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292310 septembre 2016 – Au printemps de 1973, j’étais un journaliste bien sage, et même très forcené dans mon pro-américanisme (tendance-Pentagone). Je travaillai dans ce qui est devenu pour nous, à dedefensa.org, la presse-Système. (Un grand quotidien, deuxième tirage de presse francophone en Belgique.) Au printemps de 1973, figurez-vous, braves gens, que la sphère politico-militaire de l’actuel bloc-BAO bruissait de rumeurs sur le retrait possible, sinon probable des troupes US d’Europe. Il n’y avait pas besoin d’un Trump pour cela, un Nixon suffisait...
(Et l’on sait ce qui est arrivé à Nixon, et qui porte la culpabilité de la chose. Ma conviction est bien que si Nixon n’était pas tombé dans le cloaque du Watergate qui était un piège à l’origine, il aurait effectué ce retrait dans le cadre d’une réforme fondamentale des forces armées. [Voir dans le film d’Oliver Stone, Nixon, l’anecdote si significative de Nixon rencontrant une étudiante contestataire, en 1971, épisode rappelé dans le texte référencé.] A cet égard, l’année 1973 est une année-pivot fondamentale, qui prépare le XXIème siècle plus qu’aucune autre, je dirais même plus que 1989 ; année significative entre ce qui aurait pu se passer, – Nixon restant au pouvoir, – et ce qui se passa réellement : le début de l’immense déstabilisation de l’Ordre Mondial [eh oui, il existait déjà], avec la crise du prix du pétrole d’octobre-novembre 1973. C’est à partir de là que les deux superpuissances commencèrent à perdre le contrôle du monde, pour ne jamais le récupérer. [On comprend à cette aune ce que je pense des USA “Empire du monde”, à partir de 1989-1991 : mon idée est que les USA devinrent complètement fous avant d’affirmer qu’ils étaient l’“Empire du monde”, et non le contraire ; selon cette conviction, le seul débat possible est sur cette chronologie, les deux appréciations ayant leur arguments, – fous avant d’affirmer qu’ils étaient l’“Empire du monde”, devenus fous après avoir affirmé qu’ils étaient l’“Empire du monde”. Le reste ne fait aucun doute dans mon esprit ; ce sont notre faiblesse insondable, notre néantisation par l’Europe pour parler de nos pays, qui nous ont fait croire que les USA étaient l’“Empire du monde”.])
Donc, jeune journaliste, j’avais obtenu le privilège considérable de faire une interview du SACEUR (commandant-en-chef suprême des forces allées en Europe) dans ses murs, à Evere, en Belgique. Il s’agissait du général Andrew Goodpaster, un général plutôt finaud (si rare chez eux), arrangeant, faiseur de compromis etc. ; pas du tout un de ces cowboys qui frappent du poing sur la table, roulent des mécaniques et vous assènent des réponses en un mot (“oui”, “non”, “fucking”, etc.). Ainsi espérai-je obtenir de lui, à cause de son caractère, quelques indications dissimulées sur la situation de cette question du retrait US d’Europe. Ma première question fut absolument, du moins en jugeai-je ainsi, sans ambages ni précautions pour le mettre dans l’embarras et obtenir une réponse alambiquées, assez longue, où je pourrais grappiller une chose ou l’autre ; montrant par là, moi, peut-être et même sans doute, une certaine naïveté, – mais quoi, l’interview était là, la question évidente aussi, enfin la jeunesse du journaliste qui ne rêve que de cette chose étrange et insaisissable, – le scoop...
— Pourriez-vous me dire, Général, si la possibilité d’un retrait des troupes américaines d’Europe est envisagée, comme il se dit dans divers milieux ?
— Non.
Ce seul mot, sans rien d’autre, comme un couperet qui claque : il me coupa le souffle, comme s’il m’avait balancé un direct dans le ventre sans avertissement, sans rien préparer, sans rien du tout. Il y eut un silence de bien dix secondes ce qui fait très long dans cette sorte de circonstance ; voyant mon embarras, presque mon désarroi, il décida avec un rapide sourire compatissnt de m’aider comme on tend la main à quelqu’un qui se noie.
— Bon... Ce “non” s’adresse à la forme de votre question, pas au fond, surtout pas au fond. “Non, je ne peux pas et je veux pas vous dire, bla bla bla...”
