-Jaunes... »

En attendant, Galloway nous décrit la situation de cette manière : « À Londres, la première ministre britannique, Theresa May, est une sorte de zombie qui continue à marcher mécaniquement. La sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne reste dans un état de complète incertitude à 80 jours seulement de la date-butoir. La violence à l'extérieur du Parlement a commencé à éclater, aucune faction ne pouvant prétendre imposer une position majoritaire. Une élection ne peut être organisée car son résultat le plus probable serait l'élection du vétéran anti-impérialiste Corbyn que “l’État profond” verrait plus tôt en état d’arrestation (aux côtés de l’auteur de cet article, selon le centre Integrity Initiative [NDLR : organisme de dénonciation et de désinformation du Système]).

» Le Brexit seulement de nom, – plus connu comme “le deal de Theresa May”, – ne peut pas être adopté à la Chambre des communes la semaine prochaine, compte tenu de l'opposition du parti travailliste ainsi que d’au moins 50 députés conservateurs et des 10 membres des partenaires de la coalition, le DUP.

» Une troisième option, un nouveau référendum, risque que se reproduise le même scénario (mais presque entièrement passé sous silence ici) que celui qu’on voit dans les rues de Paris et des autres villes françaises. Défier le résultat du premier référendum, tromper 17,4 millions de personnes à propos de ce pour quoi elles ont voté, c’est prendre le risque de désintégrer la paix sociale en Angleterre. Les millions de partisans du Brexit font partie des Britanniques qui n’ont plus rien à perdre. »

• Paris, la France et ses GJ enfin. Le monde commence à s’habituer à la crise française, qui est désormais une référence de première importance et de grande vertu crisique, qui réinstalle vraiment la France dans le lot des pays qui sont des indicateurs extrêmement importants de la situation du Système. Galloway ne nous en apprend pas vraiment, sinon qu’on a tendance, hors les murs, à dramatiser la situation française, – mais est-ce si irréaliste, après tout, tant il est vrai qu’on ne prête qu’aux riches ?

« En France, l’Élysée est devenu la Bastille de Macron. Il n’est plus du tout inconcevable que ce palais soit investi au cours d’une manifestation.

» Le week-end dernier, son propre porte-parole a dû passer clandestinement par la porte de derrière après qu’un véhicule de chantier détourné par des manifestants ait défoncé la porte de son ministère. Les conditions mêmes que Macron a aidé à installer à Damas et que l’aide de la France a effectivement contribué à installer à Kiev menacent de bouleverser les bases mêmes de la République française. »

• La conclusion de Galloway, puisqu’il a lui-même établi l’idée de “l’axe crisique” est claire : “le centre ne peut plus tenir”... Ce qui se traduit de cette façon, avec l’annonce d’une extension du domaine de la lutte grâce aux possibles Gilets-Yellow de Londres : 

« Samedi, une gigantesque manifestation se déroulera à Londres, faisant écho aux mêmes exigences anti-austérité à l'égard du gouvernement britannique que celles que les Gilets jaunes font à Macron. Le centre ne pourra plus tenir très longtemps.

» Le vieil ordre est en train de mourir ; le nouveau ne peut encore naître [de quelque chose]. Si nous ne faisons pas attention, nous vivrons bientôt au temps des monstres. »

L’avant dernière phrase de Galloway (« Le vieil ordre est en train de mourir ; le nouveau ne peut encore naître [de quelque chose] ») est difficile à traduire, avec “to be born” (“naître de quelqu’un”) et non “to born” (“naître”) : « The old order is dying ; the new one cannot be born. » Mais dans l’esprit de la chose, nous semble-t-il, le constat rejoint celui de Karine Bechet-Golovko (le “temps des troubles” devenant “le temps des monstres”, ce qui se conçoit aisément et se comprend aussi vite) : « Il y a de fortes chances pour que nous entrions ainsi dans une “période des troubles”avec un système idéologique assez fort pour ne pas tomber, mais trop faible pour convaincre ; une contestation montante assez forte pour le mettre à mal, mais trop faible pour le remplacer. »

... Au reste, “troubles” ou “monstres”, par exemple avec ce dont nous accouche le féminisme, il semble bien que nous y soyons d’ores et déjà.

Le “déchaînement de la Matière”

Ce qui nous intéresse surtout dans ce commentaire de Galloway, homme d’expérience qui n’est en rien retenu par les habituelles contraintes du caractère et des mœurs politiques britanniques, c’est au fond son  rangement, exposé dès le début, avec ses “trois capitales” : « Washington, Londres et Paris – les trois capitales de l’Empire, – sont effectivement aujourd’hui hors de tout contrôle gouvernemental, dans un état complet de paralysie, chancelant au bord de l’effondrement ou complètement assiégés par leur propre population... »

Les “trois capitales de l’Empire” ? (Étant entendu que, par “Empire”, il faut entendre le bloc-BAO, alias la civilisation occidentale... Alias, le Système ?) Si le choix de Washington et de Londres se défend un peu de lui-même dans cet univers-Système anglo-saxonisé et américanisé jusqu’à la nausée, celui de Paris est plus complexe, outre l’argument de “la circonstance” (la révolte des GJ en France, à ce moment précis). Mais justement, la “circonstance” n’est-elle pas, au contraire, la justification du choix ? Il est vrai que “D.C.-la-folle” est entré dans une situation de paroxysme-du-paroxysme, – du paroxysme qu’est la présidence Trump, ou disons le “tourbillon crisique-Trump” depuis son apparition comme candidat des présidentielles-2016, en juin 2015 ; il est vrai que Londres arrive au terme du calvaire de l’opérationnalisation du Brexit, avec la possibilité/probabilité d’une impasse sans précédent pour la direction britannique, et pour la classe dirigeante dans son ensemble. On serait donc en droit d’observer que les “circonstances” (les événements, si vous voulez) ne sont que les arrangements de l’intendance événementielle pour une conjonction exceptionnelle voulue par les dieux

(Les dieux : « L’intendance suivra » ; et Ils comptent bien, les dieux, qu’elle fera en sorte que les trois planètes, – Washington, Londres, Paris, – soient alignées selon une ligne spatio-temporelle parfaite.)

