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3576• Toujours des manœuvres quasiment navales et tortueuses autour de l’affaire du HMS ‘Defender’ en croisière au (petit) large de Sébastopol, en attendant les grandes manœuvres (navales) de l’OTAN qui commencent demain. • Les Russes ont montré qu’ils ne plaisantaient pas et peut-être les Britanniques auraient-ils tendance à les croire ? • C’est ce qu’on pourrait penser à cette étrange nouvelle d’un dossier de 50 pages de rapports “Secret-Défense” trouvé à un arrêt de bus du Kent. • On a la sensation que cette trouvaille vient à point nommé...
Pendant que l’OTAN se prépare à déployer son immense flotte pour apaiser la tension en Mer Noire et mener grand train dans les manœuvres ‘Sea Freeze’ qui commencent demain, – y a-t-il un meilleur moyen d’affirmer sa volonté de paix et d’apaisement ? – on songe aux suites du 23 juin. La question qu’on peut se poser est de déterminer si l’incident du HMW ‘Defender’, de la Royal Navy, jeudi au petit large (12 miles) de la Crimée et tout près de Sébastopol, n’est pas d’une plus grande importance qu’il ne parut d’abord. On recueille ici et là des indications qui tendent à le faire penser, sans présumer certes du déroulement de ‘Sea Freeze’.
On cite d’abord le colonel Lang, sur son site Turcopolier.com, commentant quelques informations sur l’incident naval, notamment venues du Telegraph, qu’il cite :
« On a beaucoup parlé de l’habileté de Poutine à juger justement les gens, compétence qu’il aurait acquise en tant qu'officier (lieutenant-colonel) de la 2e Direction Principale du KGB (contre-espionnage). C'est un éloge qu’il mérite probablement. Eh bien, chers lecteurs de ‘Turcopole’, il a jugé Joe et déterminé que c’est un vieil homme affaibli, un homme qui n'est bon qu’à menacer le peuple américain s’il n’obéit pas, d’une oppression armée par ses Austin et ses Milly [secrétaire à la défense et président du Comité des chefs d’état-major]. Ce que Poutine a dit n’importe pas. Ce qu’il fait, voilà l’essentiel. »
Lang interroge, dans le titre de son court article sur l’incident : « Est-ce que la Russie pense que Biden est en déroute ? », et bien entendu dans de telles circonstances poser la question c’est y répondre. Il confirme en donnant tout leur crédit aux sources disant que le HMS ‘Defender’ était accompagné d’un navire de guerre néerlandais, mais nullement d’un navire de l’US Navy, comme ç’aurait dû être le cas. L’ancien chef d’état-major de la Royal Navy et First Lord of the Sea, Lord West, renforce cette version lorsqu’il déclare dans une interview confirmer le rôle d’“appât” du destroyer britannique pour susciter une réaction russe, mais regrettant qu’il n’y ait eu personne de “sérieux” pour y faire face et leur tenir la dragée haute en termes de communication. (West a une expérience guerrière de cette sorte de situation puisqu’il était le commandant du HMW Ardent durant la bataille des Malouines, lorsque cette unité fut coulée par l’aviation argentine, lui-même étant le dernier à quitter le bord du navire en train de sombrer.)
« C’est une situation regrettable qu’il n’y ait pas eu de navires de guerre américains présent pour montrer leur soutien. Il y avait un navire néerlandais [proche du HMS ‘Defender’], ce qui implique qu’il y aurait dû y avoir des unités d’autres membres de l’OTAN en soutien. »
Ainsi vient la réponse de Lang, dans une rapide analyse de cette situation de l’incident du 23 juin :
« “La Russie et la Chine évoluent désormais de façon coordonnée, selon une posture très agressive parce que ces deux pays pensent que l’Amérique est en déroute”.
» Ainsi, Biden est mis en cause pour avoir causé le renforcement de l’attitude de la Russie, alors que des sources ont déclaré au Telegraph que les États-Unis avaient décidé de ne pas croiser près de la Crimée en soutien des Britanniques.
» Le Telegraph révèle que si le destroyer USS ‘Laboon’, de la VIe Flotte, opérait avec le HMS ‘Defender’ et la frégate néerlandaise HNLMS ‘Evertsen’ en mer Noire, il se trouvait “à plusieurs centaines de miles” lorsque les deux navires se sont approchés à moins de 12 miles du littoral de la Crimée mercredi. »
C’est dans de telles conditions que débute le grand exercice naval de l’OTAN, avec divers employés d’appoint mobilisés par Washington puisqu’il y aura 36 pays présents, d’une façon ou d’une autre, jusqu’à tel ou tel canot de sauvetage d’une nationalité bien distincte. On veut parler, bien entendu, de l’exercice “Sea Breeze”, du 28 juin au 10 juillet, alors que les Russes ne cessent d’en appeler “à la raison” dans le chef de leurs “partenaires” occidentaux de l’OTAN, devant les risques désormais encourus.
