Le torchon brûle entre BHO et le Pentagone

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Le torchon brûle entre BHO et le Pentagone

Deux journaux, le même jour, se font l’écho de fortes dissensions entre la Maison-Blanche et le Pentagone : Le Washington Times et le Washington Examiner, tous les deux le 5 novembre (le 6 novembre pour nous). Ces dissensions sont nouvelles, ponctuellement provoquées par la “stratégie” adoptée par la Maison-Blanche pour la Syrie, notamment la décision d’envoyer de 30 à 50 “conseillers”, geste qui symbolise la fameuse formule Boots on the Ground et qui a déjà été l’objet ces derniers joues du lancement d’une campagne d’opposition au niveau de l’opinion publique.

D’une façon générale, les critiques portent évidemment sur la forme même de la “stratégie”, le terme attirant évidemment la critique par le simple fait du nombre ridiculement bas de soldats pseudo-non-combattants engagés. On parle ici des déclarations officielles, sans tenir compte de la réalité sur le terrain où l’on sait que des forces US ou sous patronage US sont engagées depuis longtemps, en nombre souvent significatifs. Mais il s'agit d'un autre monde. Nous parlons d'une querelle de communication à partir de  narrativre en vogue et en cours... Pourtant, cette querelle recouvre, malgré sa complète irréalité, des dissensions beaucoup plus profondes. Par conséquent, les critiques sont évidentes et souvent fondées, et développent des arguments qui ne le sont pas moins.

On donne d’abord quelques extraits du Washington Examiner qui concernent surtout des experts et spécialistes de l’establishment washingtonien. Leur appréciation est qu’il sera quasiment impossible pour les “conseillers” de ne pas être engagés dans une forme ou l’autre de combat, en raison des conditions qu’ils vont rencontrer en Syrie.

« “There are places where combat is more prevalent, but the wide use of [improvised explosive devices], suicide vests, and snipers, there's no place in Syria or Iraq that is not dead center in a combat zone,” said Chris Harmer, an analyst with the Institute for the Study of War. “It's a distinction without a difference at this point. Anybody who goes to Syria in an American uniform is going to be a high-value target for a lot of different terrorist organization.”

» The reality of the dangers facing U.S. troops is more complex than either side claims, due to the new age of conflicts where enemies blend into society rather than facing off on traditional battlefields.It is now “very, very difficult” to define the frontlines of battle, said P.J. Crowley, a professor at George Washington University and a former assistant secretary for public affairs at the State Department. “The nature of modern conflict does not fit neatly into these kinds of categories, categories that have a lot more to do with fighting standing armies representing states than fighting non-state actors that can blend easily into a civilian population,” Crowley said.

» This type of fighting sees people who are not traditionally in combat roles, such as truck drivers tasked with carrying supplies, get ambushed and face violence, Harmer said. Because they see the situation first hand, they know they are in combat regardless of the “double speak” in Washington, he said. “To the troops it makes no difference at all. They're probably vaguely irritated by the verbal semantics, but anyone on the ground in Syria or Iraq knows they are in combat,” he said... »

Le Washington Times, lui, se concentre sur le réactions extrêmement vives des parlementaires, avec bien entendu l'inoxudable John McCain en tête. Mais, sans surtout rien lui enlever toute l’insondable absurdité de ces postions habituelles autant que de sa “philosophie” naturelle, on admettra que, pour ce cas de la “stratégie” obamienne, les arguments de McCain ont du poids. Certes, l’argument n’est pas difficile, mais dans tous les cas il le développe avec bon sens. Savourez donc ce moment rarissime où McCain dit des choses sensées. Qui plus est, McCain nous donne un aperçu, qui est sans aucun doute bien réel, de l’intense insatisfaction qui règne dans les rangs des militaires et fonctionnaires divers du Pentagone, car il a de son côté (celui de McCain) nombre de connexions et des confidences permanentes.

« “There’s a level of dissatisfaction among the uniformed military that I’ve never seen in my time here,” said Senate Armed Services Committee Chairman John McCain in an interview. “For some of us who are a little older, let’s go back and read the Pentagon Papers — what the administration is doing is the kind of incrementalism that defined much of the Vietnam conflict.”

» The Arizona Republican is known as a fierce critic of President Obama’s foreign policy, but his complaints were echoed by an unlikely source: Rep. Adam Smith, the ranking Democrat on the House Armed Services Committee. “Frustration among the uniformed service is real,” the Washington Democrat said, adding that the administration “does keep things in the White House and has not been more inclusive in the decision-making process.” But Mr. Smith also defended the administration’s overall approach to the troubled Middle East, arguing that the “sheer complexity of the situation” following the Arab Spring and the rise of the Islamic State — also known as ISIS — have defied a simple U.S. solution. “I don’t think dropping 50,000 U.S. troops down is going to fix the situation,” he said. » [...]

» ...But Mr. McCain argued that the frustration on Capitol Hill and at the Pentagon stems from the administration’s “complete lack of any kind of coherent strategy, much less a strategy that would have any success on the battlefield” against Islamic State and the Assad regime. “We’re sending 50 — count them, 50 — special operations soldiers to Syria, and they will have ‘no combat role,’ the president says,” said Mr. McCain. “Well, what are they being sent there for? To be recreation officers? You’re in a combat zone, and to say they’re not in combat is absurd.”

