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2608Il y a quelques années qu’on évoque, au gré des variations d’humeur d’Erdogan et des “zigzag” de la politique multi-contradictoire du système de l’américanisme, une mauvaise humeur teintée de brouilles possibles entre la Turquie et l’OTAN, – c’est-à-dire, entre la Turquie et les USA. Les événements de ces derniers mois avec une polarisation au Moyen-Orient en deux blocs ont aggravé les choses : les Turcs semblent de plus en plus arrimés au “bloc” Russie-Iran-Irak-Syrie (-Qatar ?) tandis que les USA suivent, entre leurs zigzags, une ligne où l’on trouve l’Arabie et l’UAE, les Kurdes, éventuellement Israël... Tout cela est installé sur une rancœur furieuse d’Erdogan depuis la tentative de coup d’État contre lui de juillet 2016 où la main de la CIA et des groupes Gladio passait par là. (La même affaire réchauffant considérablement, sinon décisivement, les relations entre Erdogan et les Russes, qui ont beaucoup aidé le président turc durant cette épreuve.)
C’est sur cette toile de fond inquiétante pour la pureté idéologique d’Erdogan qu’est venue se greffer l’achat du système de défense antimissile russe S-400, qui semble désormais très sérieux (après divers “zigzags” d’Erdogan ces dernières années) : le marché a été annoncé comme bouclé par les deux parties il y a quelques jours... Et rendons-nous bien compte de ceci : le S-400 est russe !
Cet accord est bien entendu, et fort justement, considéré comme une marque extrêmement forte d’une proximité entre la Turquie et la Russie pour les choix d’armements stratégiques, contre l’avis de l’OTAN, et surtout au prix d’une colère à peine rentrée, et d’une rancune arrogante des bureaucraties américanistes du Pentagone et de l’industrie d’armement US. Cette “colère rentrée” et cette “rancune arrogante” sont en train de se transformer en prémisses de ce qui pourrait devenir le paroxysme de la crise entre la Turquie et les USA, encore plus qu’entre la Turquie et l’OTAN malgré l’aspect pléonastique de la remarque. C’est-à-dire que l’idée souvent agitée d’une rupture de la Turquie avec les USA, c’est-à-dire avec l’OTAN, pourrait devenir absolument opérationnelle, et par conséquent paroxysme de la crise.
Ce qui est en cause, en effet, est pour les USA quelque chose qui s’apparente au Saint-Graal bureaucratique et postmoderne, et peut tourner en un drame affreux de la modernité-tardive au sein du bloc-BAO. La bureaucratie du Pentagone et de LM (Lockheed Martin) ont découvert que l’achat des S-400 menace directement les secrets de la technologie qui nimbe le F-35 (alias JSF) de ses exceptionnelles qualités... Car l’on ne peut oublier que la Turquie a commandé cent exemplaires de l’oiseau rare, qui doivent commencer à être livrés en 2018. Le Pentagone nous fait part de son désarroi courroucé et de la possibilité d’une très grosse colère... C’est certainement la première fois que les choses deviennent terriblement sérieuses car, c’est bien connu, on ne plaisante pas avec le JSF.
RT nous informe là-dessus, à partir d’une interview donnée à Defense News par la sous-secrétaire à l’Air Force pour les affaires internationales Heidi Grant. L’extrême préoccupation (“major concern”) du Pentagone nous est ainsi confirmée : la question des technologies du F-35 qui pourraient être violées, sinon violentées par les S-400, s’ajoute ainsi à celle de l’interopérabilité du S-400 avec l’autre système de missiles antimissiles des pays de l’OTAN, – qui est bien entendu américaniste à 120%, – what else ?
« Defense News reported that analysts have expressed worry that Turkey operating both the F-35 and the S-400 could compromise the security of the F-35s, as the data collected by the S-400 may expose the F-35's vulnerabilities. Grant seemed to agree with that logic during an interview with the news outlet on Wednesday, which was given from the Dubai Air Show. “It’s a significant concern, not only to the United States, because we need to protect this high-end technology, fifth-generation technology” but for “all of our partners and allies that have already purchased the F-35,” she said.
There could also be further consequences for Turkey – a fellow NATO member – if it goes ahead with the acquisition of the S-400 system, according to Grant. “As a major NATO ally, we haven’t really looked into this yet...we’re going to have to start looking at, if they are going to go through with this, how we can be interoperable in the future. But right now, I can tell you our policies do not allow us to be interoperable with that system.” [...]