Toujours l’embarras, le désarroi, et à nouveau son sourire. Il venait de décider de “se lâcher” comme on dit ; il prit aussitôt la précaution d’usage (“Fermez votre enregistreur, à partir de maintenant et jusqu’à ce qu’on le rallume, je ne vous ai rien dit … si vous publiez quelque chose, je démentirai catégoriquement, d’un haussement d’épaules. OK ?”)... Il s’expliqua plus à l’aise.
— Vous comprenez, pour moi, cette possibilité n’existe pas, point final. On ne m’a rien dit officiellement et, bureaucratiquement, je n’ai rien entendu, alors on en reste là. Si vous voulez, c’est une position dialectique, absolument intangible, un principe de stratégie dialectique dirais-je. C’est tellement sérieux que j’ai interdit aux services de planification de l’état-major d’étudier une telle possibilité, alors qu’en temps normal, cela pourrait être fait sans rumeurs particulières pour le justifier, simplement comme une possibilité. Pour moi, ce n’est même pas une possibilité, c’est un absolu qui me met contre le mur, là où je ne peux plus bouger sur cette idée absolue : cette possibilité n’existe pas.
» Voyez-vous, non seulement c’est une position officielle pour moi, mais c’est aussi une position psychologique. Accepter de parler de cela (pour dire mon opposition complète, bien entendu), c’est admettre que la possibilité existe, c’est déjà concéder un point à l’adversaire, et un point fondamental. Peut-être que la possibilité existe, tout comme celle que le ciel nous tombe sur la tête, mais qu’est-ce que j’en ai à fiche ? Bien sûr, tactiquement, je fais dire que ce serait une catastrophe, etc., mais toujours indirectement. Le principe stratégique, lui, est intangible : cette possibilité n’existe pas, point final.
Voilà, l’essentiel était dit. Bien entendu, ce n’est pas la “méthode Goodpaster” qui emporta l’affaire et empêcha le retrait US d’Europe, puisque l’on sait ce qui survint à Nixon mais elle marquait clairement et absolument une position. J’ai gardé en mémoire cet entretien parce que j’ai souvent jugé, depuis, qu’il s’agissait d’une excellente stratégie dialectique, en fait quasiment la seule possible dès lors que vous identifiez l’objet de cette stratégie, et qu’en plus elle rencontre, ou plutôt se définit encore mieux avec les idées concernant l’intangibilité des principes, la destruction totale de la réalité, l’importance capitale de la psychologie qui sont des caractères fondamentaux de notre époque. Cela me conduit évidemment à la situation actuelle, et précisément à deux mois moins deux jours des élections USA-2016. C’est une intervention de Ron Paul qui a concrétisé mon propos en lui donnant une forme “opérationnelle” si vous voulez, et par conséquent a ravivé dans mon souvenir cette interview de Goodpaster. Voici des extraits de ces déclarations de Ron Paul, reproduites par ZeroHedge.com :
« “They may have false flags and they may do a lot of things, but no matter how an emergency comes up, they’re going to make use of it. And the use of it isn’t to say ‘Hey, how are we going to protect the American people?’ Are they worrying, when they talk about doing something about rigged elections, [that] the votes are counted? No, they’re making sure that the votes aren’t counted and they’re irrelevant and the government has all this power.” [...] “The elections don’t matter. This is a ritual that we go through,” Paul observed last week. Instead, he referenced a seemingly omnipotent power much more influential than the ‘will of the people.’ “My belief is that the control is the Deep State, and people have to realize that,” he said. [...]
» “But it is good to be politically active, to preach this message, to show people exactly what the government’s doing to us and why we should be involved.” “But of course, the whole purpose, in the end, has to be that we change our economic philosophy, we change our attitude about protection of our civil liberties, and we change our attitude about getting involved in the internal affairs of other nations, occupying other countries, and being involved in nation-building. If we do those three little things then, believe me, the world would be much more peaceful and we would all be much more prosperous.” »
Dans dedefensa.org, le soutien à Ron Paul, l’information sur sa tentative, l’encouragement à poursuivre ont été massifs, de 2008 à 2012. Je ne me suis jamais interrogé, fondamentalement, sur le fait de savoir s’il pouvait réussir (“méthode Goodpaster”), même si je l’espérais plus qu’à mon tour... Il faisait ce qu’il faisait, il fallait être derrière lui. Il échoua, et il s’agit à ce point de se rappeler précisément les circonstances de son échec : à côté de la défense surpuissante du Système, des problèmes internes (dans son équipe), peut-être une infiltration de l’un ou l’autre placé là pour le faire échouer. Qu’importe, il fit un travail magnifique, qui contribua grandement à secouer le Système. Quoiqu’il en pensât secrètement, il ne dit jamais qu’il s’agissait d’un combat sans espoir puisque l’on ne peut rien contre le Système.
