Le radeau de la Merkel

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Le radeau de la Merkel

L’Allemagne, depuis la formation rapiécée de l’actuel gouvernement, est un bateau sans gouvernail qui va au gré des courants, des pressions et des spasmes de communication, rien de plus qu'un radeau à l'abandon. L’Europe suit bien entendu le même chemin, et Macron, qui a de la peine à retenir ses ministres de démissionner, se retrouve dans une solitude jupitérienne avec une politique de tord-boyau qui fait de la France un éprouvant simulacre d’elle-même, attendant désespérément l’Allemagne comme elle l’attendit en 1939-1940 sur la Ligne Maginot.

Mais fixons-nous sur l’Allemagne elle-même et sur les derniers avatars du nième gouvernement Merkel qui marque une fin crépusculaire du “règne” de Merkel, qui avait transposé à la République Fédérale les recettes de la RDA où elle avait préparé sa carrière sous les auspices de la StasiBref, tout le monde est au rendez-vous...

Merkel est totalement prisonnière des suites de sa folle “politique migratoire” et du boulevard qu’elle a ainsi ouvert à l’activisme de son ministre de l’Intérieur Horst Seehofer, chef de l’aile bavaroise (CSU) de la coalition CDU-CSU et champion de l’anti-immigrationnisme à l’intérieur de l’establishment. Quant à la cause ponctuelle, mais non sans suites importantes, de l’actuelle crise, il s’agit essentiellement de l’affaire Hans-Georg Maassen, jusqu’à il y a peu chef du service de sécurité interne et de renseignement BfV, ou Office fédéral de protection de la Constitution.

Maassen est intervenu dans l’affaire des manifestations anti-immigrants de la ville de Chemnitz à la fin-août, en alléguant que l’interprétation selon laquelle il y avait eu “une chasse aux migrants” de la part de groupes d’extrême-droite était infondée. Merkel et le SPD ont alors réclamé la tête de Maassen après que son ministre Seehofer ait pris sa défense et proclamé que, s’il avait été simple citoyen, il aurait été dans la manifestation anti-migrants de Chemnitz. Finalement, la pression a eu la tête de Maassen, mais pour voir le personnage se doter d’une caboche de bien plus grande importance encore en étant nommé à un des postes de secrétaire d’État du ministère de l’Intérieur. Maassen ne dirige plus ni ne contrôle directement le BfV, mais il assure indirectement son influence sur ce service par le biais d’un autre secrétaire d’État qui fait partie de l’équipe CSU d’une droite très “dure” tenant d’une main de fer ce ministère d’une importance stratégique. Le ministère de l’Intérieur continue à regrouper et à rassembler tous les services de sécurité sous une direction centralisée qui ira pour l’essentiel à Maassen... Le président de BfV Maassen était un subalterne très utile de Seehofer ; il est maintenant super-Maassen le secrétaire d’État, bras droit du ministre pour toutes les affaires de sécurité, et notamment pour ce qui concerne l’immigration, le terrorisme, etc.

Le site WSWS.org, particulièrement présent sur cette affaire qu’il commente quotidiennement et rageusement depuis quelques jours, écrit à propos de la nouvelle position de Maassen, le 22 septembre 2018 : « Lors d’une conférence de presse, Seehofer a d’abord félicité l’ancien chef des services de renseignements pour sa “coopération étroite et confiante” des derniers mois et a déclaré que Maassen avait fait preuve d’un “grand mérite” à la tête d’une importante agence. Il a ensuite annoncé que Maassen, à son nouveau poste de secrétaire d’État au ministère de l’intérieur, assumerait la responsabilité de trois domaines clés de la sécurité intérieure – la police fédérale, la cybersécurité et la sécurité publique.

» Maassen contrôlera donc des domaines clés de l’appareil de sécurité et aura encore plus d’influence politique que lors de son précédent emploi. Il ne s’occupera pas toutefois de la supervision du BfV. Cela avait été convenu au sein du comité de la coalition du gouvernement, a déclaré Seehofer. Cette responsabilité sera reprise par un autre secrétaire d’État, Hans-Georg Engelke. Une telle division du travail ne diminue en rien l’influence future de Maassen dans les services de renseignement. Maassen et Engelke sont tous deux membres de longue date de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) et ont étroitement collaboré par le passé.

