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177418 juillet 2016 – En quelques jours, disons à peu près quatre-cinq jours, s’est signalé à notre attention un paradoxe constant de notre époque, mais qui prend à cette occasion un poids formidable et anime une tension difficilement supportable. D’un côté, une avalanche d’évènements : l’“attaque” et le massacre de Nice, le déclenchement d’un putsch avorté en Turquie et la situation qui en découle, l’évolution de la campagne électorale aux USA avec l’attaque de Bâton Rouge et la convention républicaine de Cleveland ; d’un autre côté ce que nous nommerions dans un registre complètement inversé, sinon renversé, en observant une situation commentée par un satiriste, le symbole et le paradoxe par rapport au reste d’une “situation du rien” absolument florissante, ou dit encore de façon explicite « L’Empire du Vide contre-attaque ».
Il s’agit d’une avalanche, d’un déferlement remarquable et remarquablement concentré, avec un empilement d’évènements et de leurs perceptions contradictoires, jusqu’au non-événement qui devient paradoxalement un événement, et tout cela sans que nous sachions quelle trace va être laissée dans la situation générale. Il s’agit également d’une situation chaotique qui dégage avec une rapidité peu commune fondamentalement un processus d’épuisement de la perception (on ne sait plus ce qu’on doit et ce qu’on peut percevoir), accouchant parallèlement et par caractère de cause-à-effet instantané, un processus d’asséchement catastrophique de toute possibilité de politique, d’épuisement de la psychologie qui va avec. Des points de vue de l’image et du symbole, cette situation du chaos impose paradoxalement à nos psychologies épuisées une perception de profondeur (dans le sens paradoxal d’avoir une signification haute) et une perception de sens (dans le sens, si l’on peut dire, d’avoir un sens élevé et qui nous échappe), toutes choses qui sont inhabituelles à notre perception du chaos.
Voici les quatre “lignes de perception” que nous dégageons, – et encore ne les avons-nous pas toutes saisies, et encore d’autres existent, dans le même sens...
“La communication” du gouvernement français sur “l’attaque de Nice“ n’a pas été sublime. Au départ, ce ne pouvait être qu’un acte de terrorisme, puis des nuances sont apparues jusqu’à une réelle incertitude tandis que Valls répétait, selon ses postures habituelles, quelque chose comme “nous sommes en guerre”. Le jour suivant le jour d’après l’attaque, clairement régnait l’incertitude : terrorisme ou acte d’un fou/d’un furieux, etc., avec une faveur pour la deuxième option ; du coup, les théories fleurissaient, les complotistes en première ligne. Le jour d’après, la narrative reprit les couleurs d’une certaine certitude immédiate et sans doute éphémère et devint celle d’un radical si rapidement radicalisé que personne n’avait rien vu venir, y compris Daesh qui consentit enfin, plus de 48 heures après, à revendiquer obligeamment l’attentat, puis l’arrestation de suspects donnant enfin l’impression nécessaire d’un “coup préparé” ; le “loup solitaire”, devenu false flag “fou-furieux”, puis enfin terroriste diplômé... Laissons cela en prenant bien garde de ne pas prendre position, car un accident est si vite arrivé et l’on pourrait choir du haut de nos contradictions.
Il reste que, pour nous, il y a eu, pour la psychologie, pour la chronique, pour l’effet, pour la politique, un acte de terrorisme dans la longue chaîne du terrorisme, disons post-postmoderne depuis l’apparition de Daesh/EI : c’est un fait même si c’est faux ! Deuxième événement : est-ce bien un acte de terrorisme ? Le deuxième jour : non, peut-être pas, sans doute que pas du tout ; troisième jour : sans aucun doute, c’est un acte de terrorisme, et sans doute préparé. Quatrième jour et la suite : etc., devrions-nous nous contenter de dire... Mais le second fait n’annule en rien le premier pour la psychologie épuisée et la perception qu’elle impose.
