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23484 décembre 2015 – D’abord, il y a la personnalité et la vie professionnelle qui en disent long. Gloria Eiland, général israélien à la retraite : il quitta l’armée en 2003, après de nombreux postes opérationnels et de planification, puis de direction, pour être rappelé par le Premier ministre Sharon en 2004, à la tête du Conseil National de Sécurité israélien. Il démissionna en juin 2006, après avoir informé la direction politique qu’il était arrivé au bout de ses capacités de tenter d’influencer le processus de décision de sécurité nationale d’Israël, qu’il jugeait, et qu’il juge toujours, profondément retranché dans sa sclérose bureaucratique et son incapacité d’adopter quelque novation que ce soit dans sa perception de la situation. Il s’agit donc d’un esprit à la fois doté d’une prodigieuse expérience professionnelle, à la fois ayant identifié et condamné les tares de le version israélienne du Système qui pèse sur la politique israélienne.
L’article que signe Eiland dans le Guardian du 1er décembre, sur la querelle entre la Russie et la Turquie, et surtout sur les sentiments et perceptions à long terme des élites de sécurité nationale de ces deux pays, est d’un prodigieux intérêt. (Sputnik.News en a fait aussitôt une présentation, ce même 1er décembre, ce qui montre que les Russes ne sont pas trompés sur l’intérêt de la chose, et notamment pour leur propre cause dans la crise actuelle.)
Eiland rapporte des rencontres qu’il a faites en 2004-2005 avec des officiels russes et turcs et cite notamment des points précis, des rencontres quasiment identifiées, qui l’ont conduit à des considérations stratégiques fondamentales. (Il nous semble d’ailleurs, même s’il ne le dit pas, que le départ d’Eiland en 2006, est justifié par le fait qu’il n’a pu réorienter la machinerie bureaucratique de la sécurité nationale israélienne dans le sens voulu par ce que les “conditions stratégiques fondamentales” ainsi découvertes impliquaient, notamment en empêchant ou en limitant au maximum l’hostilité israélienne pour la Syrie et le rapprochement d’Israël avec l’Arabie pour faire le jeu du terrorisme sunnite, ainsi qu’en soutenant constamment aux USA la tendance neocon de déstructuration du Moyen-Orient au nom de la “croisade démocratique” à-la-Bush.)
• Sur les Russes, Eiland rappelle qu’il a été mis au courant “il y a une douzaine d’années” des conceptions russes sur la projection des menaces, que les Russes avaient prévu dès cette époque, en citant l’“imbécillité” complète de la guerre contre l’Irak accélérant ce processus, la formation de l’État Islamique, ou Daesh, sous la forme qu’on lui voit. Dès cette époque, ils l’identifiaient comme la “plus grave menace contre la paix”, à la fois pour la Russie, pour Israël et pour “l’Ouest” ; par conséquent ils préconisaient une alliance dans ce sens contre cet activisme islamiste/sunnite. (Ces révélations nuancent éventuellement le jugement désapprobateur que certains ont porté sur le régime Poutine à ses débuts, dans sa volonté de tenter de se rapprocher de ce qui n’était pas encore le bloc-BAO.)
« About a dozen years ago, the head of a Russian thinktank visited Israel. As head of the National Security Council, I met him, along with several other senior defence officials, and we heard him say that the greatest threat to world peace was Islamic State. True, the name “Isis” wasn’t mentioned then, but the phenomenon that it represents was predicted with astounding accuracy. The Russian official warned about the formation of an Islamic caliphate in Iraq, which was in the process of disintegrating; he warned that this caliphate would try to take control of the Middle East and, from there, would send its long arms northward, via the Islamic former Soviet republics. At the same time, it would try to take advantage of the weakness of the west and would turn its attention to Europe. His conclusion was that Russia, the western powers and Israel shared a common enemy and it was in their utmost interests to join forces to defeat it. I heard similar messages when I met other Russian officials over the years. They also criticised the US’s war in Iraq – which they described as “imbecilic” – and which they said would only accelerate the arrival of a caliphate. »
• Sur les Turcs, Eiland précise qu’il reçut à la même époque les confidences d’un officiel proche du pouvoir, lui affirmant que le but du régime (le parti AKP d’Erdogan) était une extension du pays dans le sens de retrouver certaines des dimensions de l’empire ottoman, et notamment certaines parties de l’Irak et de la Syrie. Cela implique que les Turcs et, avec eux, le courant islamiste/sunnite, ont utilisé à leur avantage la dynamique aveugle que les USA ont déclenché et suivi selon les thèses en vogue, notamment des pseudo-neocons plus “idiots utiles” que jamais (“destruction créatrice”, “croisade pour la démocratie”).
