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284910 janvier 2009 — Les planificateurs du Pentagone placent désormais dans une appréciation similaire le Mexique et le Pakistan, parmi les grands pays qui pourraient connaître un effondrement de l’Etat avec les troubles qui s’ensuivraient. C’est une évaluation particulièrement significative dans la gravité qu’envisage le Pentagone, et particulièrement significative en raison bien entendu de la position qu’occupe le Mexique par rapport aux USA.
Cette évaluation dans le degré de gravité où elle est offerte, avec la référence du Pakistan, est nouvelle, bien entendu, pour le Mexique. Il y a longtemps que les USA considèrent le Pakistan comme un pays particulièrement fragile, l’archétype du pays sujet à d’éventuels violents événements pouvant très rapidement conduire à une situation de très grave crise dans toute la région, – sans doute le pays potentiellement le plus déstabilisateur au monde compte tenu de son poids démographique et de sa position stratégique. Dans la classification qui nous est offerte, le Pakistan et le Mexique sont certes classés parmi les “weak and failing states” (Etats faibles et faillis), qui est une rubrique standard du Pentagone qui n’implique pas nécessairement la rapidité et la violence de la crise, mais également considérés comme des pays susceptibles de connaître un “rapid collapse” (un effondrement rapide)
C’est le commentateur de Reuters Bernd Debusmann qui a débusqué cette nouvelle évaluation du Pentagone, et qui l’expose dans une analyse en date du 7 janvier 2009.
«The two countries [Pakistan and Mexico] are mentioned in the same breath in a just-published study by the United States Joint Forces Command, whose jobs include providing an annual look into the future to prevent the U.S. military from being caught off guard by unexpected developments.
»“In terms of worst-case scenarios for the Joint Forces Command and indeed the world, two large and important states bear consideration for a rapid and sudden collapse: Pakistan and Mexico,” says the study – Joint Operating Environment 2008 – in a chapter on “weak and failing states.” Such states, it says, usually pose chronic, long-term problems that can be managed over time.
»But the little-studied phenomenon of “rapid collapse,” according to the study, “usually comes as a surprise, has a rapid onset, and poses acute problems.” Think Yugoslavia and its 1990 disintegration into a chaotic tangle of warring nationalities and bloodshed on a horrific scale.
»Nuclear-armed Pakistan, where al-Qaeda has established safe havens in the rugged regions bordering on Afghanistan, is a regular feature in dire warnings. Thomas Fingar, who retired as the U.S.’s chief intelligence analyst in December, termed Pakistan “one of the single most challenging places on the planet.” This is fairly routine language for Pakistan, but not for Mexico, which shares a 2,000-mile border with the United States.
»Mexico’s mention beside Pakistan in a study by an organization as weighty as the Joint Forces Command (which controls almost all conventional forces based in the continental U.S.) speaks volumes about growing concern over what’s happening south of the U.S. border.»
Bien entendu, ce qui inquiète particulièrement les militaires américains du Joint Forces Command (un commandement qui rassemble notamment les évaluations opérationnelles générales), c’est la situation extraordinairement instable du pays à cause de l’activité des cartels de la drogue et tout ce qui en est proche, activité proche d'une situation de guerre intérieure, sorte de guerre civile anarchique. Le même Bernd Debusmann avait publié un article, le 18 décembre 2008 sur la situation au Mexique. Apocalyptique, comme il se doit: «Last year, around 2,500 Mexicans died in the twin wars drug cartels are waging against each other and against the Mexican state, using weapons smuggled in from the United States. In the first 11 months of this year, the death toll was 5,367, according to the Mexican attorney general. Next year?»
Cette appréciation de la situation mexicaine est évidemment générale. On en trouve d’autres échos dans des déclarations du général McCaffrey, qui conduisit la lutte anti-drogue dans l’administration Clinton et qui revient d’une visite au Mexique, déclarations qui nous sont signalées le 2 janvier 2009 dans la publication Executive Intelligence Review. «President Bill Clinton's anti-drug czar, Gen. (r) Barry McCaffrey—who is today an Adjunct Professor at West Point—issued a dramatic, and accurate, warning on Dec. 29 that the United States must quickly and fully come to the aid of its southern neighbor, which is now “fighting for survival against narco-terrorism.... Mexico is on the edge of the abyss—it could become a narco-state in the coming decade.”»
Debusmann rapporte également les évaluations du Joint Forces Command de la situation du Mexique par rapport aux USA. Ces évaluations manquent de précision mais il apparaît manifeste que la question est en train d’entrer dans les préoccupations majeures de ce service.
«According to the Joint Forces study, the possibility of a sudden collapse in Mexico is less likely than in Pakistan “but the government, its politicians, police, and judicial infrastructure are all under sustained assault and pressure by criminal gangs and drug cartels. How that internal conflict turns out over the next several years will have a major impact on the stability of the Mexican state.”
