Le “Brexit allemand”, ou la dissolution accélérée

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Le “Brexit allemand”, ou la dissolution accélérée

L’origine du proverbe “le poisson pourrit par la tête” se perd, selon certains commentateurs, dans la nuit des temps. Le président Mao en fit si grand usage qu’on affirma qu’il était chinois (le proverbe). L’antique sagesse grecque réclame le droit de l’antériorité, avec son proverbe « Dans le poisson, c'est d'abord la tête qui se gâte ». Quoi qu’il en soit, on comprend ce que l’on veut dire, et l’on comprend également qu’il nous importe de le proposer en ouverture à ce texte qui choisit comme thème celui qui, à notre sens, s’impose de plus en plus : la dissolution accélérée des divers pouvoirs, – les “têtes” en question, – au sein du bloc-BAO pris dans son sens le plus large, associés et copains inclus. Le dernier cas à s’imposer, qui n’est pas des moindres ni la moindre surprise, est celui d’Angela Merkel en Allemagne.

Nous ne résistons pas une seconde à l’attrait du catastrophisme parce qu’il n’est pas un mode de pensée mais d’une façon beaucoup plus logique parce qu’il est devenu un mode de fonctionnement, le modus vivendi du Système désormais. C’est RT-français qui, notamment, nous en donne sa version (texte ci-dessous) en annonçant que le 19 novembre 2017 marque “la plus grave crise politique de l’Allemagne depuis 1945”, – ou, pour être plus juste, le début de “la plus grave crise...”

Quelle que soit l’issue de l’actuelle crise, quel que soit le résultat des efforts faits pour tenter de sauver Merkel (comme l’a annoncé le président allemand), le pouvoir allemand est désormais en lambeaux, d’une fragilité et d’une vulnérabilité considérables, à l’image de la chancelière, éventuellement future ex-chancelière. Hier encore, ou disons il y a deux mois, les analystes-Système s’appuyaient confortablement et triomphalement sur la puissance et la stabilité de l’Allemagne, c’est-à-dire de son pouvoir, pour suggérer de continuer à penser que la puissance du bloc-BAO restait intacte, et l’UE restant malgré tout sur une voie triomphale même si déjà terriblement cabossée et pleine d’affreux cahots. Aujourd’hui, c’est le (la) porte-drapeau de ce triomphe qui est elle-même un de ces cahots cabossés, si bien que la voie triomphale de l’UE pourrait arriver à se composer des seuls cahots et cabossages.

Le texte de RT-français se termine par un rayon d’une lumière d’espoir en suggérant que la chute en piqué de Merkel qui est aujourd’hui dans toutes les perceptions pourrait finalement profiter à la France pour s’imposer comme leader de l’Europe : « Les répercussions sur le couple franco-allemand pourraient compliquer la tâche d'Emmanuel Macron, qui trouvait en Angela Merkel une alliée de poids. Mais elles pourraient également lui permettre d'exercer le leadership européen et d'occuper un espace politique et médiatique désormais dégagé. » Nous serions tentés de dire qu’“on peut toujours rêver” tout en reconnaissant que cette idée ne déplairait pas à un grand président qui serait également un grand Français. Macron est-il celui-là ? Là aussi, on pourrait répéter, comme dans un balbutiement qui est aussi l’indice d’une certaine lucidité, qu’“on peut toujours rêver”.

Le vrai est que cette perspective ne peut être pour nous qu’une hypothèse mineure, quelle que soit notre proximité extrême de la France. Cette position vient de ceci que nous apprécions la possibilité/perspective d’un effondrement possible/probable de Merkel comme un élément d’une dynamique qui transcende toutes les nations, toutes les références rationnelles, toutes les politiques volontaristes si cela existe encore. Cette dynamique, on s’en doute, est directement liée à la Grande Crise d’Effondrement du Système qui s’opérationnalise dans le “tourbillon crisique” réservant désormais une place de choix à cette Allemagne ; celle-là qui, il y a deux ans encore, brandissait le scalp de la Grèce comme la formule de la sauvegarde du monde... Hypothèse mineure pour la France donc ; mais soit, – hypothèse quand même.

