Le Pentagone et les limites de sa puissance

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Le Pentagone et les limites de sa puissance

…Cette remarque est d’abord d’ordre symbolique, mais les évènements et les constats divers donnent toute sa force au symbole. C’est à une remarque de notre précédent Bloc-Notes (du même 8 mars 2012) que nous voudrions revenir, remarque qui nous était venue en un premier réflexe de la pensée, – qui, depuis, a pris une forme plus élaborée dans ses implications. Il s’agit, dans la présentation de l’intervention du général Mattis (chef de Central Command) au Congrès, de la remarque suivante, entre parenthèses :

«A noter que c'est la première fois que l'argument opérationnel de l'intervention russe en Syrie, même indirecte, est présenté comme péremptoire dans une crise de cette sorte. C'est une nouveauté qui en dit long sur l'évolution des rôles et de l'influence de chacun dans cette région.»

Certes, par “première fois”, nous liions l’intervention de Dempsey (le 7 mars) à celle de Mattis (le 6 mars), les deux généraux présentant la même évaluation des capacités anti-aériennes présentes en Syrie, comme argument opérationnel puissant contre une intervention militaire. Dans les deux cas, il s’agit donc de capacités anti-aériennes installées spécifiquement par la Russie en Syrie, depuis que la situation actuelle s’est développée et qu’une possibilité d’intervention étrangère en Syrie (du bloc BAO et des “Amis de la Syrie”) est devenue possible. (A notre sens, les Russes ont décidé de fournir ce matériel à la Syrie après leur expérience malheureuse de Libye, lorsqu’ils soutinrent la résolution-piège du “No-Fly Zone” débouchant sur l’intervention de l’OTAN aux côtés des rebelles.)

Ce système anti-aérien comprend, comme diverses sources l’ont déjà détaillées (notamment DEBKAFiles à plusieurs reprises), des capacités anti-aériennes directes (sans doute avec des missiles S-300 d’une des plus récentes versions, le S-300PMU-2 Favorit), et des capacités de guerre électronique extrêmement élaborées et mises en place par les Russes en Syrie, notamment avec les Iraniens (c’est une station de ce type qui, de Syrie, aurait réussi l’interception et la “capture” du RQ-170 US au début décembre 2011). Donc, les déclarations de Mattis ne sont pas à proprement parler une surprise ; par contre, c’est un événement d’une grande importance qu’un chef militaire US de cette importance expose comme argument opérationnel principal pour déconseiller une intervention l’installation récente d’un dispositif militaire, directement mis en place par la Russie.

On doit prendre conscience, comme nous-mêmes l’avons fait peu à peu en décortiquant d’abord inconsciemment, puis de plus en plus précisément les phrases du général Mattis, que c’est la première fois depuis la fin de la Guerre froide que les USA estiment se trouver devant une capacité militaire formidable, qui les rend incertains de leur propre capacité à remplir une mission. Il s'agit d'une capacité militaire installée par la Russie pour contrecarrer un éventuel projet militaire US très précis et actualisé, – et non devant pas d'un résidu des armements livrés par l’URSS du temps de la Guerre froide, qui n'a jamais fait hésiter une seconde les USA depuis 1989-1991. Il s’agit de la reconnaissance publique par le Pentagone, par la voix de Mattis et implicitement par celle de Dempsey, du retour de la Russie comme acteur politico-militaire majeur, sinon décisif, dans des opérations sur les théâtres extérieurs aux deux puissances (USA et Russie), les théâtres fondamentaux de “l’arc de crise” cher à Brzezinski qui court de l’Afrique orientale jusqu’au sous-continent indien, et dont l’épicentre est aujourd’hui la zone Iran-Syrie. L’aveu est de taille puisque ces deux généraux en font l’un des arguments principaux, sinon le principal, contre le projet éventuel d’une intervention militaire en Syrie.

L’approche symbolique, chronologique cette fois, nous permet d’y voir effectivement un symbole d’une immense signification politique, que cet “aveu” intervienne deux et trois jours après l’élection triomphale de Vladimir Poutine. Il semble saluer et concrétiser la confirmation officielle du retour de la Russie comme puissance active et décidée à contrecarrer directement les projets du bloc BAO, en dehors de sa zone d’influence, de son “extérieur proche” (comme ce l’était dans l’affaire géorgienne, complètement différente de l'affaire syrienne par la disposition géographique des choses et les perceptions psychologiques qui en découlent). On peut désormais être assuré, en allant au delà de la Syrie, que l’affaire iranienne a, elle aussi, acquis une nouvelle dimension. Ce que les chefs militaires US constatent pour la Syrie, ils l’imaginent sans peine, et encore plus, pour l’Iran, ce qui impliquerait dans leur esprit qu’une attaque contre l’Iran impliquerait, elle, nécessairement, une internationalisation, c'est-à-dire d'une façon ou l'autre, plus ou moins visiblement, avec la Russie, – c’est-à-dire le pire des scénarios possibles.

Enfin, d’une façon plus générale encore, cet épisode symbolique et dialectique acte d’une façon discrète mais décisive, dans le chef des dirigeants du Pentagone et des forces armées, que les USA ont atteint les limites de leur puissance militaire, et que ces limites sont désormais fixées, notamment mais principalement sans aucun doute, par la Russie. Pas de surprise, là non plus, par rapport à ce que nous répétons depuis longtemps sur la puissance ; mais grand évènement que la chose soit actée de cette façon.

 

Mis en ligne le 8 mars 2012 à 17H03