» But the White House, he argued, has effectively blinded itself to such absurdities by promoting a system over the past seven years that suppresses dissenting voices. “Compliant and easily led military leaders get promoted,” he said. “People who have spoken truth to power get retired.” He pointed to the cases of Marine Gen. James Mattis, reportedly dismissed as head of U.S. Central Command in 2013 for pressuring civilian officials in the White House on potential military options against Iran; and Army Lt. Gen. Michael T. Flynn, allegedly pushed out as head of the Defense Intelligence Agency last year amid clashes with the White House over his leadership style.

» When it comes to actual policy, Mr. McCain lamented, the administration pursues half-measures and decisions, “when they are made, consistently disregard recommendations from the uniformed military.” »

On observe déjà à un détail combien la matière extraordinairement complexe du Moyen-Orient, devenue hyper-complexe quand on passe à la formulation d’une “stratégie” à la Maison-Blanche, conduit à des situation pleines de contradiction. Aucune ne doit contrarier l’esprit mais, au contraire, le remplir d’une certaine satisfaction car c’est dans ces labyrinthes byzantins qu’apparaissent des forces antiSystème inopinées et complètement inconscientes, qui effectuent néanmoins un rude travail antiSystème.

 McCain cite, parmi les chefs militaires frustrés, le général Flynn dont on a beaucoup parlé. Le voilà donc incorporé de facto dans le camp de McCain en pleine révolte contre la “stratégie” d’Obama, et le plus sympathique de cette situation est qu'il n’y a pas contradiction. Par ailleurs, – et pour nous, de façon bien plus importante, – Flynn est un des “lanceurs d’alerte” les plus inattendus, – un de ceux que McCain dénonce et considère comme traître de façon routinière, – lorsqu’il (Flynn) dévoile la façon dont l’administration Obama a objectivement soutenu, armé, renforcé le groupe Daesh depuis 2011-2012 malgré les avertissements circonstanciés de la DIA, avertissant qu’on était ainsi en train de contribuer décisivement à la la création d’un Frankenstein. Sur ce point, McCain est complètement dans le camp opposé de Flynn, qu’il dénoncerait comme “traître” pour un peu, puisqu’il est, lui (McCain), pour l’armement maximal pout tout ce qui bouge en Syrie, pourvu que cela soit extrémiste et ennemi juré de Assad, et donc pratiquement allié objectif de Daesh malgré qu’il dénonce le peu de moyens envisagés pour combattre Daesh. (On a vu plus d’une fois McCain aux côté des chefs islamistes, comme on l’a vu, en Ukraine, auprès de leaders néo-nazis.)

Là aussi, superbe exemple, ad nomine, des contradictions directes qu’engendrent les péripéties en lacets, en croisements, en redoublements, de la scène politique washingtonienne, et qu’o,n commence à bien connaître. Superbe exemple, en fait, d’une psychologie générale et d’une communication fonctionnant selon ce que nous désignons comme le “Big Now”, c’est-à-dire cette situation postmoderne où le présent est tellement hypertrophié comme démonstration de la justesse des thèses suivies et appliquées, que le passé même proche n’existe plus, non seulement pour l'esprit (la mémoire) mais pour la psychologie elle-même : il est devenu incohérent et incompréhensible qu'il y ait un passsé avec ses enseignements, – donc, pas de passé, pas d'enseignement, et fermez le ban.

Quant au futur, à partir duquel certains prétendaient in illo tempore envisager l'avenir de l'homme selon leurs conceptions, , il a été répudié puisqu’il s’avère complètement contradictoire avec l’avenir justement, à cause des impératifs faussaires de la postmodernité, comme on l’a vu de plus en plus souvent ces derniers temps. (Pour la différence décisive entre “futur” et “avenir”, voir notamment la note du texte du 6 juin 2015 sur “la bataille pour le ‘néantissement’ de l’Histoire”.) Cela implique que la plupart des acteurs politiques, privés de toute mémoire historique et de toute capacité de pojection rationnelle des possibilités des évènements à venir, et donc embarrassés strictement d’aucune cohérence, – à part celles des énormes stéréotypes en forme d’image symboliques d’Epinal qu'ils acceptent avec enthousiasme, comme Poutine et Assad par exemple, – sont capables d’accepter des modifications radicales de situations et d’acteurs sans y suspecter la moindre contradiction, et sans éprouver la nécessité de s’expliquer de tels phénomènes.)

Par contre, le tableau général qu’on a de cette mésentente entre le Pentagone et la Maison-Blanche est inhabituel d’ampleur, d’écho public et de sérieux du fait des personnalités impliquées. Il constitue peut-être un point intéressant et important de blocage de l’appareil de sécurité nationale aux USA, c’est-à-voir selon les évènements, essentiellement à cause de la personnalité et de la psychologie de l’homme, le président, qui est incapable de prendre une décision claire et tranchée puisque sa politique naturellement modérée est constamment déformée chez lui par son désir de ne pas se mettre à dos la majorité super-belliciste des représentants de l’establishment, et donc aved une tendance irrésistible à nuancer des décisions effectivement modérées par des aspects bellicistes nécessairement incomplets et sans véritable effet. Cas classique d’un homme qui veut marier l’eau et le feu, ne mécontenter personne, rencontrer ses propres convictions qui se démarquent de la majorité belliciste, etc. Le résultat est catastrophique mais ne manque pas d’une certaine allure exotique. Il permet à la basse-cour washingtonienne de s’exclamer dans tous les sens et à l’action des centres subversifs US de continuer à se développer dans un contexte général d’incontrôlabilité. Et même, enfin, lorsqu’on voit ce que propose Obama, on se dit que ce désordre lui-même n’est pas plus destructeur que ce que se prépare à être la “stratégie” du président.

 

Mis en ligne le 7 novembre 2015 à 14H09