»It added: “Any descent by Mexico into chaos would demand an American response based on the serious implications for homeland security alone.” What form such a response might take is anyone’s guess and the study does not spell it out, nor does it address the economic implications of its worst-case scenario. Mexico is the third biggest trade partner of the United States (after Canada and China) and its third-biggest supplier of oil (after Canada and Saudi Arabia).»
Il est difficile de placer cette analyse de Debusmann, mais surtout celle du Joint Forces Command, directement dans la logique des problèmes qui affectent aujourd’hui les USA, y compris des préoccupations de certains analystes officiels concernant des troubles intérieurs aux USA. Elle s’en rapproche pourtant, géographiquement bien sûr mais dans l’esprit également. (Certains pourraient avancer également l’argument que les troubles au Mexique sont en partie favorisés par certaines évolutions et situations US, notamment la situation extrêmement incertaines sur la frontière Sud des USA, l’intense pénétration mexicaine à tous égards, la facilité avec laquelle la drogue mexicaine pénètre aux USA et les armes américaines au Mexique.)
Un point important à noter, au niveau bureaucratique militaire, indique l’aspect structurellement “intérieur” de cette inquiétude mexicaine du Pentagone. Du point de vue de la structuration du commandement US, le Mexique ne fait pas partie de la zone de théâtre extérieur des Amériques, le Southern Command qui a sous sa responsabilité, essentiellement, l’Amérique latine. Selon les conceptions très naturellement intégratrices de la pensée bureaucratique américaniste, le Mexique est regroupé (avec le Canada) dans la zone nord-américaine, c’est-à-dire quasiment les USA eux-mêmes... Depuis 2002, la chose est structurée avec un nouveau commandement “intérieur” ayant la responsabilité du territoire national étatsunien, Northern Command. Très “naturellement“, Northern Command couvre également, comme si ces pays “faisaient partie” des USA, le Canada et le Mexique. Ainsi le Mexique fait-il effectivement partie du théâtre “intérieur” américaniste… (Au reste, une des citations du document ne laisse aucun doute sur cet aspect “intérieur” US:«Any descent by Mexico into chaos would demand an American response based on the serious implications for homeland security alone.»)
Cette mise en évidence de la situation mexicaine comme une tendance explosive dans les années à venir paraît objectivement justifiée par les événements. Elle prend une dimension importante du fait que cette situation mexicaine est mise sur un pied d’égalité avec le Pakistan, en ce qui concerne la gravité de la perspective. Le Pakistan semble offrir beaucoup plus d’éléments de gravité, notamment avec ses relations avec d’autres foyers de trouble hors de ses frontières, ses implications dans des conflits armés (Afghanistan), l’existence d’armes nucléaires pakistanaises notamment. La parité pourtant établie par les planificateurs US indique clairement une perception politique spécifique disproportionnée, voire une tendance psychologique subjective dans l’appréciation de la chose, justifiées par la proximité du Mexique combinée avec la perception actuelle de la fragilité des USA. D’autres situations de très grande instabilité ont existé au Mexique, notamment dans les années 1982-1985. Si cette période avait effectivement alerté les services de renseignement US, elle n’avait pas influé sur l’appréciation stratégique des forces armées, encore moins sur la planification de ces forces armées. La situation est aujourd’hui différente.
Un élément intérieur aux USA est pris en considération dans la planification du Pentagone, pour l’appréciation de l’éventuel danger que poserait la situation mexicaine par rapport à la situation US. L’impact de la crise économique sur la très importante communauté latinos des USA est très fort, en général plus fort que pour les autres communautés aux USA. Avec les ramifications directes existant entre cette communauté fortement concentrée dans les états de l’Union de la frontière ou proches de la frontière mexicaine, on peut craindre des connexions entre une situation explosive au Mexique et des tensions ou des troubles sociaux aux USA à cause de la crise, précisément dans cette communauté. La question constamment tendue de l’immigration mexicaine ajoute encore à cette analyse. Dans ce cadre, la “menace mexicaine” telle qu’elle est décrite ici et la “question mexicaine” aux USA (immigration, importance et concentration de la communauté) tendent à s’intégrer pour faire de l’ensemble un composant de la situation US plus qu’une question de sécurité extérieure. De ce point de vue, l’équivalence Pakistan-Mexique est plus explicable, malgré le caractère moins explosif de la situation mexicaine, avec l’idée que la question mexicaine est appelée à prendre une place grandissante dans l’appréciation des menaces intérieure dans la planification des forces armées.
D’une façon générale, cette sorte d’appréciation stratégique contribue à la perception d’une fragilisation des USA, si elle ne l’alimente elle-même. Elle devrait renforcer l’idée que les USA sont en train de devenir une zone centrale de préoccupation des forces armées US, un nouveau “front”, – et nécessairement, par définition, un “front” d’une importance vitale. Elle devraient accentuer les pression pour une “militarisation” du maintien de l’ordre aux USA, et les tensions internes qui accompagnent une telle perspective.
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