... Disons que ce que nous nommerions “le principe d’incertitude structurée” dont nous sommes en train de nous apercevoir que le chaos s'en nourrit, s’est inséré entre les deux “faits” pour en faire deux évènements qui subsisteront chacun de leur côté, mais qui en attendant établissent l’incertitude. A ce compte, l’incertitude devient un troisième “événement”. Le chaos a commis, avec les “événements” dont il accouche, son inceste avec lui-même.
Situation plus classique en Turquie, mais tout de même assez originale par rapport à l’expérience. Jusqu’alors et notamment durant la Guerre froide, les “coups d’Etat” des militaires en Turquie étaient impeccablement réalisés, et réussis, et ils signifiaient que le “grand frère” (les USA, directement ou indirectement par des organisations type-Gladio, type-Loups Gris, etc.) reprenait la main ou, plutôt, durcissait sa poigne parce que le pouvoir démocratiquement corrompu et proaméricaniste sans aucun doute se laissait un peu trop aller. Cette fois, rien de semblable, bien qu’il semble bien s’agir d’un “coup” des militaires, ou “de [certains] militaires”. On a vu hier les diverses ramifications qui font de cette affaire une occurrence à notre estime assez originale. Il est vrai aussi que, par rapport à l’époque dont nous parlons plus haut, il y a beaucoup plus d’informations, il y a le chaos certain là où il y avait un certain ordre même s’il s’agissait de celui de l’infamie ; il y a donc beaucoup plus d’explications et d’interprétations possibles.
Selon notre perception, la thèse de la dynamique anti-Erdogan venue des USA du fait de l’archi-ennemi du président turc et “CIA’s asset” Fethullah Gulen a de plus en plus de quoi nous attacher, à laquelle on pourrait même sans hésiter y ajouter une intentionnalité de l’un ou (et) l’autre centre d’un pouvoir de plus en plus diversement et extrêmement multipolaire à Washington ; quant au spectacle d’un putsch bien mal préparé et étrangement “amateur”, une autre explication flotte selon laquelle les putschistes se sont précipités en abandonnant leur agenda et leurs préparatifs parce que les bruits de putsch, peut-être bien accélérés et répercutés par les Russes agissant objectivement pour Erdogan et contre les USA, devenaient assourdissants Tout cela nous donne tout de même une situation qu’on peut aussi décrire comme chaotique, où une puissance considérable comploterait directement ou indirectement contre un pays allié à elle au sein d’une organisation si centrale à la marche-zombie de notre temps (l’OTAN, elle-même zombie), tandis que sa victime, qui ne veut pas tenir ce rôle, ce rapproche d’une façon que certains décrivent décisive d’une autre puissance dont elle abattait les avions en novembre dernier.
En ce début de semaine s’est ouverte à Cleveland, dans l’Oregon, la convention du parti républicain des États-Unis, dans une ville transformée en forteresse sur le pied de guerre. Certes, Trump en sera la vedette et le héros, d’une façon ou l’autre, placé devant la tâche délicate de plus ou moins convaincre les caciques du parti de le soutenir, alors que son électorat de base, qui est dans le registre de la révolte populaire comme l’on sait, n’a apprécié que très-très moyennement le choix de son vice-président Mike Pence, – justement identifié, ce choix, comme un peu trop fait pour “rassurer” le parti et donc faire perdre quelque peu du crédit (ou de la réalité ?) de la dynamique antiSystème de lachose... Trump jouera gros durant cette convention, et essentiellement il jouera la vérité ou pas de son caractère antiSystème.
