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200111 février 2016 – Lorsqu’on a suivi Ron Paul en 2008 et 2012, dans ses tentatives chaque fois sabotées par l’establishment de s’inscrire dans le cours des primaires du parti républicains, on constate que la question de son âge (72 ans et 76 ans) fut rarement abordée, j’irais même jusqu’à dire “jamais”. (La “question de l’âge”, je veux dire par là, évidemment, que briguer une telle fonction que la présidence des États-Unis à 72 ans puis à 76 ans constitue nécessairement, ou disons logiquement, un handicap par rapport à l’énergie exigée et la fatigue engendrée, et que cela aurait pu être utilisé, d’ailleurs non sans raison, comme un argument contre lui. La “question de l’âge” avait été, in illo tempore, un des grands débats de la réélection de Reagan, qui avait 73 ans en 1984.) L’âge de Ron Paul, si vous vous en rappelez, contrastait étonnamment avec l’enthousiasme qu’il suscitait chez les plus jeunes, devenus militants pour l’occasion ; cette “question” aussi, celle de l’enthousiasme des jeunes pour un vieillard, ne fut jamais abordée, d’ailleurs dans la logique de ce qui précède.
J’avancerais l’hypothèse, pour parler au nom du Système parce que je le connais bien et qu’il me fait toute confiance, que cette question de l’âge ne fut guère sinon jamais soulevée parce que Paul ne parvint jamais à s’imposer comme un “candidat sérieux” malgré cette popularité, c’est-à-dire à être considéré comme un candidat tout-court. Je suis absolument persuadé que, pour le Système l’âge n’importait en rien, ni même pour discréditer Paul, parce que Ron Paul était simplement un non-candidat, sinon plus clairement un non-être. Il y avait eu sur ce site des réflexions sur l’âge de Ron Paul, sans d'ailleurs lui trouver que des désavantages, et sur ce fait surprenant que ce facteur ne comptât pas beaucoup dans la perception qu’on avait du vénérable candidat (voir L’âge de Paul et Ron Paul et l’âge du capitaine, les deux textes en mars 2010). Nous en étions là en 2012, alors que Ron Paul était une exception hors-Système autant qu’antiSystème qui n’allait pas tarder à s’effacer ; mais nous sommes désormais quatre ans plus tard et, rétrospectivement, l’escapade de Ron Paul prend une autre signification.
Cette fois, en 2016, il y a deux candidats régulièrement inscrits dans leurs partis malgré le dégoût et l’aveuglement desdits partis à leur encontre et malgré le fait qu’ils troublent considérablement, jusqu’à la panique complète, le jeu bien réglé d’habitude de l’establishment. Qui songe à leur demander leur âge ? Sanders a 74 ans et Trump aura 70 ans dans quatre mois. L’un et l’autre, ils soulèvent les foules, enthousiasment la jeunesse, etc. Il y a là un phénomène remarquable, et je dirais typique de la situation actuelle des USA considérés comme la puissance qui est la matrice du Système dans sa constitution de productrice du système de l’américanisme. De ce point de vue, ni Sanders ni Trump n’existent vraiment, comme Ron Paul en 2008-2012, ils se trouvent dans le territoire du déni pur et simple pour le Système, au risque du Système. (Bien entendu, les zombies-Système, des élites-Systèmes à la presse-Système, suivent la consigne comme un seul mouton, comme s’ils étaient à eux seuls un immense troupeau de moutons rassemblés en un seul mouton : cela donne the-mouton contre The-Donald... Mais certes, que les moutons me pardonnent d’oser les comparer aux zombies-Système qu’ils dépassent de la laine et du museau ; je ne les utilise que comme symboles.)
Mais revenons, si j’ose dire, à nos moutons... Je veux envisager ce cas selon le seul point de vue de l’âge du capitaine, sans aucune considération de personnalités, de programmes, de situation politique de l’un ou de l’autre, ni moindre considération par ailleurs pour les attitudes pathologiques du Système. (Tiens, je mets même un Juppé hors de la troupe des gens âgés en quête de révolution politique bien que lui parle de son âge [72 ans]. Juppé n’est pas un homme politique de 72 ans, encore moins un antiSystème, lui qui fait très bien son Fabius de droite en un peu moins balbutiant et en nettement plus arrogant. Juppé est l’archétype de la prétention politique française à l’intelligence, dans ce cas intelligence totalement invertie : il n’a pas 72 ans, il est sans âge et flotte dans l’univers liquide et gluant du Système, puisque seulement défini par l’expérience d’un homme politique français devenu complètement neocon après ses séjours à Washington, comme on est born-again, – bref, comme on est GW Bush. Son arrogance extraordinaire pour débiter des platitudes-Système incroyables de banalité et de déterminisme-narrativiste le met hors du privilège de l’âge et nous ne le comptons décidément pas parmi cette cohorte d’hommes âgés qui va de Ron Paul à Donald Trump.)
