Le Grand Retournement

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Le Grand Retournement

30 mai 2016 – En préambule à ce F&C, et conditionnant tout son contenu, on trouve une démarche hypothétique qui concerne Trump et Poutine. L’hypothèse suppose dans le cas de Trump une personnalité et une action spécifiques. Il y a eu des indications dans ce sens, mais d’autres dans un sens différent. Nous choisissons la première orientation parce qu’il s’agit de la seule intéressante, parce qu’il s’agit de la seule qu’on  puisse développer d’une façon cohérente. (Contrairement à ce qu’il couramment admis, l’hypothèse contraire qui ferait de Trump une créature du Système, ou devenant tel et qui, comme dans le cas Clinton, tenterait de poursuivre la politique-Système poursuivie jusqu’ici, déboucherait sur une impasse totale et susciterait un chaos de violence à cause de l’énergie accumulée dans l’attente d’un changement essentiel, notamment et précisément avec Trump.)

L’expression (“Le Grand Retournement”) a déjà été employée pour d’autres circonstances crisiques, – mais, effectivement à propos de crise... Elle s’oppose à une autre expression du genre, le “Grand Remplacement” proposée notamment par Renaud Camus et qualifiée comme de type conspirationniste, un peu vite comme toujours dans cette confusion des identifications où les vigiles-Système débusquant toute thèse qui n’est pas née du Système, confondent évidemment diffamation avec démonstration. Pour nous et dans ce cas, le “Grand Retournement” a un sens concret, immédiat, qui n’a rien à voir, ni avec la spéculation éventuellement théâtrale, ni avec la diffamation suggestivement conspirationniste. Il s’agit de l’expression que nous appliquons à l’idée, par ailleurs déjà largement esquissée et développée, d’une “percée décisive”, ou “Grande Percée” (« The Big Breakthrough »), qui est le titre de l’article de Justin Raimondo, sur Antiwar.com, le 23 mai 2016. Il s’agit de la possibilité d’un événement considérable auquel, nous semble-t-il, on ne prête pas assez attention, quand on ne l’ignore pas complètement, notamment en Europe où l’on tant à faire avec les crises diverses affectant notre triomphant nombril bruxellois et accouchées de lui ; car cet évènement évidemment crisique conditionne une multitudes de crises qui lui sont liées... Pour poursuivre les analogies citées ici, l’on pourrait dire que le Grand Retournement est l’arme la plus éventuellement efficace pour lutter contre un éventuellement effectif Grand Remplacement.

Bref, pour Justin Raimondo, il s’agit de la défaite qui se dessine de plus en plus nettement jusqu’à s’affirmer comme une déroute, du “parti de la guerre” (The War Party), d’où tout le mal vient. D’une façon que nous paraît instructive, il commence son commentaire par citer l’expérience poursuivie, dans le cadre de leurs études, d’un groupe d’étudiants de la très fameuse Brown University, dans l’État de Rhode Island, des étudiants qui ont suivi les débats des primaires comme l’on regarde la Grande Histoire en train de se faire sous vos yeux, – right before our eyes...

« As Bob Dylan put it, “the times they are a changing!” – and that is certainly the case when it comes to the debate over US foreign policy this election season. A recent article in the Boston Globe, summarizing the observations of a group of Brown University students who tracked the foreign policy discourse of the candidates, underscored what is happening on both sides of the partisan divide:

» “As we watched, Republican voters rejected every candidate who favored their party’s traditional hardline foreign policies, including Lindsey Graham, Chris Christie, Jeb Bush, and Marco Rubio…. Trump, the presumptive nominee, has broken with foreign policy dogma on a host of issues. He asserts that decades of foreign wars have not been good for the United States – hardly a traditional Republican view.”

» The Democratic party, too, is experiencing what these youthful observers describe as a “foreign policy identity crisis”: “Clinton, the likely nominee, is an activist by nature and supports escalation from Afghanistan to Syria to Ukraine. Her opponent, Senator Bernie Sanders, has condemned her ‘very aggressive policy of intervention’ and said he does not believe the United States should be ‘the world’s policeman.’ Yet though Sanders effectively pushed Clinton further left in terms of domestic policy, he was unsuccessful in changing her deeply held foreign policy views.”

