Le président-Trump face au triomphe du candidat-Trump

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Le président-Trump face au triomphe du candidat-Trump

La victoire du Trump est une surprise cosmique : non pas la victoire elle-même, mais son ampleur, sa puissance, sa légitimité par conséquent et l’autorité que cela lui confère. Écrivant cela, nous ne disons pas que cela concerne seulement Trump lui-même : il y a d’une part l’événement constitutionnel important mais normal pour les USA de “Trump-devenu-président” ; il y a d’autre part et surtout l’événement  “la-victoire-de-Trump” qui est quelque chose en soi, indépendant du président Trump et qui a sa signification propre, et sa puissance. La légitimité de “Trump-devenu-président” est un fait institutionnel dont les effets peuvent être envisagés, analysés, éventuellement prospectivement examinés, avec une fortune plus ou moins grande ; la légitimité de “la-victoire-de-Trump” est un fait métahistorique, dont les effets échappent aux logiques courantes, et dont l’orientation antiSystème est évidente.

Nous voulons exprimer par là l’extraordinaire complexité politique de la situation de Trump, née de l’ampleur et de la puissance de sa victoire, – paradoxe si l’on veut, puisque ampleur et puissance produisent une complexité supplémentaire pour le bénéficiaire, – mais une situation où la victoire d'une part, son ampleur et sa puissance d'autre part ne répondent pas nécessairement à une seule logique. Diverses forces se sont manifestées dès hier dans leur intention de se situer par rapport à l’événement “Trump-devenu-président”, éventuellement pour le récupérer, pour l’influencer, pour le manipuler, pour le renforcer ou au contraire pour le réduire, voire pour le combattre à mort. Cela, c’est la complexité politique dont nous parlons, et dont nous croyons que les qualités de négociateur et d’arrangeur de Trump-businessman seront bien insuffisantes pour la maîtriser et la dénouer à son avantage, ou à l’avantage d’une éventuelle politique à conduire. Un aspect ultime et peut-être le plus important du constat de cette complexité dont nous parlons est que, très probablement, Trump n’a sans doute pas une idée précise, sinon la moindre idée de cette “éventuelle politique à conduire”, ce qui n'est pas nécessairement un désavantage car ainsi l'esprit n'est-il pas enfermé par la raison du projet. Cette complexité est un obstacle terrible qu'il faut tenter  de négocier très vite, c'est-à-dire peut-être en ne négociant pas pour éviter l'enlisement. C’est pourquoi, au terme, qui doit s’avérer être très court, la seule chance pour Trump d’éviter l’enlisement est de faire jouer, s’il l’a réellement, l’autre aspect de ses qualités de businessman qui s’oppose à la lenteur nécessaire des qualités de négociateur et d’arrangeur, c’est-à-dire décider très vite et aller encore plus vite.

Nous avons déjà évoqué pour la personnalité de Trump, sous forme d’hypothèse, l’analogie guerrière de Patton. Le général Patton était cet homme qui disait qu’“un mauvais plan aujourd’hui vaut mieux qu’un plan parfait dans une semaine”, c’est-à-dire un chef qui croyait au fond que la rapidité tactique victorieuse crée la stratégie dans une situation générale dont les caractères n’autorisent finalement qu’une seule stratégie, dont les caractères sont pour utiliser notre jargon de type métahistorique. Il ne s’agit donc pas de la tactique créant la stratégie du point de vue conceptuel, mais du point de vue opérationnel, parce que la forme et l’orientation de la stratégie autorisée sont elles-mêmes imposées par les événements tels qu’ils ont agencé la situation générale de type métahistorique. Dans le cas de Trump, c’est bien l’événement “la-victoire-de-Trump” qui est le producteur opérationnel de cette situation de type métahistorique qui doit rester la référence de Trump s’il veut avoir une chance, non pas de l’emporter mais de durer assez pour ébranler le Système (si c’est son but, – cela reste à voir et l’on verra). Il faut bien voir que l’événement “la-victoire-de-Trump” a d’ores et déjà une dimension mythique sinon mystique qui en fait une référence écrasante et confirme l’étiquette métaphysique que nous proposons. C’est par rapport à cette dimension qu’il importe de faire évoluer raisonnement et jugement.

Maintenant, voyons rapidement les forces qui se sont manifestées hier et qui vont s’exercer sur Trump, avec conséquences...

• D’abord l’événement “la-victoire-de-Trump” est aussi présenté comme une victoire du parti républicain, qui verrouille le Congrès dans son entièreté (Sénat et Chambre) grâce à la dynamique-Trump. C’est complètement faux parce que ces deux “victoires” sont si différentes qu’elles en sont presque antagonistes, même si l’une (le Congrès) doit tout à l’autre (Trump), – mais la gratitude n’est pas une marchandise répandue dans ce monde-là. En fait, le principal adversaire politique de Trump, aujourd’hui, c’est Paul Ryan, le Speaker (président) républicain de la Chambre et “homme fort” du parti. (Ryan venu à ce poste par raccroc et en marche arrière, ce qui est une bonne indication de l’état réel de délabrement du parti républicain et de la réelle “force”, du point de vue du caractère et des convictions, de l’“homme fort”.) Ryan, c’est le chef de la faction de l’establishment la plus dangereuse pour Trump : la faction fausse-amie, représentant le parti républicain classique, l’aile prétendument “de droite“ du véritable “parti unique” de l’establishment, donc partie intégrante du Système. Du point de vue stratégique (l’événement “la-victoire-de-Trump”), Trump n’aura pas de plus grand ennemi que le faux-ami républicain, avec Paul Ryan comme délégué principal.