» ...When the US agrees to export weapons to a foreign country, it requires that nation to sign an agreement allowing the US to do end-use monitoring to ensure it is not being used to compromise sensitive technology or information. According to Grant, that can include anything from a “check on how they are using the technology, who is on the same base with them, [and] access that other countries may have to our high-end technology.” »
Cette affaire prend les proportions qu’on lui voit avec l’entrée en piste officielle du JSF, alors qu’un plaisant incident a marqué hier la mauvaise humeur constante de Erdogan vis-à-vis de l’OTAN, à l’occasion d’une “maladresse” des planificateurs d’une manœuvre OTAN en Norvège, – maladresse ou intention affirmée d’une humiliation symbolique, qui sait ? Pour cette sorte de “maladresse”, il y a assez de généraux et de fonctionnaires turcs qui ont “choisi la liberté” à Bruxelles et dans la bureaucratie de l’OTAN, en restant sur place plutôt que subir les foudres de la purge au sein de l’armée après le coup d’État de juillet 2016, sans compter les consignes d’une des innombrables tentacules américanistes (CIA, Pentagone) branchées à la fois sur l’OTAN et sur les Turcs anti-Erdogan... D’où, à partir de cette atmosphère d’incontrôlabilité, les plates et sympathiques excuses du secrétaire général de l’OTAN concernant l’étrange cas d’un “individu” dont “les actions” “ne reflètent pas les opinions de l’OTAN”... Nous voilà rassurés et voici donc un résumé de cet exotique incident qui vient à point pour surcharger le cas du F-35 promis aux Turcs.
« “Il y a eu un incident en Norvège. Ils ont accroché une sorte de ‘tableau des ennemis’. Sur ce tableau figurait une photo de [Mustafa Kemal] Atatürk, ainsi que mon nom. Voilà quelles étaient les cibles”, a déclaré [le président Erdogan dans] un discours télévisé à Ankara le 17 novembre. ”J’ai donné pour instruction de retirer sans tarder nos 40 militaires [prenant part aux manœuvres]”, a poursuivi le chef de l'Etat turc, ajoutant qu'il n'était pas possible “d'avoir une telle conception d'une alliance”.
» Le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, a présenté dans la foulée ses excuses à la Turquie à la suite de cet “incident”. “Je présente mes excuses pour l'offense causée. Les incidents ont été le résultat des actions d’un individu et ne reflètent pas les opinions de l'OTAN”, a assuré Jens Stoltenberg dans une déclaration écrite. »
Cet incident, c’est pour l’ambiance, mais il n’est pas indifférent qu’il survienne dans ce moment de grandes tensions à propos de matières technologiques et d’armement. Il n’est pas impossible qu’à côté d’une action isolée, il s’agisse d’un acte délibéré, évidemment d’inspiration d’une des tentacules américanistes, pour renforcer la pression exercée sur la Turquie, à la fois de l’arrogance et de l’injonction à rentrer dans les rangs. Si non è vero...
On peut classer dans la même catégorie d’une sorte de harcèlement de la Turquie, l’attitude du Congrès US, mécontent du comportement des gardes du corps d’Erdogan à New York lors de la session de l’ONU. (On connaît la délicieuse délicatesse des gardes du corps US du président [US] en déplacement à l’étranger, alors on comprend le Congrès...) Les arguments sont soit dérisoires, soit appuyées sur certains zigzags de la politique US hostiles à la Turquie, – bref, la Turquie n’a qu’à s’aligner, Erdogan se faire discret jusqu’à l’inexistence, et tout ira pour le mieux...
« Meanwhile, Turkey's Foreign Ministry confirmed that Ankara has been seeking alternative methods of acquiring defense equipment, citing US delays. “Unfortunately the US has delayed giving us defense equipment we urgently need to fight terrorism because of ‘internal issues,’” an official Foreign Ministry booklet written to inform parliament said, Hurriyet reported on Thursday.
» Although the US has long been Turkey's top supplier of defense equipment, the US Senate approved a measure in September which effectively blocked the government from selling weapons to security forces associated with President Erdogan. The move was in response to a brawl that broke out between the leader's bodyguards and pro-Kurdish protesters in Washington earlier this year. »
Comme l’on voit, il y a à boire et à manger dans ces mauvaises relations avec la Turquie, mais l’on peut avancer que, puisqu’il y a désormais en jeu le Saint-Graal de la technologie, nous entrons dans une crise extrêmement sérieuse (ce pourquoi nous parlons de la venue d’un paroxysme). Il est question en effet du JSF, alias F-35, – réalise-t-on cela ?! Quand on a un avion qui marche aussi catastrophiquement, qui brise tous les “plafonds de verre” du gaspillage, de la corruption, de l’aveuglement technologique jusqu’à l’inversion totale de ce pour quoi il est censé être fabriqué, on le protège comme la prunelle de vos yeux et comme l’or factice entreposé à Fort Knox, au nom de la Federal Reserve.
