Le sommet de la nostalgie perdue

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Le sommet de la nostalgie perdue

5 septembre 2014 – «Qui a eu cette idée folle...», disait la chanson de France Gall ; mais non pas “d’inventer l’école”, mais plutôt d’exposer sur le fabuleux green du Celtic Manor des armements (britanniques ou pseudo-britannique, à l’image du Royaume-Uni, de plus en plus – pseudo) ; et parmi ces armements, un JSF en bois mais grandeur nature certes. Le responsable semble bien être le ministère britannique de la défense, dans une démonstration typique de ce que cette organisation est devenue, une sorte de mini-monstre (par comparaison à son tuteur pentagonesque) faite d’une bureaucratie complètement soumise à la communication, elle-même narrative devenue à l’occasion de l’affaire ukrainienne fantasy-narrative (voir le 1er septembre 2014). L’idée (le JSF en bois) avait été inaugurée le 4 juillet en même temps que le nouveau porte-avions britannique, qui devait recevoir un vrai JSF pour montrer de quel bois est faite la sujétion UK vis-à-vis des USA ; on ne vit que le bois dont se chauffe maigrement le JSF, sans pour autant qu’on sache de quelle essence il s’agit (balsa ? ébène ? séquoia du grand Parc de Yellowstone ? Information Highly Restricted – Cosmic USA/DoD).

(Le JSF est interdit de vol depuis la mi-juin à cause d’un problème de moteur, qui s’est avéré mineur, selon la communication du JSF Program Office [JPO] du Pentagone. Interdit de vol et même de contemplation pour cette raison, il n’a pu être présent à l’inauguration, non plus qu’exposé à Farnborough. Soit dit en passant mais en s’attardant avec une certaine insistance, le JSF est toujours soumis à des restrictions de vol dues au même problème qu’on espérait résoudre pour le début juillet, et le chef du JPO, le général tonitruant de l’USAF Bogdan commence à être très sérieusement inquiet : «The head of the F-35 Joint Strike Fighter program is warning that there is a real danger of missing deadlines if his test fleet of aircraft are not flying regularly by the end of September.» [Defense News, le 3 septembre 2014]. En attendant que le JSF vole à plein à nouveau, ou plane dans tous les cas, un facétieux des couloirs du Pentagone, peu ami de la chose, aurait proposé de baptiser le JSF en bois JSF-WW et F-35WW, – WW pour Wooden-Wonder. Chic idée, qui donne une perspective historique : la première Wooden Wonder fut le De Havilland Mosquito, exceptionnel et britannique bimoteur de la guerre qui, lui, volait, et volait diablement bien.)

Ce JSF-WW et joueur de golf n’était pas, non vraiment pas, une très bonne idée. D’un point de vue extrêmement symbolique et sans que les intelligences poussives des bureaucrates de la communication le réalisent, le JSF-WW dans le contexte de ce sommet de l’OTAN signifie simultanément trois choses : la prétention triomphante de l’OTAN d’être une organisation d’une puissance extrême et en pleine renaissance, grâce à la recette de la soumission du bloc BAO au Système encore plus qu’aux USA ; l’OTAN soumise aux artifices de la fantasy-narrative en affichant son réarmement sous l’auspice du complexe militaro-industriel (CMI), géniteur incontestable du JSF ; la catastrophe technologique et bureaucratique qu’il (le JSF-WW) symbolise, avec le symbole étendue à l’ensemble (Système + CMI + OTAN).

... Même le Guardian, que rien d’antipoutinien n’arrête aujourd’hui, jugea la chose (l’exposition des armements + la version WW du JSF) particulièrement “incongrue” (voir le 4 septembre 2014, avec photos du JSF-WW) : «One of the more incongruous sights at the Nato summit in Newport is that of British military hardware strewn among the greens and bunkers of the Celtic Manor golf resort... [...]

«A Ministry of Defence (MoD) spokesman said the display was intended to showcase British defence capability as well as the British defence industry. It is not one that is likely to cause Vladimir Putin to be overly concerned. Although the plane, an F-35 stealth fighter, is one of the most advanced and costly in the world, the one on the golf course is not real. It is just a life-size model...»

