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256616 juillet 2018 – Alors qu’on en parle à Helsinki, le lecteur sait-il les affres de celui qui a fait sa mission d’écrire sur la marche d’un temps qu’on ne peut qualifier que de dément, comme si une main gigantesque secouait le monde, par distraction, par amusement, ou bien avec une idée derrière le poing ? J’ai plus d’un demi-siècle de pratique de la chose, jamais, au grand jamais je n’ai rencontré de tels moments que je traverse ces temps-ci, ni même songé qu’il en puisse exister de tels ; tout cela, à ce point qu’il m’est impossible de ne pas me répéter chaque jour, absolument chaque jour, que nous vivons dans un univers qui, en quelques années, a basculé dans un univers parallèle de ce qu’il était quelques années auparavant, parallèle mais complètement différent. Combien de fois dans une semaine, dans spasme de temps où le flux des nouvelles plus folles les unes que les autres s’empilent les unes sur les autres pour disparaître les unes après les autres, combien de fois ne me suis-je retrouvé dans cette position de tenter sans succès de reprendre mon souffle, de rassembler mon jugement, d’assurer ma décision et de dire : “Voilà, c’est de cette affaire dont aujourd’hui je discourrais”.
Les événements se précipitent en cataractes diluviennes. Rien ne peut les arrêter, ils sont les maîtres du monde, et nous les fétus emportés. Ici et là, quelque fou vous crie qu’il a tout compris et qu’il va décrire à l’instant la résolution de l’énigme. Quelque fou sur la colline, au pied du torrent grondant des événement...
(Je dis “quelque” pour la syntaxe mais en vérité, ils sont en grande quantité, comme les sans-abri refoulés par l’indifférence des hôpitaux psychiatriques où ils devraient se trouver, qui défèquent dans les rues de San Francisco comme s’ils avaient trouvé une nouvelle forme de contestation, par la merde. Les fous de notre courant de la communication, entre narrative-Système absolument faussaire et assurée de suffisance d’une part, et d’autre part théorie extraordinaire dite d’un ton péremptoire des événements d’humains extrahumains et de terrestres extra-terrestres, manigançant leurs complots, exercent tous une sorte de contestation contre les événements qui nous dominent tous. Ils n’ont pas la vertu de l’humilité, mais l’emportement du Grand-Savoir outragé, – autant en emporte le vent.)
C’en est au point où quelques-uns de nos commentateurs les plus avertis prennent de plus en plus le temps de déserter pour un texte ou l’autre, à l’aide d’une satire qui tente de décrire la dérision des sapiens-sapiens normaux, des types divers, des types hommes-femmes-transgenres & LGTBQ devant ce déferlement qui nous emporte, l’absolue démence des hystériques-paroxystiques qui font le commentaire de cette époque et ne se lassent pas de se laisser envertiger dans des narrative à faire trembler les dieux et pâlir aussi bien la vodka que les hallucinogènes psychédéliques, – les fétus s’accrochant à leur hybris comme à une bouée de sauvetage.
C’est bien ce que j’ai pensé, – la satire de dérision dans la folie, avec l’accent sur “dérision” – en, lisant « Hope & Change are at hand », titre bien inhabituellement optimiste pour ce catastrophiste sarcastique. Dans ce texte, James Howard Kunstler nous explique qu’on attend les premiers milliardaires de l’industrie du tatouage, car elle pourrait bien être l’activité qui nous sauvera de la catastrophe ; ou bien Finian Cunningham, dans « Trump Defects to Russia ? », où Cunningham nous annonce que lors d’un sommet d’Helsinki sans fin, seul à seul, Trump, épuisé par la folie du Russiagate, est en train de demander à Poutine (« Look, Vlad... ») de lui accorder l’asile politique, si possible sur la Mer Noire, avec Mélania et Barron, où il pourrait faire construire un beau complexe immobilier avec quelques tours dont il a le secret et vue panoramique sur la Crimée.
Je les comprends, ces digressions de notre travail courant, et moi-même, dans ces lignes, dans ces mots les uns après les autres, ne suis-je pas en train de faire la même chose après tout ? Ces digressions peuvent même être le complet contrepied du jugement sur un personnage deux jours auparavant : dans le texte de Cunningham que je cite, manifestement l’auteur est du côté de Trump, contre ses tourmenteurs et menteurs du Russiagate. Deux jours plus tôt, il l’identifiait à un chef mafieux, un capo di tutti capi, venant à l’OTAN extorquer leur fric à ses sous-fifres, à coups de chantage et de pression.
Au reste, c’est le vrai, chaque jour vous changez d’avis sur un tel ou tel personnage nullement par versatilité mais parce que les actes du personnages autant que les événements vous y invitent, vous y conduisent, si vous avez l’honnêteté, l’humilité et la lucidité qu’il faut dans votre travail. Trump c’est vraiment du gâteau à cet égard, mais même un Poutine est victime de ces humeurs qui ne sont que les signes de nos impuissances, les leurs et les nôtres, à complètement maîtriser ne serait-ce que le sens des événements tumultueux et incontrôlables.
Ainsi est-il assez logique que j’en vienne à vous dire qu’il ne faut pas trop attendre de ma plume quelque analyse assurée et réflexion d’une précision extraordinaires quant aux choses décidées ou non, quant aux événements produits par les deux hommes, au cours de cette rencontre Trump-Poutine qui a lieu ce jour même ; et je le dis tout en admettant sans aucun doute que la raison est fondée d’y voir un événement d’importance... Qu’importe, je tiens ferme sur mes deux piliers, Inconnaissance et Incertitude. Par contre les événements, eux, je le sais bien, peuvent décider autrement et à leur guise, et faire intervenir des éléments complètement imprévus, et humainement imprévisibles ; et peut-être tireront-ils à leur façon de cette rencontre, – parlons-en puisqu’on en parle, – des effets et des conséquences à divertir les dieux.
C’est dire que je crois plus que jamais, et chaque jour davantage, qu’il existe une puissance supérieure à celle que nous sommes capables de susciter et de déployer, et que cette puissance anime des événements extraordinaires par leur rapidité, par leur insaisissabilité. C’est par ce seul biais, cette seule perception, je dirais même cette seule conception, que cette époque peut encore avoir un sens, et d’une façon générale, notre existence en tant qu’espèce. Si tout se réduit à nous, rien d'autre que nous ne sommes que nous dans l’état où nous sommes, alors tout cela n’est qu’une vaste et prétentieuse illusion qu’un peu de sable efface, inutilité complète, absurdité sans raison d’être.
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