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1199La première place surprise de François Fillon au premier tour de la primaire Les Républicains, et sa très probable désignation comme candidat du parti dimanche prochain, démontrent que bien des Français sont prêts à changer rapidement d'opinion pour passer des messages ou pour éliminer des politiciens déconsidérés.
Et si le premier tour de la présidentielle de 2017 révélait une surprise analogue, cette fois-ci à gauche ?
A peine passée la surprise de la première place de François Fillon au premier tour de la primaire LR, en position extrêmement favorable pour l’emporter le 27 novembre avec 44% des voix et le soutien affirmé de Nicolas Sarkozy qui en avait rassemblé sur son nom 20%, la conclusion qui s’impose apparemment est prise comme base de travail sans plus de doute : si Fillon confirme, c’est bien évidemment lui que le second tour de la présidentielle 2017 opposera à Marine Le Pen du Front National.
Les arguments pour cette conclusion sont extrêmement forts. Ne s’agit-il pas du résultat de tous les sondages ? L’affiche du second tour n’est-elle pas nécessairement un affrontement LR – FN… tout aussi nécessairement que l’affiche obligée du second tour de la primaire LR était évidemment Sarkozy – Juppé ?
Non seulement l’ironie est de mise devant toute prétention d’affirmer cinq mois à l’avance qu’une élection serait déjà jouée, mais les Français viennent de démontrer avec éclat que même dans les toutes dernières semaines, ils sont capables de réévaluer leurs options et de changer leurs choix.
Certes, l’ancien premier ministre de Nicolas Sarkozy a su habilement prendre des positions clairement à droite, voire émettre des signaux au bon moment pour donner l’image de quelqu’un qui partage les préoccupations de nombre de Français concernant l’islamisme djihadiste – publication d’un livre de circonstance au titre vigoureux, Vaincre le totalitarisme islamique – ainsi que le refus de l’adoption plénière aux couples homosexuels exprimé par la Manif pour tous.
Il est cependant difficile d’attribuer un tel mouvement en sa faveur à ces seuls facteurs, si on se rappelle que les programmes économiques des différents candidats à la primaire n’étaient que des variations très limitées autour de leitmotive communs, soit un alignement poussé sur les réformes exigées de Paris par l’Union européenne, et en matière institutionnelle et diplomatique le maintien de la dépendance envers la superstructure européenne dans laquelle l’approbation du traité de Lisbonne a placé la France. D’autant plus que même s’agissant de la lutte contre le djihadisme ou de la question de l’adoption par des couples homosexuels, les différences entre les candidats à la primaire ne doivent pas être exagérées. Un mouvement d’opinion qui quadruple en trois semaines le score prévisionnel d’un candidat est difficile à attribuer à la simple étude de petites différences de détail ou de style entre ce candidat et les autres.
Ce mouvement s’explique en revanche aisément si l’on fait la seule hypothèse qu’au-delà du désir de tourner la page Sarkozy, une grande partie de l’électorat de droite partageait aussi le désir de se détourner d’Alain Juppé. Il est alors tout naturel qu’à partir du moment où la simple possibilité de la présence au second tour de quelqu’un d’autre que ces deux-là semblait s’ouvrir – car les études d’opinion montraient un frémissement, et sans doute tout électeur peut ajuster ses choix en fonction de ce que prévoient les sondages – c’est un véritable cercle vertueux qui se soit enclenché au profit de ce « troisième homme » au point non seulement de le propulser au second tour, mais de le placer en très bonne place pour remporter haut la main la primaire.
Les motivations pour refuser et l’ancien président de la République, et le premier ministre de Jacques Chirac, ne sont guère difficiles à deviner. Beaucoup plus que leur longue présence dans la vie publique française – c’est aussi après tout le cas de François Fillon, premier ministre de Nicolas Sarkozy – c’est tout simplement la question de la probité.