« About a year before that meeting with the Russian, I met a senior Turkish official. That was at a time when relations between Jerusalem and Ankara were excellent. At that meeting, the Turkish official spoke openly about his country’s world view. “We know that we cannot get back the lands that were under the control of the Ottoman empire before 1917,” he said, “but do not make the mistake of thinking that the borders that were dictated to us at the end of the first world war by the victorious countries – mainly the UK and France – are acceptable to us. Turkey will find a way to return to its natural borders in the south – the line between Mosul in Iraq and Homs in Syria. That is our natural aspiration and it is justified because of the large Turkmen presence in that region.” »
Eiland tire trois conclusions, 1) que les Russes, faisant preuve d’une remarquable prescience, avaient apprécié justement dans quel sens évoluerait la situation, jusqu’à considérer que le futur-Daesh, “principale menace contre la paix” à venir, serait d’une gravité qu’Eiland n’hésite pas à comparer à l’Allemagne nazie ; 2) que les Russes préconisaient une alliance de la Russie, d’Israël, de “l ‘Ouest” (bloc-BAO) contre cette menace, exactement comme ils continuent à le faire aujourd’hui ; 3) que la Turquie, qui fait partie de l’OTAN, manipule l’OTAN pour leurs ses ambitions et contre les intérêts de l’OTAN, alors que l’OTAN raisonnant selon ses vieilles lignes d’antagonisme Est-Ouest, considère la Turquie comme un atout stratégique formidable auquel il importe de tout sacrifier ... Alors, quelle conclusion pour Eiland ?
« The conclusion should be obvious: the threat that Isis poses is similar to the threat that Nazi Germany posed. Coordination between Russia and the west will not guarantee that the battle against Isis is won, but without it that battle will surely be lost. The French president, François Hollande, seems to have accepted this, and we can only hope that he manages to persuade the other Nato countries both to restrain Turkey and to join forces with Russia. Israel may have something of a conflict of interests on this issue, but we should always bear in mind what would happen if Isis were to gain in strength and take control of Syria, Jordan and the Sinai. For Israel, too, the conclusion is clear: victory over Isis must come first. »
La question ici concerne cette analyse, russe au départ, de la dangerosité de Daesh/Etatt Islamique. L’on sent bien par ailleurs qu’Israël est devenu hésitant à cet égard, se rapprochant des thèses d’Eiland, notamment dans la façon dont l’ambiguïté de ses liens avec la Russie est plus forte que jamais. Un article de DEBKAFiles du 2 décembre témoigne de cet embarras, qui fait qu’Israël, désireux au maximum de ne pas gêner les Russes (l’article parle de “lune de miel” Poutine-Netanyahou), craint de plus en plus, et soudainement d’une façon aigüe, que les Russes ne renforcent l’Iran et surtout le Hezbollah dans leurs opérations en Syrie. (C’est là qu’on trouve la contradiction mise en lumière par Eiland à propos des pesanteurs du système contre ses propres analyses. Si l’on suit sa logique, Israël devrait abandonner sa position d’hostilité systématique à l’Iran, tenter de parvenir à un arrangement avec le Hezbollah, voir avec les Palestiniens, pour se concentrer sur l’affrontement avec Daesh. On comprend la logique de l’argument mais on imagine les difficultés insurmontables pour parvenir à un tel changement conceptuel.)
« On the outside, Israel is all smiles and full of praise for way the coordination with Moscow is working for averting clashes between its air force and Russian warplanes over Syria. This goodwill was conspicuous in the compliments Prime Minister Binyamin Netanyahu and President Vladimir Putin traded when they met on the sidelines of the Paris climate summit Monday, Nov. 30. But the first disquieting sign appeared Tuesday, Dec. 1. Senior Russian and Israeli officers were due to meet in Tel Avid to discuss strengthening the cooperation between the two army commands. But no word from Moscow or Jerusalem indicated whether the meeting had taken place.