• En quelques mots, on dira que le parti républicain est ontologiquement ennemi d’une attaque contre le libre-échange et la globalisation ; ennemi d’une attaque par un désengagement passif (passant par le rétablissement des relations avec la Russie) de la politique guerrière d’un type qu’on pourrait dire neocon-Xanax (neocon sans trop de bruit) ; ennemi d’une tentative de réforme dans le sens d’une régulation stricte de tout l’appareil d’influence et de corruption (lobbies et le reste) qui a été annoncé par Trump. En un mot, on répétera que le parti républicain est le représentant du Système posant à l’ami (au “faux-ami”) de Trump pour pouvoir mieux saboter tous les aspects novateurs de sa politique.

• Dans cette tâche exaltante, le parti républicain est soutenu, encouragé, salué par les amis extérieurs, notamment l’Union Européenne qui s’est manifestée par une belle lettre des pieds-nickelés Junker et Tusk saluant la victoire de Trump à condition que ce soit une victoire de la démocratie, de “nos valeurs communes”, du libre-échange, de l’hyperlibéralisme, de la globalisation et ainsi de suite. Démarche classique de récupération... Junker-Tusk proposent un sommet au plus vite UE-Trump et l’on espère, pour la bonne marche de sa future présidence, que Trump choisira d’abord un sommet avec Poutine (avant même la prestation de serment, espère Alexander Mercouris), qui devrait avoir commencé à se négocier entre les Russes et l’équipe Trump. Les deux avaient déjà établi des contacts pendant la campagne, et d’autre part comme Trump est un “agent de Poutine” on peut raisonnablement envisager qu’il donnera la priorité à un sommet avec son “officier-traitant” ; cela serait un “très mauvais signal” comme l’on dit, pour les pieds-nickelés Juncker-Tusk. Si Trump ne fait pas ce choix, il s’agira d’une indication défavorable pour l’orientation de l’événement “Trump-devenu-président”, presque une amorce de rupture avec l’événement “la-victoire-de-Trump”.

• Le parti démocrate institutionnel est KO. Cela n’a aucune signification fondamentale dans le rapport des forces, puisqu’il est KO au profit des républicains et que les deux font partie du même “parti unique” du Système. Par contre, l’aile marchante du parti, la coterie sociétale, est en pleine mobilisation anti-Trump (l’événement “Trump-devenu-président”) et en position de déni complet de la signification de sa victoire (l’événement “la-victoire-de-Trump”). On ne dira pas de cette coterie qu’elle est “la gauche” du parti démocrate, sous-entendant avec l’esprit centriste propre aux “experts” rétribués du domaine raisonnant avec un demi-siècle de retard qu’il y a une partie plus “raisonnable” des démocrates ; on ne le dira pas parce que ce parti démocrate US a évolué à l’image du PS français. (Les Français toujours en avance !) Après abandon complet de toute politique sociale, le parti démocrate US est en complet accord avec la globalisation, donc avec le Système, avec comme politique de survie de l’étiquette “gauche” l’exploitation par idéologisation du volet sociétal qui convient parfaitement à la globalisation-Système : féminisme, antiracisme, minorités sociétales en marche, attaque massive contre la souveraineté et l’identité.

• Tout cela est effectivement en marche : manifestations estudiantines et autres anti-Trump dans nombre de villes US sous l’inspiration de type-hashtag #NotMyPresident. Il y a surtout une coalition black, post-Obama, qui se met en place sous le label “Whitelash”. Le Monde vous explique aimablement de quoi il s’agit, en quelques lignes extrêmement émouvantes (le “cri du cœur” nous a émus aux larmes) : « L’expression, signifiant “retour de bâton blanc”, a été employée par un chroniqueur de CNN, puis est devenue virale sur les réseaux sociaux. Comme un cri du cœur autour duquel se sont ralliés, au moins virtuellement, ceux qui y voient une victoire de “l’Amérique raciste”. » Des personnalités éminentes, Africaines-Américaines comme il se doit, sont à la manœuvre, type-philosophe de plateau-TV, Whoopie Goldberg et Van Jones. (Ce dernier, Van Jones, le “un chroniqueur de CNN” selon Le Monde qui a du mal à identifier ce qui compte, ancien ami d’Obama qui a démissionné de son poste auprès du président parce qu’il le jugeait trop tiède, ambitionne de devenir le leader noir post-Obama, c’est-à-dire une sorte de Martin Luther King postmoderne en situation de parfaite trahison du modèle.)