Nicolas Sarkozy, jamais condamné, et pourtant si souvent cité, n’était de ce point de vue pas à présenter. Il est vrai que sans casseroles, on campagne beaucoup plus léger…
Alain Juppé quant à lui, accusé en 1995 d’utiliser l’argent public pour rénover à grands frais un appartement appartenant à la ville de Paris dans lequel il faisait loger son fils à prix d’ami, a été condamné en 2004 dans l’affaire des emplois fictifs pour avoir selon les attendus du jugement « trompé la confiance du peuple souverain » en détournant l’argent public au profit d’un parti politique. Condamné en appel à une peine légère de seulement une année d’inéligibilité et quatorze mois de prison avec sursis, sachant, comme disait le regretté Coluche, que « sursis c'est un mec il reste dehors, il y va pas ».
Alain Juppé déclarait lors du débat télévisé du 13 octobre « si les Français estiment que ma faute me disqualifie, ils ne m’éliront pas ». Sauf énorme renversement le 27 novembre, c’est bien ce qui se dessine, en effet.
En cas de nomination de François Fillon, il faut s’attendre à ce que François Bayrou soit lui aussi candidat, comme il l’avait annoncé pour le cas où un autre qu’Alain Juppé représenterait LR. Or cette candidature créera une situation inédite.
Ce seraient en effet pas moins de quatre candidats qui se disputeraient alors l’électorat combiné LR / PS / Centriste, c’est-à-dire l’ensemble des Français qui approuvent ou se résignent à ce que la politique notamment économique du pays soit alignée sur les prescriptions de l’Union européenne, en dépit de leur caractère catastrophique, dont des pays comme Italie, Espagne ou Portugal ont gravement souffert, et la France à ce jour seulement un peu moins.
Fillon, Macron, Bayrou et le candidat PS qu’il s’agisse de Hollande, Valls ou un autre, se partageraient à quatre un gâteau qui fait à peu près 50% de l’électorat.
Cela ouvre au moins la possibilité d'un scénario tout aussi surprenant que l'ont été l’élection de Donald Trump ou le référendum du Brexit. Un scénario à faire s'arracher les cheveux à Madame Merkel, avec la qualification de deux candidats qui seraient non-approuvés par l’UE et la Chancelière...
Un second tour Mélenchon - Le Pen.
La qualification de François Fillon pour le second tour de la présidentielle est en réalité loin d’être assurée. Il reste un certain nombre de gens de gauche dans notre pays, qui ne pourront se satisfaire de candidats défendant en pratique – certes plus ou moins ouvertement – le programme économiquement très libéral exigé par l’UE (1) et reculeront aussi pour la plupart devant l’option d’un vote pour Marine Le Pen.
Il est fort possible qu’eux aussi trouvent un moyen de sortir les plus mauvais, comme les électeurs de droite sont en train de le faire, déjà avec Sarkozy et très certainement bientôt avec Juppé. Leur instrument à eux pourrait s’appeler Jean-Luc Mélenchon.
Il ne s’agit pas de se prononcer sur la probabilité de ce scénario, mais bien de constater qu'il n’a rien d’impossible, à partir de ce raisonnement :
• Si on interprète la percée massive et inattendue de Fillon comme la décision de beaucoup d'électeurs de droite de saisir la possibilité de se débarrasser à la fois de Sarkozy et de Juppé, à partir du moment où la chose a commencé à seulement apparaître possible, c'est-à-dire à partir du moment où il a commencé à monter un peu dans les sondages, d'où boule de neige et montée en flèche, bref un effet miroir entre électeurs et instituts de sondage menant à un point de bascule, comme analysé finement en termes militaires par le colonel Goya.
• Alors on peut se demander si les électeurs de gauche, non pas certes la « gauche » type Macron ou Hollande c’est-à-dire une gauche qui n’en est pas, ne pourraient pas faire le même « coup » que les gens de droite à la primaire LR, c'est-à-dire se servir d'un candidat certes lui aussi intégré depuis belle lurette à ce qu’il est convenu d’appeler les « partis de gouvernement » puisque Mélenchon était déjà ministre d’un gouvernement Jospin, mais apparaissant comme une chance de sortir d'un duel annoncé dont on ne veut pas, pour précisément faire mentir les prévisions et se sortir de ce duel qu'ils refusent. Dans ce cas, bien sûr, pour se sortir du second tour annoncé entre Fillon et Le Pen.