Parallèlement, c’est la violence qui a marqué l’ouverture, ou la pré-ouverture de la Convention, avec l’attaque contre la police à Bâton-Rouge, redoublant celle de Dallas (au moins trois policiers tués par un tireur en position de sniper). Cette déclaration du chef des syndicats de la police de Cleveland, d’une violence extrême contre le président Obama, donne une idée du climat (sur Fox.News, le 17 juillet) : « The head of a Cleveland police union reacted to the shooting of multiple officers in Baton Rouge by going off on President Obama and a media culture that helps boost anti-cop narratives. Detective Steve Loomis said that the shootings of police officers, from Dallas to now, started with what he deemed as a completely false narrative concerning the death of Alton Sterling. He said that Obama has “validated the false narrative and the nonsense that Black Lives Matter and the media are pressing out there,” and he said the president has “blood on his hands” that he won’t be able to wash off. »
A côté de ce chaos de violence ou de ce qu’on pourrait nommer différemment “la violence du chaos”, l’existence sociale en général semble caractérisée par une atmosphère “de vide” et de “rien” singulière, étrange, cotonneuse et comme presque aveugle, difficile à seulement analyser (« Les expressions de plus en plus employées pour désigner à la fois les actes et l’état de notre civilisation globalisée et de ses représentations opérationnelles sont des mots tels que “vide” et “rien” », est-il écrit dans la “Rétrospective” de la semaine du 10 au 16 juillet en page d’accueil de notre site). Cela est illustré pour nous par un texte court d’un satiriste, François-Xavier Ajavon qui est chroniqueur dans Le Causeur, où règne souvent l’esprit de Philippe Murray, et Ajavon manifestement épuisé par cette démonstration en forme d’illustration, dans Le Figaro.Vox, le 13 juillet (« Pokémon Go : quand l'Empire du Rien contre-attaque »).
« A quelques encablures du chassé-croisé des juilletistes et des aoûtiens, en pleine torpeur estivale, tandis que les français dilapident leurs congés payés sur des plages surpeuplées pleines de touristes allemands en short, alors qu'un ennui palpable gagne toutes les rédactions, une information de premier plan est tombée sur les télescripteurs du monde entier: l'humain vient enfin d'accéder à un plein accomplissement intellectuel grâce à un jeu: Pokémon Go. A l'heure où j'écris ces lignes seuls le Pape François, Elvis Presley et Michel Rocard ne se sont pas encore exprimés sur cette révolution dans la mutation de l'humain, créature animale déjà élaborée, vers encore plus de sophistication. La plupart de ceux qui ont une certaine mémoire des choses de la vie se souviennent de la précédente vague de Pokémon-mania qui avait envahi les cours de récréation hexagonale ; cette résurgence ne peut que nous rappeler les heures les plus sombres de notre Histoire. Alors de quoi s'agit-il? D'une application ludique développée par Nintendo pour les Smartphones, exploitant leurs capacités de géolocalisation et leurs caméras intégrées, permettant d'incruster les Pokémons dans l'environnement des joueurs. Le but est, comme à l'époque de leur lancement il y a 20 ans, sous Alain Juppé, de les capturer et de les dresser. Au fil de leurs déambulations dans la ville, téléphones en mains, les joueurs se livrent donc à une “chasse” aux Pokémons virtuels. Il n'en fallait pas moins pour que des titres terrifiants surgissent dans la presse, avec des mots du type: “engouement planétaire”, “folie”, “buzz”, “fureur”, “frénésie”, l'action Nintendo “s’envole” et bien entendu l'imparable “phénomène de société”… On a demandé leur avis à des psychologues, des sociologues, des experts de toute sorte. Hollywood songe à faire un film sur le sujet. Et naturellement on a tiré le signal d'alarme sur les périls auxquels s'exposent les joueurs, on a fait jouer le principe de précaution… A l'instar de la pratique de la perche à selfies, la chasse aux Pokémon n'est pas sans risque: elle peut en effet entraîner les participants le long de routes ou de voies ferrées, et la presse américaine signale déjà des cas de blessés. La radio-télévision belge a solennellement mis en garde la population du royaume au sujet des risques que présente la traque des Pokémons en voiture. Les autorités françaises n'ont pas tardé à se saisir officiellement du dossier ; face au risque de bousculade, de mouvement de foule, d'émeute, de Nuit debout ou de tout autre débordement, un rassemblement qui devait regrouper plus de 3000 personnes au Jardin du Luxembourg a été interdit par la Préfecture de Police de Paris. Et comme le moderne vit dans une société sans Histoire, plusieurs points de rencontre de chasseurs de Pokémons se sont trouvés dans le mémorial de l'Holocauste, à Washington. “Il est inapproprié de jouer à Pokémon GO dans ce musée, qui est un mémorial aux victimes du nazisme”, a déclaré l'un des responsables des lieux. Des zombies, portables en mains, arpentent - le regard hébété - musées, lieux de culte, et hôpitaux. On sait encore peu de choses de leur vie intérieure. On ne sait pas vraiment s'ils sont heureux. L'histoire dira s'ils finiront eux-mêmes par devenir aussi virtuels que le monde qu'ils adulent. Ils auront, quoi qu'il en soit, occupé leur temps. Un bel exercice pour l'examen d'entrée à l'ENA serait de faire écrire aux futurs élèves une note expliquant ce prodigieux progrès de l'humanité – l'un des plus décisifs après le moteur à explosion et le Gin tonic – au Préfet Poubelle par exemple, ou à un quelconque type né au XIX ème siècle.
