Les JG, “monstre incontrôlable” ?

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Les JG, “monstre incontrôlable” ?

25 mars 2019 – Notre lecteur “JC”, si actif et passionnant sur le Forum, fait une remarque qui me concerne directement puisque dans ce Journal et m’arrête aussi net, de crainte d’un quiproquo concernant les Gilets-Jaunes qui en sont à l’Acte-19, – et qui, je l’avoue, m’ont étonné, dans le bon sens (on verra plus loin, et c’est l’essentiel de ce propos) :

« Là où je ne suis pas du tout d'accord avec PhG c'est sur la qualification de “monstre incontrôlable” du mouvement qu'initient et symbolisent les GJ. Car les GJ symbolisent pour moi tout le contraire : ils symbolisent la société des vrais gens, des gens ordinaires, la société de ceux qui tentent de vivre et de penser comme des gens ordinaires. »

La remarque de “JC” dans le Forum de ce texte concernait un passage du même, « La pub et les Gilets-Jaunes », qu’il a lu trop vite sans nul doute : « Elle [la pub] a joué un grand rôle en rendant collective cette terrible frustration, elle a contribué très fortement à créer ce qui est, du point de vue du Système (de l'avorton-Macron, son délégué), un monstre incontrôlable. » On comprendra évidemment que cette expression de “monstre incontrôlable”, telle qu’elle est placée ici, correspond au point de vue, à la perception, à l’appréciation du Système et de l’avorton : « du point de vue du Système (de l'avorton-Macron, son délégué) ». Je pense que la chose n’est pas discutable, d’autant que je n’ai cessé d’écrire toute l’estime et même l’admiration que j’avais pour les GJ, sans me soucier de chercher un sens dans leur mouvement, un plan, une stratégie, assuré pour mon cas par le constat de cette expression presque sacrée d’une colère qui vient du fond des temps et de la souffrance pour frapper de plein fouet cette époque crisique

Là-dessus, je découvre après cette mise en évidence qu’on peut se demander finalement si l’expression n’est pas objectivement appropriée, alors que paradoxalement, comme je viens de l’expliquer, j’écartais indirectement moi-même cette possibilité dans le texte concerné (« La pub et les Gilets-Jaunes »). Là encore, on observe que les mots et le langage peuvent vous jouer des tours ; ils ont plus d’un tour dans leur sac et peuvent vouloir dire d’eux-mêmes, au-delà de ce que vous pensiez leur faire dire, des choses inattendues et intéressantes. On dira, cela tombe à pic, que les mots et le langage sont eux aussi “incontrôlables”.

Le mot “monstre”, tel que décrit selon sa racine latine, justement n’est pas nécessairement péjoratif : « Le terme vient du latin monstrare (monstro, avi, atum), qui signifie “montrer”, “indiquer”, et monstrum (rattaché au verbe monere “avertir”), non forcément péjoratif. » Et encore, ceci : « Un monstre est un individu ou une créature dont l'apparence, voire le comportement, surprend par son écart avec les normes d'une société. » Il est évident que cette définition, dans mon esprit nouvellement alerté par l’exploration que je fais de cette hypothèse, renvoie à “une société officielle”, la française telle qu’elle est présentement évoquée et décrites par tous les laquais de la plume et les poètes de cour, la “société officielle” qui est celle de Macron, celle que veut Macron, etc., cette affreuse ambition qui conduit nos élites devenues zombieSystème.

Il m’apparaît ainsi de plus en plus évident, à la réflexion forcée par l’exploration de cette expression, que les Gilets-Jaunes ont été “créés” par le gouvernement, par le pouvoir et ses élites-fidèles/serviles, par Macron, par le Système ; à la fois par conséquence du fait que Macron & Cie sont les héritiers et les représentants de l’historique récent des contraintes imposées aux gens avec la rancœur et la colère ainsi créées, du fait de leur incompréhension du phénomène lui-même à son origine, du fait des maladresses qu’ils n’ont cessé d’enchaîner depuis l’apparition du phénomène. Il m’apparaît ainsi, dans le registre des maladresses, tout aussi évident qu’ils ont manœuvré comme à l’habitude pour susciter des violences, la radicalisation, pour jouer l’habituel jeu de la manipulation des opinions et rendre les GJ impopulaires auprès d’une majorité de la population, espérant ainsi et là-dessus mettre un terme à la “sédition” qu’ils ne virent point venir avec la cerise énorme du “Grand Débat” sur le maigre gâteau. Leur maladresse centrale réside bien entendu dans leur surestimation d’eux-mêmes et de leur habileté manipulatrice : même lorsqu’ils sont habiles et manipulateurs, ils sont maladroits et se trompent eux-mêmes.