Le porte-parole du ministère russe de la défense Konachenkov, vendredi :
« “Nous appelons le Pentagone et le commandement des forces navales britanniques, qui envoient leurs navires de guerre en mer Noire, à ne pas trop solliciter leur chance en se pliant aux amiraux ukrainiens d’opérette, mais à solliciter la raison”, a-t-il déclaré.
» Selon Konachenkov, l’ancien contre-amiral Kirby, qui a qualifié l'incident du 23 juin en Mer Noire de désinformation en mer Noire, “est parfaitement conscient que le destroyer Defender, dans n'importe quelle partie de la mer Noire, est une cible sans défense pour les systèmes antinavires de la flotte de la mer Noire qui protège la sécurité de la Crimée”.
» Le porte-parole du ministère a souligné que le Pentagone s’est contenté de nier l’évidence, même après que la Russie eut diffusé une vidéo des tirs d’avertissement et des témoignages directs de l’équipage du destroyer. “Le fiasco épique de la provocation du destroyer britannique ‘Defender’ en mer Noire, qui a brusquement changé de cap à partir des eaux territoriales russes après les tirs d’avertissement d’un patrouilleur, restera comme une tache d’infamie sur la réputation de la Royal Navy”, a-t-il déclaré. »
Le même jour, l’ambassadeur russe à Londres relayait le même état d’esprit de la Russie, indirectement pour l’édification des autorités britannique, dans une tentative de plus de faire comprendre que la Russie est très sérieuse. Les termes sont assez choisis (réaction “assez dure”) pour faire penser que les militaires russes ont des plans pour riposter en cas d’incident d’une manière contenue, mais qui impliquerait tout de même ce qui est implicitement présentée et pouvant être défini comme “une frappe directe quoique très contrôlée contre l’un ou l’autre élément dans la manœuvre de l’OTAN, qui pousserait trop loin la provocation”.
« La Russie n’exclut pas une réponse sévère au cas où le Royaume-Uni se risquerait à une nouvelle provocation comme l’incident avec le HMS ‘Defender’ britannique au large de la Crimée russe, a déclaré vendredi l'ambassadeur russe au Royaume-Uni Andrei Keline.
» “En cas de nouvelle escalade, en cas de répétition d'une telle provocation près des côtes de la Crimée, je n’exclus pas que nous devions répondre de manière assez dure et l’escalade [de la dégradation des relations] ne fera que se poursuivre”, a-t-il déclaré dans une interview accordée à la chaîne de télévision Rossiya-24.
» “Ce qui est terrible, c’est que la tentative de certains d’appuyer une position politique par une provocation militaire peut réellement nous mener à un grave incident militaire, ce qui a d’ailleurs été reconnu par le chef d’état-major de l’armée britannique”, [a renchéri Keline] sur la chaîne YouTube Soloviov Live.
... Le problème général autour de de cette politique de manœuvre d’intimidation/de provocation étant qu’elle est menée par une (des) direction(s) des pays du bloc-BAO, par ailleurs semblant plongée(s) disons dans leur désordre habituel :
• alors que les Britanniques critiquent implicitement l’US Navy pour son manque de soutien dans l’incident du 23 juin ;
• alors qu’on peut absolument avancer l’hypothèse, plus qu’une hypothèse même, que l’US Navy avait promis ce soutien et ainsi envoyé la Royal Navy dans le piège d’un appât de provocation sans rien derrière ;
• alors que Poutine et Xi s’entendent pour juger que Biden et le reste, du côté US, sont en déroute ;
• ... voilà qu’on a des détails sur un désaccord au sein du gouvernement britannique dans cette opération : la défense avait proposé l’incursion sur incitation de l’US Navy, le Foreign Office intervint aussitôt auprès de Boris Johnson pour qu’il n’autorise pas l’incursion à cause de trop gros risques, Johnson décida seul en faveur de l’incursion, « d’une façon précipitée et irréfléchie, à-la-Trump », en un sens comme « s’il croyait que Trump se trouvait toujours à la Maison-Blanche. »
Cette confusion au sein des directions et entre les directions des principaux pays s’opposant à la Russie est le parfait reflet de l’absence totale de stratégie du bloc-BAO contre la Russie : pourquoi ces manœuvres de provocation ? Quel est le but poursuivi ? Quel lien établir entre la communication sur des résultats “encourageants” du sommet de Genève et l’actuelle série de provocations dans la Mer Noire ?
Personne n’y comprend rien, quant au but bien sûr, alors ceux qui ont l’habitude du pragmatisme juge qu’ils peuvent récupérer des avantages. Cas des Britanniques engagés dans une coopération navale espérée fructueuse avec les Ukrainiens. Les Britanniques ont obtenu le feu vert pour développer cet activisme, de la part des USA qui ont repoussé la perspective d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN pour modérer les tensions avec la Russie ; ceci devant compenser cela, en quelque sorte.
