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4443Nous n’avons pas lu la longue et fastidieuse “Lettre aux Français” de ce président en France actuellement, simplement parce que le personnage est trop étranger aux mots qu’il écrit prétendument pour que ces mots aient la moindre substance. Macron n’est pas un logocrate, c’est un communiquant et un “président communiqué”. Par conséquent, nous nous attarderons essentiellement, sinon exclusivement à ce qu’on ne trouve pas dans cette missive, – c’est-à-dire les Gilets-Jaunes et l’UE, ou Union Européenne.
Pour les GJ, l’affaire est vite réglée et le débat n’a pas lieu d’être pour l’explication qu’il faut envisager de leur absence et pour les conclusions qu’il est inutile d’en tirer. Macron les ignore, les GJ, parce que c’est sa politique et son habileté à lui, son tempérament, sa psychologie et son caractère, son instinct profond, sa modernité, son réflexe quasi-pavlovien par rapport à l’image qu’il s’en fait. Comme dit si fortement et superbement l’actrice Isabelle Adjani, et dans ce cas l’appréciation absolument insupportable de la matière même du sujet (le GJ standard) en règle l’aspect conceptuel et l’esprit même pour le président : « On a l'impression qu’il ne faut pas qu’il soit touché par ça [les pauvres], et qu'il ne faut pas toucher à ça. Une impossibilité tactile, en tout cas avec le corps du pauvre. Il ne sait pas. Il y a là quelque chose qui est complètement en réserve et qui rend les gens fous.”»
Pour l’UE, bien entendu, c’est plus intéressant parce que l’UE est, pour Macron, à l’inverse des GJ, l’alpha et l’oméga de ses conceptions politiques sinon et même surtout théologiques. C’est pour cette raison que l’interview que nous reprenons ci-dessous est pour nous d’un réel intérêt puisque, comme l’indique l’en-tête (dans Figarovox du 14 janvier 2019), « Coralie Delaume relève l'absence d'un sujet qu'elle juge pourtant essentiel : l'Union européenne. »
(« Coralie Delaume est essayiste, elle a écrit ‘La fin de l'Union européenne’ [Michalon, 2017] et vient de publier ‘Le Couple franco-allemand n'existe pas’ [Michalon, 2018]. Elle anime depuis 2011, le site L'Arène nue. »)
Il est en effet impossible aujourd’hui de parler de quoi que ce soit de sérieux en France sans se référer à Bruxelles et à l’UE. Thierry Ardisson disait au début de la révolution-GJ que « l’idéal de ce pauvre pays [nous, la France], c’est les 3% de Bruxelles » et que notre-Président n’est pas autre chose que « le Gauleiter de Bruxelles », choses qui ne peuvent que nous confirmer dans notre perception bien-tempérée et conforme aux évidences. Madame Delaume trace ainsi, selon une formule des plus heureuses, la mission essentielle de la France de Macron, où l’on voit que la recette passe à nouveau par Bruxelles selon des penchants standards et déjà éprouvées dans notre histoire : « [N]otre pays joue un rôle essentiel “d’idiot utile” de l’Allemagne en Europe : Berlin peut tout se permettre dès lors que Paris le cautionne au nom du “couple franco-allemand”. » Rien n’échappe à l’emprise de l’UE-Bruxelles dans les jugements essentiels à propos de la situation française, et c’est justement de l’UE-Bruxelles qu’il est interdit de converser dans le “Grand Débat”.
