Le bal des Patriot

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Le bal des Patriot

Le New York Times a soulevé un beau lièvre en se livrant à une enquête fouillée avec appel à des scientifiques et même à des sources dans les réseaux, où le quotidien new yorkais, la vertueuse et respectée “Grey Lady”, montre que l’“exploit” remarquable des Patriot US vendus à l’Arabie serait simplement un produit de la logique déterministe-narrativiste, sinon un montage pur et simple. L’annonce était que ces fameux missiles avaient, le 4 novembre dernier, abattu un méchant mais très vénérable Scud, – en fait une version du Scud sans doute d’origine iranienne, nommée Burqan-2, – tiré par les rebelles Houthis du Yémen, et qui visait l’aéroport de Ryad. Trump en avait fait des gorges chaudes, bien dans sa manière bombastique : « Notre système a mis complètement KO leur missile. [...] Voilà comment nous sommes si bons... Personne ne fait ce que nous fabriquons, et maintenant nous le vendons partout dans le monde. »

Voire... Voici ce qu’en dit ZeroHedge.com ce 5 décembre 2017 (divers spécialistes consultés pour cette étude sont nommés) :

« Une nouvelle étude du New York Times suggère que le système de défense de pointe de l'Arabie saoudite n'a pas réussi à intercepter le missile balistique tiré par les rebelles Houthis du Yémen qui a failli heurter l'aéroport international de Riyad le 4 novembre. Le rapport contredit les affirmations officielles des gouvernements saoudien et américain, qui ont tous deux annoncé immédiatement après l'incident que le système de défense antimissile Patriot fourni par les Etats-Unis avait réussi à intercepter le Scud des Houthis.

L'analyse, qui utilisait du matériel open-source sous forme de photos vidéo et de médias sociaux disponibles après les attentats, a été menée par une équipe d'experts en missiles, et menace d'ébranler la confiance dans le système américain, actuellement mis en œuvre par Alliés américains dans le monde entier, de la Corée du Sud et de Taiwan à la Turquie, Israël et le Japon, entre autres.

Le président Trump lui-même avait annoncé à bord d'Air Force One le jour suivant l'attaque : “Notre système a mis complètement KO leur  missile.” Trump a également souligné l’importance d’une pareille démonstration d’un succès opérationnel, pour conclure : “Voilà comment nous sommes si bons... Personne ne fait ce que nous fabriquons, et maintenant nous le vendons partout dans le monde.” [...]

» Alors que les Houthis ont manqué leur cible, a dit M. Lewis, ils se sont suffisamment rapprochés d’elle pour montrer que leurs missiles peuvent l'atteindre et échapper aux défenses saoudiennes. ”Un kilomètre est un taux d'erreur normal pour un Scud”, a-t-il déclaré. “Ces Houthis ont raté de peu un coup dévastateur sur cet aéroport.” Une scientifique cité dans le rapport, Laura Grego, a noté qu'il est extrêmement significatif que les Saoudiens aient tiré cinq fois sur le missile entrant et l'aient raté. “Vous tirez cinq fois sur ce missile et ils le manquent tous, c’est consternant”, a-t-elle dit. “C’est consternant parce que ce système est supposé fonctionner”.

» Bien que le gouvernement saoudien n'ait pas répondu au rapport et qu’il ne fera probablement aucun commentaire sur les conclusions, il sera intéressant d’analyser la performance du système Patriot lors de la prochaine incursion. Alors que les combats continuent de s'intensifier au Yémen voisin, ce n'est probablement qu’une question de temps. »

Il est bon de rappeler que le Patriot est coutumier du fait, et constamment l’objet de polémiques sur ses performances lors d’engagements opérationnels. On peut se reporter à des rapports anciens mais déjà significatifs à cet égard, trois textes qui contestent radicalement les performances du Patriot durant la guerre du Golfe, et notamment dans la défense d’Israël contre le tirs de Scud irakiens (voir le 23 avril 2003) ; et ces trois textes évoquant chacun à sa façon les diverses manœuvre de communication réalisées pour au contraire montrer une image d’une très efficace technologie de défense, une véritable technologie humanitariste et imparable à la fois comme l’américanisme en raffole pour son image de communication.