» The two parties are undergoing a process of “role reversal,” as these students put it, right before our eyes... »

Ensuite, Raimondo observe l’évolution accélérée des évènements, c’est-à-dire de l’Histoire elle-même, ces derniers mois, ces dernières semaines, peut-être même ces derniers jours. Lui qui ne cessa de vitupérer contre la dictature des neocons, il la voit soudain comme un épisode dérisoire et semble considérer ces agitateurs comme un jivaro voit la tête de son ennemi rapetisser, et nous-mêmes la chose se dissoudre sous l’attaque d’on ne sait quelle force, – antiSystème, pour le coup, certes... « Neoconservatism was an anomaly, a tangent occasioned by the alleged necessities of the cold war: its life was prolonged by the 9/11 attacks, but as the effect of that signal event wore off, and as the country exhausted itself in a futile (and losing) military campaign to make the Middle East into an Arabic version of Kansas, the rebellion against the neocons gathered strength and finally triumphed. No matter what the fate of Trump’s candidacy, and in spite of his other controversial views, he has succeeded in overthrowing the old GOP foreign policy orthodoxy and replacing it with what he calls a policy of “America First.” »

Le ton est singulier chez ce commentateur qui n’a cessé de dénoncer le danger des néoconservateurs, leur implantation, leur influence, etc. Il écrit ce passage comme si tout cela était en train de disparaître en fumée, – non, mieux encore, “comme si tout cela avait disparu en fumée, n'avait jamais été que fumée”... La politique de Trump n’est pas sans contradictions mais peu importe écrit Raimondo, l’essentiel est fait ; et effectivement, il écrit tout cela au passé : « [...L]a rébellion contre les neocons acquit toute sa puissance et triompha finalement. Qu’importe le sort de la candidature de Trump, et malgré certaines de ses conceptions controversées, il a réussi à liquider la vieille politique étrangère orthodoxe du GOP ... »

Bien entendu, Raimondo embrigade sans la moindre hésitation la gauche progressiste perçue absolument comme antiSystème, rassemblée autour de Sanders, et qui propulse Sanders dans le même sens, avec un “Bernie” dont la critique « s’alimente aux mêmes racines que celle de Trump » (voilà les deux compères antiSystème rassemblés, ce qui se défend comme l’on sait mais qui doit être également pondéré sans pourtant être démenti, – les électeurs votent comme ils veulent, – par les observations selon lesquelles Sanders finira par rallier Clinton) :

« On the left, too, the anti-interventionists are on the offensive. Although they have not succeeded in overthrowing the Establishment – thanks to a rigged primary system, Mrs. Clinton has all but clinched the nomination – Sanders has directly challenged Clintonian interventionism and he is taking his fight all the way to the Democratic party national convention. Sanders’ critique of the bipartisan foreign policy “consensus” springs from the same roots as Trump’s: correctly perceiving an economic and even a spiritual crisis on the home front, Bernie wants America to come home and concentrate on solving our domestic problems – which threaten to overwhelm us even as we go marching off to “liberate” the world. »

(Là-dessus, on jugera peut-être inconséquent que, dans une autre chronique, quatre jours plus tard, Raimondo affirme qu’il ne votera pas pour Trump [le 28 mai 2016]. Cela peut sembler incohérent à une “raison” normale, évoluant comme nous avions l’habitude il y a vingt ans, quarante ans, un demi-siècle, etc., c’est-à-dire dans un univers où prévalaient, comme ils prévalent encore entre deux hoquets du chaos-nouveau, les diktat du Système. Cela nous semble, à nous, très encourageant au contraire, comme si Raimondo avait compris qu’il existe des évènements formidables et que ces évènements formidables ne dépendent en rien de ceux qui les déclenchent, ou semblent les déclencher, et qui d’ailleurs ne sont pas vraiment capables de s’en expliquer puisqu’il s’agit d’évènements hors de l’empire de notre raison, – heureusement, puisque raison subvertie... « No, I didn’t vote for Trump in the California primary: I didn’t vote for anyone for President. However, I am voting for the Trump movement: it’s the best thing to happen to this country since the original America First movement, which Trump has courageously evoked by adopting “America First” as the slogan of his campaignLike the candidate himself, that movement is not consistent: it has no systematic worldview. Yet that is no excuse for standing apart from it: it must be engaged by all serious anti-interventionists, and that is precisely what we are doing here at ‘Antiwar.com’. »)

