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1593Nous aurions pu croire, – et on a pu le croire, l’espace de douze ou de vingt-quatre heures, – que l’élection étant faite, on allait assister à un regroupement général, au moins formel et pour une durée limitée, de l’establishment et de la presse-Système autour du nouveau président. Ce réflexe qui est une révérence rendu au pouvoir que tout le monde craint et duquel tout le monde espère des privilèges se concrétise en général, à Washington D.C., par une période d’armistice bipartisane durant l’interregnum (période de transition) puis par une sorte d’“état de grâce”, en général quelque chose comme les cent premiers jours de la nouvelle présidence au cours desquels on évite les critiques trop virulentes après le déchirement de la campagne, et cela avant de reprendre de plus belle. Même entre deux présidents à l’image si différente que GW Bush l’ultra-conservateur coincé et Obama l’hyperlibéral cool, la chose s’était déroulée selon cette tradition. (Au reste, et ceci explique cela après tout, on s’apercevrait très vite que les deux s’équivalaient en fait de politique-Système, – et comment ! Comme quoi la tradition bipartisane a du sens, à Washington D.C.-Système.)
Pour Trump, rien, absolument rien de semblable, à part la visite du président-élu au président en fin de mandat, qui s’est faite poliment, qui a fait croire pour quelques heures d'entre-deux qu’on retrouvait la tradition, et qui n’e été qu’une exception tout de même un tantinet polaire et du bout des lèvres. Depuis l’élection, l’antagonisme entre les anti-Trump et Trump n’a fait que s’amplifier, comme s’il n’y avait eu qu’un de ses “jour de repos” du Tour de France, entre deux grandes étapes de montagne. Il est donc passé, l'antagonisme, de la phase conjoncturelle d’une campagne électorale à une phase structurelle installant un nouvel état général de la psychologie, complètement caractérisée par les sentiments de la haine et de la peur.
La forme de l’anti-trumpisme, qui est de loin l’acteur le plus exotique de la pièce, prend désormais des allures structurelles assez peu ordinaires, parce qu'il est normalement emporté dans son évolution par le déterminisme-narrativiste qui lui impose la fidélité à la narrative anti-Trump développéee durant la campagne, hors de toute confirmationou même référence aux faits. Un exemple de cette situation est ce dialogue sur le réseau libéral (progressiste-sociétal) MSNBC : un des présentateurs-vedette de la chaîne, Chris Hayes, recevait notamment une journaliste de Slate, Michelle Goldberg, et ils parlaient tous deux de la “tournée de remerciement” de Trump, faite de plusieurs grands meetings dans différents États pour remercier les électeurs qui ont voté pour lui. (Il s’agit d’une pratique complètement inhabituelle, pour la première fois dans de telles circonstances. Trump était dans l’Ohio jeudi soir pour son troisième grand meeting.)
Les deux journalistes ont partagé le malaise où les mettait cette initiative, la comparant implicitement, nous semble-t-il, à une pratique dictatoriale, – bref la tournée triomphale du Führer (“Rallies For The Leader”) après sa prise de pouvoir ; ils l’ont jugé empreinte de menaces à l’encontre de ceux qui n’avaient pas voté Trump. Goldberg a conclu ce passage en observant que finalement elle ne prêtait pas trop attention aux mots et à leur signification, du moment qu’ils sortaient de la bouche de Trump... Sortis de la bouche de Trump, ils ne pouvait s’agir que de menaces du Grand Leader, c'est-à-dire du Führer.
Voici l’extrait (avec une troisième participante, Christina Greer de Fordham University):
Chris Hayes : « I have a sort of instinctual aversion to the mode of the Trump rally... particularly after he won. It feels like, it feels not that far from “Rallies For The Leader,” which don't have a great history in politics across the world. »
Michelle Goldberg : « The whole posture is one of kind of both rallying the people who voted for him, and also kind of menacing and threatening the majority who didn't... with these kind of menacing asides. “They're on our side, they just don't know it yet.” “You're going to like what we have in store.”
» It is... I don't think I am reading too much into this. »
Chris Hayes: « That's the question, right? Like, in the words of Barack Obama: Are you saying that is menacing because of the words, or because it is coming from the mouth of Donald Trump? »
Michelle Goldberg: « Because it is coming from the mouth of Donald Trump. Who is going to turn our country into a racist police state. »
Christina Greer : « Well, that is what he ran on, and here we are. »
Cet échange est révélateur de l’état des esprits du côté de l’opposition anti-Trump... Par ailleurs, il ne faut pas minimiser l’effet politique et psychologique de cette initiative complètement inhabituelle et inédite de Trump de sa “tournée de remerciement”, qui alimente effectivement cet état d’esprit des anti-Trump.
(PhG l’a qualifiée dans son Humeur de crise-28 de « grande campagne de “remerciements” pour son élection qui rassemble des foules comme une mobilisation qui ne dit pas son nom, à la façon que l’on a vue durant la campagne. » Il n’est pas nécessaire, malgré le penchant romantique et postmoderne des psychologies progressistes-sociétales, d’y voir l’amorce d’un complot à ciel ouvert et d’une subversion fasciste référence-1933, qui n’a rien à voir avec la situation présente, mais plutôt le type de méthode exubérante du président-élu qui se sent de plus en plus contesté et qui cherche un soutien populaire pour riposter.)
Par conséquent, l’on est en droit de constater que l’élection, au lieu d’un “retour à la normale” de la situation politique et du pouvoir, a opéré une véritable transmutation dans les psychologies anti-trumpistes : en devenant président-élu (et non encore investi, et pour certains il s’en faut de beaucoup), Trump est passé du stade accidentel de l’apprenti-dictateur à celui, très substantiel, de dictateur tout-court, ou de pseudo-Führer à bel et bien Führer. Ce qui compte n’est donc plus ce qu’il dit, mais bien que ce soit lui qui le dise : cette sorte de perception, c’est la porte fermée à toute possibilité d’arrangement, – cela, en ne tenant aucun compte de la réalité qui a depuis longtemps été congédiée, sans gages ni recommandation d’aucune sorte qui lui permettrait d’espérer une réapparition.
Les psychologies continuent donc à évoluer, dans le sens le plus défavorable qui soit pour ceux qui souhaitent un retour à l’ordre et au calme, ce qui n’est pas nécessairement notre cas. Il est de plus en plus manifeste, comme l’évidence nous le fait penser depuis l’origine de cette séquence, que Trump tout seul ne parviendra certainement pas, – même s’il en avait l’intention, – à susciter des changements antiSystème décisifs par un gouvernement normal (d’autant que l’incertitude grandit quant à la forme et à l’action de ce gouvernement). Par contre, si le désordre des esprits et les paroxysmes pathologiques des psychologies se poursuivent conformément à une situation hors de tout contrôle, il peut y avoir des prolongements très intéressants. Jusqu’ici, on ne distingue donc aucun signe qui pourrait faire revenir sur le jugement qu’il existe aux USA des dynamiques extrêmement fortes, échappant au contrôle courant des pouvoirs humains, pour susciter la poursuite d’une situation de grande déstabilisation de ce pays.
Mis en ligne le 11 décembre 2016 à 13H12