» DEBKAfile’s military sources report that this week, the show of optimism is giving way to an uneasy sensation in the offices of the prime minister, Defense Minister Moshe Ya’alon and the IDF Chief of Staff Lt. Gen. Gady. They suspect an ulterior motive behind Russia’s military movements in southern Syria, especially its air strikes against Syrian rebels, just across from Israel’s Golan border. In particular, Moscow may be giving Hizballah and Iran an umbrella for achieving their longstanding design to displace the Syrian rebels with Revolutionary Guards and Hizballah forces and deploy them along Israel’s Golan border. »
Ce problème israélien est pour l’instant secondaire mais il est important à signaler dans la mesure où il participe à la montée des tensions psychologiques au Moyen-Orient, dans le cadre de l’intervention russe. Ce facteur de la tension psychologique, plus que ses effets opérationnels immédiats, est fondamental parce qu’il tient à lui seul tout ce qui fait l’importance de cette phase crisique paroxystique actuelle. Là où cette tension se manifeste le plus, et les révélations d’Eiland l’expliquent évidemment, c’est avec l’antagonisme nouveau et brutal entre la Russie et la Turquie. La question qu’il est nécessaire de se poser est de savoir si, au lieu de s’apaiser avec le temps, avec ce qu’on supposait d’excellence et de confiance dans les relations russo-turques comme on les voyait jusqu’alors, on n’aille pas tout au contraire vers un accroissement de l’antagonisme. Des deux côtés existe une possibilité de plus en plus forte, à chaque heure plus forte, pour cela :
• Du côté russe, parce que l’analyse du danger islamiste/sunnite s’est concrétisée avec Daesh/EI et qu’elle implique nécessairement un très sérieux règlement de compte avec la Turquie (voir l’attitude de Poutine à cet égard), dans un moment où la Russie est dans une position d’antagonisme armée sur la frontière de la Turquie, notamment et délibérément contre les agissements de la Turquie.
• Du côté turc, parce que la situation d’Erdogan, au niveau national et au niveau international, est devenue beaucoup plus tendue, beaucoup plus délicate, tandis que ses liens avec Daesh sont soumis à des attaques destructrices, au moins des Russes, et peut-être des autres (les Français et éventuellement le reste). Cela implique une aggravation de la crise sourde qui touche désormais l’OTAN à l’intérieur d’elle-même, notamment avec à nouveau l’occasion d’une séparation probable des intérêts américanistes et des intérêts européens.
Au-delà, on doit faire le constat que Daesh est en train de devenir un fantastique objet de communication, dont on voit partout la trace, qui parvient à lui seul à faire interpréter une tuerie à San Bernadino, en Californie, comme une attaque de cette entité terroriste contre les USA, qui suscite des alertes maximales en Russie, en Israël, à Chypre, dans la base d’où le Royaume-Uni fait partir ses rares aéronefs puisqu’elle n’a plus de porte-avions, pour ses premières attaques contre Daesh-en-Syrie. (Voir DEBKAFiles du 3 novembre, qui peint un tableau extrêmement alarmiste de la situation mondiale puisqu’effectivement le phénomène est en train de prendre cette ampleur.)
Pour ajouter au désordre de cette situation générale, la direction US continue à générer diverses politiques contradictoires, émanant des différents centres de pouvoir dont l’absence de coordination constitue un objet d’étonnement sans fin. Plus précisément, il y a une politique personnelle du président Obama, – qui n’est ni une politique, ni une stratégie, mais le développement d’un récit de communication élaborée dans le cadre d’une “narrative infranchissable” propre à la seule Maison-Blanche. Ce récit est sinueux, commandé par l’humeur et la seule préoccupation de la “stature” du président, et reste marqué par l’obsession de se voir contesté son statut d’exceptionnalité. Obama, prenant implicitement complètement le parti de la Turquie, a donc redoublé ses attaques méprisantes et sans aucun souci des normes diplomatiques contre Poutine, notamment dans son intervention de Paris le 1er décembre. (Voir Robert Parry, le 2 décembre.) Ce facteur n’est pas déterminant ni même de nature politique, mais il constitue une nuisance de communication qui rend encore plus difficile l’idée de la constitution d’une “grande coalition” anti-Daesh où la Russie serait aux côtés des pays du bloc-BAO, – à la condition, certes, que ceux-ci se regroupent en tant que tels vis-à-vis de Daesh-en-Syrie.
