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1752On a déjà fait mention, à plusieurs reprises, du regain d'intérêt autour d’une sorte de “trou noir” existant dans le rapport de 2003 de la Commission d’enquête officielle, dite “indépendante”, sur l’attaque du 11 septembre 2001. (Voir les 26 décembre 2013 et 13 octobre 2014.) Il s’agit de 28 pages dans ce rapport, qui ont été classées secrètes par l’administration Bush, reconduites comme telles par l’administration Obama, mais auxquelles les parlementaires de la Chambre et du Sénat peuvent avoir accès sous réserve de la complète confidentialité. Ces 28 pages sont devenues l’enjeu d’une bataille peu commune, certains parlementaires, – c’est-à-dire ceux qui se sont donnés la peine de les lire après en avoir demandé l’accès en consultation, comme cela est exigé pour des documents classifiés, – estimant que leur contenu est si grave, si important, que l’opinion publique doit en être informée. Une organisation s’est créée dans le but de soutenir cette action, et elle a un site qui porte leur nom : 28Pages.org, – simplement dit...
28Pages.org a bien travaillé. Elle a percé d’abord à la Chambre, où un nombre non négligeable de Représentants (21) co-sponsorent un projet de résolution (la résolution HR14) demandant la déclassification. Actuellement, ce groupe travaille à attirer d’autres parlementaires pour former un bloc suffisamment puissant pour espérer faire voter cette résolution mais rencontre des difficultés considérables, dont le moindre n’est pas le désintérêt même des parlementaires pour la connaissance de ces 28 pages. (Au 31 décembre 2014 et pour les 24 derniers mois où cette affaire a acquis une haute visibilité, 25 Représentants avaient demandé et obtenu l’autorisation de lire ces 28 pages, et les avaient effectivement lues. Le rythme semble pourtant s’accélérer : 17 autres Représentants les ont lues depuis le 1er janvier 2015.)
Le Sénat s’est enfin réveillé le 28 mai 2015, avec la présentation d’un projet de résolution sous forme de loi (Senate Bill 1471) demandant la même mesure. Les trois co-sponsors sont les démocrates Ron Wyden et Kirsten Gillibrand, et le républicain Rand Paul. C’est Rand Paul qui est à l’origine de l’initiative (Paul a déjà travaillé avec Wyden dans l’affaire très récente du blocage de la reconduction du Patriot Act). En principe, cette loi devrait avoir le soutien automatique de onze sénateurs, tous démocrates, qui avaient signé en 2003 une lettre collective au président Bush pour demander la déclassification. L’importance du développement actuel tient également dans la personnalité de l’animateur de cette initiative législative, le sénateur Rand Paul, fameux par le nom de son père, il s’est signalé ces derniers mois par diverses initiatives spectaculaires et il figure aujourd’hui comme un des prétendants les plus médiatisés à la désignation républicaine pour les présidentielles de 2016.
Rand Paul et quelques autres sénateurs, anciens sénateurs et personnalités impliquées, ont donné une conférence de presse qui est filmée sur une vidéo à la date du 2 juin 2015 (toujours sur le site 28Pages.org, qui est de loin la meilleure source d’information pour cette affaire). Un texte de 28Pages.org du 3 juin 2015 présente ces interventions, quelques déclarations diverses, et l’ensemble de l’événement qui a certainement un très fort impact de communication. Rand Paul a d’ores et déjà prévu une première manœuvre “technique” qui constituera un premier test de l’attitude du Sénat : proposer un amendement à la loi générale du budget de la défense qui reprendrait l’essentiel du projet de loi 1471
«At a crowded Capitol Hill press conference today, Kentucky senator and presidential candidate Rand Paul (R) introduced legislation urging the president to declassify 28 pages on foreign government links to the 9/11 hijackers. “We cannot let page after page of blanked-out documents be obscured behind a veil,” said Paul “We cannot let this lack of transparency erode trust and make us feel less secure.” [...] Saying he was not alone in calling for the pages to be released, Paul noted that other advocates include “former heads of the CIA and the Republican and Democrat heads of the 9/11 commission” as well as bipartisan members of the House who are working to advance H.Res.14, which likewise urges the release of the 28 pages. [...]
