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247519 janvier 2005 — L’article de Seymour Hersh du New Yorker du 24 janvier, mis en ligne le 17 janvier sur le site du journal, a provoqué des effets d’une extraordinaire puissance.
(En fin de matinée (10H45), alors que nous mettons en ligne cet article, le moteur de recherche Google donnait 517 liens menant à des articles traitant de l’article de Seymour Hersh. Cela représente une audience extraordinaire pour un texte ne reposant sur aucune affirmation officielle mais, au contraire, offrant des affirmations contraires à la politique officielle des Etats-Unis. C’est un exemple remarquable de la puissance des réseaux de communication aujourd’hui, puissance qui ne s’exerce jamais plus fortement que lorsque ces réseaux diffusent des informations différentes dans le sens de “dissidentes” du système, voire hostiles au système dominant, lorsque les circonstances d’environnement de base sont favorables à ces informations.)
L’article détaille les projets d’attaque de l’Iran par les États-Unis, et les opérations clandestines d’ores et déjà en cours. Hors de la presse elle-même, les réactions ont été également remarquables. Citons les deux principales, qui nous intéresseront dans la suite de cette analyse.
• L’administration GW a réagi avec une puissance inaccoutumée, sans doute sans précédent pour un cas de ce genre. Le Financial Times du 18 janvier signale cela dans les termes mesurés qui lui sont propres, écrivant à propos de la réaction du porte-parole du DoD, Lawrence DeRita : « It is rare for the Pentagon to issue such a long and detailed response to a single news account. » Le FT parle d’une mise au point de DeRita, qu’on trouve sur son site professionnel, au Pentagone. D’autres réactions de l’administration mesurent l’effet de l’article de Hersh.
• La réaction officieuse et indirecte, dans les instances européennes et dans certains pays européens, a été également très forte. L’article de Hersh a été un choc particulièrement fort, dans la mesure où l’Europe travaille diplomatiquement depuis plus d’un an sur la question iranienne, avec les Iraniens, au travers de la diplomatie des trois principaux pays (Allemagne, Angleterre, France) ; dans la mesure où l’Europe s’est engagée dans la voie d’une solution diplomatique ; dans la mesure où l’Europe croit avoir le soutien américain dans le soutien à cette option. L’article du FT résume cette réaction de la sorte :
« Despite the [U.S. administration’s] denials, European diplomats, who are currently engaged in negotiations with Iran to curb Tehran's nuclear ambitions, were startled by the report, saying that in private discussions US officials have strongly backed the European initiative.
» “No one can say if this is correct or incorrect,” said one European Union diplomat. “The US administration has never shared any information like this with us. On the contrary, in our last meetings, it has supported EU policy on Iran.” »
Il est manifeste que l’article de Hersh a très fortement déstabilisé la position de l’administration GW. L’article de Hersh est-il exact? Nous en sommes réduits aux hypothèses. La nôtre est claire, et évidemment favorable à Hersh. Il y a des arguments rendus objectifs par la pratique (cette remarque valant surtout pour l’administration GW): l’attitude systématique de manipulation de la réalité par l’administration GW (ce que nous nommons “virtualisme”), et plus spécifiquement par Rumsfeld qui a clairement affirmé que cette attitude faisait partie de la politique de guerre; le crédit que Hersh a acquis en publiant de façon systématique des enquêtes vérifiées par l’écho public qui suivit, dans ces milieux de la sécurité nationale. Il y a aussi des observations neutres venues de l’expérience: la volonté de guerre systématique de l’administration GW, son goût pour les opérations clandestines préparant l’agression, son acharnement contre l’Iran et ainsi de suite. Pour conclure, nous dirions que la vigueur extraordinaire du démenti est en soi une très forte indication de la justesse des affirmations de Hersh.
C’est un signe de l’importance de l’événement que les milieux de la bureaucratie européenne aient accueilli cet article avec un très grand intérêt, coloré évidemment de la plus profonde inquiétude. Une de nos sources à la Commission observait hier (18 janvier) que « tout le monde ne parle que de ça. L’article de Hersh a causé un choc très fort et a brutalement aggravé, non pas le problème iranien lui-même, — on verra plus tard, — mais la question des relations euro-américaines ». C’est cet élément psychologique que nous voulons mettre en évidence, quoi que pense la bureaucratie européenne du contenu de l’article de Hersh. Par exemple, à l’OTAN, par contraste, la réaction relève d’un autre monde, qui est celui de la croyance aveugle dans le comportement officiel américain: selon une source à l’OTAN, « pour l’OTAN, du moment que le Pentagone a démenti, le problème est réglé ».
Un cas intéressant est celui des Britanniques. Ils sont évidemment les plus engagés dans l’alliance anti-terroriste avec les US. Ils sont aussi fortement engagés dans les négociations avec les Iraniens. Le quotidien The Independent relève cette difficile position par rapport aux engagements britanniques, en rapportant qu’en même temps que l’article de Hersh devenait public, le Foreign Office diffusait un document réaffirmant la position britannique, — un hasard (?) intéressant à relever.
« Just two months ago, after the triumphant re-election of President Bush, Jack Straw made it clear it was “inconceivable” that America would bomb Iran.
» Yesterday, with the latest edition of The New Yorker predicting that the Bush administration intended to do just that, the Foreign Secretary firmly distanced the Government from any such plan by insisting that a “negotiated solution” remained the preferred option for Britain.
» His remarks were contained in a compendium of documents distributed to MPs, summarising the two-year nuclear standoff with Iran. According to a Foreign Office spokesman, the timing of the document's distribution had nothing to do with the bellicose noises from Washington. »
La puissance de l’information non-officielle est aujourd’hui largement démontrée, mais en fait à la mesure de la fragilité, voire de l’inexistence en substance des politiques officielles. (Si les informations non-officielles ont un si puissant effet, c’est parce que l’information officielle apparaît comme complètement vidée de sa substance par la pratique virtualiste de la transformation constante de la réalité.) Il est acquis, selon nos sources, que l’“agenda” de la rencontre de Bruxelles, entre GW Bush et les instances européennes, sera notablement influencé par ce que cet article fait craindre de la politique US en Iran, dans un sens qui est d’ores et déjà renforcé par les difficultés en Irak (hier, l’UE a décidé de faire passer la question irakienne du statut de “question courante” à celui de “crise”). L’Iran, via Seymour Hersh, autant que l’Irak via les élections et le désordre, met en évidence les désaccords euro-américains. « L’orientation actuelle pour le sommet de Bruxelles, disent nos sources, est de plus en plus de se concentrer sur la forme aux dépens de la substance. » Autrement dit, on s’embrassera mais on ne dira pas grand’chose de sérieux.
D’autre part, un grave point de désaccord subsiste: GW Bush ne veut pas se rendre dans l’immeuble du Berlaymont, à Bruxelles, là où il est attendu pour rendre visite aux autorités européennes et aux chefs d’État et de gouvernement. Motif: ses services de sécurité jugent le lieu insuffisamment sûr.