Nous placerions beaucoup plus volontiers le sort du pouvoir allemand si bien représenté par Merkel dans ce courant de dissolution qui marque désormais fortement, – et à quelle vitesse, et avec quelle résilience, – quelques-uns des grands centres du bloc-BAO & associés. Pour nous, même si les circonstances sont très différentes, de même que les causes et les effets aux niveaux nationaux, régionaux et même par rapport à la structure globalisée que nous nous sommes imposés, la dynamique est bien similaire. Le sort malheureux d’une dissolution considérable qui touche notamment et parmi d’autres les pouvoirs américaniste, britannique, saoudien, espagnol et aujourd’hui allemand, doit être perçu effectivement comme venu d’une même cause si on les aligne en fonction de la dynamique dont nous parlons plus haut, et dans le mouvement absolument déstructurant et dissolvant du “tourbillon crisique”.

(Mais certes, de même que notre “tourbillon crisique” est décrit comme un artefact antiSystème, la déconstruction et la dissolution qui sont les armes principales d’un Système voué à l’entropisation sont ici retournées contre ce même Système. En nous accordant bien volontiers à la logique générale de l’inversion qui règne sur notre époque postmoderne et de la modernité-tardive d’après le “déchaînement de la Matière”, cette déconstruction et cette dissolution attaquent directement les principaux points d’appui du Système et s’avère dans ce cas comme absolument vertueuses.)

Il est assuré que l’Allemagne va devenir une de nos préoccupations majeures dans les semaines et les mois qui viennent, à nous Européens, et que l’Europe et l’UE, et les principaux pays de cet ensemble vont fortement s’agiter autour de cette question. Il n’est nullement interdit de penser que certains, dans divers pays, ne doivent pas être si mécontents de voir cette chute perçue comme catastrophique du pouvoir politique allemand qui a si souvent oublié de prendre des gants dans ses rapports avec eux. Si cette chute se confirme et se poursuit, nous devons être assurés que ses effets vont aussitôt affecter gravement les positions économiques, culturelles, sociétales et même bureaucratiques de l’Allemagne tant la communication est aujourd’hui le vecteur qui porte tous les virus et toutes les infections que fait naître le moindre revers du Système pour lui-même.

C’est ainsi, aujourd’hui, que passent, à la vitesse de l’éclair, les artefacts de convenance si précieux pour notre hybris d’“Empire” et de “Reich ; juste le temps d’un tourbillon du système de la communication. Mais au-delà de ces péripéties, la somme nette de l’essentialité de l’événement, qui ne cesse de confirmer la tendance générale, est un affaiblissement et un recul constant du Système.

Le texte que nous avons choisi pour illustrer cet événement, du réseau russe RT en français, nous offre une large vision de la crise allemande, que certains désignent désormais comme “le Brexit allemand”. (Texte du 20 novembre 2017, sous le titre complet suivant : « L'Allemagne en crise : vers de nouvelles élections et une probable démission d'Angela Merkel ».)

dedefensa.org

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L’Allemagne en crise

Le 19 novembre, l'Allemagne est entrée dans la plus importante crise politique de son histoire depuis 1945. Il s'agit également du plus gros échec de la carrière d'Angela Merkel, dont l'avenir politique est désormais sérieusement compromis : après plusieurs semaines d'âpres négociations, son parti, la CDU, n'est pas parvenu à s'entendre avec les écologistes et les libéraux (FDP) pour former une coalition de gouvernement. Le pire scénario, à peine envisageable il y a quelques jours encore, est désormais plus que probable : les Allemands, qui avaient voté en septembre dernier, pourraient bien retourner aux urnes début 2018.

