Le Grand  Dé-Globalisateur

Ouverture libre

   Forum

Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.

   Imprimer

 1927

Le Grand  Dé-Globalisateur

Dans un texte sur le site du Saker-US, le 22 juillet 2018, Peter Koenig écrit un article sur l’évolution de l’économie mondiale, essentiellement avec et grâce à l’intrusion de Trump avec ses initiatives brutales et déstabilisantes. Koenig prend la chose sous l’aspect essentiellement économique, appuyé sur une solide expérience : ancien expert-économiste de la Banque Mondiale et de l’Organisation Mondiale de la Santé, passé depuis à la dissidence-Résistance (Saker, RT, Press-TVGlobal Research) et auteur ou co-auteur de livres hérétiques (“Implosion – An Economic Thriller about War, Environmental Destruction and Corporate Greed”, “The World Order and Revolution! – Essays from the Resistance”).

Koenig décrit un monde où toutes les dynamiques jusqu’alors cadrées pour évoluer dans le sens de la globalisation sont brusquement entrées dans un processus accéléré de blocage ou d’inversion, nous redirigeant souvent vers ce qui semble apparaître comme des ensembles économiques régionaux ou locaux. C’est-à-dire un véritable processus de dé-globalisation. Bien entendu, ce sont les initiatives politiques et économiques de Trump, autant que sa puissance de communication, qui constituent la cause conjoncturelle de ce renversement. Le phénomène affecte manifestement une “structure globalisée” considérablement affaiblie par une situation de tourbillon crisique générant des désordres incontrôlables et donnant l’occasion à des poussées jusqu’alors contenues, – souvent identitaires et populistes, – de s’exprimer.

Koenig analyse aussi les conséquences de la “politique des sanctions” US qui accélère, – paradoxalement jugeront certaines, – cette dé-globalisation en favorisant le développement d’économies locales alternatives, d’économies nationales, le développement aussi de canaux d’échanges complexes voire parfois clandestins, qui compliquent et diversifient énormément l’économie en produisant par conséquent des effets de fracturation et d’atomisation de la globalisation. A cette aune où les considérations stratégiques et politiques qui évoluent dans un très grand désordre où réapparaissent les grandes forces principielles conduisent l’économie et non le contraire, on est orienté vers un monde évoluant dans le sens contraire à celui qu’ont imposé depuis des décennies les “globalistes”.

... Cela n’est d’ailleurs pas nécessairement pour déplaire aux vœux affichés de Trump qui veut redynamiser la production nationale aux USA, dans la plus belle logique protectionniste et isolationniste. Autre chose est de savoir s’il y parviendra, compte tenu de l’état terrifiant de la “situation profonde” des USA (pendant de vérité-de-situation de l’“État profond”), – et alors, dans la négative, son action conduirait à une fragmentation et à une atomisation des USA, ce qui conclurait victorieusement la dé-globalisation par la destruction de la source même, puissance inspiratrice de la globalisation comme moyen d’hégémonie par supériorité économique effective, écrasante, au sortir de la Deuxième Guerre mondiale.

Nous-mêmes, nous avions développé cette thèse, mais selon un jugement général de grande politique et selon des éléments de collapsologie (déstructuration, dissolution, etc.) plutôt que selon des constats économiques précis, le 6 juillet 2018. Nous rappelons ici un des passages de cette Analyse :

« Déstructuration de la déstructuration du monde

» ... Ce qui est remarquable, c’est que l’offensive protectionniste US devrait être selon la logique théorique et symbolique des choses, la chose la plus inattendue et la plus improbable dans la mesure où elle attaque directement cette globalisation qui est le grand’œuvre des États-Unis depuis 1945. Nous laissons ici de côté les causes et arguments des uns et des autres, les jugements sur Trump et sa singulière façon de gouverner, les appréciations sur les comportements d’affolement, de surprise terrorisée, de colère furieuse, essentiellement de la part des “alliés” des USA. C’est que, justement, il n’y a plus d’“alliés”...