Passons maintenant à autre chose, “de l’autre côté” si vous voulez. Sputnik publiait le 17 mai un compte-rendu abrégé d’un article (en russe) et des déclarations de l’économiste Mikhail Khazine ; présenté comme un “économiste respecté” et (“mais” ?) connu pour faire des prévisions audacieuses, fameux dans “les cercles d’experts”  moscovites (dont nous ne faisons pas partie) pour avoir prévu, longtemps à l’avance, l’effondrement financier de l’automne 2008. Khazine présente à nouveau des précisions extrêmement audacieuses, et pour le très court terme. Sa religion est faite, Trump est un candidat véritablement révolutionnaire, représentant les “isolationnistes durs” et qui, en tant que représentant de cette aile, entend démolir toute la machinerie qui a servi aux USA à étendre son empire financier (et le reste), mais surtout à mettre en place une globalisation qui, désormais, les emprisonne (les USA) dans un rôle de responsable du monde défini par cette architecture financière. Pour Khazine, Trump va s’attaquer à la Federal Reserve, au FMI, au département du Trésor et ainsi provoquer un bouleversement sans précédent.

Pour cela, Trump a besoin d’aide, et particulièrement de l’aide de la Russie. Khazine estime que Trump demandera à Poutine de se débarrasser de son entourage économico-financier inspiré de l’ère Clinton-Eltsine, exactement comme le lui demande l’aile souverainiste-nationaliste russe. Cela représente un danger considérable pour Poutine, essentiellement d’ici novembre selon l’hypothèse de l’élection de Trump, parce que le “parti globaliste”, dont le candidat est évidemment Clinton, va tout faire pour “faire rentrer Poutine dans le rang”. Sputnik reprend dans la citation ci-dessous des extraits de déclarations de Khazine faites à la station de radio Echo Moskvy à la suite de son article, autant que des extraits de son article.

« “[If] the election is won by the ‘isolationists’ [Trump], they would put pressure on Putin to get rid of the representatives of the opposing wing,” including liberal officials, economists and oligarchs, from policy-making circles, the economist explains. “The situation may change as soon as later this year. I have already written that Trump, if he wins, will almost certainly ask Putin to dismiss supporters of the [pro-Clinton] financiers around him, as a guarantee of partnership. But here Putin will face serious problems.”

» These problems, Khazin suggests, stem from the fact that Trump and Putin are almost certain to come to an agreement. “And this cannot but worry the financiers. For this reason, I predict a sharp increase in pressure on Putin (coming from [the global] financiers and their Russia-based agents), aimed not so much at removing him from office (because it's unclear how such a thing could be done) but to make him a political outcast in the West. How this will be done I can’t say, but an attempt will almost certainly be made to ‘solve this problem’ before November.” Trump's interest in Russia is twofold, the economist explains. “It has a passive component: Russia should not support his enemies among the financiers, and take responsibility for a number of regional issues which Trump does not want to spend American resources on – this includes regional security in Eastern Europe and part of the Middle East, where ‘security’ consists partly of working to limit the activity of terrorist groups, such as Daesh, which were created by the financiers in the first place.”

» “It’s for this reason,” the economist adds, ”that the current pro-American (or more accurately, financier-appointed) elites in Eastern Europe,” with a few exceptions, “are howling about a mythical ‘Russian threat’.” In reality, Khazin says, these elites “are afraid not of a Russian invasion, but that as a result of the defeat of their senior partners in Washington, they too may be driven from their posts. And here the issue is not even about losing access to the gravy train; it's obvious that new authorities in these countries would start anti-corruption investigations, and there's no guarantee that the new authorities in the US would step out to protect them. For Trump, they are simply the representatives of his political enemies…In the best case scenario, those of them who are US citizens will find themselves sitting in American prisons.”