»At the press conference, Paul was joined by three congressmen who are leading the 28 pages effort in the House of Representatives—Walter Jones (R, NC), Stephen Lynch (D, MA) and Thomas Massie (R, KY)—and former Democratic Senator Bob Graham, who co-chaired the intelligence inquiry that produced the 28 pages. 9/11 family members also spoke, including Terry Strada, national chair of 9/11 Families and Survivors United for Justice Against Terrorism.
»Of the speakers, former Senator Bob Graham, who co-chaired the inquiry that produced the 28 pages as part of a much larger report, spoke most pointedly about the 28 pages and what they reveal: “The 28 pages…go to the question of who financed 9/11 and they point a strong finger at Saudi Arabia.” According to Graham, the release of the 28 pages will have broad ramifications. “The 28 pages are very important, and will…inform the American people and, in so doing, cause the American government to reconsider the nature of our relationship with Saudi Arabia.” Graham said the 28 pages are “emblematic of a pattern of withholding information, unnecessarily and to the detriment of the American people.”
»Congressman Lynch said, “It is appalling, it is a disgrace to a country that prides itself on transparency and truth and justice that these 28 pages of this bipartisan, bicameral congressional inquiry remains classified after 14 years from those terrorist attacks. It is not just a mere deletion of a few words here and there as is typical in these reports …this is a full-fledged black-out of information.” Lynch rebutted the notion that national security is served by keeping the 28 pages under wraps. To the contrary, he said, “I firmly believe the information contained in these 28 pages will better inform our national security protocol and inform our anti-terrorism policy going forward.” [...]
»Congressman Massie said the 28 pages represented a bipartisan issue. “Unfortunately, it is bipartisan in two regards. You have Republicans and Democrats in the House and Senate who are leading the charge to release these pages, but you have two presidents, either of which could have released them: A Republican president who is the reason that they are secret, and a Democratic president who keeps them secret,” said Massie. Massie noted that legislators are, on a daily basis, considering what steps to take at home and abroad to prevent another 9/11. All the while, he said, “some of the best intelligence we have is in these 28 pages and most of our colleagues in the House have not read them, yet they’re pretending to be informed on these issues and having a discussion on how to prevent the next 9/11, yet turning a blind eye to the 28 pages.”
L’ancien sénateur Graham, qui fait partie de l’organisation 28Pages.org, est certainement la personnalité la plus active dans cette “attaque” pour la déclassification du “trou noir des 28-Pages”. Lors de la conférence de presse, Graham expliqua qu’il avait demandé au département de la Justice un rapport sur une fondation saoudienne soupçonnée de faire parvenir un financement régulier à al Qaïda. «Le département m'a répondu en m’envoyant un exemplaire du rapport, que voici....» Et Graham de brandir un ouvrage d’une centaine de pages où toutes les lignes de toutes les pages sont barrées d’un gros trait noir de marqueur, pour en interdire la lecture au nom de la sécurité nationale. Graham a déclaré à Aljazeera que «[s]i le peuple américain connaissait la vérité, je crois que ce serait une humiliation et un outrage pour lui de voir qu’un pays qui prétend être un de nos meilleurs alliés a engagé tant d’actes qui ont été extrêmement négatifs pour les États-Unis...»
Le constat principal à la lumière de tous ces actes de communication qui ont un fort écho à Washington (et à Riyad, certes), c’est que cette affaire du “trou noir des 28-Pages” continue malgré l’usure du temps et du quotidien, malgré tant d’autres sujets de préoccupation, malgré tous les efforts du Système pour contenir sinon annihiler cette sorte d’initiative. Mais l’on sait qu’il s’agit du sort désormais courant de tous les bourgeonnements de crise, de les voir se développer malgré tout, et surtout malgré les pressions émollientes du quotidien qui suffisent en temps normal à enterrer cette sorte d’occurrence. Ici, on voit tout le contraire puisque, malgré les extrêmes difficultés rencontrées à la Chambre où l’on est d’habitude plus incisif, le “trou noir des 28-Pages” atteint le sanctuaire du Sénat où l’on est tellement plus frileux lorsqu’il s’agit de mettre en jeu l’un des privilèges que le Système lui-même s’octroie, sous la forme du sacro-saint principe du secret pour les matières de sécurité nationale.