Nous revenons alors au problème principal que nous nous sommes promis d’aborder, qui est la nature de Daesh, l’importance de Daesh, ou encore, comme signalé plus haut, “la dangerosité de Daesh/État Islamique”. Notre propre appréciation en tentant d’en faire une analyse qui s’accorde à nos références n’a pas ici grande importance. Signalons tout de même, mais sans accorder guère d’importance à ce facteur dans l’analyse générale conduite ici, que notre appréciation serait plutôt de considérer que la menace constituée par cette entité est très largement surestimée d’une part, pour parler avec une grande retenue par rapport à notre sentiment ; qu’elle est d'autre part infiniment brouillée par les multiples interférences, et surtout par le fait que la cause opérationnelle et même la Cause Première de la formation de Daesh et le développement du terrorisme islamiste organisé en général sont toutes deux l’activisme sous toutes ses formes, jusqu’aux plus cyniques, aux plus utopiques, aux plus contradictoires et aux plus chaotiques, des USA/du bloc-BAO. La connaissance de ce jugement analytique de l’entité Daesh de notre part nous permet de nous désengager d’autant plus de toute implication d’une réalité opérationnelle impérative dans notre analyse ci-dessous, et d’en mieux dégager pour l’utiliser notre appréciation extrêmement ferme que la communication en est sa composante essentielle sinon exclusive.
Effectivement, ce qui compte dans cette analyse, selon notre point de vue, c’est l’effet de communication que suscite le comportement et l’action de Daesh, et l’effet produit sur les psychologies. A cette lumière et avec le constat des effets et des conséquences des trois récents évènements essentiels dans cette phase crisique (intervention de la Russie en Syrie et phase Syrie-II de la crise syrienne, les attentats 11/13 à Paris, la destruction du Su-24), il est incontestable qu’un nouveau paroxysme s’est fait jour, qui se représente opérationnellement par une perception extrêmement exacerbée de la menace-Daesh. On peut alors accepter comme point de référence tout ce que révèle et dit le général israélien Eiland pour notamment en développer trois points sur la situation actuelle : 1) la vista des Russes depuis plus d’une décennie expliquant qu’on débouche sur leur intense préoccupation actuelle et leur engagement opérationnel sans précédent, et par conséquent sur la transmutation de leur rôle ; 2) l’énigme de l’extension du désordre incontestable introduit par le rôle de la Turquie non seulement par rapport au rôle de la Russie mais surtout dans l’ensemble OTAN/bloc-BAO ; 3) la perception, au niveau de la psychologie et nullement du jugement nécessairement élaborée, de la menace posée par ce qu’on juge être la dangerosité du Daesh dans les années 2010 à partir de 2013 comme équivalente à dangerosité de l’Allemagne nazie dans les années 1930 à partir de 1933 (de l’Allemagne nazie considérée dans sa puissance opérationnelle d’agression bien plus que dans sa spécificité idéologique).
La vérité-de-situation ici réside dans la perception de cette “dangerosité” et en aucun cas dans la réalité ou pas de cette dangerosité, et en mettant absolument à part tous les soupçons et réalités de montages, manipulations, etc., qui ne font que brouiller la force du fait de cette perception qui nous importe seul ici. Cette perception engageant la seule psychologie n’est pas un fait stratégique mais un fait de civilisation, et plus précisément un fait de crise civilisationnelle (de la seule civilisation existante, soit la “contre-civilisation” globalisée du Système), quel que soit la véritable valeur stratégique, opérationnel, etc., du fait perçue (équivalence Daesh-Allemagne nazie). De même, nous parlons de “dangerosité” alors que nous pourrions parler de “menace”, et cela pour rendre compte encore une fois de l’interprétation-déformante qu’implique la communication : pour nous (comme on peut le deviner en fonction de ce qu’on a vu plus haut), la “dangerosité” de Daesh est minime mais cela ne peut une seconde nous empêcher de prendre acte du fait que l’entité est perçue comme une menace équivalente à celle de l’Allemagne nazie. Notre univers essentiellement depuis 9/11 fonctionne de la sorte, selon sa perception et avec une psychologie extraordinairement affaiblie, et c’est selon ces données qu’il est impératif d’apprécier l’événement qui nous importe puisque cette univers-là est une vérité-de-situation massive (qu’on la déplore ou pas) qu’il ne peut être question d’écarter sous prétexte de sa vulgarité ou de son incohérence. (Par ailleurs, et c’est un fait qui revient souvent dans notre analyse, cette perception complètement déformée si on la considère objectivement, est aussi et d’abord un signe de la vulnérabilité et de la fragilité de notre “contre-civilisation”, du Système, etc., – et alors, la justesse et la cohérence de l’analyse en fonction des seules perceptions sont rétablies et deviennent même impératives.)