Effectivement, toutes les questions abordées, tous les domaines envisagés, doivent se référer au diktat de l’UE pour évoluer d’une façon significative ; c’est-à-dire, dans la vérité des résultats concrets attendus du “Grand Débat”, “pour ne pas évoluer de façon significative”. Même lorsque l’essayiste Coralie Delaume envisage avec générosité d’être plus conciliante et concède que l’introduction in extremis de la question de l’immigration est plutôt un signe positif, nous sommes obligés de dire toute notre réserve à cet égard :
« L'autre sujet proscrit était en principe l'immigration, mais il est revenu par la petite porte (“En matière d'immigration, une fois nos obligations d'asile remplies, souhaitez-vous que nous puissions nous fixer des objectifs annuels définis par le Parlement ?”). Pourquoi pas ? »... Pourquoi pas, certes, sauf que le “une fois nos obligations d’asile remplies” signifie à nouveau que nous renvoyons la décisions aux règles générales que fixe Bruxelles, avec la bénédiction de l’ONU et du traité de Marrakech, et qu’il est donc inutile de s’attarder plus longtemps au sujet puisque nous ne sommes après tout qu’en France et que c’est un peu court pour traiter des affaires de France.
Le “Grand Débat” est donc bien de la sorte qu’il mérite d’être : une chose incertaine et toute en apparence aux mille facettes aguicheuses, un “machin de communication”, un simulacre de concertation comme il est de bonne guerre de faire, avec un tel régime, dans de telles conditions, et dans une telle crise, avec les sentiments qu’on connait des uns et des autres, et le niveau intellectuel et le caractère de nos dirigeants. Tout cela trace les limites de ce “machin”-simulacre, le champ clos où il est autorisé de s’ébattre, avec les précautions habituelles pour ne pas en franchir les limites (trois des “arbitres indépendants” sur cinq venus du gouvernement ou assimilés, en plus des deux Disc-Jockeys venus de l’équipe gouvernementale pour conduire la musique). Il est vraiment très-extrêmement difficile d’en faire une critique constructive parce qu’il n’y a en vérité aucune construction à considérer, mais un simulacre de construction jeté en maigre pâture pour donner l’impression de faire quelque chose face à la marée des GJ, – pour l’endiguer, ou “l’enfumer” qui est un terme fort employé, ou l’assécher, – bref, qu’on n’en parle plus très vite, et qu’on “passe à autre chose” (autre expression favorite du temps postmoderne).
Le “Grand Débat” est au-delà, ou plutôt en-deça de la critique : il est intouchable et inatteignable et l’on ne pourrait en dire que du bien si l’on voulait en dire quelque chose. C’est dire qu’il est inutile d’en dire plus.
Avant de passer à l’interview Figarovox de Coralie Delaume par Etienne Campion, on observera qu’un sondageréalisé après la diffusion de la “Lettre aux Français” donne une bonne idée des intentions et du climat. Voici les résultats commentés du sondage : « Le grand débat national voulu par Emmanuel Macron et qui s’ouvrira le 15 janvier, pour une durée de deux mois, n’est pas mobilisateur. Selon une enquête Opinion Way, réalisée pour Public Sénat, Le Point et État d'Esprit-Stratis, 47% des Français souhaitent participer au débat, contre 52% qui n’en ont pas l’intention [1% ne se prononce pas]. L’institut note que ce “n’est pas un résultat particulièrement élevé pour ce type de sondage”. Le score est même jugé “plutôt faible”, en sachant que d’autres études indiquent que les trois quarts des Français souhaitent donner leur avis sur des projets publics qui les concernent. »
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Figarovox : « Dans une longue lettre aux Français en vue du lancement du “grand débat national”, Emmanuel Macron parle de “rebâtir un nouveau contrat social”. Que vous inspire cette lettre ? »
Coralie Delaume : « Cette idée même de “grand débat national” est étrange, alors qu'Emmanuel Macron est un président élu de fraîche date. Si la France avait encore une vie démocratique normale, on pourrait considérer que le “grand débat” a eu lieu en 2017 et qu'il s'appelait “campagne présidentielle”. Dans un cadre sain, le temps du débat, c’est le temps d'une campagne électorale. Des projets de société différents, – voire opposés – s’y affrontent, des programmes sont présentés, explicités, défendus. Après quoi les citoyens votent et le candidat qui portait le projet vainqueur gouverne. Le cas échéant et si une question cruciale se pose pendant le mandat, les électeurs peuvent être consultés par référendum, ce qui donne lieu à un “grand débat national” nommé “campagne référendaire”. Les citoyens ont deux options possibles, dire “oui” ou dire “non”. En principe, le verdict des urnes et censé être respecté. J'insiste : en principe. En mai 2005, lors du dernier référendum organisé en France (celui sur le projet de Traité constitutionnel européen), il en est allé autrement.