... Nous ironisons à peine : au plus le JSF est catastrophique, au plus le F-35 entre en service pour ne rien faire, au plus les technologies hyper-avancées s’avèrent comme autant d’impasse, – au plus cet artefact épouvantable devient un bijou qu’il faut protéger à tout prix. Ainsi fonctionne la bureaucratie à front de taureau, dont la crétinerie ahurie, robotisée et collective est le destin le plus assuré.
Cela nous conduit à penser que, dans cette époque qui n’est faite que de simulacres et d’inversion, de narrative, de diktat du déterminisme-narrativiste, c’est-à-dire une époque où triomphent les catastrophes les plus définitives comme l’est le JSF, l’occurrence actuelle où le JSF est en jeu au niveau le plus fondamental de la sécurité des technologies hyper-avancées qui ne servent à rien et se dégradent à mesure qu’on les améliore est une parfaite occasion de maturation de la crise entre la Turquie et les USA/l’OTAN. Les réseaux bureaucratiques vont forcer à une attitude de complète fermeté vis-à-vis de la Turquie, d’arrogance et de diktat. C’est ainsi que procèdent désormais les puissances du bloc-BAO, privées de toute substance (ne parlons pas d’essence de la chose) et qui reposent sur des simulacres dont le JSF est l’une des plus parfaites réussites. Aujourd’hui, le JSF, cet avion catastrophique qui serait balayé en combat aérien par tous ses prédécesseurs, qui ne souffre pas le moindre coup de soleil et les températures de plus de 28 degrés, qui abandonne sa mission à la première goutte de pluie, aujourd’hui le JSF est une sorte de passeport pour appartenir au sein du sein de la puissance du bloc-BAO. Nous sommes proches du temps où tout membre de l’OTAN devra voler sur JSF, – ce qui nous voudrait d’excellentes leçons de souverainisme de la part de la basse-cour française. Qu’un de ces membres, et encore le plus turbulent et le plus suspect, puisse envisager d’exposer cette pure merveille au voisinage inquisiteur, voyeur et copieur de S-400 de construction russe, cela est quasiment insupportable.
Nous ne voyons pas un motif de crise qui soit aussi assuré, tant est grande la puissance de la pression des bureaucraties au nom du technologisme, de la sacro-sainte “sécurité nationale” et des profits du Corporate Power. La conjonction de cette commande de S-400 avec le début des livraisons de F-35 promet nombre de polémiques et d’interférences diverses, dont probablement celles du Congrès. Des manœuvres de chantage, des pressions diverses, des livraisons sous conditions inacceptables du F-35, des sanctions bien entendu sont très probables de la part de “D.C.-la-folle”. Il pourrait aussi y avoir des interférences avec le Russiagate, en plus du fait même des S-400, si le Général Flynn est inculpé par le procureur spécial Mueller puisque Flynn a fait du lobbying pour la Turquie. Malgré l’importance de l’enjeu pour les USA et compte tenu de l’état d’esprit et de la puissance du simulacre en place, il nous paraît très probable que l’intransigeance de “D.C.-la-folle” sera complète et inflexible. L’OTAN n’aura qu’à suivre, même si elle ne partage pas complètement cette sorte de probable intransigeance.
Voilà qui nous conduit à penser que l’affaire peut devenir en 2018 une polémique majeure et une crise et bonne et due forme, dans une structure générale du bloc-BAO où le système de la communication est la principale puissance, et l’hystérie irresponsable le principal effet de cette puissance (à “D.C.-la-folle” encore bien plus qu’ailleurs). En face, le président turc n’est pas connu pour ses vertus de patience et d’accommodement, et sa proximité actuelle de la Russie et de l’Iran ne l’encourageront pas à un arrangement où les USA ne manqueraient pas de mettre une forte dose d’humiliation à l’intention des Turcs. L’abandon du F-35 par la Turquie pourrait devenir un enjeu, voire même l’appartenance de la Turquie à l’OTAN ; ce qui constituerait, dans les deux cas (abandon du F-35 et retrait de l’OTAN), une chance unique pour la Turquie. Les Turcs complèteraient leurs S-400 par des Su-35 et remplaceraient l’OTAN par l’Organisation de Coopération de Shanghai. Le “tourbillon crisique” tourbillonneraient encore un peu plus vite.