Un texte de WSWS.org du 7 février 2003 rapporte un épisode fameux, que l’on a par ailleurs entendu décrit par le ministre israélien de la défense d’alors Moshe Arens, où Arens rencontrant Bush père se permit de contester devant lui le succès des Patriot durant la première guerre du Golfe (1990-1991) avant d’être vertement remis à sa place par le président. Alors que Raytheon affirmait un succès considérable dans l’interception de nuées de Scud qu’on imaginait tirés par centaines, Arens estimait lors de cette interview que le taux de réussite de 20% des Patriot officieusement avancé par les Israéliens pour les tirs contre Israël était encore plus bas. En fait, Arens parlait tout simplement d’aucun Scud détruit par les Patriot, soit un taux de réussite de 0%, les tirs irakiens se résumant aux 39 Scud qui touchèrent Israël en 1991...

Accompagné par les médias, le président Bush père s’était rendu [pendant sa campagne électorale pour un deuxième mandat] à l’usine où les missiles Patriot sont, l’usine de Raytheon à Lexington, Massachusetts, pour féliciter publiquement les employés assemblés. ”C'est grâce aux patriotes présents ici que le Patriot a obtenu un tel succès”. Il est maintenant clair à partir du programme [télévisé canadien] “The Fifth Estate” que cette déclaration était purement et simplement un mensonge dit sciemment. Juste avant son arrivée à l'usine de Raytheon, [Bush] avait reçu une visite urgente du ministre israélien de la Défense Moshe Arens, qui l’avait averti qu’Israël était sur le point d'entrer en guerre contre l’Irak parce que les missiles Patriot s'étaient révélés complètement inefficaces.

Interviewé par The Fifth Estate, Arens avait déclaré à Bush que, au mieux, les Patriotes avaient intercepté 20% des Scuds, un chiffre qui s'est vite avéré généreux. Bush cherchait désespérément à prévenir la menace israélienne, qui aurait pu enflammer le Moyen-Orient. Il avait demandé l’intervention des responsables du Pentagone, y compris le secrétaire à la Défense Richard Cheney, qui avait insisté à son tour sur le fait que l'armée américaine avait des preuves fiables du taux de réussite de 100% des Patriot

Mais au moment de la fin de la guerre de 40 jours [du début 1991], 39 Scuds irakiens avaient frappé le territoire israélien, tuant deux personnes et en blessant des centaines, malgré les tirs incessants de batteries Patriot opérées par les Etats-Unis près de Tel-Aviv. Les soldats américains furent également des victimes de la manipulation autour de l’efficacité des Patriotes. Dans l'incident le plus grave, 28 furent tués lorsqu’un Scud touche de plein fouet un campement en Arabie Saoudite. Conduisant leurs propres enquêtes, les Israéliens ont rapidement établi que les missiles Patriot n’avaient probablement intercepté aucun Scud... »

Bien entendu, ces déficiences du Patriot en 1991 furent enterrées, soit par le silence et la censure-soft, soit par la simple corruption habituelle, vénale et psychologique. Les Israéliens eux-mêmes, comme le montre un des trois textes référencés (Defense News, 7 février 2003), participèrent à l’opération de réhabilitation de la bestiole pour ne pas faire subir de chaos inopportun à l’énorme aide financière qu’ils reçoivent des USA, avec la condition d’acheter essentiellement de l’armement US...

(On notera tout de même que, question défense aérienne, cruciale dans le cas d’Israël dont le territoire est extrêmement exigu, les Israéliens ont préféré développer leur propre système de défense, le Arrow, avec des missiles dans un vaste système de surveillance et de conduite de tir représenté sous la forme d’un dôme impénétrable. Ils l’ont fait malgré les pressions constantes et parfois brutales de Raytheon et du Pentagone pour en rester au sublime Patriot.)