Le choix très probable de François Fillon comme candidat LR fera baisser le seuil, la masse critique à atteindre de gens de gauche se portant sur un même candidat pour pouvoir forcer l'entrée du second tour, simplement parce que l'arc PS-LR, caractérisé par des choix économiques très proches et une insistance d'autant plus grande sur des marqueurs "sociétaux", "catholiques" ou "identitaires" pour distraire le chaland, s'enrichira d'un candidat supplémentaire dispersant les électeurs de cet arc, en la personne de François Bayrou. A considérer l’ensemble des derniers sondages en date, on peut estimer grossièrement ce seuil de 4 à 7 points supplémentaires nécessaires à Jean-Luc Mélenchon pour pouvoir viser le second tour, en fonction des scores que feront Macron et Bayrou aux dépens de Fillon. Sans doute, il y faudrait un mouvement d’opinion, mais d’une dimension qui n’a rien d’invraisemblable, surtout compte tenu de l’enjeu aux yeux de nombreux Français de gauche c’est-à-dire refuser un second tour pour eux inacceptable.
Certes il ne s'agit en tout état de cause que d'un scénario. Il est parfaitement possible par exemple que Mélenchon le fasse échouer, Fillon ayant après tout habilement appliqué la stratégie d'apparaître à la fois clairement de droite, moins agité que Sarkozy, plus consistant que Juppé et plus honnête que tous deux – ce dernier point n’étant pas le plus difficile – tandis que rien ne garantit que Mélenchon fasse preuve d’une habileté comparable. Ou encore, une toute surprise pourrait advenir que la percée d'un candidat de gauche.
Mais les Français, dont une partie vient d’administrer un spectaculaire crochet du droit aux candidats Sarkozy et Juppé, pourraient fort bien décocher l’année prochaine un direct du gauche à la fois au candidat Fillon et aux autres candidats alignés sur l’UE, au bénéfice du candidat de gauche qui aux yeux de beaucoup manque cruellement au second tour. Et ce candidat de gauche ne saurait guère être que Mélenchon.
Quel serait le résultat d’un duel Le Pen – Mélenchon au soir du second tour ? La seule réponse honnête à ce stade est que c’est tout à fait nébuleux. Entre mobilisation de leurs électorats respectifs, et surtout choix de la moitié environ des Français qui actuellement soutiennent de plus ou moins bon cœur l’arc PS-LR entre ceux qui seraient à leurs yeux deux candidats inacceptables, ou encore simplement leur abstention.
Ce qui paraît bien clair, c’est que l’avis de Marion Maréchal-Le Pen comme quoi « (Fillon) est le plus dangereux pour le FN » pourrait bien être prématuré. En réalité, si Mélenchon profitait d’un refus de la gauche de l’opinion d’accepter au second tour deux candidats placés à droite, c’est bien une possibilité réelle de victoire qui se profilerait, à la fois pour Marine Le Pen et pour Jean-Luc Mélenchon.
(1) Programme économique à contre-pied par rapport aux enjeux du jour, et d’ailleurs totalement décalé par rapport aux préoccupations actuelles des pays même qui l’ont inspiré, Grande-Bretagne et Etats-Unis, acceptation ahurie de la dépossession de ses pouvoirs dans laquelle le traité de Lisbonne place notre pays, ainsi que trahison du vote des Français lorsqu’ils ont soutenu l’adoption de ce traité - bref de la constitution européenne refusée en 2005 - sans nouveau référendum.
Le titre est de la rédaction de dedefensa.org. Titre original sur Nœud-Gordien.fr : « Les Français ont décoché une droite avec Fillon, et s'ils cognaient à gauche à la présidentielle ». (L’auteur a lui-même proposé que son article soit repris sur notre site.)
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