Les Britanniques face à l’American Way of War

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Les Britanniques face à l’American Way of War

11 avril 2004 — Ce n’est pas la première fois que des jugements sévères sur l’“American Way of War” sont exprimés et publiés mais celui que publie aujourd’hui le Daily Telegraph mérite d’être retenu.

Le Daily Telegraph n’est pas du camp anti-américain ; il a été et, jusqu’à nouvel ordre, reste favorable à la guerre contre l’Irak. Il ne peut être soupçonné de parti pris, ce qui donne son crédit à cet article qui retranscrit une interview faite avec un officier britannique actuellement stationné en Irak. Il constitue un réquisitoire très sévère contre le comportement américain ; au-delà, c’est le constat d’une différence fondamentale de conception des choses et de vision du monde, entre Américains et Britanniques (dans ce cas, on peut sans aucun doute élargir : entre Américains et Européens, voire entre Américains et le reste du monde).

[Le journal précise le sens du mot untermenschen employé par l’officier britannique dans le texte ci-dessous : “sous-hommes”, mot employé par les nazis pour désigner les juifs, les gitans et les slaves notamment, tous considérés comme “racialement inférieurs”. On nous précise également que ces constats des soldats britanniques ont été répercutés vers le commandement et vers le gouvernement.]

« Speaking from his base in southern Iraq, the officer said: “My view and the view of the British chain of command is that the Americans' use of violence is not proportionate and is over-responsive to the threat they are facing. They don't see the Iraqi people the way we see them. They view them as untermenschen. They are not concerned about the Iraqi loss of life in the way the British are. Their attitude towards the Iraqis is tragic, it's awful.

» “The US troops view things in very simplistic terms. It seems hard for them to reconcile subtleties between who supports what and who doesn't in Iraq. It's easier for their soldiers to group all Iraqis as the bad guys. As far as they are concerned Iraq is bandit country and everybody is out to kill them.”

(...)

» The officer explained that, under British military rules of war, British troops would never be given clearance to carry out attacks similar to those being conducted by the US military, in which helicopter gunships have been used to fire on targets in urban areas.

» British rules of engagement only allow troops to open fire when attacked, using the minimum force necessary and only at identified targets. The American approach was markedly different: “When US troops are attacked with mortars in Baghdad, they use mortar-locating radar to find the firing point and then attack the general area with artillery, even though the area they are attacking may be in the middle of a densely populated residential area.

» “They may well kill the terrorists in the barrage but they will also kill and maim innocent civilians. That has been their response on a number of occasions. It is trite, but American troops do shoot first and ask questions later. They are very concerned about taking casualties and have even trained their guns on British troops, which has led to some confrontations between soldiers.

» “The British response in Iraq has been much softer. During and after the war the British set about trying to win the confidence of the local population. There have been problems, it hasn't been easy but on the whole it was succeeding.

» The officer believed that America had now lost the military initiative in Iraq, and it could only be regained with carefully planned, precision attacks against the terrorists”.

» “The US will have to abandon the sledgehammer-to-crack-a-nut approach - it has failed,” he said. “They need to stop viewing every Iraqi, every Arab as the enemy and attempt to win the hearts and minds of the people.” »

Les constats britanniques sont effrayants mais ne peuvent en aucun cas constituer une surprise. Ce qui surprendrait plutôt est notre découverte toujours renouvelée d’un phénomène qui existe depuis qu’existe l’Américain venu de l’émigration fondatrice des États-Unis (en général, les Puritains d’origine anglo-saxonne, des Protestants néerlandais également). La stratégie américaine, qui reflète une conception de la vie et une conception du monde, a toujours été celle de l’attrition massive, l’anéantissement des forces adverses plutôt que la victoire par la manoeuvre. On retrouve cette stratégie de la Guerre d’Indépendance et la guerre contre les Indiens, aux grands conflits modernes, que ce soit la stratégie du débarquement en Normandie ou celle des bombardements massifs jusqu’à la bombe atomique.

Une telle stratégie est nécessairement appuyée sur une conception de supériorité par rapport à l’adversaire (Indiens, Sudistes, divers Latino-Américains, Philippins, Cubains, Allemands, Japonais, Coréens, Vietnamiens, éventuellement Russes, dernièrement Irakiens et Arabes en général, — la liste n’a aucune vocation à être exclusive). D’un point de vue militaire et dans les circonstances de la guerre, ce statut inférieur peut éventuellement justifier l’anéantissement, dans tous les cas implique l’état d’esprit qui accepte cette idée.

Ce phénomène, que le professeur Weigley avait surnommé l’American Way of War (titre de son livre sur cette question, paru en 1973), est un point fondamental pour les relations entre alliés. Il justifie, avec d’autres points de la même sorte (notamment la vision binaire et agressive du monde, en Bien versus Mal), le constat que les Américains et les Européens sont bien plus séparés par des conceptions et des visions du monde antagonistes, que toutes les autres séparations proposées (entre races, entre religions, etc), qui tendent en général à mettre États-uniens et Européens ensemble, pour justifier l’alliance transatlantique. La seule restriction qu’on doit apporter à ce jugement général, — certes, elle est de taille jusqu’à être fondamentale, — est que ce comportement américain, au départ religieux fondamentaliste, est aujourd’hui fondamentalement relayé par un système militaro-bureaucratique appuyé sur une volonté guerrière et la référence systématique à la machine et à la technologie. Il apparaît que le système militaro-bureaucratique a conservé le critère raciste originel omniprésent, qui ne disparaît que lorsque les individus acceptent l’intégration dans le système.