Aujourd’hui, et pour résumer, c’est ce qu’il nous dit, notamment concernant les élections : « The elections don’t matter. This is a ritual that we go through.. » Autrement dit et pour le cas précisément envisagé puisque l’on parle des élections, aucun espoir, aucune possibilité de rien. (Tout de même, ils étaient nombreux, moi comme les autres d’ailleurs, à ne pas croire une seconde, en avril-mai 2016, que Trump serait désigné candidat républicain, mais il est vrai qu’on a depuis précisé que c’est un false flag-Donald du Système, et pour Ron Paul les conceptions de Trump sont fort critiquables par rapport à l’orthodoxie libertarienne, par conséquent cela ne change rien à son jugement.) Pour autant, Paul nous recommande d’être actif politiquement, de faire passer le message, – sur quoi, ce message, sur “il n’y a pas d’espoir”, et que, pour cette raison il faut continuer à agir ? Voilà bien une attitude que je ne comprends pas, sans écarter d’ailleurs l’hypothèse du désenchantement du vieil homme ; c’est ici que la “méthode Goodpaster” devrait jouer à fond, car cette méthode n’est ni de la lucidité, ni de la logique, ni de la raison, ni du brio de notre intelligence dont nous sommes si fiers : c’est un principe d’action, rien de moins et rien d’autre. (Et l’action s’exprimant essentiellement au niveau de la communication, certes.) Pour moi, le Système ne peut pas vaincre, il sera détruit, il s’autodétruira, etc., ce qu’il vous plaît, mais le principe est intangible. Il vous donne une assise, il vous met contre le mur et le dos au mur, et il n’y a rien d’autre à faire que se battre ; plus tard, dans vos Mémoires de Guerre, vous pourrez nous confier que vous avez douté jusqu’à la pensée du suicide mais c’est de la littérature, de la réflexion, pas de l’action puisque cela ne s’est pas fait. (De Gaulle a connu cela, à Dakar, à l’été 1940, mais cet incident personnel qui a bien entendu toute sa grandeur tragique n’a en rien influé sur la force du principe qui le guidait ; littéralement c’est d’un autre monde dans le comportement humain.)
Un principe ne se démontre pas : il est, et il est créateur du reste, (« Un principe est une source, un fondement, une vérité première d'idées ou d'autres choses »). Ce principe est que le Système doit être détruit (Delenda Est Systema), donc qu’il sera détruit et qu’il est inutile, sinon absurde de discuter à ce propos pour ce qui est de l’action qu’un tel principe engendre, et qu'il est malheureux d'en parler de façon à risquer de complètement déourager cette action. (Pour le reste, certes, on peut philosopher sur ce qu’est le Système, comment il fonctionne, quels sont ses effets, etc., et on ne s’en prive pas sur ce site, mais il s’agit bien “du reste” qui ne doit avoir aucun effet sur l’action.) Tout cela, ce n’est ni pessimisme ni optimisme, ces gâteries que nous offrent notre caractère et nos humeurs, c’est un peu comme l’air que vous respirez : vous ne vous interrogez pas à ce propos, vous respirez c’est tout.
Je soupçonne qu’il y a beaucoup de la vanité personnelle dans les démonstrations considérables qui nous sont faites de l’invincibilité du Système, ou bien alors une croyance qui relève de la superstition. A cet égard, – et cela parce que je crois à la puissance créatrice des mots, dans le sens du pire comme dans celui du meilleur, – je considère que l’expression Deep State (État profond) qu’emploie Ron Paul (il ne le faisait pas en 2008-2012, l'expression étant encore dans les limbes), qui est devenue une sorte d’incontournable de la dialectique antiSystème est d'un effet extrêmement dommageable ; outre les réserves du point de vue du sens qui ont déjà été explorées ici, tant sur la signification de l’expression que sur sa justesse, l’essentiel de mon sentiment hostile est le caractère évidemment fascinatoire, dans le sens maléfique, de l’expression.