» The problem for the financiers and their allies, the economist suggests, is that Trump is likely to operate not only on this passive position, but via a ‘proactive scenario’ as well. “The issue is that a revanche by the financiers,” via elections or by some other means, “remains possible only if the general model (built on the basis of the dominance of the financial sector) remains unchanged.” Russia, Khazin suggests, is one of the few remaining countries in the world which has an economic school and macroeconomic models which can serve to benefit anti-globalist politicians “who have seriously committed themselves to pushing the ‘financiers’ off the global Olympus.” This, he adds, “is a serious trump card, because no other base for a transition from a passive fight against the financiers…exists.” In the final analysis, the economist writes, “the elimination of the ‘liberal economic dictatorship’ that will become possible for our political elite in the event of Trump’s rise will help not only to dramatically reduce the risks to our country’s [economic position], but will also allow us to get a serious trump card for negotiations on a more or less equal basis with our foreign partners.” »

Nous poursuivons notre démarche purement spéculative, sans la moindre certitude d’aucune sorte. Aucune déclaration officielle, aucun programme de quelque sorte que ce soit ne donne d’indication précise pour l’orientation spéculative que nous suivons ; mais également,  aucune autre orientation sérieuse, correspondante à l’ampleur des évènements considérés, n’est identifiable, tandis que, comme nous l’avons dit plus haut, la poursuite de l’actuelle politique-Système nous paraît une gageure extraordinairement risquée. (L’assurance que semblait représenter la politique-Système devenue un risque de première grandeur.) La situation aux USA constitue, derrière l’écume faiblarde qui est maintenue par l’habituelle démarche narrativiste de la presse-Système, une énigme d’une exceptionnelle ampleur, qui exige pour tenter d’en explorer les approches, des hypothèses à mesure.

Nous allons donc  considérer ces deux points de vue comme complémentaires, admettant qu’ils recoupent diverses analyses prospectives tentant de donner un sens aux évènements en cours, particulièrement aux USA où, comme l’on sait, jamais n’a existé une telle  situation politique par rapport aux habitudes et aux caractéristiques du système politique extrêmement sophistiqué, mis en place depuis 1787-1789 et constamment raffiné et renforcé depuis. Il s’agit donc bien d’une analyse de prospective hypothétique, dont l’audace évidente se justifierait justement par l’exceptionnalité des évènements. Autrement dit, et en suivant une logique métahistorique, il faudrait admettre que de tels évènements si exceptionnels ne peuvent être en vain, même si n’en saisissons pas le sens à première vue (justement parce qu’ils sont d’essence métahistorique), et ne peuvent prendre un sens, justement, que dans leur appréciation selon une hypothèse extrêmement audacieuse.

La psychologie de la fin de cette civilisation

... Par conséquent, nous considérons que ces deux points de vue se complètent nécessairement et tracent un vaste ensemble coordonnée qui peut être apprécié comme l’hypothèse s’une opération dont le but serait la destruction nécessairement très rapide et assez brutale du système économico-financier et des structures militaro-stratégiques qui lui donnent sa stabilité. Ils supposent l’entente implicite, – sinon d’ores et déjà explicite, question posée sur d’éventuels contacts Trump-Poutine, – des deux hommes qui, dans le monde, manifestent aujourd’hui le plus de cohésion politique et d’énergie déstabilisante à l’encontre du Système, qui ont une capacité unique d’exercer un véritable pouvoir de déstabilisation. Si cette hypothèse, qui naît de la lecture des deux articles que nous jugeons représentatifs d’une situation extraordinairement volatile et potentiellement révolutionnaire, est prise en compte, il est manifeste que le plus mal à l’aise des deux est évidemment Poutine.

Le président russe serait pris, dans ce schéma prospectif, entre deux nécessités contradictoires : d’une part, la nécessité de poursuivre son action dans les crises en cours avec l’actuelle administration qui est en bout de mandat, qui n’a plus aucun pouvoir d’initiative, mais qui continue à détenir la clef de l’activation de forces capables de précipiter une aggravation soudaine de la situation ici ou là (Syrie, Ukraine, OTAN, etc.) ; d’autre part, la nécessité de préparer une politique complètement différente, si Trump est élu, et s’il veut aussitôt entreprendre une action décisive de destruction du système globalisé général qui est en place.