» Ce n’est pas pour dire seulement, ce qui est discutable, que ce chambardement aboutit à du “chacun du soi”, puisqu’on voit bien, par exemple avec le cas asiatique, qu’il y a des regroupements accélérés qui se font. C’est pour dire surtout que toutes les lignes classiques d’alliances, d’influences, de servilité, d’intérêts plus ou moins bien compris, toutes ces lignes sont brusquement rompues, tordues, privées de toute signification. Les mesures frappent aveuglément malgré qu’elles soient au départ exactement ajustées, parce que la globalisation est une dynamique d’aveugle. L’on vise un pays, une puissance, que l’on touchera effectivement, mais l’on en touche dix, vingt autres, jusqu’à se toucher soi-même, puisque la globalisation est une dynamique extraordinairement puissante mais fluide et aveugle justement, qui essaime sans autre référence que le “profit” avec tout ce que ce terme a d’insaisissable et de complètement instructuré, et un “profit” qui par définition n’a pas de frontières, pas d’alliances, et surtout pas de références principielles. La globalisation est par sa nature même, sa philosophie, un processus complet de déstructuration de l’ordre du monde, lorsque l’ordre répond à des principes et aux logiques qui en découlent.

» De là le constat que nous nous trouvons avec la globalisation dans une situation complète de déstructuration (ou ce qu’on pourrait nommer une “structuration informe”) et que l’attaque lancée par les USA, qui est partout dénoncée comme une attaque de déstructuration, conduit en réalité à un processus de déstructuration de la situation de déstructuration qu’est la globalisation. “Déstructurons la déstructuration”, voilà le mot d’ordre de cette guerre singulière...

» Toutes les simili-structures de la globalisation vont en sentir le contrecoup, et bien entendu dans tous les domaines et pas seulement au niveau commercial. Ainsi découvrira-t-on que tous les grands réseaux d’alliances, les proximités “au nom des valeurs”, et toutes ces sortes de choses qui caractérisent l’état catastrophique et la situation de simulacre où nous nous trouvons, sont eux aussi gravement menacés par cette attaque, – et qu’ils ne sont au fond et en vérité, que des simulacres dédiés au dieu-Globalisation.

» On va donc finir par croire que Trump est en train de nous faire un sans-faute et qu’à défaut d’un Prix Nobel de la Paix qui fait assez commun et qui est en général décerné à des individus douteux et à des organisations de type mafieux, on ferait bien d’inventer pour lui, qui est l’homme des tours, quelque chose d’assez chic, comme le Prix Nobel 9/11. Le véritable déconstructeur des tours de la globalisation, c’est bien lui... »

 

Il n’est pas question de revenir ici sur ce que nous avons toujours affirmé, savoir que Donald Trump est avant tout un homme de désordre, qui possède moins une stratégie que des idées simples (c’est-à-dire “démagogiques”, traduisent les intellectuels) proclamées avec force par un maniement exceptionnel des moyens technologiques et psychologiques du système de la communication. Il n’empêche que le constat est de plus en plus fort, et de plus en plus rapidement renforcé, selon lequel l’effet fondamental obtenu de cette dynamique de désordre est assez logiquement la destruction de l’ordre en place, savoir la globalisation. Jamais un facteur aussi fondamentalement désordonné, aussi rétif au conformisme courant, aussi incontrôlable dans son comportement que confus dans son esprit lui-même qu’est le président Trump lui-même, aura suscité un effet général très puissant d’une netteté incomparable, et d’une identification qui, lorsqu’elle est faite, supplante toutes les autres pour apparaître comme une évidence écrasante. Trump n’est ni un révolutionnaire, ni un grand homme d’État habilement dissimulé, mais un de ces étonnants accidents dynamiques que le raison ne peut ni prévoir ni comprendre,ni expliquer par conséquent, que la métahistoire suscite et provoque à la fois pour modifier son destin.

(Mise à jour : nos amis du Sakerfrancophone ayant mis en ligne ce 30 juillet 2018 une traduction de l’article de Peter Koenig, nous mettons cette version plutôt que l’original anglais avec leur aimable autorisation et pour notre compte, tous nos remerciements.)

dedefensa.org

_________________________

 

 

Trump : le Déglobalisateur ?

On dirait que Trump devient fou furieux avec ses « politiques commerciales ». Non seulement il a contrarié l’Union européenne – qui ne mérite pas mieux, franchement – d’avoir été et d’être encore des vassaux soumis contre la volonté de 90% des Européens ; mais il a aussi réussi à mettre la Chine en rogne. Eh bien, pour la Chine, ce n’est pas très important, car elle a beaucoup d’autres marchés, y compris l’ensemble de l’Asie, et probablement de plus en plus l’Europe, qui ressent sérieusement le besoin de se détacher des États-Unis.