Quelle futilité, dira-on, que de s’attarder à cette affaire de JSF-WW... Eh bien non, certainement pas, et notre responsabilité n’est pas engagée si cette époque énorme de surpuissance, d’arrogance et d’hybris, fait feu de tous bois (sic) en affirmant sa loi sur le monde avec des moyens d’une futilité et d’une grossièreté de plus en plus visibles ; ces moyens sont comme la marque du vide étrange par son immensité, presque un vide palpable comme le vide devenue sa substance même, qui est devenu par conséquent le caractère principal de l’époque, et tendant à l’exclusivité de réduire le dit-caractère à ce seul trait. Comme symbole, le JSF-WW nous en dit long, sur l’OTAN, sur le CMI, sur l’hybris du Système, sur l’imposture cosmique de l’ensemble, sur le poids pharamineux des illusions pathologiques et la contrainte terrible de la narrative exploitée en mode-turbo pour l’instant, dans sa version fantasy-narrative. C’est à cela qu’on juge une époque, le bloc BAO, l’OTAN et tout leur bazar, avec confirmation par l’incompétence, l’ignorance crasseuse et la grossièreté des communications des dirigeants-Système.

(Comme ceci, comme cet autre détail anecdotique en marge du sommet, – le discours du POTUS de service, ce personnage en train de devenir secondaire au sein même de son administration, qui n’est ne juge pas nécessaire d'appointer un historien convenable pour surveiller ses discours lorsqu’ils dépassent une perspective d’une ou deux semaines en arrière... Ainsi de la leçon de choses historiques qu’il nous a faite, le 3 septembre 2014 à Vilnius, en dénonçant l’impérialisme russe du XXIème siècle par dénonciation référentielle du XIXème, – «Reaching back to the days of the czars, trying to reclaim lands lost in the 19th century is surely not the way to secure Russia’s greatness in the 21st century..» Pauvre type, cet Obama, sans même le goût de la connaissance du monde, aussi vide qu’on puisse imaginer, mettant toutes ses qualités intellectuelles au service de l’approfondissement de ce vide, lui, l’homme de la doctrine de l’“exceptionnalisme” ; faisant une leçon de choses totalement invertie sur ce XIXème qui a vu naître cette doctrine, avec la Manifest Destiny manifestée et énoncée en 1846, pour justifier la guerre contre le Mexique de l’année d’après ; par conséquent, doctrine de vol, de rapine, de tromperie, à mettre au rang du crime organisé des USA type-Capone, et à celui des oligarques ukrainiens, – ils s’entende bien entre eux, – avec cette époque des USA qui a vu le larcin de toutes les régions mexicaines de l’actuel Sud-Ouest des USA, de la Californie au Nouveau-Mexique, qui a vu le génocide de la nation indienne en même temps que celui des bisons, la guerre (dite “Civile”) la plus sauvage inaugurant la tuerie totalitaire du XXème siècle, le capitalisme sauvage saccageant autant la nature du monde que les structures culturelles et psychologiques humaines et organisant l’inégalité de l’argent qui est dans ce cadre l’inversion de l’inégalité des qualités de l’héroïsme et de la sagesse ... Ainsi un discours peut-il en dire long, bien plus long qu'il ne prétend.)

Si l’on s’attarde à ces futilités qui, encore une fois, forment le fond de commerce de “leur” politique du monde, c’est que tout ce qui s’est dit, se dit et se dira de “sérieux” au sommet de l’OTAN n’a strictement aucun intérêt, aucune importance, rien, nada, nothing... Tout fonctionne dans l’inversion, à l’image des personnalités en présence, à commencer par le secrétaire général Rasmussen qui croit tracer en ce moment son empreinte historique avec la résurrection de l’OTAN. Nous dirons qu’ils l’enterreraient plutôt (voir plus loin) et nous irons tous aux funérailles.