» Afin de laisser la place à Maassen au ministère de l’intérieur, un autre secrétaire d’État a été contraint de se mettre en retrait temporairement. L’homme remplacé par Maassen, Gunther Adler, est membre du SPD, auparavant responsable du bâtiment et du logement. Adler, originaire de l’ancienne Allemagne de l’Est, avait travaillé en étroite collaboration avec l’ancien président fédéral Johannes Rau du Parti social-démocrate (SPD) et se fit une réputation en tant que réformiste social. Le SPD a protesté contre le départ d’Adler, mais Seehofer a déclaré que lui seul décide de la nomination des secrétaires d’État dans son ministère. »

Restons encore pour quelques phrases autour du site WSWS.org, dont la ligne éditoriale s’est fortement incurvée ces dernières semaines, appuyant beaucoup moins sur la critique du Système, de ses entreprises impérialistes et bellicistes, etc., pour s’attacher beaucoup plus fortement à la critique radicale “de classe“ et à la dénonciation obsessionnelle du fascisme et du nazisme renaissant. Tout se passe comme si les trotskistes avaient conclu que le Système était en phase finissante et qu’il importait désormais d’affirmer l’extrême-gauche contre l’extrême-droite. C'est une bataille bien délicate à mener car la ligne ainsi choisie rapproche ceux qui la suivent des Soros, des “titans High-Tech” (les GAFA), des oligarchies, etc., qui tous favorisent plus ou moins l’internationalisme, les flux migratoires, etc., tous ces thèmes également défendus par l’extrême-gauche.

On en tirera les conclusions qu’on voudra, non sans observer que l’on a du mal à suivre les contorsions trotskistes de WSWS.org lorsqu’il qualifie la censure des GAFA contre l’extrême-droite (Infowars.com) de “sideshows” pour détourner l’attention... On fait par contre aisément l ‘hypothèse que les trotskistes tiennent jalousement à l’exclusivité de leur vertu de victimes-désignées du Big Corporate.(« Les affirmations des républicains de droite selon lesquelles ils sont censurés par les géants de la technologie et les singeries de Jones[de Infowars]et de ses alliés fascistes sont des tentatives visant à détourner l'attention du fait que l'opposition politique de gauche est la cible centrale de la censure de Facebook, Twitter et Google, dans le cadre de la création d’un État policier. ») Et ils auront beaucoup de mal à considérer ce que vaut réellement l’observation de Diana Johnstone, c’est-à-dire l’évidence même : « Si l’on répète constamment aux gens que le choix est entre une gauche qui préconise une immigration de masse et une droite qui la rejette, le basculement vers la droite [populiste] est inéluctable. »

D’où le déchaînement de WSWS.org concernant la situation allemande, absolument assimilée à 1933 et à l’arrivée du nazisme, sans tenir aucun compte de la question de l’immigration sinon comme un moyen de l’extrême-droite pour installer un État policier. Il faut croire, dit WSWS.org, à l’analogie avec 1933, bien qu’on cherche en vain ces milices de près de 200 000 hommes de la SA nazie qui constituèrent la principale force de pression pour structurer la prise en main de l’Allemagne par les nazis. (Et l’on aura du mal à la retrouver, cette SA, puisqu’elle était soutenue et souvent constituée pour un bon nombre par les milieux homosexuels politiquement très puissants, avec le chef de la SA, le n°2 et concurrent de Hitler à l’intérieur du NASDP, Ernst Röhm, LGTBQ avant l’heure mais de l’autre côté de l’échiquier politique.)

« Ces mesures [prises avec la promotion de Maassen] évoquent les fantômes du passé de l’Allemagne. Lorsque les nazis sont arrivés au pouvoir en janvier 1933 et ont procédé peu après à des arrestations massives, ils ont pu compter sur des listes établies bien avant, pendant les années de crise de la République de Weimar. Personne ne devrait croire qu’une telle comparaison est exagérée. Aujourd’hui, le plus grand danger est de penser que le retour d’une dictature d’extrême droite de type nazi n’est pas possible. » (WSWS.org, 22 septembre 2018.)