Ce qui est frappant, cependant, c’est que même au début du sommet du G20 en cours à Buenos Aires, en Argentine, les ministres de Trump ont clairement indiqué que faute pour l’Europe d’annuler toutes ses subventions – en se référant principalement aux subventions agricoles – et d’éliminer les représailles nouvellement imposées sur les droits de douane, de nouveaux accords commerciaux ne seront pas discutés. Peu importe que les États-Unis aient les subventions agricoles les plus élevées au monde.

De loin, cela ressemble à la guerre commerciale la plus embrouillée et absurde que les États-Unis, via Trump, mènent contre le reste du monde – à la « Make America Great Again ». Est-ce que ça marchera ? Peut-être. On ne peut jamais prédire la dynamique, surtout pas dans un monde occidental néolibéral habitué au simplisme, qui par définition est toujours faux. Sciemment et délibérément, l’Occident et ses institutions financières clés, le FMI, la Banque mondiale, la FED et la Banque centrale européenne, trompent le grand public en leur faisant croire leurs statistiques et leurs prédictions – qui, si l’on remonte dans l’histoire, ont toujours été hors des clous.

Toute vie est dynamique. Mais pour comprendre cela, il faut une pensée indépendante – que l’Occident a depuis longtemps abandonnée, malheureusement. Ainsi, en réponse au dernier fiasco commercial de Trump au G20 en Argentine, le FMI est sur les dents, estimant que cela pourrait faire baisser le PIB mondial d’au moins 0,5%. Même si c’est vrai, et alors ?

En réalité, il y a un scénario totalement différent dont personne n’ose parler. À savoir : qu’est-ce que la production locale renouvelée et la souveraineté monétaire peuvent apporter à l’économie mondiale ? Précisément ce que M. Trump dit qu’il veut apporter aux États-Unis : la production locale pour les marchés locaux et le commerce avec les pays qui respectent les avantages mutuels. Avantages mutuels qui, bien sûr, ne sont pas facilement au rendez-vous dans un accord commercial avec les États-Unis. Mais pour la question du pouvoir économique, ceux-ci sont un énorme baril de poudre. La stimulation des économies locales par le crédit interne est le moyen le plus efficace pour stimuler l’emploi local et le PIB.

Ensuite, il y a le jeu des sanctions. Ça devient de plus en plus agressif. De nouvelles sanctions contre la Russie, de nouvelles sanctions contre le Venezuela et de nouvelles sanctions lourdes contre l’Iran. Et les marionnettes européennes continuent à suivre, bien qu’elles souffrent le plus des sanctions américaines imposées aux autres, notamment parce que, « stupidité » ou peur, elles ne peuvent pas abandonner l’empire destructeur à l’agonie. Ou peut-être ces faux leaders de la construction bruxelloise sont-ils achetés ? – Oui, je veux dire achetés avec de l’argent ou des faveurs – ce n’est pas impossible, puisque les gens de la Commission européenne, qui dirigent les choses, ne sont pas élus, donc ils ne sont responsables vis-à-vis de personne.

Prenons le cas de l’Iran, Trump et ses pairs, Bolton et Pompeo, ont menacé toutes les compagnies pétrolières du monde entier de lourdes sanctions si elles continuaient à acheter des hydrocarbures en Iran au-delà de novembre 2018. Les géants européens du pétrole sont particulièrement inquiets, comme Total, ENI, Repsol et d’autres. En conséquence, ils ont annulé leurs contrats de plusieurs milliards d’euros avec l’Iran pour se protéger – et, bien sûr, leurs actionnaires. Tout récemment, j’ai parlé à un haut dirigeant de Total. Il a dit : « Nous n’avons pas le choix, car nous ne pouvons pas faire confiance à nos gens à Bruxelles pour nous protéger des sanctions de Washington. Nous devons donc chercher ailleurs pour remplir nos obligations contractuelles vis-à-vis de nos clients.Mais, a-t-il ajouté, nous n’avons pas acheté de pétrole de schiste américain ; nous négocions avec la Russie. Voilà où on en est. »

Le marché européen des hydrocarbures iraniens est estimé à environ 20% de sa production totale. Un montant, facilement pris en charge par la Chine et d’autres qui sont trop grands – et trop fiers – pour être sanctionnés par l’empire. Certains peuvent effectivement revendre des hydrocarbures iraniens, par une porte dérobée, aux sociétés pétrolières européennes autrement sanctionnées.

