Les pépites de l’avocat marron-glacé

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Les pépites de l’avocat marron-glacé

1er mars 2019 – Il est faux de dire que nous vivons dans le temps du mensonge selon l’argument que, dans les sphères publiques du Système (essentiellement dans la communication, de l’entertainment aux politiciens), personne ne dit quoi que ce soit qui corresponde à la réalité observée avec loyauté par lui-même. Cela ne signifie pas que tout le monde “ment” mais plus simplement que la réalité n’existe plus ; loyal ou pas, qui pourrait, sans faire une enquête à ce propos selon une procédure très spécifique et la conviction de la nécessité d’une telle enquête venue d’un jugement libre et indépendant, en dire quoi que ce soit qui en représentât une part incontestable ?

Comme on le sait si l’on lit attentivement les pages de ce site, il y a effectivement pour nous, pour moi, cette vérité-de-situation universelle que la réalité est désintégrée. Pour “les sphères publiques du Système”, cela signifie que chacun se replie complètement sur sa narrative qui doit avoir l’avantage de plaider pour le parti qu’il défend. Dans ces milieux, la loyauté d’observation a complètement disparu, remplacé par la soumission à la narrative de son parti, – “soumission”, autre mot et mot de subversion et d'inversion pour  “loyauté” lorsque le simulacre de cette narrative a remplacé la réalité désintégrée. 

(Bien entendu, cette transmutation interdit la loyauté ultime, qui est d’observer que la réalité a été désintégrée. Pour mon compte et selon ma loyauté, je prétends qu’il faut et que l’on peut tourner cette incontestable désintégration de la réalité, que je reconnais sans la moindre hésitation, par la recherche, avec l’aide de l’intuition et de l’expérience, de vérités-de-situationqui permettent de retrouver une réalité d’au-delà de la “réalité désintégrée”, une “réalité manifestant la Vérité” si vous voulez. Disons, pour parler le langage commun, que c’est ma narrative à moi. Je crois qu’elle n’intéresse absolument personne dans “les sphères publiques du Système”, qu’elle n’est même pas concevable tant que l’on reste soumis à ces ‘sphères” ; mais il n’est pas impossible de s’en évader.)

Il ressort de tout cela que tout le monde “ment” en un sens, mais que personne ne “ment vraiment” stricto sensu. Par conséquent, au-delà du ridicule, du grotesque et du vulgaire de leurs narrative abracadabrantesques, il faut savoir repérer, identifier et se saisir de l’une ou l’autre pépite dissimulée par sa gangue, – une vérité-de-situation si vous voulez, – traînant par inadvertance dans ce désordre et retrouvée malgré sa gangue de boue infâme et d’écume des jours du marécage postmoderne et washingtonien.

Pour cette raison encore, je crois que Michael Cohen, avocat ou consigliere de Trump retourné par le FBI et le conseiller Mueller pour éviter une peine trop lourde pour ses multiples malversations, Michael Cohen, avocat marron-glacé, menteur absolument authentifié qui ment comme il respire lorsqu’il a le souffle court, je crois que Cohen laisse parfois traîner l’une de ces pépites. Je crois que ce fut le cas mercredi après-midi lors d’une audition du Congrès que certains décrivirent comme “un cirque” parce que l’on attendait des révélations et que l’on eut des échanges grandguignolesques et surréalistes ; et cette audition que je viens de suivre sur diverses vidéos, je dois avouer presque fasciné, à la fois par la vulgarité, le simulacre et le décalage du propos, la pompe grossière et sarcastique de la scène avec ses procédures de forme, l’hypocrisie générale et les haines diverses et à peine dissimulées, et aussi certaines péripéties qui vont par accident au fond des choses...

C’est de cela que je veux vous parler.

Il y a dans mon propos cette pure impression dont je crois qu’elle ressort de l’intuition, au risque de me perdre comme c’est toujours le cas dans cette hypothèse, – on peut se tromper en croyant identifier une intuition, – mais pourtant fortement ressentie. J’entends par là, pour être plus concret, qu’en écoutant et en observant Cohen parler, lui avec vraiment la tête de l’emploi, plutôt vivre pour mentir que mentir pour vivre, j’ai ressenti le paradoxe d’une certaine vérité-de-situation dans la description psychologique qu’il fit de Trump, et notamment dans l’une des supputations qu’il en déduisit. Or, il s’agit d’une occurrence que je n’ai jamais entendue évoquer, et qui n’est pas  inintéressante.