Cela observé avec intérêt, quelles chances peut-on donner à la possibilité d’une victoire des partisans de la déclassification ? Il est difficile de répondre à cette question parce qu’il faut envisager divers facteurs, dont le plus important est hors de contrôle de tous les acteurs, qui est le facteur de la communication, qui peut, à lui seul, faire basculer une assemblée dans un sens ou l’autre. Il n’empêche qu’il existe deux éléments objectifs nouveaux, qui doivent être signalés, avec les commentaires adéquats, par rapport aux précédentes poussées de communication sur cette affaire (le dernier en octobre 2014).
• Le premier point, c’est Rand Paul. On sait que le personnage est beaucoup plus incertain que son père, qu’il a eu des attitudes contrastées, dont certaines ont embarrassé sinon franchement irrité ceux qui s’étaient engagés derrière lui en s’appuyant sur ce que son père avait fait et continue à faire. Bref, Rand Paul est un politicien, qui navigue entre l’attitude-Système classique du parti républicain et la singularité exceptionnelle de son père Ron. Pourtant, il semble qu’il ait trouvé, dans une voie bien particulière qui est celle de l’action contre les tentatives de contraintes et de rétention d’information d’un appareil de sécurité nationale qui se rapproche souvent du totalitarisme policier et du secret obsessionnel, une position et une action réconciliant ses penchants politiciens pour un soutien populaire le plus large possible selon les pratiques du Système (et non hors-Système, comme son père) et des thèmes rejoignant la tradition de la famille Paul. D’où son action contre la pratique des drone, son action très récente contre le renouvellement du Patriot Act, et enfin, aujourd’hui, son engagement dans l’affaire du “trou noir des 28-Pages”. On voit bien ses préoccupations politiciennes, sinon un rien démagogue pour les préoccupations et les émotions de l’opinion publique, dans le titre qu’il a donné à sa proposition de loi : “Transparency for the Families of 9/11 Victims Act”. Qu’importe puisque l’action est lancée, et qu’elle est nettement, absolument antiSystème ... On dirait même qu’elle ne l’a jamais autant été : le contenu des 28-Pages révélé aujourd’hui a un effet explosif potentiel mille fois plus grand que le même contenu révélé il y a dix ans, – comme la différence entre la “bombe A” de Nagasaki de 22 kilotonnes et l’énorme Super, la “bombe H” Tsar Bomba d’un peu plus de 50 mégatonnes expérimentée par l’URSS en 1961.
• La cause principale (le deuxième point principal) en est la situation au Moyen-Orient et les relations des USA avec l’Arabie à la lumière de diverses extensions terroristes et autres, et notamment l’infernal désordre que constitue l’artefact monstrueux EI/Dash. Nous l’écrivions déjà le 13 octobre 2014 : «[L’ex-sénateur] Graham a répondu à une interview de Bret Bambury [le 9 octobre 2014], qui produit une émission de talk-show sur la chaîne de télévision canadienne CBC. [...] La question examinée par Graham et Bambury est explosive dans la mesure où elle prend la forme concrète d’une interrogation opérationnelle très claire : si ces 28 pages n’avaient pas été classifiées, si elles avaient eu l’éclat public qu’on peut prévoir de leur connaissance, ISIS/EI/Daesh existerait-il ? Avec, on s’en doute, une réponse négative... L’idée est en effet que le degré d’implication de l’Arabie dans l’attaque 9/11 qui est mis en évidence dans ces 28 pages, – selon Graham précisément, et d’autres qui en connaissent le contenu, – aurait empêché le royaume des Saoud de suivre le comportement qu’il a montré, notamment en soutenant, finançant, équipant, etc., les divers groupes terroristes, dont tout ce qui a débouché sur ISIS/EI/Daesh...»