Un autre constat, renvoyant également à la communication, – toujours elle qui règne en maîtresse absolue, – concerne l’usage formel que Daesh fait de cette communication. Parlons pour comparaison du “concept al Qaïda” (nous employons à ce point ces termes de publicistes et de marketing pour bien montrer que tous les arguments d’une pseudo-réalité ne nous importent en rien du tout : qu’est-ce c’est/c’était qu’al Qaïda ? Ben Laden existait-il jusqu’à sa supposée mort ? Etait-il un agent de la CIA ? Avait-il son compte dans les mêmes banques que les princes saoudiens ? Etc. Aucune importance, tout cela). Al Qaïda a utilisé largement la communication mais dans un cadre austère, selon une retenue très significative (ben Laden dans sa grotte, un communiqué, une revendication, etc.). Installant ainsi cette mise en scène, al Qaïda nous signifiait : “Je ne suis pas de votre monde, de votre Système, et cela est logique puisque je veux le détruire”. Mais cette extériorisation d’al Qaïda, hors-Système, marquait les limites de son action, c’est-à-dire le sérieux avec lequel on pouvait le percevoir. Malgré diverses tentatives, notamment des comiques/hystériques type-neocons, il ne s’est jamais inscrit dans notre psychologie que la dangerosité d’al Qaïda pouvait figurer, à l’intérieur du Système, une menace équivalente à celle de l’Allemagne nazie.
Le “concept Daesh”, c’est tout à fait différent. Daesh fait de la grande mise en scène ; décapitation, exécution de masse, défilé dans les villes conquises, uniformes spectaculaires, formation d’un État, myriades de Toyota armée, myriades de camions-citernes, – tout cela est, d’une façon ou d’une autre, montrée comme dans un film à grand spectacle (blockbuster). Même si certaines de ces choses sont nécessaires à Daesh et visibles parfois contre son gré, cela entre dans le “concept-Daesh” et nous n’avons plus qu’à conclure : il s’agit d’un concept totalement hollywoodien. Daesh aurait pu faire l’objet d’un colossal blockbuster qui aurait rapporté à Hollywood des $millions, sinon des $milliards, avec quelques Oscars en prime ... Deuxième conclusion sur ce point : au contraire d’al Qaïda du point de vue de la communication, Daesh, étant complètement hollywoodien, est perçu comme complètement dans le Système (encore plus quand, en plus des innombrables manigances US, on expose à comptes en banque quasiment découverts l’implication du “Calife à la place du Calife”, de la tribu Erdogan, dans cette affaire). Étant “dans le Système” (nous n’avons pas dit pro-Système ou antiSystème, ce n’est pas le problème), Daesh est considéré dans notre perception (pas nécessairement dans notre jugement mais toujours dans notre psychologie) avec infiniment plus de sérieux qu’al Qaïda parce qu’il est effectivement dans le Système. Du coup, la crise-Daesh entre dans la Grande Crise du Système alors qu’al Qaïda n’était perçu que comme un acteur extérieur au Système éventuellement tentant d’activer ou d'accélérer cette Grande Crise.