Malgré le volontarisme affiché par ses cadres, la CDU se trouvait dans une bien difficile position. Son ancien allié social-démocrate (SPD) avait refusé de reconduire l'alliance qu'il avait formée avec le parti d'Angela Merkel. Depuis plus d'un mois, celle-ci tentait d'obtenir un compromis, inédit, entre trois partis aux programmes très différents. Les deux principaux points de désaccord que constituaient la transition énergétique et la politique migratoire auront finalement eu raison de la patience des libéraux.

“Il est préférable de ne pas gouverner que de mal gouverner”, a déclaré à la presse à Berlin le président du FDP Christian Lindner juste après avoir quitté la table des négociations. La chancelière a “déploré” cette décision, estimant qu'un accord aurait été possible si ses interlocuteurs avaient été un peu plus enclins au compromis. Faute d'alternative, la première puissance économique européenne se prépare à plusieurs semaines, voire mois, de paralysie politique, sur le plan national comme en Europe. L'avenir du pays est désormais entre les mains du président Frank-Walter Steinmeier, seul a pouvoir convoquer de nouvelles élections.

Si Frank-Walter Steinmeier décide, après s’être entretenu avec Angela Merkel, d'appeler de nouveaux les Allemands aux urnes, la crise politique serait sans précédent outre-Rhin. Au pouvoir depuis 2005, la chancelière a certes remporté les dernières législatives mais en offrant à son parti, la CDU, son pire score depuis 1949. Un nouveau vote pourrait par ailleurs fortement participer à renforcer la percée du parti anti-immigration, l'AfD.

Autre possibilité : que le SPD décide finalement de participer à un gouvernement. Jusqu'ici, ses cadres s'y sont fortement opposés. L'expérience d'un partage du pouvoir entre 2013 et 2017 avec le parti d'Angela Merkel lui a déjà coûté de nombreuses voix. Difficile d'ailleurs de gouverner avec une coalition dont ne veulent ni les chefs de parti, ni les militants, ni les électeurs. Enfin, institutionnellement comme politiquement, une telle alliance ferait de l'AfD le premier parti d'opposition – un choix risqué pour Angela Merkel, qui sait à quel point la crise migratoire lui a porté préjudice.

Reste alors l'option très improbable d'un gouvernement minoritaire. Angela Merkel pourrait s'allier avec le FDP sans les écologistes et tenter de gouverner en comptant sur des ralliements ponctuels et occasionnels de députés d'opposition. La chancelière a déjà annoncé qu'elle se refusait à une telle solution, tout aussi inhabituelle que complexe.

Angela Merkel aura toutes les peines du monde à convaincre la CDU de se remettre en campagne, et encore davantage de la soutenir. L'aile la plus conservatrice de son parti, qui s'inquiète de voir ses électeurs lui préférer l'AfD, s'opposera sans doute à tout recentrage politique. Or, c'est précisément ce recentrage qu'incarnait Angela Merkel et dont elle a besoin pour négocier une alliance. Dans un tel contexte, la chancelière semble plus que jamais dans une impasse.

L'échec de la coalition marque “la fin politique d'Angela Merkel”, estimait le 19 novembre au soir le politologue allemand Frank Tecker sur la chaîne de télévision parlementaire nationale, Phoenix. Selon un récent sondage, plus de 60% des Allemands pensent qu'elle ne pourra plus rester en poste désormais. Promettant de tout faire pour que le pays soit “bien dirigé” pendant la période de transition qui s'annonce, Angela Merkel semble avoir en tête que son départ reste l'option la plus probable. Là encore, la crise sera loin d'être résolue : après 12 ans au pouvoir, la CDU n'a pas réellement d'autres figures charismatiques sur qui compter.

Au lendemain de l'annonce de l'échec des négociations, la presse allemande parle de “Brexit allemand”. Les répercussions sur le couple franco-allemand pourraient compliquer la tâche d'Emmanuel Macron, qui trouvait en Angela Merkel une alliée de poids. Mais elles pourraient également lui permettre d'exercer le leadership européen et d'occuper un espace politique et médiatique désormais dégagé.

RT