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5564Quand est-ce que le gouvernement comprendra-t-il que le mouvement des Gilets Jaunes représente une insurrection non contre la fiscalité pesant sur les carburants mais contre la montée d’une pauvreté qui touche prioritairement ce que l’on appelle la « France Périphérique » ?
Les français qui vivent dans les petites villes (moins de 40 000 habitants) ou dans les villages qui constituent l'extrême périphérie des grandes métropoles constituent l'essentiel des militants de ce mouvement. On y retrouve des salariés, des professions libérales, de petits entrepreneurs. On y retrouve aussi beaucoup de femmes, elles sont très présentes sur les blocages routiers. Face à cette réalité, le gouvernement aurait voulu mettre en scène un « conflit » entre la consommation et l'urgence écologique. Bref, il nous a joué la grande scène de « la fin du monde » alors que les Gilets Jaunes parlent de la fin du mois.
Ce discours a achevé de le décrédibiliser, surtout qu'il est clair pour tous que la politique de ce même gouvernement n'a rien à voir avec les préoccupations écologiques. Le mouvement des Gilets Jaunes porte sur le pouvoir d'achat. C'est ce qui explique son immense popularité, car entre 75% et 84% des français le soutiennent.
Pouvoir d'achat, donc. Regardons ce que dit l'INSEE, une source dont tout le monde s'accordera à la considéré si ce n'est parfaite (aucun système statistique ne l'est) du moins largement fiable. Dans un rapport publié il y a peu (1), on lit :« La pauvreté des actifs (hors travailleurs indépendants) a augmenté d'un tiers, en partie du fait de la hausse du chômage ». Bien sûr, le chômage de masse que nous vivons, et qui est très probablement sous-estimé dans les statistiques diffusée par le gouvernement, est une cause majeure de la pauvreté. Le suite du constat fait dans ce document est accablante : « Le fait marquant de ces vingt dernières années est surtout le développement de la pauvreté des familles monoparentales, dont les membres vivent sous le seuil de pauvreté dans près d'un tiers des cas. Les différences entre catégories socioprofessionnelles se sont maintenues, même si la situation des agriculteurs exploitants, les plus touchés par la pauvreté, s'est améliorée et celle des artisans, commerçants et chefs d'entreprise, dégradée ». Ce qui est décrit ici est bien l'appauvrissement de ces familles, chassées des centres-villes par la hausse des loyers et la spéculation immobilière, obligées d'aller s'installer en zones rurales, zones qui sont bien souvent abandonnées par les services publics, qui sont obligées de faire des déplacements de 40 km à 60 km pour aller au travail, voir pour avoir accès justement à ces services publics. Cet appauvrissement, on l'a dit, touche d'abord les familles monoparentales, dont le nombre est en forte augmentation, mais aussi les jeunes couples.
A l'opposé, les ménages les plus riches voient, quant à eux, leur situation s'améliorer régulièrement, et les ménages que l'on peut considérer comme « ultra-riches » ont vu leurs revenus et leurs patrimoines littéralement exploser. Un indicateur de cette situation est l‘évolution discordante du niveau de vie moyen et du niveau de vie médian. Si le niveau de vie moyen (calculé comme l'ensemble des revenus divisé par la population) augmente depuis la crise de 2008, le niveau de vie médian (calculé comme le revenu qui partage en deux parties égales la population) quant à lui stagne depuis 2008. C’est bien la preuve d'une distorsion importante dans la structure des revenus.
A cela, il convient d'ajouter l'inégalité croissante du patrimoine des ménages. L'INSEE calcule le patrimoine monétaire, qui va donc des sommes déposées sur le compte courant des ménages dans les banques, jusqu'aux logements, aux actifs professionnels, en passant pas les actifs financiers. Si ce patrimoine, à prix constants, a fortement augmenté, de 1995 à 2015 en moyenne il a baissé pour les 20% des ménages les moins riches. Cette situation d'appauvrissement des ménages les moins riches se combine avec la dégradation des services publics et des transferts sociaux (dont les différentes réformes des retraites sont un exemple). En effet, les services publics, comme les retraites, représentent une forme de patrimoine collectif des français. Nous en bénéficions tous. A chaque fois que les services publics sont réduits, cela représente une perte nette en patrimoine, une perte que les moins riches, parce qu'ils sont les plus grand utilisateurs de ce « patrimoine collectif » de la Nation, ressentent le plus.
Cet appauvrissement, que ce soit en revenu ou en patrimoine, des français les plus vulnérables forme le substrat du mouvement des Gilets Jaunes. D'autres facteurs viennent s'y ajouter, comme la montée des consommations contraintes dites encore « pré-engagée » (qui laisse de moins en moins d'argent aux ménages les plus pauvres) (2), et la dégradation du système des retraites, que ce soit à travers le non-indexation des montants face à l'inflation ou dans la remise en cause des pensions de reversions, mesure particulièrement injuste dans la mesure ou, en moyenne, les femmes touchent une retraite plus faible que les hommes. Nous sommes dans une situation où les ménages les plus pauvres n'arrivent plus à faire face aux dépenses de santé ou aux dépenses alimentaires (3).
Tout ceci permet de comprendre pourquoi la taxe sur les carburants a été le détonateur d'une immense colère sociale, mais aussi pourquoi le gouvernement reviendrait-il sur cette taxe qu'il ne calmerait pas cette même colère.
Les revendications émises, ici ou là, par les Gilets Jaunes sont en réalité de nature sociale: augmentation du SMIC à 1300 euros, minimum vieillesse à 1200 euros. Ces revendications sont parfaitement légitimes. Mais, elles ne peuvent pas être acceptées par le gouvernement pour une raison fort simple: la France est mise en concurrence avec d'autres pays avec une monnaie qu'elle ne contrôle plus. En effet, une situation analogue existait dans les années 1960. Quand survint mai 1968, le gouvernement céda massivement sur le SMIC. Puis, pour rétablir la compétitivité de l'économie française, il dévalua le Franc. Aujourd'hui, à cause du système de l'Euro, nous ne pouvons plus le faire. C'est bien pourquoi, en réalité, le mouvement des Gilets Jaunes, même si ses participants n'en ont pas une claire conscience, est un mouvement anti-Euro.
(1) Julien Blasco, Marie-Cécile Cazenave-Lacrouts, Julie Labarthe (edits.), Le Revenu et le Patrimoines des Ménages, INSEE, Paris, 2018.
(2) DREES, « Dépenses pré-engagées: quel poids dans le budget des ménages ? », N°25, Mars 2018. Voir aussi D'Isanto A. et Rémila N., 2016, « Les dépenses contraintes des bénéficiaires de minima sociaux », Dossier de la DREES, n°11
(3) Accardo J., Kranklader E. et Place D., 2013, « Les comportements de consommation — Pour certains ménages modestes, faire face aux dépenses alimentaires devient plus difficile », Insee Première n°1458, juillet.
(Article paru dans Spoutnik-français, le 2 décembre 2018 , sous le titre : « Derrière le mouvement des Gilets Jaunes, l’appauvrissement d’une partie de la France ».
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