• Aujourd’hui, la question de l’EI/Dash liée au comportement de l’Arabie (par rapport à la Syrie, au Yémen et aux diverses organisations terroristes), et même à la situation interne de l’Arabie (incertitude sur l’équilibre du pouvoir avec le nouveau roi, tension avec la communauté chiite du royaume, etc.), rendent la question du “trou noir des 28-Pages” infiniment plus délicate qu’elle ne le fut durant la première décennie du siècle, et même qu’en octobre 2014. Les relations de Washington et de l’Arabie sont à l’image du désordre extraordinaire qui règne au Moyen-Orient, notamment à cause des liens “objectifs” entre l’Arabie et Israël, souvent contre les USA (notamment lorsqu’il s’agit de l’accord avec l’Iran) ; elles sont marquées par l’incertitude, le soupçon, la méfiance, sinon l’exaspération, – dans les deux sens d’ailleurs. L’Arabie n’a plus l’importance stratégique vitale qu’elle avait pour les USA entre 1945 et la première décennie du siècle, et l’Arabie a perdu toute confiance dans la volonté sinon la capacité des USA de la défendre contre vents et marées. Les “révélations” officielles du “trou noir des 28-Pages” (en fait, sans doute beaucoup de choses que l’on sait officieusement, qui ont été évoquées officieusement, etc.) auraient un effet de communication énorme, – plus qu’un effet de surprise proprement dit. Elles pourraient ouvrir un enchaînement politique irrésistible, obligeant même à des révisions considérables de la politique US, portant à leur paroxysme certaines tensions entre les deux pays. C’est-à-dire que plus qu’une perspective compréhensible, y compris celle d’une éventuelle rupture, on se trouverait devant la plus formidable incertitude de situation, actée, officialisée donc impossible à ignorer, qui concernerait l’entièreté de la situation de la région et des relations des USA avec cette région. On ne dit pas que cela menacerait la stabilité d’un axe stratégique essentiel, puisque “stabilité” est devenu un mot qui n’a plus aucune signification pour aucune région ni aucune situation, ni aucun axe stratégique dans le monde aujourd’hui. On chercherait plutôt à évoquer la stabilité internes elles-mêmes des directions-Systèmes des principaux acteurs, à commencer par les USA et l’Arabie, mais aussi d’autres, justement par un effet d’entraînement au niveau de la communication, et par ses multiples effets secondaires, “collatéraux” mais à vocation éventuellement spectaculaire, concernant le terrorisme, les arguments fondamentaux de l’effort constant de sécurité, du thème de mobilisation des populations, du lien forcé par la terrorisation des esprits entre les populations et leurs directions, etc. Et tout cela menacerait alors que l’Arabie est dans l’état interne précaire de sa direction qu’on a déjà dit, mais aussi alors que Washington est dans son mode paralysie-impuissance du gouvernement en même temps que dans la tension de la campagne présidentielle, avec des relations de plus en plus tendues entre les populations de l’Union et leurs élites-Système...
• Contre cela, l’autisme de la plupart des parlementaires, mais un autisme qui pourrait se réduire brusquement, alors qu’Obama lui-même reconnaît que l’argument de la sécurité nationale n’est pas valable pour “le trou noir des 28-Pages”. Il est vrai qu’il a dit cela, BHO, en toute démagogie et mensongerie bien assumées, puisque c’est à des délégations des familles des victimes de 9/11 qu’il a promis, à deux reprises, de rendre public “le plus vite possible” ces 28 pages et sans soulever la moindre objection de fond mais en s’en tenant aux complexités procédurières d’une telle opération pour justifier de ne pas annoncer une publicité immédiate de la chose. La dernière fois qu’il fit cette promesse-serment, c’était en octobre 2014, et les familles attendent toujours, mesurant la minutie du contrôle qui consiste à passer au moins neuf mois sans être encore au bout de la lecture de 28 pages. D’où l’on comprend le titre donné par Rand Paul à sa proposition de loi (“Transparency for the Families of 9/11 Victims Act”)... Rand Paul entend se charger, au nom de la cause sacrée des victimes de 9/11, de suppléer aux absences pour raison de trou noir de l’accomplissement des serments de l’homme qui fut élu aux acclamations de “Yes We Can”. Au moins, cela lui fait un bon argument de campagne et l’engage à persévérer dans sa poussée contre “le trou noir des 28-Pages” aussi loin qu’il le pourra.
Mis en ligne le 4 juin 2015 à 12H14
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