La réunion en Pays de Galles se fait sur un pied de guerre qui manque de plus en plus d’une assise convenable, même du point de vue de la communication. Au moment où l’on se goberge à Newport, Pays de Galles, on avance, à l’Est, sur la voie d’un accord de cessez-le-feu qui a l’air sérieux, pour la première foi. Il a l’air sérieux parce qu’il semblerait que Porochenko soit sérieux, parce que toute son armée est en débandade et que la seule issue semble devenir de marcher pour un cessez-le-feu, pour ne pas risquer pire encore. Donc, à Newport, pendant ce temps, on “réarme”... Deux nouvelles de Antiwar.com, le 3 septembre 2014 et le 4 septembre 2014, vous disent succinctement l’essentiel de ce qu’il faut en savoir. Pendant ce temps, notre ami Richard North, de EUReferendum met en parallèle (le 5 septembre 2014) la situation à l’OTAN et la situation en Ukraine, pour mettre en évidence le contraste entre l’impuissance et l’obsolescence des “discussions stratégiques” des conversations otaniennes et le triomphe de la “stratégie de Poutine” (sur ce tout dernier point exprimé par North, – que la “stratégie” soit celle de Poutine, – il y a d’autres choses à dire, ou plutôt à objecter ; on en verra plus là-dessus, plus loin).

«NATO delegates, ensconced in its temporary luxury home in Newport (which must make a pleasant change from their decaying home in Brussels), must have been overworking their mini-bars. Apparently unaware of the real situation – or choosing to ignore it – they are “telling” the Kremlin to pull Russian troops back from Ukraine and stop supplying separatists with “arms, fighters and funds”. NATO's sec-gen, Anders Fogh Rasmussen, articulates the fantasy, declaring: “We call on Russia to end its illegal and self-declared annexation of Crimea. We call on Russia to pull back its troops from Ukraine and to stop the flow of arms, fighters and funds to the separatists. We call on Russia to step back from confrontation and take the path of peace”.

»Even as Rasmussen was speaking, however, and Cameron and Obama and other senior NATO were discussing with Ukrainian president Petro Poroshenko the possibility of a ceasefire, Putin was already delivering his response... In the major port town of Mariupol of the Azov Sea, major fighting broke out yesterday, part of the very obvious Russian stratagem of clearing a land bridge through from the eastern boundary, into Ukraine, linking to the Crimea...»

»Ever since the Crimea broke from the Ukraine, it was always going to be the case that Russia was going to build a new buffer between its territory and the west-leaning Ukraine. And there is nothing either NATO, its members or Ukraine were ever going to do to stop it.»

Comme nous l’observions plus haut, nous avons quelques réserves sur la place centrale, voire exclusive qued North fait à Poutine dans l’action victorieuse contre les forces de Kiev-guignol. Comme nous l’avons déjà vu en détails (le 1er septembre 2014), il y a une très forte tendance, chez les gens du bloc BAO, y compris et surtout les Anglo-Saxons, à outrer dans tous les sens le personnage et l’action de Poutine. On a vu comment on pouvait en faire “Machiavel-le-génie” dans le texte référencé où nous nous appuyions sur une analyse de Daniel Goure, du Lexington Institute, et c’est un peu le jugement que porte implicitement North...

«Sans que Poutine n’en ait évidemment rien voulu, – lui qui s’affirme constamment comme un excellent chef d’État certes, mais d’abord prudent, habile et modéré, chercheur d’arrangements, proposant constamment la négociation, le compromis avec le bloc BAO, – le voilà transformé en un tacticien de grand style, puis bientôt en un stratège de “pur génie”.

»Curieuse situation, en vérité, si la crise ukrainienne continue à évoluer au train d’enfer où on la voir foncer, dévoilant à chaque instant la facticité des constructions de carton bouillie hâtivement mise en place par les activistes-Système occupés à partout allumer des incendies. Si la crise continue de catastrophe en catastrophe, comme elle s’est déjà déroulée, – et rien ne suggère le contraire puisque le bloc BAO n’est capable, en fait d’expérience, que de répéter ses erreurs sans fin et toujours plus puissamment, – Poutine-selon-Goure va s’imposer irrésistiblement, sans qu’il l’ait voulu, sans qu’il l’ait cherché, comme le point de rassemblement fondamental d’une poussée antiSystème de plus en plus puissante dans le cadre de l’affrontement Système versus antiSystème qui s’affirme de plus en plus comme l’interprétation nécessaire de la crise ukrainienne... Entendons-nous bien, sans chercher à établir des hiérarchies mais plutôt en cherchant à restituer une vérité de la situation : ce n’est pas Poutine qui suscite cette dynamique antiSystème, mais cette dynamique antiSystème suscitée par la crise elle-même selon son mode habituel surpuissance-autodestruction, qui suscite ce Poutine-selon-Goure...»