» Depuis, il n'y a plus jamais eu de référendum et c'est sans doute cela, – cette sorte de “frustration référendaire” qui trouve son origine en 2005, – qui explique le succès de la thématique du RIC (référendum d'initiative citoyenne).
» On peut s'interroger: comment se fait-il que les campagnes présidentielles et législatives de 2017 n'aient pas tenu lieu de “grand débat national” ? La réponse est simple: dans la mesure où l'on ne veut remettre en cause ni les modalités de fonctionnement de la mondialisation, ni celles de cette petite mondialisation à échelle locale (et principale courroie de transmission de la “grande” mondialisation) qu'est l'Union européenne, il n'y a plus de “grand débat” qui tienne plus d'alternance possible. Plus exactement, l'alternance ne sert qu'à changer le personnel mais ne permet en aucun cas de changer de politique. C'est ce que Jean-Claude Michéa appelle “l’alternance unique”, et que d'autres avant lui nommaient “l’alternance sans alternative”. L'importance prise par le Rassemblement national dans le paysage politique achève de verrouiller la vie démocratique française. En affrontant Marine Le Pen en 2017, Emmanuel Macron pouvait se permettre de n'avoir comme seul projet “moi ou le chaos”, c'est-à-dire “l'intégrisme maastrichtien renouvelé ou le chaos”. et»
Figarovox : « Emmanuel Macron affirme que ce débat permettra de clarifier les positions de la France au niveau européen et international. Pensez-vous qu'il modifiera sa politique européenne en fonction des avis exprimés ? »
Coralie Delaume : « Non. Dans sa lettre, le Président écrit qu'il n'y a “pas de questions interdites”. Pourtant quand on regarde les questions listées, on s'aperçoit qu'il n'y a aucune question sur l'Union européenne.
» L'autre sujet proscrit était en principe l'immigration, mais il est revenu par la petite porte (“En matière d'immigration, une fois nos obligations d'asile remplies, souhaitez-vous que nous puissions nous fixer des objectifs annuels définis par le Parlement ?”). Pourquoi pas ? En démocratie, on doit pouvoir débattre de tout y compris des sujets qui fâchent. La question migratoire est une question politique comme une autre et en faire un tabou est le meilleur moyen de la transformer en abcès de fixation.
» En revanche, on remarque que la question européenne, elle, n'est pas posée. Le vrai tabou est-il celui-ci ? Cela me rappelle ce qui s'est passé en Italie au moment de la formation du gouvernement “Lega/5 Etoiles”. Lorsque les partenaires de coalition ont voulu nommer à l'Économie une personnalité ayant fait valoir ouvertement son opposition à l'euro (Paolo Savona), le Président italien Sergio Mattarella a opposé une fin de non-recevoir. Plusieurs options ont été envisagées pour éviter qu'une telle chose ne se produise, y compris la mise sur pieds d'un “gouvernement technique” et quoiqu'il puisse en coûter en matière de démocratie. Mattarella a-t-il fait autant d'histoires concernant la nomination de Matteo Salvini à l'Intérieur ? Bien sûr que non, Salvini est à l'Intérieur mais c’est Giovanni Tria qui a finalement été nommé à l'Économie. »
Figarovox : « Les potentielles réformes qui sortiront du débat suffiront-elles à changer l'état du pays ? »
Coralie Delaume : « Non, pas tant que le tabou sur l'Europe existe ou, plus exactement, le tabou sur l'Union européenne. Il faut en effet rappeler que l'Union européenne n’est pas l’Europe, mais une modalité particulière d'organisation de celle-ci, conforme aux intérêts supérieurs du capital, faisant primer la souveraineté des marchés sur celle des peuples.
