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2316On retiendra comme particulièrement importantes les auditions devant la commission des forces armées du Sénat US, les 6 et 7 avril, de deux chefs de l’US Army. Sans chercher autrement qu’un simple constat de l’évidence de la situation, les généraux McMaster (commandant adjoint pour TRADOC, qui est le service de planification et de recherche prospective de l’US Army) et Milley (chef d’état-major, US Army) ont dessiné une situation catastrophique pour l’US Army, qui se trouve dépassée en capacités manœuvrières d’effectifs et de feu, essentiellement par la Russie, au risque suprême de perdre une guerre conventionnelle de haut niveau. Il est manifeste que la démonstration de capacités militaires russes depuis 2014 (Crimée et Ukraine) a causé un traumatisme terrible chez les chefs militaires US, qui rendent compte désormais d’une situation si désastreuse de leurs forces que des perspectives de défaite militaire majeure ne peuvent absolument plus être écartées.
« Il y a bien peu de chefs militaires américains depuis la Révolution [1776-1783] qui ont eu à se préoccuper de leur infériorité à l’ennemi, en nombre et en technologie, écrit Sydney J. Freedberg de Breaking Defense, le 7 avril. Mais entre les menaces montantes, les effectifs US en déclin et les coupures drastiques dans les budgets de modernisation, a dit le Lieutenant Général H.R. McMaster au Sénat, la situation de se trouver dépassé en nombre et en capacité de feu va devenir la norme [pour l’US Army], et nous devons absolument stopper cette tendance à l’effondrement de notre armée avant qu’il soit trop tard... »
S’attachant à divers exemples, McMaster cite le cas des véhicules blindés Abrams et Bradley, prévus pour rester en service actif pour les 50-70 prochaines années, et d’ores et déjà vulnérables à de nouveaux systèmes antichars (essentiellement russes, certes). Depuis 1950 en Corée, aucun soldat US n’est mort à cause d’une attaque aérienne ennemie, selon l’axiome d’une supériorité aérienne totale des USA. Les chefs US viennent de découvrir les capacités anti-aériennes de défense et de contrôle de l’espace aérien (dite Anti Access/Area Denial, ou A2/AD) : « Nous avons posé le principe il y a de nombreuses années que nous étions capables d’acquérir et de maintenir la supériorité aérienne. La guerre en Ukraine a mis en cause ce principe. »
Il semble évident qu’il s’agit de tout autre chose que les habituels montages et jérémiades des chefs militaires pour obtenir des budgets supplémentaires. Cette fois, tous les indices vont dans le même sens et montrent que, depuis la crise ukrainienne, le rattachement de la Crimée et le soutien russe aux indépendantistes anti-Kiev en Ukraine même, et depuis avec le “supplément” de la campagne syrienne, les chefs militaires US ont pris conscience d’une part de la nouvelle puissance militaire russe et, d’autre part et par contraste, de l’effritement très rapide des capacités militaires US. Parlant des capacités russes à localiser les grandes unités et leur quartiers-généraux grâce à leurs capacités électroniques, le Général Milley a parlé de rien de moins que la possibilité de perdre une guerre, notamment à partir de l’exemple du déploiement de grandes unités en temps de guerre (Breaking Defense, le 8 avril) : « Si vous devez déployer une brigade ou une division, l’empreinte [électronique] au sol du quartier général de cette unité est très grande [et] si vous émettez une très grande variété de signaux électroniques venant des radios, des ordinateurs et de toute cette catégorie d’outils dont nous disposons... Nous avons vu en Ukraine que [les Russes] peuvent identifier et situer la concentration de ce signal très rapidement, y envoyer des drone de reconnaissance pour localiser et acquérir l’objectif, et déclencher un feu d’artillerie massif sur vous, – et vous êtes mort. Dans les guerres futures, les ‘traces électroniques’ importantes conduiront à des pertes significatives, et potentiellement... à la défaite dans un bataille, dans une campagne, et d’une guerre elle-même... »
Bien qu’un (tout petit) peu moins pessimiste que McMaster, Milley en rajoute encore en fonction des perspectives de développement, notamment en effectifs, dues aux contraintes imposées par la loi dite de séquestration (Defense News, le 8 avril) : « Encore l’appréciation du “risque haut” qui pèse sur l’US Army ne prend pas en compte ce qui pourrait arriver si la [loi de] séquestration est appliquée à nouveau l’année prochaine. Cela signifierait que les forces effectives de combat diminueraient encore de 450.000 à 420.000 hommes, ce qui impliquerait la possibilité d’un véritable désastre si nous devions répondre à une crise mondiale majeure, selon Milley... »
Mis en ligne le 9 avril 2016 à 13H16
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