L’artefact neocon au soir de son existence

The Saker of Vineyard a un long développement sur la situation militaire en Ukraine, ce 4 septembre 2014 (quasiment le 5 septembre pour nous), qui permet d’avoir une appréciation globale de la campagne conduite jusqu’ici (avec état des pertes ukrainiennes, – considérables), et de la situation stratégique présente. Sur les informations factuelles, The Saker original, et le “Saker-français” par conséquent, ont été remarquablement justes. Lorsque la presse-Système ânonnait pendant des semaines l’écrasement chaque jour imminent de la rébellion comme il sied au “méchant” de la pièce (civils compris, – qu’ils crèvent !), les site des divers “Saker” produisaient des analyses très nuancées et argumentées, et lorsque la presse-Système est brusquement passée à la réalité brutale du quasi-effondrement de l’armée ukrainienne (tant pis pour le lecteur, il n’a qu’à suivre), le lecteur des divers “Saker” n’a pas été autrement surpris. Ce suivi factuel, autant que faire se peut, de la situation militaire depuis avril a permis de retirer l’impression que les anti-Kiev avaient réussi un travail remarquable, autant sur les plans tactique que stratégique, qui renvoie largement à leurs propres qualités.

Ainsi, sur ce point, nous ne suivront pas Richard North qui fait de l’affaire militaire ukrainienne anti-Kiev un travail stratégique du seul Poutine. Certes, les Russes ont évidemment soutenu les anti-Kiev, mais surtout par des moyens non-gouvernementaux (afflux de volontaires) et certes des livraisons d’armement, mais qui n’ont pas constitué l’essentiel de l’équipement, même en armes lourdes, des anti-Kiev, maîtres en récupération et en intégration de tout le matériel pris à l’armée ukrainienne de Kiev. Quant aux épisodes des “invasions” russes réduites à un millier d’hommes, le ridicule tactique et stratégique d’une telle thèse nous épargne de toute discussion. (Une “invasion” russe dans ce cas, cela se ferait par l’aviation, qui écraserait l’armée ukrainienne au sol, ou bien par deux ou trois divisions blindées si l’on veut aller jusqu’à Kiev, – l’affaire de 5-6 jours, – et tout cela bien visible car ce qui importe c’est de mener une offensive-éclair efficace et non plus de dissimuler l’“invasion” en “Stealth Invasion”.)

Il est vrai qu’en tenant compte de la prise en main incroyablement efficace de la Crimée et en additionnant divers éléments dont ceux que nous évoquons, y compris en retournant contre le bloc-BAO par la seule force contre-productrice de son outrance sa propre fantasy-narrative” au niveau de la communication (manière postmoderne de faire aïkido), on arrive à une opération générale qui a tout pour constituer un remarquable succès stratégique. Dans ce cas, le succès serait en bonne partie celui des Ukrainiens anti-Kiev, mais il constituerait aussi, du point de vue russe, une avancée stratégique de la Russie selon des règles complètement nouvelles de la guerre tant il est évident que les Russes ont appuyé, orienté, conseillé et en partie alimenté la marche des opérations dans le sens où on les a vues évoluer. (La façon, notamment, dont a été éliminé l’avantage de la supériorité aérienne complète initiale des Ukrainiens de Kiev est remarquable ; il ne suffit manifestement pas de disposer de missiles sol-air portables ou autres pour réussir un tel coup de maître, il faut aussi avoir une tactique exceptionnellement structurée de leur usage.)