« Vous ne le connaissez pas ! Moi, je le connais ! » s’écrie l’avocat marron-glacé, puis il déroule son portrait de l’homme des Tours : « Il est raciste. C’est un escroc. C’est un tricheur... [...] La tâche de chacun dans le système Trump, c’est de protéger Trump, et de mentir pour ça. Chaque jour, en allant au travail, la plupart d’entre nous, nous savions que nous allions pour mentir sur quelque chose et sur n’importe quoi, et que ce serait pour lui [pour le servir et le défendre]. Et cela est devenu la norme, et c'est ce qui se passe actuellement dans ce pays... Cette destruction de notre civilité les uns envers les autres est devenue incontrôlable. »

Je comprends fort bien ce qu’il dit, sauf qu’il est un peu facile et certainement complètement incomplet de faire porter la faute  de la situation du pays exclusivement sur Trump même si Trump est un des formidable moteurs de cette dynamique du simulacre et de ses narrative qui se développe en pleine surpuissance parce qu’elle imprègne absolument toute la communication, –laquelle est devenue la forme postmoderne du “mensonge”, de la “propagande”, c’est-à-dire de la narrative que chacun développe pour pouvoir figurer dans le simulacre, – la boucle ainsi bouclée. Mais le personnage (Trump) est bien croqué, et ainsi j’en arrive à cette supputation de Cohen sur l’avenir proche, qui est la principale remarque qui m’importe, la plus intéressante, la plus importante et la plus inédite : « J’ai bien peur qu’il n’y ait absolument aucune possibilité d’une transition pacifique si Trump est battu à l’élection de 2020... »... En d’autres mots, Cohen juge que si Trump est battu, il refusera une transition normale, il y aura grand risque de troubles, de tentative de coup d’État dans l’État, de dérive vers une guerre civile.

C’est intéressant, importante et inédit parce que, jusqu’à maintenant, le “grand risque de troubles, de tentative de coup d’État dans l’État, de dérive vers une guerre civile” pour 2020 pour ce qui nous concerne, on le voyait quasi-exclusivement du côté démocrate avec sa radicalisation gauchiste express, et sa haine absolument inextinguible contre Trump, dans le cas d’un Trump réélu. Selon ce constat nouveau qu’apporte Cohen, on se trouve verrouillé, dans cette sorte de prospective, dans l’irrémédiabilité de troubles graves. USA-2020 serait donc le parfait prolongement jusqu’au paroxysme de USA-2016.

Cette appréciation de Cohen est essentiellement psychologique, nullement et en rien politique ; basée sur l’appréciation d’une psychologie de Trump fondée sur un narcissisme extrême, sur son personnage de téléréalité, sur sa conception du monde basée sur la puissance des affaires et de l’argent, sur sa vision terriblement antagoniste des rapportes dans ce cadre, sur son impossibilité d’accepter d’être un “perdant”, chez un personnage où les excès de la psychologie basée jusqu’à la pathologie exclut tout le reste. A cet égard, je crois que ce qu’il a fait à la Maison-Blanche ne lui a absolument rien appris, ne l’a pas “civilisé”, et qu’il reste en 2019 le Trump de 2016, c’est-à-dire l’archétype de l’hypercapitaliste prédateur postmoderne. (Ce qui laisse complètement intacte sa vertu objectivement antiSystème de “diviseur”, de créateur et d’accélérateur de désordre.)

Lors de l’audition de Cohen, enfin, une idée déjà connue est revenue chez le témoin/avocat marron-glacé. Cohen a réaffirmé que Trump faisait pendant la campagne USA-2016 poursuivre (dans le chef de Cohen) les tractations pour une Tour-Trump à Moscou malgré la sensibilité évidente du cas, et qu’il le fit jusque très, très avant dans la campagne, jusqu’à la veille du scrutin, simplement parce que « Trump ne croyait pas une seconde qu’il serait élu » et que le businessdevait continuer ; non pas par jugement rationnel, tout cela, mais par infection de sa psychologie, parce qu’au départ il ne s’est jamais lancé dans la campagne pour être élu, que cela ne l’intéressait foutre pas, qu’il se fichait de la politique. C’était à l’époque la thèse de Michael Moore, étayée je pense sur des informations très sérieuses, et pour cette raison il me semble judicieux de repasser un texte d’août/octobre 2016 où était expliquée et développée cette appréciation de Moore... Cela suivra.