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225710 mai 2016 – J’avais d’abord intitulé cette chose “Je ne suis vraiment PAS un optimiste”, avant de réaliser, au fil de la plume, combien le pessimisme doit avoir une place triomphante, et par conséquent figurer dans le titre. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’entamer le propos en clamant bien haut, effectivement, que je ne suis ni optimisme, ni “ni un optimiste”...
Je ne fais pas de référence ad hominem pour montrer tout autant ma bonne fois que mes bonnes intentions : point de polémique, point de “duel” intellectuel, artificiel et infécond. Je prends un courant de remarques générales assez dominant (Forum) s’adressant à dedefensa.org ou à moi (c’est un peu la même chose), pour juger d’un trop grand optimisme vis-à-vis de l’état du Système et de son sort. C’est bien cela dont je veux débattre, sous la forme d’une identification et d’une clarification de ma démarche ; et cette démarche, guidée plus par mon caractère dont la raison et le jugement ne sont que des aspects, avec comme moteur l’interprétation des évènements bien plus que les références à des théories intellectuelles qui relèvent plutôt, à mon sens, de l’hybris de l’esprit et de la faiblesse de la psychologie. J’y ajoutera un élément particulier qui se nomme “la foi”, mais dans son interprétation la plus large qui est “la confiance” (fides), qui n’a aucun rapport avec l’optimisme dans l’idée que je m’en fais, mais plutôt avec la raison d’être et la raison de vivre ; l’optimisme est alors un jugement et une humeur, tandis que “raison d’être” et “raison de vivre” font partie du domaine de l’élan vital. Voilà les éléments de base.
Mon caractère est tout le contraire de l’optimisme. Si l’on voulait en juger objectivement et sans se rapporter au produit de ma raison, je dirais que je suis profondément, affreusement pessimiste. Il suffit de demander à mon entourage, où d’ailleurs personne ne me lit ; j’y suis vu en général comme un prophète de l’apocalypse à la vision lugubre et terrible, – même si je ne suis pas d’un commerce désagréable, tant s’en faut et sans crainte du paradoxe. Un optimiste, pour moi, est quelqu’un qui n’est fondamentalement pas mécontent de l’état du monde et qui est conduit à nous assurer, toutes choses acquises par ailleurs, que les choses, justement et finalement, s’amélioreront. Lorsque je dis “toutes choses acquises par ailleurs”, cela signifie précisément, “sapiens aux commandes, et ‘nos valeurs’ humanistes effectivement respectées parce que fondamentalement justes” ; pour faire bref et sommaire, l’optimiste est celui qui croit au Progrès tel qu’il est défini selon cette situation (“sapiens aux commandes...”, etc.). Rien, absolument rien de cela n’est dans mes conceptions, – et j’imagine, non j’espère qu’on s’en est aperçu.
... Donc, pessimiste et non pas optimiste, sans le moindre doute ; alors, pourquoi certains me perçoivent-ils comme optimiste ? La réponse est évidente : parce que je crois profondément à l’effondrement du Système. Nous sommes alors dans le quiproquo. Si j’étais optimiste et parce que je fais malgré tout partie du Système, je croirais que le Système, malgré ses défauts et ses effets catastrophique, reste réformable et contient un potentiel de bienfait qui l’absout de tous ses faux-pas et impostures. Je suis profondément, je dirais dans ce cas absolument et spirituellement pessimiste, et je ne vois rien et d’ailleurs je ne veux rien voir qui puisse absoudre et sauver le Système. Je ne veux rien de leur espoir, de cette “doctrine de l’optimisme” (comme l’on disait dans les années 1920, aux USA). J’ai cette attitude volontariste (“je ne veux rien voir...”) parce que je ne veux rien de ce Système, parce que je crois profondément, et je dirais même absolument et spirituellement que le Système porte le Mal en soi, – ce que je définis opérationnellement par la formule dd&e, soit la recherche de la déstructuration, de la dissolution et de l’entropisation. Ainsi l’essentiel est-il dit, à savoir qu’avec de tels sentiments, dans ce monde qui est évidemment emprisonné, régulé, abaissé par le Système, il m’est absolument et spirituellement impossible d’être optimiste. Je veux la mort du Système, je ne veux absolument aucune concession avec lui, donc je suis absolument pessimiste dans le cadre du monde que m’impose le Système, – et ainsi, à côté de mon humeur crépusculaire, suis-je parfois plein de feu et d’élan, et parfois paradoxalement plein d’une joie à peine dissimulée sinon dans l’ironie que j’essaie de mettre dans mes écrits, comme s’il s’agissait du souffle fondamental de ma vie, d’être dans de telles dispositions. Ainsi suis-je totalement en accord avec mon pessimisme, et l’on pourrait dire bien courtement mais avec le gout du paradoxe qu’on me croirait optimiste à force d’être dans cet état d’accord avec moi-même. On le dirait mais on raterait que ce pessimisme pèse aussi d’un poids terrible autant qu'il est d'une nécessité absoilue.