On dira que Raytheon a eu le temps d’améliorer son Patriot qui s’est répandu en un nombre imposant de versions. Peut-être pour l’électronique de base, modernisée, très-très coûteuse et développant tous les aspects du modèle initial mais sans doute rien de bien sérieux qui modifierait les limitations et les vices fondamentaux du Système. L’enquête du NYT semble bien suggérer que les choses ont été dans ce sens depuis les belles années 1990-1991.

L’explication est assez simple et relève de la communication. A notre estime, WSWS.org a tort lorsqu’il dit que Bush père mentait à Arens lorsqu’il lui affirma, sur un ton cassant selon le ministre, que les Israéliens se trompaient et que le Patriot avait un taux de réussite exceptionnel. Il le croyait vraiment puisqu’on le lui avait dit, et la plupart des canaux de communication, que ce soit de l’U.S. Army ou de Raytheon, le croyaient également puisque cette narrative était la seule autorisée et qu’elle était véhiculée partout. Si bien, tout cela, qu’à notre sens la narrative a de plus en plus écrasé et enterré la vérité-de-situation, et que le Patriot est jugé comme extraordinairement efficace par ses constructeurs et ses utilisateurs, donc sans nécessité de chercher des vices fondamentaux. Les essais de validité des différentes versions sont bidouillés et trafiqués comme à l’ordinaire et lorsque le missile ne marche pas du tout opérationnellement, comme peut-être avec l’affaire saoudienne, on monte une version correspondant à la narrative, dans laquelle on apprend, rassurés, que tout s’est passé comme sur des roulettes.

• Un autre front des missiles, c’est celui des attaques israéliennes qui se multiplient contre des objectifs en Syrie. Désormais, il semblerait qu’on doive compter un certain pourcentage de missiles israéliens abattus ; le site DEBKAFiles lui-même, très proches des services de renseignement israéliens, s’en fait l’écho sans citer des sources qui lui soient propres mais sans mettre en doute l’information.

« Des médias étrangers rapportent que lundi soir, 4 décembre, des avions israéliens ont attaqué un “centre de recherche scientifique” à Jamraya, dans la banlieue de Damas. Selon des sources libanaises, Israël a tiré six missiles, dont trois ont été interceptés par le système de défense aérienne de la Syrie. Ce serait le deuxième raid aérien israélien en trois jours d'une cible militaire dans la région de Damas. Samedi dernier, des avions israéliens ont attaqué une conférence secrète de chefs de milices chiites pro-iraniens à l'extérieur d'Al-Kiswah, à 14 km au sud-ouest de Damas et à 50 km de la frontière israélienne du Golan. Certains officiers iraniens et du Hezbollah ont également été tués dans cette attaque. »

En plus de ce qu’annonce ce texte de DEBKAFiles, il faut signaler la probabilité d’une autre attaque, le 2 décembre, selon le rapport qu’en donne Spoutnik-français (« Le 2 décembre, plusieurs médias arabes ont annoncé que des missiles israéliens avaient visé une position militaire près de Damas, mais l'armée syrienne les avait également interceptés. »)

Dans tous les cas, aucune précision n’est donnée sur les conditions et le matériel utilisés, y compris et surtout s’il y a eu intervention active des Russes. Quoi qu’il en soit, on remarque à la fois l’augmentation du rythme et du nombre des attaques israéliennes, autant que la montée graduelle de la riposte syrienne qui a un certain impact, notamment sur les missiles israéliens. Dans tous les cas, la défense antiaérienne syrienne, beaucoup moins “sophistiquée” que celle de l’Arabie s’il n’y a pas intervention russe mais néanmoins constituée de systèmes russes moins modernes, paraît plus efficace que celle de l’Arabie. Il est en train de se former dans ces divers épisodes une nouvelle forme de conflit, où les missiles tiennent une place très importante, avec tout ce qui s’y rattache en termes d’influence, de prestige, et d’arguments économiques de ventes à l’exportation.

 

Mis en ligne le 05 décembre 2017 à 18H14