D’une façon assez paradoxale, on peut aisément parvenir au constat que, des deux, Poutine est le plus modéré, le plus hésitant, le plus incertain. L’on a déjà cité assez de bruits, de rumeurs, de supputations sur les pressions que son aile droite (les nationalistes-souverainistes) fait peser sur lui. Par contre, cette pression, dans l’hypothèse évoquée, ne devrait pas chercher l’élimination de Poutine, et son remplacement par une direction plus dure, mais bien au contraire, renforcer Poutine sur sa droite pour qu’il puisse tenir jusqu’à l’arrivée de Trump. On comprend alors que Poutine est à la fois “prisonnier” de sa droite dure et “protégé” par sa droite dure, mais à la condition qu’il ait acquiescé aux termes que Khazine détaille et que Trump réclamerait, c’est-à-dire l’élimination dans son gouvernement de l’aile comprenant les directions financières et économiques, qui reste très occidentalisée/globalisée.

Trump, lui, est à l’aise, parce que c’est sa fonction, on dirait presque son ontologie d’être à l’aise. On en revient à l’analogie-Patton que nous avons déjà évoquée, – mais un Patton qui, s’il est élu, n’a pas au-dessus de lui deux échelons hiérarchiques qui le contrôlent et le freinent dans le domaine tactique où il évolue (Eisenhower-Marshall dans la hiérarchie militaire, Roosevelt puis Truman dans la direction suprême). Si l’on poursuit l’hypothèse et s’il est élu, Trump est celui qui fonce, sans souci de préparation ni d’élaboration, comptant sur la seule énergie qu’il est capable de produire pour déclencher les mouvements de déstabilisation et de déconstruction.

Il y a donc une complémentarité réelle entre les deux hommes. De là peut naître, non pas une politique spécifique parce qu’il n’y a nul besoin de s’inquiéter à cet égard, – une seule politique peut naître de cette potentialité d’énergie qu’on décrit, qui est le processus de destruction des principales structures du Système, – mais bien le mouvement qui rendrait cette politique possible. C’est à ce point, – la rapidité, l’énergie, l’offensive à-la-Patton, – que se situerait le nœud gordien, – la réussite ou l’échec de l’entreprise, selon le potentiel d’énergie qu’on parviendrait à dégager.

En face, il y a une surpuissance établie, d’un poids considérable, mais complètement bloquée dans une sorte de paralysie qui fait paradoxalement de cette surpuissance une sorte d’hyperimpuissance. Le problème du Système est paradoxalement son absence d’énergie et d’imagination combattive dabns le chef de ses relais (de ses “outils”) humains, par dissolution des directions-Système et des élites-Système, dont la psychologie, et donc la capacité d’action, sont réduites à une défensive désespérée, dont chaque geste défensif produit une situation encore pire que celle qui a précédé (c’est le fameux « Ils ne voient rien venir, ils répondent à un coup dur par une posture qui les expose à un coup encore plus dur »). Ces acteurs ont donc un rôle important à tenir par leur faiblesse qui les conduit involontairement à une inversion vertueuse en aggravant à chaque instant leur position par leurs ripostes.

(Par exemple, pour donner une indication vivante de cette situation. Ce qui se passe en France participe au processus de surpuissance-hyperimpuissance du Système qu’on a évoqué plus haut. Quelle est la véritable riposte “du Système” ? C’est une déclaration d’une stupidité qui laisse sans voix, d’un Juncker déclarant que la loi El Khomri, devenue le symbole de la révolte, est “le minimum de ce que la Commission peut accepter” pour le cas français. Il est difficile de faire plus stupide et, à cet égard, Juncker ne déçoit pas, il est bien égal à ce qu’on attendait de lui. L’hypothèse Trump-Poutine, si elle peut compter sur dix Juncker, sur cent Juncker dans les postes stratégiques du Système, a la partie déjà gagnée pour l’essentiel... Elle peut aussi compter, paradoxe absolument délicieux, sur un Juncker qui a bu une bière de trop et qui, brusquement, accepte de se rendre au Davos russe de Saint-Petersbourg, le 16 juin, – si le Système, qui réagit furieusement, n’a pas, d’ici là, récupéré la bestiole égarée... De toutes les façons, on voit bien combien directions-Système et élites-Système ont la fermeté d’une colonne vertébrale type-éclair au chocolat.)