Le cas français a-t-il sa place dans cette galère ? Pendant quinze ans, – disons, pour le panache, depuis le discours de Villepin à l’ONU en février 2003, – la France a disparu ; elle n’existait plus, zappée, perdue dans l’immensité du cosmos des illusions-perdues. Et puis, voilà qu’apparaît un extra-terrestre de poche, un mini-détonateur, un Jupiter vertical aux talons hauts, qui enchaîne absolument bêtise sur bêtise, comme dans une sorte de béatitude infini, jusqu’à enfin réveiller la Belle-au-Bois-Dormant. Ainsi la France existe-t-elle à nouveau, elle reprend sa place dans une sorte de crise absolument nouvelle, inédite, sans comparaison avec rien, qui rend hystériques et maniaco-dépressifs la plupart des commentateurs de la presseSystème qui ne cessent de parler des GJ pour les haïr et les honnir,  fulminer contre eux, vomir de dégoût rien qu’à la couleur, et ainsi leur donner une place inimaginable de puissance dans la communication qui est notre reine à tous.

Alors bon et oui, Paris est à sa place dans l’axe crisique, une des “trois capitales de l’Empire”... Ce qui, incontestablement, nous rappelle quelque chose. 

Washington, Londres et Paris, ce sont les trois acteurs de notre fameuse thèse du “déchaînement de la Matière”. (Est-ce bien fameux, d’ailleurs ? Silence assourdissant.) Il s’agit d’un des premiers sujets du Glossaire.dde (voir le 5 novembre 2012), largement utilisé dans nombre de nos textes, extrêmement présent dans La Grâce de l’Histoire (notamment le Tome-I). L’événement “déchaînement de la Matière” implique effectivement

• les États-Unis à leur fondation (1776), avec la “révolution de l’américanisme” ;

• l’Angleterre et son rôle central dans “la révolution du choix de la thermodynamique” (l’industrialisation de la machine à vapeur étant symboliquement fixée à 1784, et la généralisation du concept étant symboliquement défini par cette phrase de 1824 d’un obscur H. Gouhier qui remplit Stendhal d’horreur : « Les Lumières, c’est désormais l’industrie ») ;

• la France et son rôle évident avec la très-grande Révolution française de l’immortelle année-1789.

Les trois événements ou éléments à la jointure XVIIIème-XIXème siècles, figurent une accélération irrésistible de la modernité et du Progrès, du technologisme et de la communication devenant communicationnisme, de la destruction environnementale et sociale, de l’organisation en systèmes sous l’aile noire du Système... Nous décrivons rapidement leur intégration et leur agencement de la façon suivante :

« Les “trois Révolutions” pourraient, si l’on veut, représenter les acteurs du jeu si ancien, dit “Pierre-feuille-ciseaux”, mais sans aucune rivalité entre eux, au contraire dans un esprit de complète complémentarité, temporairement ou substantiellement c’est selon, pour le but ultime de la conquête (de l’époque, de la Civilisation, du Temps, du Monde). La “révolution américaniste”, par son activation des outils sophistiqués du “déchaînement de la Matière”, est représentée par la feuille qui entoure, étouffe, étrangle, trompe et convainc ; la “Révolution française” représente les ciseaux qui tranchent, et ainsi effectue-t-elle la percée du choc en installant le métal tranchant et la dynamique révolutionnaire sur le théâtre du monde ; la “révolution du choix de la thermodynamique” est représentée par la pierre, qui symbolise les matériaux fondamentaux, l’univers ainsi offert au sein duquel va se jouer le drame. Il s’agit de la ruse faussaire qui trompe son monde ; de la force du choc qui brise son monde ; de la lourdeur inaltérable chargée des flammes des entrailles du monde, qui offre son monde nouveau. »

Ainsi retrouvons-nous dans le rangement de Galloway le même alignement des “trois capitales de l’Empire”qui participèrent à l’événement sans qu’on puisse, et très loin de là, les rendre responsables en tout, ni même présenter à l’occasion de l’événement une seule face sombre ; au contraire, chacun des acteurs ayant, comme dans toute activité humaine, une face sombre et une face lumineuse, ce qui fut d’ailleurs évident dans leurs rapports respectifs. (Par exemple, dans La Grâce Tome-I et dans divers articles, il est très largement montré le rôle d’influence que joua la France dans l’histoire des États-Unis, et comment elle fut la référence constante des “Américains”-dissidents contre l’“américanisme”, – d’où l’importance essentielle de Paris pour les écrivains américains, et en général pour les artistes américains.)

La logique est respecté : si le “déchaînement de la Matière” s’est fait, volens nolens, par le truchement des trois, il est logique d’attendre que les trois produisent le désordre et les catastrophes qui vont accélérer, comme dans une sorte de spasme d’autodestruction, la Grande Crise d’Effondrement du Système, – du Système né justement du “déchaînement de la Matière”. La révolution, comme l’on dit d’un astre sur orbite et bouclant son orbite, sera donc bouclée avec la dévoration gloutonne d’elle-même par elle-même, stade suprême et sublime de la formule surpuissance-autodestruction.