Classique cas de tactiques réussies pour accoucher d’une défaite stratégique majeure... On ne peut dire qu’ils ont échoué dans les faits examinés d’une façon fragmentaire, mais ils ont entraîné la formation d’une situation de crise aigue comportant des hypothèses complètement rocambolesques et abracadabrantesques par rapport au sentiment public il y a disons six mois d’ici ;je veux parler des hypothèses de coup de force, de sédition, de révolution et de guerre civile, alors que rien dans les capacités et les intentions des acteurs divers ne devrait pouvoir faire croire à ces hypothèses.

Tout se passe du point de vue opérationnel au niveau d’infiltrations de piètres groupes d’émeutiers d’occasion et de basses violences policières ; sans doute favorisées les unes et les autres, par les pieds-nickelés ès-manipulation. (J’emploie les qualificatifs “piètres” et “basses” comme l’on dit “piètre besogne” et “‘basse besogne”, n’excluant bien entendu pas des destructions et des brutalités souvent spectaculaires, mais aucune n’ayant l’intensité et la puissance, ni même la nature, d’une situation de coup de force comme on en évoque.) Qu’importe puisqu’il y a l’essentiel qui échappe à toutes ces manœuvres et en use pour faire sentir son évidence ; puisqu’ils ont fait gonfler si bien le simulacre comme un soufflé, ces hypothèses les plus folles ont paru possibles avec le climat à mesure qui s’est installé. 

Par contre, comme l’on dit “en même temps” dans les palais princiers, ils ont suscité pour le soufflé la dynamique et la puissance d’un phénomène absolument inattendue et complètement imprévisible, dont on a déjà souvent parlé : la puissance et la résilience du mouvement des GJ, leur psychologie et leur élan collectifs. C’est une chose, un phénomène de l’ordre du jamais-vu, et tout cela restant dans le champ de la communication où l’on a tant l’habitude de monter des simulacres : au milieu de tous leurs simulacres apparaît une vérité-de-situation que nul n’a prévu, que nul ne peut contrôler. Par rapport à l’époque de la postmodernité, au Système, aux simulacres d’autorités sans la moindre légitimité qui en sont pourtant les accoucheurs, il s’agit sans aucun doute d’un “monstre” – et il est bien “incontrôlable”, le Ciel et ses demi-dieux y veillent. Il ne fait aucun doute pour moi que des forces supérieures, incontrôlables elles aussi mais par pure essence dans leur cas et hors de notre portée comme de notre connaissance, ont fait en sorte que les événements évoluent de cette façon. L’avorton ne réalise pas dans quel guêpier il s’est glorieusement et bruyamment fourré.

Je dis cela parce que moi aussi je ne fais que suivre les événements sans pouvoir, ni prétendre une seconde Dieu merci, les prévoir en aucune façon. D’une façon générale et théorique disons, je crois en la puissance et en la durée de ce mouvement, et à sa capacité antiSystème, mais d’une façon opérationnelle je trouve miraculeux qu’il tienne, – et avec du mal à croire à la durée et à la puissance du miracle, bien que je ne cesse d'être démenti à cet égard.

Comme pour les cas précédents et les obstacles déjà franchis, je ne pensais pas que les GJ franchiraient cet obstacle de plus, de cet Acte-19 avec l’adversaire renforcé et oint de la vertu de l’“ordre républicain” que réclament désormais toute la “classe politique” et la sagesse civique convoquée pour l’occasion, vertu empochée facilement, en passant et en marche. Ils l’ont fait, assez tranquillement et sereinement, comme si la chose allait de soi, et la mécanique divine devenue irrésistible. Chaque obstacle que les bandits usurpateurs du pouvoir mettent sur leur route ne fait que montrer, comme si leur mouvement était d’un de ces coursiers magnifiques que sont les chevaux d’obstacle, la grâce et la puissance dans leur capacité de les franchir. Chaque obstacle les grandit et les rapproche du but, ce but mystérieux que les forces supérieures leur ont assigné.