Maintenant, voici mes considérations tactiques à l’intérieur du pessimisme général de mon jugement. A ce stade, mon jugement est que le Système ne parviendra pas à ses buts et, ne parvenant pas à ses buts, se détruira lui-même. (C’est l’équation surpuissance-autodestruction.) Ce n’est pas de l’optimisme ni du pessimisme, c’est de la spéculation fondée sur diverses approches dont on trouve nombre d’exemple sur ce site. D’autre part, c’est le produit de ma “doctrine”, ou de ma méthode de travail si vous voulez, qui est de faire directement de la métahistoire à partir des événements courants du temps crisique que nous vivons. Ce pessimisme-là n’est pas vraiment original, il est au contraire de plus en plus répandu.
Même dans les replis les mieux gardés du Système, par exemple dans le monde intellectuel français qui est si complètement verrouillé par son mécanisme d’autocontrôle et plus d’un siècle d’emprise idéologique sous la forme d’une terreur conformiste, ce pessimisme ne cesse de s’étendre, et il n’est plus réformiste (donc faux-pessimisme) mais bien catastrophiste. Je propose cette remarque de Jean-Pierre Le Goff que j’ai à l’esprit, puisque citée à l’instant : « On est à la fin de ce cycle historique... On voit très bien que les fractures sont là, qu’on ne peut plus continuer sur cette espèce d’hégémonisme de ce que j’ai appelé le gauchisme culturel qui est battu en brèche.. On ne voit pas forcément sur quoi tout cela va déboucher... »
Je pensais à tout cela en travaillant sur le “chaos-nouveau”, qui est cette situation qui précipite l’incertitude catastrophique dans un tourbillon que personne ne parvient à contrôler bien sûr, que personne ne parvient à déchiffrer bien entendu. Il n’y a rien ni personne là-dedans qui nous offre une ligne de fuite, là-dedans où les personnages sont mous et informes, ou bien au contraire soudainement bombastiques et claironnants mais tout de même “énigme tonitruante”, là-dedans où les événements coulent comme du sable entre les doigts, éclatent comme un feu d’artifice et disparaissent comme un artifice de rencontre, comme dans la nuit noire après un feu d’artifice. Il n’y a rien là-dedans pour alimenter quelque optimisme que ce soit.
Mais le fait est que ce pessimisme structure avec une force extrême le sens d’une mission qui n’est pas loin pour moi d’être une chose sacrée ; il est vrai que s’il reste du sacré pour mon compte, c’est dans l’action à mener contre le Système, et, en un sens, le sacré est au-delà du pessimisme et de l’optimisme, – il est, tout simplement. Cette mission-sacrée guide mes choses écrites, elle induit effectivement une tactique, laquelle suppose une dynamique nécessairement très active et très affirmée dans ce domaine de la communication, qui est tout simplement le domaine de l’action essentiel et supérieur à tous les autres dans le jugement que je porte sur notre situation générale. Cette tactique ne peut se baser sur une dialectique défaitiste et pessimiste de l’action entreprise ; je ne vais pas écrire : “Allons-y, allons-y ! Nous n’avons aucune chance, tout cela ne sert à rien, y compris de tenter quelque chose ! Allons-y, allons-y, tentons quelque chose !”. Ce sera donc tout le contraire : nous y allons parce que nous allons le faire s’effondrer, ne serait-ce qu’en clamant haut et fort qu’il est en train de s’effondrer, ce qu’aucun événement vraiment sérieux ne dément... Pour mon compte, s’il faut définir cette posture tactique, j’emploierais le mot “volontarisme” bien plus qu’“optimisme”.