Maintenant, on doit se poser la question de savoir comment un tel processus peut se dérouler. Nous prenons bien garde à exprimer qu’il s’agit, non pas d’un “plan” des deux hommes principalement cités, non pas d’une “manœuvre” qu’on pourrait qualifier de stratégique ou/et de complotiste selon ce qu’on en a, selon qu’on est de bonne ou de mauvaise humeur. Pour nous, il s’agit d’une orientation soudaine des évènements, née de forces puissantes qui dépasseraient le seul domaine des manœuvres humaines mais qui permettrait à ces manœuvres de prendre leur place et de jouer leur rôle (comme elles ont permis le surgissement de Trump dans un Système qu’on supposait verrouillé et complètement hermétique). Il n’y a pas de Eisenhower-Marshall/Roosevelt-puis-Truman au-dessus de Trump-Patton, mais il y a une stratégie qui lui est dictée par une Histoire en pleine accélération. Nous irions jusqu’à avancer l’idée que Trump, s’il veut rester lui-même tel qu’il apparaît au public et à ses fans, – et Dieu sait qu’il doit le vouloir, – se doit de lancer des initiatives considérables à son arrivée à la Maison-Blanche, si c’est le cas.

(Nous dirions même que c’est là la différence décisive entre Trump et Sanders, selon une autre hypothèse où Sanders figurerait ou non dans la finale présidentielle, – et dans la mesure où Trump est bien le Trump qu’on croit et le reste tel que nous l’avons vu jusqu’ici. Sanders est un homme intègre, sérieux et assez peu porté sur la surreprésentation médiatique. Il nous semble qu’il voudrait procéder plus méthodiquement, plus prudemment, et c’est là qu’est le piège : à procéder de cette façon, l’on permet au Système de rassembler ses forces et de remettre en place son dispositif de paralysie de toute action politique qui ne soit pas de lui. Trump, par contre, est effectivement un fonceur, qui réfléchit après l’action plutôt qu’avant, qui suit absolument l’adage de Patton, – « Un mauvais plan aujourd’hui vaut mieux qu’un plan parfait dans une semaine », ou encore, pour aller au bout : “l’action sans aucun plan aujourd’hui vaut mieux que l’action avec un plan parfait dans une semaine”.)

Ce qui nous paraît alors décisif est de l’ordre de la psychologie. Il s’agit donc de la nécessité que les psychologies incubent, – dans le sens originel (incubare) comme l’on dit d’une femelle qui couve ses œufs pour les faire venir à maturité, – la conception de la possibilité de ces évènements gigantesques, de leur développement, de leur réalisation. Il s’agit donc que les psychologies viennent à bout des obstacles inconscients que le raison a érigés en jugeant qu’il est impossible d’arriver à un tel résultat. Il s’agit donc que la psychologie dépasse la raison subvertie par la fascination de la puissance du Système, pour lui imposer l’acceptation de cette possibilité, pour lui communiquer la possibilité d’une nouvelle vérité-de-situation. Nous parlons ici de la psychologie en général et en théorie, qui peut être aussi bien la psychologie de tel ou tel acteur ; qui peut être aussi bien, ou également, une certaine forme de psychologie collective qui serait capable de se manifester comme telle à cette occasion. Nous sommes dans des temps si extraordinaires dans leurs formes et leur essence même, – qu’on les interprète comme l’on veut, selon les caprices de la raison (toujours subvertie ou déjà libérée ?), – que, dans les hypothèses qu’on explore, on doit nécessairement faire une place à de telles nécessités qui nous paraissent soit incompréhensibles, soit inexplicables, soit les deux à la fois pour les esprits les plus gâtés par la nature.