» Résumons la situation: la fin de l'Euro de football a laissé un tel vide que l'actualité s'en trouve ainsi dominée par Emmanuel Macron, Jean-Marc Morandini, le coiffeur de François Hollande et les Pokémons. (Quatre noms désignant d'ailleurs la même chose: le grand Rien). C'est triste. Vivement le siècle prochain. »
Pour autant, le vide n’est pas vide, puisqu’il abrite “le rien” qui n’est pas rien, ou peut-être le contraire (ce serait “le rien” qui abriterait “le vide”, par exemple). Quand une chose est un Empire (L’Empire du Rien qu’on déclinerait à partir d’Empire du Vide) et que l’“Empire contre-attaque”, certes “le rien n’est pas rien” : « Le rien n’est pas rien ; il est l’insignifiant, le règne du simulacre (théorie de Jean Baudrillard), du vide (théorie de Karel Kosic), de l’inconsistant, tout comme il est l’anthropologiquement dégonflé (l’homme unidimensionnel, l’homme dépneumatisé, l’homme sous tension, le déshomme). Au-delà du progressisme... [...] “Le vide pénètre tout...” se lamente Kosic, désignant par là le véritable danger planant sur l’humanité contemporaine. Le rien est rempli par le vide. Simulacre, anarchie, vide... sont des noms du rien. » (Robert Redeker, Le Progrès ? Point final.)
Qui n’observera pourtant le contraste remarquable, “qui fait chaos” en un sens (comme l’on dit “qui fait sens”), entre ce rien-vide ou ce vide-rien de “l’Empire du Vide”, – les deux mots disons s’équivalant, – et les évènements explorés précédemment qui sont “pleins de bruit et de fureur”, qui ont une consistance terrible, un poids écrasant, qui sont par définition “absence de rien”. Pourtant, la citation du “pleins de bruit et de fureur” se poursuit fameusement par le “...mais qui ne signifient rien”. Le paradoxe serait ici que ce qu’on décrit comme n’étant certainement pas “le rien” (“plein de bruit et de fureur”) ne signifierait rien, alors que Redeker nous dit que « [l]e rien n’est pas rien », donc qu’il a une consistance, une signification, etc... D’ailleurs, l’on sait bien que “le rien” n’est pas rien puisqu’il a un poids considérable (« l’énorme poids du rien », selon Maistre).
On voit bien que cette rapide description de quelques événements violents, – dynamique crisique, ou “tourbillon crisique” permanents, –accompagnant la posture complètement contraire des avatars-sapiens (sous-espèce du zombie-Système) de l’“Empire du Vide” constitue une vérité-de-situation surprenante dans ce fait de la cohabitation de deux “dynamiques”, – sorte d’hyperdynamique en d’infradynamique, – dont la cohabitation devrait justement être impossible. En quelque sorte, c’est se poser la question de savoir comment ces “avatars-sapiens de l’‘Empire du Vide’” peuvent-ils être, ou accepter d’être ce qu’ils sont, alors qu’éclate toute cette formidable violence, alors qu’ils peuvent en savoir autant que, par exemple, l’auteur de ces lignes qui ne dispose d’aucun secret particulier, d’aucun pouvoir “magique”, etc., à cet égard ? Alors que si ce qu’on nomme d’un mot désormais bien désuet “la propagande” submerge le système de la communication, on peut aussi bien, à la différence des grands récits sur ces mondes verrouillés par le mensonge (Le Meilleur des Mondes, Nous autres, 1984, Fahrenheit 451, etc.), disposer d’une communication de ce même système-Janus qui va contre cette propagande, qui la dénonce, qui la dissèque, qui en triomphe aisément tant cette propagande est stupide et puissants les événements qu’elle prétendrait dissimuler ? Comment cette violence peut-elle éclater alors qu’existent par ailleurs ces avatars-sapiens qui leur sont à la fois si différents, et si indifférents ? Et comment les deux (violence et avatar-sapiens), semblant si complètement inconciliables et si étrangers l’un à l’autre, peuvent-ils faire partie du même chaos (“chaos-nouveau” ou “chaos-Système”) qui concerne sans le moindre doute l’entièreté du monde ?