La communication est une bataille, sinon une guerre comme l’on sait. Mon véritable travail est de déterminer tout ce qui affaiblit le Système, tout ce qui met en évidence son ridicule, et, qui plus est, convaincu de simple conviction qu’en agissant ainsi je suis bien plus proche de nombre de “vérités-de-situation” qu’en détaillant les nombreux complots du Système et ses perspectives de surpuissance triomphante que tant d’antiSystème se plaisent, aujourd’hui, à mettre en évidence. Ils diront, ces antiSystème, que c’est pour prouver mieux encore le caractère maléfique du système ; mais qui a besoin de ces “preuves” aujourd’hui où l’évidence de la chose écrase notre époque ? Nombre, et même grand nombre de zombies-Système se doutent de quelque chose à cet égard, et s’ils ne s'en doutent pas rien ne les convaincra jamais, et d’ailleurs quelle utilité y aurait-il à les convaincre puisqu’ils sont destinés à rester ce qu’ils sont, — zombies avant tout et rien d’autre, que ce soit du Système ou de n’importe quoi d’autre.
Je ne me lasserai jamais d’insister sur l’importance de ce qui est pour moi un fait patent et considérable, qui oriente et justifie toute mon action : l’importance de la communication telle qu’elle est devenue, dans le cadre d’un système complexe qui est bien plus qu’une circulation de l’information, qui est l’arme principale d’action de toutes les façons possibles sur la psychologie. Cette situation bouleverse toutes les conceptions des affrontements humains, d’une façon que la raison a bien du mal à appréhender.
Si l’on prend un Trump, phénomène et même monstre de la communication, je dirais que rien n’a d’importance chez lui, ni son pseudo-programme, ni ses pseudo-choix politiques et toutes ces chose, dès lors qu’il s’est amarré à un fait fondamental de communication par sa force de symbole ; dès qu’il s’est dit et qu’il a été perçu comme America First, à cause de la signification symbolique et de la narrative historico-symbolique s’attachant à cette formule, notamment du fait du Système, tout est dit et le bouleversement est complet, la révolution accomplie sans nécessité de la moindre mesure... Et là-dessus, on doit avoir à l’esprit que si Trump a jailli de la sorte, comme un diable de sa boite, c’est parce que le climat psychologique créé par le système de la communication dans son domaine antiSystème de l’internet et associé, relayant ses avis et analyses catastrophiques, par cette montée exacerbée de la tension, par cette fureur continuelle qui se nourrit d’elle-même en se communiquant, l’a favorisé décisivement ; que ce climat a même créé une sorte d’appel d’air qui a soulevé The Donald comme un diable hors de sa boite, qui en un sens l’a même créé à son tour. Lui-même, en bonne créature de la communication, utilise cette arme de la pression de communication pour modifier les psychologies, comme nous l’explique cette dame du New York Review of Books : « Trump has also been successful at branding his opponents. He knows how to do that: pick a perceived weakness, give it a name, and repeat, repeat, repeat, ad infinitum. Toward the end of the primaries he had his audiences cheerfully chanting “Lyin’ Ted,” and soon enough they’ll be saying “Crooked Hillary.” (Trump toyed with “Incompetent Hillary” for a while, but then alighted on the sharper and more damaging appellation.) To my knowledge, no previous presidential candidate has done this. » (Et s’il modifie les psychologies comme on le voit, Trump, c’est parce que la pression de communication qu’il exerce va dans un sens antiSystème. Autant tout ce qui a été déversé contre lui en fait de communication n’a rien donné, autant tout ce qu’il déverse sur Hillary qui est notoirement une créature du Système a modifié la perception générale qu’on a de cette dame, de sémillante qu’elle était devenue traineuse de casseroles d’un très grand nombre d’escroqueries corruptrices.)