» Comme je l’expliquais récemment dans vos colonnes, il n’y a plus de politique économique alternative possible dans le cadre actuel. Les traités forment une “constitution économique” pour l'Europe, et qui dit “constitution” dit “fixité”. Les politiques économiques sont prédéterminées dans les textes en vigueur, qui ne sont modifiables qu'à l'unanimité des États membres. Voyez comment les choses fonctionnent. La France n'a plus de politique monétaire ni de politique de change autonome puisqu'elle est dans l'euro.
» Elle n'a plus de politique budgétaire autonome puisqu'elle doit se soumettre au critère des “3% de déficit public”, et que dans le cadre du “Semestre européen”, la Commission encadre l'élaboration des budgets nationaux. Elle n'a plus de politique commerciale autonome puisque c'est là une “compétence exclusive de l'Union”. Enfin, elle ne peut plus mener de politique industrielle volontariste puisque les traités interdisent de “fausser la concurrence” par le biais d'interventions étatiques dans l'économie.
» Que reste-t-il ? La politique fiscale ? L'organisation du Marché unique tel qu'il existe depuis l'Acte unique de 1986 fait que les pays européens se livrent en la matière une concurrence effrénée, que nos paradis fiscaux internes (Luxembourg, Irlande) ont déjà largement remportée. D'ailleurs, Macron a annoncé la couleur: le grand débat ne pourra en aucun cas aboutir à une remise en cause de la politique fiscale qu'il conduit depuis son arrivée au pouvoir (“Nous ne reviendrons pas sur les mesures que nous avons prises pour corriger cela afin d'encourager l'investissement et faire que le travail paie davantage. Elles viennent d'être votées et commencent à peine à livrer leurs effets”). »
Figarovox : « Que peut donc faire, selon vous, Emmanuel Macron ? »
Coralie Delaume : « In fine, les options en présence demeureront les mêmes: baisser le “coût du travail”, privatiser une partie des services publics et sous-financer ceux qui restent. Ce sont là toutes les possibilités d'ajustement économique disponibles.
» Un bémol cependant. Les dépenses supplémentaires annoncées par le président de la République en décembre pour répondre à la crise des Gilets jaunes vont faire dévier la France de sa trajectoire budgétaire. Le Commissaire européen à l'économie Pierre Moscovici a certes fait savoir que le critère des 3 % n'était pas un totem, en tout cas pas pour la France puisque c'est son pays. En revanche, l'Italie n'a pas manqué de dénoncer le “deux poids, deux mesures” de la Commission. Côté allemand, la Bundesbank est un peu fébrile et son patron, Jens Weidmann, a fait savoir en décembre qu'il restait très attaché au respect strict des règles. Quant au commissaire allemand Günther Oettinger, il a même évoqué la possibilité de sanctionner Paris.
» Il est peu probable que cela arrive car notre pays joue un rôle essentiel “d’idiot utile” de l'Allemagne en Europe : Berlin peut tout se permettre dès lors que Paris le cautionne au nom du “couple franco-allemand”. Il n'en reste pas moins que l'Union européenne est aujourd'hui très fragile, que la moindre pichenette comporte des risques d'effondrement et qu'un rien peu produire un enchaînement de conséquences non-maîtrisables. Que se passera-t-il si la “désobéissance” budgétaire française est prise en exemple par d'autres pays ? Si tous se mettent à “désobéir” ? Où se situe le seuil de tolérance de la République fédérale ?
» C'est ce qu'on va voir dans les mois qui viennent, et dont on pourra peut-être enfin parler dans le cadre d'un “grand débat national” ayant pour nom ”campagne électorale en vue des Européennes de mai 2019”. »
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