Quelles que soient les moyens et causes techniques de cette inconciliabilité et de cette incompatibilité, et notamment la puissance et la variabilité-Janus (pro-Système/antiSystème) du système de la communication qui font qu’on peut à volonté ou inconsciemment modifier jusqu’à sa propre perception de ce qui n’est plus une réalité objective, il est impossible de ne pas avancer une hypothèse ontologique renvoyant à une cause beaucoup plus fondamentale. Cela implique notamment de s’interroger sur la nature et l’opérationnalité du chaos (“chaos-nouveau” ou “chaos-Système”), c’est-à-dire sur cette étrange incertitude qui semble désormais aujourd’hui la marque du fonctionnement de la contre-civilisation qui a complètement “globalisé” le monde sous son empire, au point que l’on pourrait parler d’un “principe d’incertitude du chaos” qui ne concerne pas du tout son fonctionnement, et au contraire complètement les situations qui se développent sous son empire à lui (le chaos).
... Il existe une situation d’en-dedans de la profondeur du chaos plus que de l’au-delà du chaos, qui pourrait être aussi décrite par une image, comme une sorte d’inceste entre le chaos et son paradoxal “principe de l’incertitude”. Cela est concevable en tant qu’inceste, parce que dans ce cas l’inceste correspond à une tromperie : le chaos se trompe lui-même en quelque sorte, et nous trompe, en ayant un rapport intime et incestueux avec ce qu’il a lui-même enfanté, qui est une sorte d’incertitude structurée qui pourrait être aussi bien désigné comme un “principe d’incertitude” du chaos. Pour un peu, l’on dirait que le chaos a des rapports intimes “avec lui-même” comme une sorte de concept hermaphrodite, et que nous n’y comprenons plus rien parce qu’ainsi il mélange intimement des choses qu’on jugeait inconciliables et produit, “féconde” si l’on veut pour poursuivre l’image, des situations qui lui sont totalement étrangères dans leur principe. Pour un peu et pour paraphraser fameusement Maurice Clavel hurlant face à ceux qui réclamaient l’avortement avec l’approbation de l’Église « Dieu est Dieu, nom de Dieu ! », nous dirions “le Chaos est le Chaos, nom de Chaos !”, – et certainement pas une chose structurée, certainement pas une chose principielle que l’on sache. Pourtant, l’on voit bien cette cohabitation, quasiment structurée justement, entre la violence qui prétend exister avec une éructation extraordinaire et l’Empire du Vide qui tend avec un délice presque vaporeux à non-exister par nature, entre cette hyperdynamique et cette infradynamique.
Que le chaos puisse imposer à la perception, par instants, une incertitude sur sa forme, cela est possible, et même acceptable et concevable ; mais qu’il puisse sembler adopter comme une structuration de sa production cette incertitude durable, qui paraît presque sans fin, sur sa forme même de sa production, entre violence et “rien”/“vide”, qu’il puisse même en arriver à proposer tout cela comme principe de lui-même, cela constitue un redoutable paradoxe et une contradiction terrible. Le chaos semblerait alors proclamer qu’il est ontologiquement structuration, ce qui serait une affirmation redoutablement audacieuse, sinon provocatrice par rapport à l’image que nous avons du chaos, par rapport à la représentation que nous entendons qu’il effectue selon sa propre définition ; on pourrait alors aller jusqu’à croire, et même penser rationnellement que le chaos semblerait sur le point de nous signifier qu’il n’est plus tout à fait chaos, qu’il est sur le point lui-même de n’être plus chaos, donc que quelque chose de considérable se prépare...