Dans l’opération du HMS ‘Defender’, les Britanniques avaient le soutien théorique US, et ils ont pu découvrir que cela n’allait pas plus loin que la théorie. Si les USA veulent bien que UK coopère avec l’Ukraine, ils ne veulent pas que cela aille trop loin, notamment au détriment de ce qu’ils croient être les relations générales avec la Russie, et parce que Biden a gardé la vieille habitude d’une “chasse gardée” en Ukraine, qu’il rappelle constamment à son équipe et à ses interlocuteurs britanniques. Toutes ces hypothèses sont possibles et dans les cas envisageables, elles se croisent et s’entrecroisent, donnant des événements assez chaotiques dans un cadre effectivement complètement orphelin de la moindre stratégie.
Enfin, pour couper court à ces vaticinations, l’intervention d’un événement inattendu était signalé hier dans l’après-midi, avec l’annonce de la trouvaille bienheureuse d’un ensemble de document secret de 50 pages, sur “un petit tas de déchets” détrempés derrière un arrêt de bus, – « un misérable petit tas de secrets », aurait dit Malraux, comme il disait effectivement pour décrire humblement sa propre vie. La trouvaille datait, nous dit-on, de mardi matin, dans une ville du Kent, soit avant l’incident au large de la Crimée ; mais elle n’est signalée qu’aujourd’hui, “à son heure” d’une certaine façon :
« La personne qui a découvert les documents, selon la narrative officielle, a contacté la BBC après s'être rendu compte de la nature sensible du document. Le dossier, qui comprend des courriels et des présentations PowerPoint, proviendrait du bureau d’un haut fonctionnaire du ministère de la défense (MoD). »
Les “fuites” à propos de cette “fuite” majeure et opportune échouant sur les rives de la BBC décrivent les différents aspects de la planification de la croisière du HMS ‘Defender’ par rapport à la Crimée. On a donc la description des différents cas de figure envisagés par les marins britanniques, d’une mission effectivement considérée comme un « passage innocent dans les eaux territoriales ukrainiennes », selon des conditions qui permettaient de considérer l’initiative comme conduite par une « justification sérieuse et légitime pour traverser la zone contestée » . La présence à bord de deux journalistes (BBC et ‘Daily Mail’) constituait un argument en faveur de la description faite de la “croisière”, dans la mesure où elle promettait de fournir une « justification indépendante » de la narrative officielle, – étant implicitement entendu qu’il ne ferait aucun doute que ces journalistes suivraient effectivement cette ligne d’appréciation de l’incident.
« La BBC a déclaré que le dossier égaré décrivait les réponses potentielles de la Russie, allant de “sûres et professionnelles” à “ni sûres ni professionnelles”.
» Les documents évoquaient également la possibilité de maintenir le HMS ‘Defender’ à l’écart des eaux contestées. Ce plan permettrait d'éviter toute confrontation potentielle, mais permettrait également à la Russie de prétendre que le Royaume-Uni “a peur” ou qu’“il fuit”...
» L’une des présentations contenues dans le dossier de documents classifiés notait que les contacts entre les forces russes et britanniques dans la région ont été en grande partie “négligeables” mais que, “suite à la transition d’une activité d’engagement de simple réaction à une activité opérationnelle, il est très probable que... les interactions deviendront plus fréquentes et plus affirmées”. »
L’incident de la “fuite” à l’intérieur du schéma plus large de l’incident dans la Mer Noire apparaît dans un certain sens comme une aubaine qu’il serait malséant de juger comme planifiée. Toujours dans le même sens, on serait conduit à penser que tout se passe comme si les Britanniques laissaient voir qu’ils maîtrisent leurs incursions, qu’ils appréhendent les réactions russes d’une façon rationnelle, qu’ils considèrent leur propre action comme de la communication plus que comme une affirmation opérationnelle. Les “secrets” vont jusqu’à nous préciser qu’il faudra bien s’attendre à quelques incidents à venir en raison de l’activité de promotion opérationnelle grandissante de la part de la Royal Navy. Les Russes sont prévenus et, en un sens, invités à coopérer dans ce grand théâtre naval où les Britanniques les assurent qu’ils sauront respecter les us & coutumes de la mer, – comme il sied à un pays de si vieille et si haute tradition navale, Nelson oblige.
Il est bon de suivre la chronologie dans certains cas, et celui-là en est un. Il permet in extremis, nous voulons dire avant le début des manœuvres de l’OTAN, de passer quelques messages aux Russes. On pourrait même remarquer que cette trouvaille vient à point nommé pour que la Royal Navy tire son épingle du jeu en amenant ses lecteurs imprévus à conclure, ou en les invitant aimablement à conclure dans le sens du constat que le Royaume-Uni agit en toute indépendance et qu’il entend discrètement se démarquer, sur le terrain des vagues de la Mer Noire, des possibles manigances américanistes qui ont peut-être bien laissé, selon la version qu’on a vue, le HMS ‘Defender’ le bec dans l’eau au large de Sébastopol.
Mis en ligne le 27 juin 2021 à 20H05