D’une façon générale, les Russes ont montré une souplesses, une capacité d’adaptation, une rapidité d’évolution, l’art du contrepied, etc., toutes choses qui ridiculisent les jugements recyclés des 50 dernières années, et datant des amoncellements de ferraille blindée de l’armée rouge, des experts fossilisés et couverts de la poussière de la première Guerre froide du bloc BAO, si possible anglo-saxons, confortablement installés dans leurs prestigieux think tanks et jetant un regard méprisant sur la Russie arriérée et barbare. C’est de ce point de vue que Daniel Goure a raison lorsqu’il parle (le 1er septembre 2014) d’une sorte de “guerre ambiguë” qui introduirait le “nouvel art de la guerre” (peut-être pourrions-nous parler d’une “G5G”, pour “Guerre de 5ème Génération” succédant à la G4G, et méritant effectivement le label de “nouvelle génération” tant les conditions sont originales et exceptionnelles, – tout cela méritant bien entendu une analyse détaillée à laquelle nous nous attèlerons prochainement)... Goure : «Most recently, [Putin] has successfully conducted what some have called “ambiguous warfare” against Ukraine, including providing the separatists with advanced weapons, training and direction. Some observers have even characterized the Ukraine campaign as a new art of war.»

Et ainsi retrouvons-nous l’OTAN et son charme désuet... Face à cette évolution de la campagne ukrainienne, qu’ont fait l’OTAN et le bloc BAO ? Ils ont riposté, – au seul niveau de la communication et des symboles, certes, – avec leur habituelle artillerie lourde, leur tapis de bombes d’anathèmes et de promesses guerrières, si possible les plus grossières et grotesques possibles. Les menaces ont volé, selon les thèmes habituels : de nouvelles bases, des déploiements de forces en démonstration de type roulement des mécaniques, des manœuvres où le côté bleu l’emporte toujours sur le côté rouge, des conseillers, des matériels (très) lourds prépositionnés, et l’inévitable force d’intervention rapide qui est le mythe derrière lequel l’OTAN court depuis un demi-siècle... (Être rapide, le rêve de l’OTAN, absolument jamais atteint et sans espoir jamais d’être atteint.)

L’OTAN va toujours dans le même sens, qui est évidemment un sens absolument américaniste : faire toujours plus lourd et, si elle cherche à aller vite, c’est pour faire plus lourd plus rapidement au point donné visé par sa vindicte. Ce qui est absolument remarquable, c’est que l’OTAN, depuis un quart de siècle que la Guerre froide est finie, n’a rien appris de ses campagnes diverses qui la décourage de cette philosophie ; lorsqu’on nous vante la supériorité technologique anglo-saxonne (US), on ferait bien de se rapporter à certains faits vécus à cet égard. (Par exemple et bon exemple, ce témoignage d’un pilote français [le 23 septembre 2011] ayant participé à la campagne libyenne du printemps 2011 : «A Londres, au cours d’une très récente conférence, un pilote français (sans doute de l’aéronavale, servant sur Rafale M) a communiqué son témoignage opérationnel sur cet aspect des opérations. Sa position pulvérise le lieu commun, et par ailleurs contredit les versions officielles, tant US que française. Le pilote a affirmé que les avions de combat français n’avaient pas utilisé le soutien de renseignement et d’identification des cibles venu des systèmes US. La cause en est la lenteur des procédures pour que ces informations parviennent aux pilotes français. (Certaines précisions obtenues par ailleurs parlent d’un délai de deux jours pour obtenir ces informations destinées à l’utilisation de missions sur le point de démarrer, qui devaient en disposer dans les deux heures.)»)

Dans de telles circonstances où les capacités structurelles et opérationnelles de l’OTAN, ainsi que l’esprit même de l’organisation, apparaissent comme de plus en plus dépassées, on pourrait observer en marge du sommet, et en s’épargnant la lecture des discours, des communiqués et des experts assermentés, que le sommet de Newport, Pays de Galles, est peut-être effectivement, comme l’écrivait pompeusement The Economist, «l’un des plus importants de toute l’existence de l’Organisation». Bien entendu, le sacro-saint hebdomadaire britannique parlait de son importance dans le sens où l’Organisation aurait retrouvé enfin une raison d’être en retrouvant son ennemi de la Guerre froide, celui qui avait justifié sa création. (Une curiosité de ce jugement, – une nouvelle raison d’être, – est qu’il a été posé depuis un quart de siècle pour toutes les opérations engagées par l’OTAN, – Kosovo, Afghanistan, Libye, – à chaque fois présentées en les claironnant comme une adaptation de l’OTAN aux nouvelles conditions du monde.)