Le fait est qu’on est parvenu à une telle situation de tension dans la violence crisique qui explose de toutes les façons, et à une telle sorte de situation de “tension négative” dans le développement de l’Empire du Vide, et par conséquent à une telle situation de tension entre ces deux tensions opposées, qu’il devient extrêmement difficile de concevoir comment tout cela peut continuer à fonctionner sans parvenir très rapidement à un point de rupture. Nous ressentons tous cette tension faite de deux tensions opposées et irréconciliables, un peu comme entre “le rien”-en-soi et satisfait de soi et « l’énorme poids du rien » qui nous écrase comme disait donc notre cher comte Joseph de Maistre, et nous mesurons combien il est difficile que cette tension perdure, et même qu’elle s’accroisse encore, sans être au point de sa rupture.
Pourtant, rien d’humain, rien de sapiens ne nous fait penser que cette rupture arrive, alors qu’elle est si nécessaire jusqu’à être inévitable, elle aussi, jusqu’au point où nous le sentons, où nous la voyons venir... Au contraire, tout se passe comme si le sapiens, totalement inexistant et non-être dans le cadre du vide et du rien, totalement accablé et écrasé par “l’énorme poids du rien et du vide”, ne pouvait arriver seul et de lui-même à défaire le nœud de l’énigme, ni à trancher le nœud gordien ; le sapiens réduit à la désespérance de sa néantisation entre violence crisique déchaînée qui l’emporte comme un fétus et l’Empire du Vide qui le tient comme dans une toile d’araignée baveuse et gluante (avec l’araignée ricanante, certes)...
Une fois de plus et tant pis si c’est au dam de quelques consciences vertueuses qui croient être commises à la garde de la Raison sacrée et humaine, et sacrée parce qu’humaine, nous devons nous tourner vers des hypothèses que nous ne maîtrisons pas, que nous ne pouvons maîtriser, que nous ne voulons d’ailleurs pas maîtriser ; en effet, si nous les maîtrisions, nous les réduirions à néant puisqu’il s’avère par ailleurs que nous sommes totalement impuissants à pousser les évènements vers la rupture qui devient de plus en plus nécessaire, impuissants à produire, à féconder... Nous devons donc en appeler à des forces extrahumaines et surhumaines pour déterminer une voie vers la rupture inévitable, et cela n’est ni magie ni incantation mais simple bon sens se rendant au constat de notre impuissance.
Cela pourrait-il alors signifier que ce chaos si peu conforme à ce qu’il devrait être selon sa définition classique et impérative, est effectivement manipulé par des forces qui nous dépassent, qu’il est instrumentalisé complètement, qu’on tente, ou qu’on a déjà le dessein d’organiser en lui, profitant de l’énergie qu’il déploie en apparence en pure perte sinon en toute absurdité au regard des choses inconciliables qu’il produit, quelque chose qui ait un sens, ce qui serait le contraire de ce qu’il paraît d’habitude ? Et d’autre part, cela signifie-t-il que le chaos est en train d’atteindre le point où il commence à “faire sens”, comme il doit faire selon l'aboutissement de sa d"éfinition ? Dans tous les cas, le point d’épuisement qu’il semble proche d’atteindre au travers de ses contradictions semble autoriser de telles questions, avec les hypothèses qu’elles recouvrent.
Aujourd’hui, la montée des tensions, même et surtout s’il s’agit de tensions créatrices de violence et d’autres créatrices de vide suscitant ainsi des contradictions insupportables, semble parvenue à proximité du “toit du monde”, là où le destin se dessine et décide de notre sort. La chose peut retomber un instant avant cette confrontation, mais cette confrontation, elle, – ce qu’on appelle la confrontation avec son destin, – nous paraît inévitable.
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