L’Iran dispose d’une autre arme puissante qu’il a déjà clairement annoncée : si les États-Unis tentent sérieusement d’empêcher quiconque d’acheter du pétrole et du gaz iraniens, l’Iran peut bloquer le détroit d’Ormuz, par lequel transite quotidiennement environ 30% de tous les hydrocarbures utilisés dans le monde, dont près de la moitié vers les États-Unis. Cela pourrait augmenter le prix du pétrole de manière exponentielle et ruiner les économies de nombreux pays. Cependant, des prix plus élevés profiteraient également à la Russie, à la Chine et au Venezuela, précisément aux pays que Washington veut punir.

Une telle initiative de l’Iran provoquerait-elle une agression américaine directe ? On ne sait jamais avec les profiteurs de guerre aux États-Unis. Ce qui est sûr, c’est qu’une telle intervention ne se passerait pas sans une réponse proportionnée de la Chine et de la Russie.

De l’autre côté du scénario, imaginez : les pays embourbés dans ce gâchis mondial, provoqué par les États-Unis, commencent à nouveau à s’occuper de leurs propres intérêts, de leur propre souveraineté et indépendance vis-à-vis de la mondialisation. Ils se lancent dans des politiques économiques favorisant l’autosuffisance, la sécurité, d’abord dans le domaine alimentaire, puis se concentrent sur leurs recherches scientifiques pour construire leurs propres parcs industriels à la pointe de la technologie. Un exemple frappant est la Russie. Depuis l’imposition de sanctions, la Russie est passée d’un pays totalement dépendant des importations depuis l’effondrement de l’Union soviétique à un pays autosuffisant dans le secteur de l’alimentation et de l’industrie. Selon M. Poutine, les sanctions sont la meilleure chose qui soit arrivée à la Russie depuis la chute de l’Union soviétique. La Russie est le premier exportateur mondial de blé depuis deux ans.

Les Européens ont commencé tranquillement à réorienter leurs activités commerciales vers l’est. Les Européens ont peut-être enfin remarqué – non pas les marionnettes élitistes de Bruxelles, mais le Big Business et le grand public – que l’on ne peut pas faire confiance au partenaire transatlantique, ni à l’administration centrale européenne de Bruxelles que l’Europe s’est imposée elle-même. Ils cherchent leurs propres moyens, chacun de ces pays tente progressivement de se sortir des griffes de Washington, se détachant finalement de la domination du dollar, car ils remarquent, en hommes d’affaires avisés, que l’économie basée sur le dollar est une affaire perdante.

Et il y a le Brexit,le mouvement le plus flagrant pour s’éloigner ouvertement du dictat européen qui « limite la liberté », et qui n’est rien d’autre qu’une copie conforme du dictat économique du dollar, tel qu’il est pratiqué aux États-Unis et partout où le dollar reste la monnaie principale des contrats internationaux et la monnaie de réserve.

Le mouvement Cinq étoiles en Italie a été créé sur des prémisses similaires – se libérer de Bruxelles et des menottes de la politique de l’euro. Lors d’une première tentative de mise à l’écart de l’euro, ils ont reçu une fessée du président italien europhile, Sergio Mattarella, qui refusait d’accepter [dans le gouvernement] un ministre des Finances eurosceptique, Paolo Savona, proposé par le parti Lega Norte, partenaire de la coalition Cinq étoiles. Savona avait déclaré que l’entrée de l’Italie dans la zone euro avait été une « erreur historique ». Cet effort de l’Italie pour retrouver sa souveraineté monétaire n’est pas fini. Au contraire, il a pris de la force et de la détermination. L’Allemagne évolue dans la même direction en ouvrant discrètement ses portes à Moscou et à Pékin.

Malheureusement, ces initiatives ont peu à voir avec une nouvelle conscience, plus humaine et pacifique, mais plutôt avec les intérêts des entreprises. Mais peut-être que la prise de conscience – les retrouvailles avec l’étincelle originelle d’une humanité imprégnée de solidarité – est un processus qui se fera étape par étape.

Et si, compte tenu du mouvement des gens vers l’autodétermination, de la folie furieuse de Trump, de sa plongée dans le chaos – vers plus en plus de chaos – du jeu des sanctions sans fin, des punitions et menaces, amis et ennemis confondus, nous nous dirigions vers une véritable dé-globalisation du monde ?

Si cela devait arriver, alors nous, les 90% de la population mondiale, devrions être très reconnaissants à M. Trump, qui a montré et ouvert la voie des Lumières,celles de la dé-globalisation.

Peter Koenig