... Nous parlerons, nous, de l’importance de ce sommet, en ce sens qu’il annonce sans doute des lendemains très difficiles, voire fatals, pour l’OTAN. Cela est bien entendu lié à l’affaire ukrainienne, avec l’alternative ménagée par les circonstances à venir. L’OTAN s’est engagée à fond dans l’hostilité contre la Russie, s’appuyant sur ses membres les plus erratiques et les moins influents (les pays de l’Europe de l’Est et encore pas tous) et sur une politique US complètement erratique elle-même, incontrôlable et déterminée par des rapports de forces au sein de l’establishment washingtonien complètement étrangers aux préoccupations européennes. C’est un tournant complet par rapport à la politique qu’avait engagé Rasmussen à son arrivée à l’OTAN, lorsqu’il avait semblé que l’OTAN devait jouer la carte du rapprochement décisif avec la Russie (voir le 12 septembre 2009). Aujourd’hui, l’OTAN s’est constituée en un artefact neocon placé devant le dilemme d’une alternative de l’évolution de la situation générale dont elle ne contrôle évidemment rien d’essentiel, où elle reste un acteur complètement marginal dans la définition de la chose :

• Ou bien l'évolution en aggravation des relations avec la Russie conduit au pire, c’est-à-dire à des possibilités d’affrontement armé, où l’OTAN joue un rôle très exposé mais n’a aucune liberté d’action. Une telle perspective est si dangereuse qu’elle conduira à des situations de conflits potentiels trop sérieuses pour être laissées à une organisation dont on a pu mesurer l’extrémisme de la politique, où chaque États-membres ou groupes d’États-membres joueront leur propre jeu pour ne pas laisser leur politique existentielle aux mains de cette organisation. La perspective même de nouvelles adhésions va se geler de plus en plus, à cause des risques potentiels qu’elle implique dans le cadre de cette prospective d’une politique très volatile en Europe.

• Ou bien cette même “évolution en aggravation des relations avec la Russie” peut 0conduire, deuxième terme de l’alternative, à une situation beaucoup plus nuancée, où des tendances diverses vont se révéler entre États-membres ou groupes d’Etats-membres, conduisant à des divergences sérieuses. Avec l’évolution présente en Ukraine, les perspectives de cessez-le-feu, la position de plus en plus fragilisée à la suite de l’échec militaire de Porochenko (cause et conséquence à la fois de son rapprochement d’une possibilité de cessez-le-feu), les positions politiques du côté du bloc BAO peuvent en effet se diversifier, tandis que la Russie y aidera puissamment en cherchant par tous les moyens à diviser ses adversaires. Inutile d’expliquer que, dans ce cas, le cadre de l’OTAN constitue également, pour la plupart de ses États-membres, un véritable repoussoir tout simplement parce qu'elle constitue une prison de l'extrémisme belliciste.

L’OTAN a scellé symboliquement, à Newport, en Pays de Galles, son véritable destin qui ressemble à une impasse des illusions perdues. Créée comme un outil jugé indispensable, devenue avec la fin de la Guerre froide un outil dispensable maintenu en état de survie artificiel et à qui il était demandé d’avoir une politique qui justifiât son existence, l’organisation s’est précipité avec volupté dans la crise ukrainienne en croyant qu’elle allait y retrouver sa fonction originelle d’indispensabilité. Il s’agit du bonheur de redevenir outil, de cesser de penser et de craindre pour son existence, pour se replonger dans la planification bureaucratique et irresponsable. L’OTAN croit simplement qu’elle peut remonter le temps pour retrouver le “temps béni” de sa Guerre froide. Ce sont des nostalgies de vieillard au soir de son existence.