Ce qui se passe aux USA est donc un phénomène remarquable et complètement spécifique à ce pays, où un segment considérable de la représentation politique se trouve complètement discrédité dans la poursuite de sa mission-Système auprès du public. Les trois précédents présidents, en comptant BHO dans le lot, ont tous été des hommes jeunes, certains nous la jouant style-JFK (Bill Clinton et un peu BHO), tous portant beau, et jusqu’au nullissime GW Bush qui fut véritablement investi avec les ors et les pompes du Système 43ème POTUS le 12 septembre 2001 lorsqu’il fit son discours fameux devant les restes fumants et puants des tours de Manhattan (“Vous êtes avec nous ou vous êtes contre nous”, etc.). Autrement dit, c’est la jeunesse politique du Nouveau-Monde qui a porté à bout de bras la politique-Système de déstructuration et de dissolution, qui s’est complètement alignée sur le Système, qui a accepté totalement la corruption psychologique jusqu’à en être saturée comme l’est un Harpagon fou de ses richesses. (Mais Harpagon n’est plus un jeune homme, lui, et c'est alors que cette pseudo-“jeunesse politique” et corrompue est la vieillesse du monde faussaire.) C’est la jeunesse politique du Nouveau-Monde qui a grandement contribué à l’anesthésie politique de toute une population déjà plus que moyennement brillante par elle-même, favorisant sans la moindre vergogne, sans la moindre gêne, comme autant de marionnettes hallucinées, la monstrueuse énormité du fric de Wall Street, des dinosaures du Pentagone et ainsi de suite.
Ainsi s’esquisse une complète inversion (vertueuse pour ce cas) qui dessine, ou singe disons, une sorte de retour autant que faire se peut et selon les restes disponibles aux normes des temps les plus lointains, lorsque la vieillesse et le grand âge signifiaient la sagesse de l’expérience. Ce qui est remarquable bien entendu, c’est que la chose se manifeste, selon des styles très différents certes, avec des personnalités étonnamment contrastées qui ont souvent bien peu à voir avec les fondements et même ne serait-ce que les apparences de la sagesse, mais dans tous les cas par une semblable capacité des personnes concernées à réveiller dans les plus jeunes générations une sorte d’enthousiasme, une vie endormie par le venin du Système dont les jeunes-présidents parfumés et sûrs d’eux-mêmes s’étaient faits les porteurs. Ce n’est donc certainement pas que je tienne comme “vieux-sages” particulièrement excitants un The Donald ni même un Sanders (Ron Paul, lui, aurait pu faire l’affaire) ; mais comme l’on fait avec ce qu’on peut, l’on dira si vous voulez bien qu’il est vrai que ce sont les pseudo-“vieux-sages” dont je vous parle, qui sont les seuls qui soient capables de figurer comme des antiSystème sans faire pouffer de rire leur public, mais au contraire en le faisant éclater d’enthousiasme.
Il faut bien que cela se passe en Amérique, parce que l’American Dream, quand vous l’éjectez par la porte il revient par la fenêtre. Quoi qu’il en soi, même s’il s’agit d’un poncif hollywoodien, dans ce cas de l’American Dream de cette sorte il ne faut pas le repousser puisqu’il contribue au développement d’un phénomène antiSystème dans une manœuvre courante d’autodestruction. Je veux dire par là qu’avec ces circonstances qui se développent aux USA et ces pseudo-“vieux-sages” antiSystème qu’on voit fleurir, l’Amérique pourrait bien être encore en tête de nous tous, en train de nous montrer le chemin, – de matrice de cette contre-civilisation qui a engendré le Système qui nous oppresse, à cette subite et subtile insurrection contre le Système, avec ses septentenaires antiSystème qui montent sur les barricades.
Ces vieux, il leur reste on ne sait quoi de magique lorsqu’on a l’imagination indulgente. L’âge ça inspire confiance dans ces âges d’une sombre tristesse où la confiance est devenue une denrée taillable et corvéable à merci, prisonnière du marché, otage de la corruption ; dans ces âges où la colère impuissante menace d’étouffer celui qui l’éprouve, c’est-à-dire le tout-venant des peuples continuellement abusés et cherchant un réceptacle qui puisse exprimer cette colère. On se dirait qu’à leurs âges ils n’ont plus rien à perdre, qu’ils disent ce qu’ils pensent et qu’ils pensent selon une longue expérience, et peut-être même qu’ils ont connu les temps d’avant la Grande Inversion et qu’il leur en reste quelque chose ; ces vieux d’un grand âge, comme des rescapés d’un autre âge, peut-être bien qu’ils pourraient se charger d’exprimer la colère des gens et des peuples... Bien entendu, rien dans tout cela ne promet quoi que ce soit dans le champ de l’action, des effets de l’action, etc., mais ce n’est certainement pas ce qui est en jeu. (Ce qui est en jeu, comme toujours, c’est de parvenir à trouver l’ouverture antiSystème, la chose, l’événement, le choc, la pousse qui, brusquement, trouera le Système.)
Ces considérations, certes, je les imagine plus que je ne les entends car ce que je dis là n’est nulle part exprimé et fait partie de l’interprétation que j’offre de ce phénomène. Le désarroi, la colère, l’impuissance sont tellement grands qu’ils n’ont nul besoin d’être exprimés comme tels, et encore moins d’être expliqués, pour rendre leurs effets ; ainsi le choix du désarroi, de la colère et de l’impuissance se porte-t-il sur le vieil homme, par simple réflexe de survie, même si le vieil homme est un peu caricature de lui-même. Cessez de penser à ce que tous ces acteurs paraissent être et sont vraiment en un sens, bref cessez de penser aux pitreries d’un The Donald, et considérez ces faits somme toutes étranges et remarquables dans le champ qui convient parce qu’il leur donne un sens, qui est celui du symbole, voire de la mythologie appliquée à notre temps. Alors, la chose elle-même prend un sens et trouve sa justification.
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