• Tout ce petit monde s’agite selon la thèse que l’événement “la-victoire-de-Trump” est le fait d’une minorité blanche (whitelash) qui fait partie du passé, – même si elle suscite de telles victoires largement majoritaires et qu’elle utilise contre la presse-Système archaïque l’outil fondamental de communication de la modernité que sont les “réseaux sociaux” pour l’emporter. (Pépé Escobar sur ce thème, dans une interview à RT : « He won this election on social media. No wonder the American networks never saw it coming, they could not even understand the way to communicate very simplified political message nowadays is through social media. Social media is the new journalism; you have to adapt to it…. He didn’t spend almost a billion dollars like the Democrats did, but he connected to people directly, talking about their everyday problems. »)

• La logique n’est pas le fort des agitateurs politiques du type-sociétal, qui sont comme les autres, plus que les autres à la chasse aux privilèges-Système ; quant à leur doctrine, elle a été bien résumée par l’actrice et réalisatrice Lena Dunham et son père Carroll Dunham, exprimant leur soutien à « l’extinction des hommes blancs... L’extinction des hommes blancs n’est pas la fin des hommes, c’est une évolution des hommes vers des hommes meilleurs ». (On attend que les Dunham passent à l’acte doctrinal par un suicide familial, puisque blancs tous deux.) On comprend bien que tout cela s’agite dans le sens coloré qu’on imagine, et on peut également imaginer que les premiers chèques-standard, type-“révolution de couleur”, sont arrivés aux comptes adéquats, ornés de la signature de l’inamovible et increvable Soros.

• Face à ce déploiement, Trump-Patton, s’il s’agit bien d’un Patton, doit donc agir au plus vite, comme nous en faisions l’hypothèse. D’abord en organisant un cabinet qui corresponde à cette tactique, et l’on sera plus avancés dans ce sens selon ce que comprendra ce cabinet. Les premiers bruits, avant l’élection (avec confirmation du colonel Lang, de SST), parlaient notamment de Gingrich au département d’État (Gingrich, fameux pour avoir dit dernièrement qu’il ne faut pas attendre que les USA risqueraient une guerre en venant au secours d’un pays-moucheron de l’OTAN comme la Lettonie s'imaginant qu'il y a une menace russe) ; Giuliani à la Justice, donc en charge du FBI/de la sécurité et de l’immigration avec un solide passé de maire de New York inflexible dans ces domaines ; le Général Flynn, déjà bien connu et détesté des généraux-Système placés par Obama, au Pentagone ou à la présidence du NSC au côté de Trump pour les affaires de sécurité nationale. En l’état des choses, ce ne serait pas une mauvaise approche mais il faut attendre pour voir si ces bruits se confirment. Dans ce cadre, la tactique envisagée implique une armistice sur le front extérieur passant par une entente générale avec la Russie (l’idée du sommet, voir plus haut), en Europe mais surtout au Moyen-Orient, notamment sur la Syrie et contre les bandes saoudiennes/CIA Daesh & Cie ; il faut aussi que Trump abandonne sa stupide dialectique agressive contre l’Iran, et cela peut aussi passer par un accord à trois (Washington-Moscou-Teheran) sinon à quatre, avec Israël en plus, puisque Israël-Netanyahou aime beaucoup-passionnément Trump et Poutine conjointement. Cela fait beaucoup, vraiment beaucoup de “il faut”, et on ajoutera, impitoyablement, le “il faut aller très-très vite” là aussi.

• ... Car la conclusion renvoie à nouveau à Patton et à sa tactique fondée sur la vitesse de décision et l’extrême rapidité d’exécution. On y ajoute la surprise, en attaquant là où l’adversaire ne vous attend pas. C’est là qu’on en arrive à à Mr. Gorbatchev Goes To Washington. En effet, toutes ces agitations se font autour du Système et en s’appuyant sur le Système, c’est-à-dire ce cœur énorme de Washington, entre bureaucraties et centres d’influences, lobbies, pouvoirs autonomes, think tanks et centres de communication (RP et pub), etc. Trump se fera vraiment Patton si, ayant pris les diverses précautions qu’on a envisagées, il s’attaque effectivement, très-très vite, à la forteresse washingtonienne selon la méthode gorbatchévienne. Une telle tactique conduit à prendre tous ses adversaires à contrepied, en les ignorant ; le contrepied dans ce cas, c’est ajouter le mouvement-roi du rugby au “faire aïkido” de l’art martial ; décider très-très vite d’agir très-très vite là où ne vous attend pas du tout et par conséquent pas aussi vite, et le contrepied est accompli. C’est un programme colossal, d’une audace extrême, au point qu’on peut se demander si l’on ne décrit pas un idéal d’action politique pour temps de la Grande Crise impossible à réaliser... It’s up to The-Donald, désormais : on verra bien s’il comprend l’ampleur de l’enjeu en ne cédant pas aux sirènes de la récupération ; ainsi verra-t-on bien, également, si l’insurrection du 8 décembre est oui ou non une révolution, c’est-à-dire si elle est décisivement antiSystème ou seulement une victoire d’étape, encore trop courte pour espérer conclure à partir d’elle. Tous nos vœux pour les heureux élus...

 

Mis en ligne le 10 novembre 2016 à 10H38