Ainsi en est-il de la puissance de la communication, qui est le terrain idéal de l’arme de la résistance, le “faire aïkido” qui retourne leur puissance contre eux. Je ne cesse et ne cesserai de répéter encore et encore l’importance de cette lutte de la communication, car à elle seule elle crée les conditions de pression psychologiques qui conduisent les esprits à modifier leurs jugements, les actes posés à suivre cette modification, la situation à se modifier dans ce sens. Je l’ai déjà écrit et je l’écrirai encore, il s’agit de l’arme favorite et suprême du volontarisme que fait naître le pessimisme. Je disais cela dans ce même Journal-dde.crisis et je le redis encore, parce qu’il y a une extrême urgence à comprendre ce que sont les conditions exactes de cette immense bataille :
« ... Cela signifiant, à mon sens, que nous autres, commentateurs et spectateurs éclairés, concevant effectivement le déroulement des évènements vers un effondrement, nous ajoutons à la tension générée par ce processus notre propre tension née de notre psychologie exacerbée par ce commentaire et cette observation. Je crois bien qu’il s’agit là de notre rôle principal à jouer, dans cette accumulation d’énergie qu’implique cette tension, qui, plus que pousser elle-même à l’événement qui a sa propre course, rendra cette course de plus en plus inéluctable et, lorsque l’événement se produira, ses effets beaucoup plus importants et décisifs. Je crois que nous sommes moins impuissants, moins passifs dans l’effet, dans la position et le rôle que nous tenons, que nous le croyons. Nous raisonnons évidemment selon une expérience portant sur le passé, et nous ne pouvons rien faire d’autre, et les conclusions que nous tirons sont nécessairement enfermées dans cette expérience. L’hypothèse est ici que les évènements en cours prennent une forme différente qu'ils n'avaient dans le passé et, surtout, qu'ils ont une conformation dynamique absolument et complètement différente. Le rôle joué par le système de la communication est devenu absolument central, et son importance et ses effets sont beaucoup plus importants que l’on ne peut imaginer, et la forme de cette importance et de ces effets est également différente dans cette même mesure.
» La pression de notre psychologie comme instrument d’intervention sur le processus observé, voilà une hypothèse majeure et essentielle. Si nous avons un rôle à tenir et à jouer, c’est bien celui-là, celui d’accumulateur d’énergie que réalisent nos psychologies pour pousser aux évènements décisifs, c’est-à-dire pour renforcer décisivement le caractère décisif de ces évènements. Le moyen d’action proposé ici, c’est une sorte de “il suffit d’y croire”, mais transposé opérationnellement au niveau de la psychologie et de l’énergie qu’elle dégage et qu’elle accumule. Ce n’est plus une simple foi (de “fides”, “confiance”), c’est la foi devenue une arme décisive en utilisant le système de la communication que le Système a lui-même imprudemment développé. »
Il est absolument nécessaire d’avoir avec soi et dans soi le pessimisme dont je parle, de l’entretenir jusqu’à l’extrême et de lui faire produire par volontarisme la dynamique de perception catastrophiste qui séduit tant le système de la communication, plus Janus qu’on ne le vit jamais... Ainsi produit-on une pression la plus forte possible sur les psychologies, avec l’effet de faire avancer la perception de l’effondrement, car c’est cette perception de l’effondrement qui crée véritablement l’effondrement. Pour accoucher cette époque de ce qu’elle doit nous donner, il faut pratiquer l’inversion totale qui, dans ces conditions, sera absolument et décisivement vertueuse : avoir la perception de l’effondrement avant qu’il ne soit aveuglant aux yeux de tous, c’est provoquer l’effondrement, rien de moins.
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