Le constat devient alors que puisqu’ils y croient et puisque le “concept-Daesh” s’y prête, la perception de menace type-nazi de Daesh tient la route et existe pour notre psychologie ; et la perception suffit pour déclarer que c’est un point final pour ce domaine : le “concept-Daesh” rend l’analogie nazie absolument acceptable pour notre psychologie. Cela implique une énorme signification par ailleurs et d’un tout autre point de vue : le “concept-Daesh” étant devenu cet énorme événement de l’“analogie nazie crédible”, il secoue évidemment tout le Système de l’intérieur puisqu’il se trouve dans le Système, et par conséquent son effet sur la Grande Crise du système (notre Grande crise de l’Effondrement du Système) est direct, sans aucun frein, sans aucune possibilité de diversion qui atténuerait la chose. Du coup, nous passons insensiblement mais décisivement de la problématique de Daesh à la problématique de la Grande Crise d’Effondrement du Système.
C’est sans aucun doute ce que veut signifier la pseudo-“prémonition” de notre chroniqueur du Journal dde.crisis, lorsqu’il observe l’attitude des Russes et qu’il remarque qu’elle est fort différente de celle qu’eurent ces mêmes Russes lors de la crise ukrainienne : c’est la crise syrienne qui en est la cause en devenant Syrie-II, avec l’intervention russe et la présence du “concept-Daesh” comme facteur intérieur au Système, et nécessairement par ce fait devenant indicateur de la Grande Crise du Système. « Mais “tout cela” ne semble plus guère compter dans le sens habituel de ces choses, y compris ce que pensent et veulent les Russes, et là est la grande différence avec crise de l’Ukraine qui a précédé. Avec la Syrie aujourd’hui (la crise dite Syrie-II), la dialectique est sans détour, coupante, infiniment plus ferme, plus offensive, plus furieuse, plus dénonciatrice des attitudes fondamentales que des faits épars, et tout cela par-dessus une situation opérationnelle où la Russie s’installe en maîtresse. »
Arrivés à ce point qui est celui de la conclusion finale de notre analyse, nous nous apercevons que nous avons été guidé par la tentative de substantiver la pseudo-“prémonition” du Journal dde.crisis, pour observer si elle pouvait trouver quelque élément qui la justifiât en quelque façon rationnelle que ce soit. Il est vrai que la crise Syrie-II (incursion des Russes + 11/13 + rupture de la Russie avec la Turquie) est plus grave que l’affaire d’Ukraine, mais d’abord elle est plus grave parce que la Grande Crise Générale s’est, entre Ukraine et Syrie-II, infiniment aggravée à cause de l’incursion du “concept-Daesh” agissant comme un blockbuster d’Hollywood révélant et utilisant pour les besoins du scénario la profondeur de notre désarroi, de nos angoisses, de nos incertitudes, de notre fantastique vulnérabilité-fragilité, à nous, citoyens consentants ou forcés du Système, entièrement asservis au Système ou “un pied dedans-un pied dehors”, tous fascinés par le Système, mais qui pour faire sa révérence de soumission, qui pour se durcir dans sa volonté de lutter jusqu’au bout, jusqu’à sa destruction, contre lui.
La suite et fin de ces réflexions nous conduisent logiquement à constater que la prophétie russe de 2003-2004 était fondée et se réalise, donc qu’il est nécessaire et vital que tous entrent dans la même coalition quasiment mondiale, contre Daesh devenu nouvelle entité-nazie du point de vue de l’agression, et qu’il est alors logique de penser que les efforts pour constituer cette coalition n’ont et n’auront de plus en plus pour effet que de mettre à jour et exacerber encore plus les tensions, les haines, les fureurs antagonistes, les pathologies inexpugnables (on sait de qui) parmi ces “alliés” à réunir. Il est logique également de penser qu’au plus nous avançons dans cette nécessité opérationnelle de cette formation, au plus apparaissent au grand jour toutes les contradictions, les compromissions, les corruptions, les pourritures, les ordures excrémentielles de ce qu’a créé le Système depuis des décennies. Il est logique encore de penser que le résultat ne peut être qu’une exacerbation, une accélération exponentielle de la Grande crise d’Effondrement du Système etc. Là-dedans, bien sûr, il est logique enfin de penser que le “concept-Daesh” devrait apparaître à un moment ou l’autre pour ce qu’il est, un artefact de convenance pour cette évolution fondamentale de la Grande Crise, cédant alors la place centrale de la grande scène de notre époque prodigieuse à cette Grande Crise qui est le seul événement qui est aujourd’hui quelque importance, – mais quelle importance ! Celui de la fin d’une civilisation transformée diaboliquement en “contre-civilisation”.
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