Pour l’instant, nous laissons WSWS.org à ses fantômes du passé, parce qu’il est beaucoup plus difficile d’avoir un Soros à ses côtés qu’un Hitler contre soi, alors que tout le monde peut voir Soros et que nul Hitler ne se pointe à l’horizon. Il est donc bien plus intéressant d’observer ce qui nous paraît essentiel, qui est la décomposition accélérée de la structure jusqu’alors exemplaire (du point de vue du Système) du pouvoir en Allemagne, s’acheminant de plus en plus vers une situation de rupture et d’affrontement dont la question européenne et la question identitaire devraient rapidement devenir l’enjeu. Cette décompositions’est accélérée paradoxalement avec le sauvetage in extremis de la formule-Système de la “Grande Coalition” et le constat qu’à l’intérieur de cette coalition, la CSU du ministre de l’Intérieur Seehofer est plus proche des Autrichiens nationalistes, des Italiens de Salvini, des Hongrois de Orban, etc., que de ses “camarades” Merkel et autres SPDistes de circonstance. Comme c’était envisageable du fait même du processus de déstructuration et d’entropisation qu’attise l’exercice d’un pouvoir réduit à un simulacre, la position de Merkel ne fait qu’empirer, et avec elle les positions du Système, tandis que ses adversaires ne cessent de se renforcer sans être soumis aux avatars de l’exercice de leurs responsabilités :

« ... [...M]ême si Merkel sauve sa triste peau d’ici la fin du mois [de juin 2018] en faisant naître d’un coup de baguette magique une unanimité européenne qui satisfasse pour deux ou trois semaines Messieurs Seehofer, Salvini & Cie, elle est irrémédiablement condamnée comme bombe à retardement pas trop long, comme kamikaze du Système à abattre à tout prix ; et plus ce règlement de comptes prendra de temps, plus les dégâts causés s’empileront, plus la crise s’aggravera et s’élargira, accélérant encore notre tourbillon crisique général. »

... Le résultat est un désordre considérable, un peu à l’image de la situation interne des USA. Avec un Macron en cours de désintégration “à-la-française” et une Merkel en cours d’entropisation, l’Europe campée sur un axe franco-allemand devenu une branche pourrie et rabougrie ressemble à un radeau de la Méduse encore plus qu’au Titanic. C’est-à-dire que plutôt que couler, elle se décompose, se dévore elle-même, se mange de l’intérieur. “Pour déboucher sur quoi ?” demanderaient les esprits rationnels sensibles aux faits et aux perspectives des faits.

Si vous demandez à WSWS.org, la réponse claquera comme un slogan politique qui ressemble depuis si longtemps à un slogan publicitaire : “Hitler !”. Pour nous, la question est singulièrement inutile parce que vide de sens, parce que le constat que nous faisons est qu’il y a longtemps que nous avons dévié de l’avenir même pour ne plus prendre en compte qu’un futur élaboré à partir des simulacres auxquels nous invitent le présent, construits sur un passé recomposé en fonction des impératifs de ce même présent. Cette situation nous fait conclure qu’il ne nous importe plus que de suivre sans espérer la prévoir l’évolution nécessairement erratique du radeau de la Méduse, en croyant avec une fermeté sans faille que des forces que nous ne contrôlons pas sont à l’œuvre pour nous ménager une évolution qui ne manquera pas d’intérêt sinon de vertu

« En un mot, le futur est relatif à ce qui va, l’avenir à ce qui vient, et il faut que ce qui va soit ouvert à ce qui vient, sous peine d’une vie qui meurt en se fixant dans un programme. Cette subordination du futur à l’avenir marque aussi la supériorité et plus encore la surprise de l’avenir par rapport au futur. Quand le monde ne va pas, quand, sous nos yeux, il court à sa perte, cela n’empêche pas le royaume de venir : sa grâce ne dépend pas de nos mérites, elle présuppose même plutôt notre condamnation. » (Fabrice Hadjadj dans son livre de 2014 Puisque tout est en voie de destruction.)

 

Mis en ligne le 22 septembre 2018 à 17H27