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1968On sait que nous avançons l’hypothèse que nous vivons dans une époque caractérisée par un “tourbillon crisique”, où les crises éclatent partout, durent jusqu’à ne jamais cesser, avec des périodes d’apaisement puis des éruptions soudaines comme l’on voit avec l’activité volcanique, s’interpénètrent et s’influencent les unes les autres. Il en résulte une très grande difficulté pour l’opinion publique, quand elle s’intéresse à ces crises, de se fixer par rapport à elles, d’autant plus qu'elles sont décrites par nombre de gouvernement, spécialement du bloc BAO qui en font une spécialité réellement vitale, par des narrative comportant à mesure qu’elles apparaissent puis qu’elles sont remplacées ou poursuivies par d’autres, des contradictions de plus en plus lourdes à supporter. Nous disons “de plus en plus lourdes à supporter” car le processus atteint désormais sa vitesse de croisière, correspondant à la surpuissance du Système. Cette idée de “tourbillon crisique” s’est particulièrement manifestée, selon notre conception, d’une façon extrêmement insistante, à l’occasion de la crise grecque enchaînant sur la crise ukrainienne, – deux crises impliquant l’Europe, – puis ces deux crises enchaînant sur la crise des “réfugiés-migrants” touchant l’Europe à partir du Moyen-Orient (la Syrie) et rallumant ainsi la crise syrienne après avoir donné une nouvelle dimension à la crise européenne en la liant fermement à la crise du Moyen-Orient.
Un exemple particulièrement remarquable des effets contradictoires et pervers de ces enchaînements, particulièrement sinon quasi-exclusivement pour les producteurs de narrative selon les conceptions du Système, concerne la Pologn ; s'il ne se signale pour l’instant que comme un phénomène relativement souterrain, le caractère potentiellement explosif de l'exemple polonais, – là aussi, on suit la logique volcanique, – est complètement évident. Les Russes de Sputnik.News ne se privent pas de le mettre en évidence, et l’on comprendra aussitôt pourquoi. En gros, il s’agit de l’hypothèse sinon du constat que l’“opinion publique profonde” polonaise est passée, disons dans un espace de temps six à neuf mois (qu'on pourrait d'ailleurs réduire jusqu'à trois mois), d’une détestation furieuse des Russes et de Poutine à une considération extrêmement favorable, jusqu’à l’enthousiasme, pour Poutine et les Russes. Il s’agit de l’“opinion publique profonde” disons-nous, non encore exprimée dans les structures politiques publiques, éventuellement contre la narrative-Système en Pologne, mais qui peut faire évoluer cette narrative ou l’opposition politique publique à cette narrative selon les intérêts des groupes politiques jusqu’à donner effectivement un moyen d’expression politique à ce tournant.
... Il y a six-neuf mois, les Polonais détestaient les Russes et Poutine à cause de la crise ukrainienne où la Russie étaient dépeinte comme l’agresseur menaçant également la Pologne. En juillet-septembre, la Pologne, comme les autres pays européens, a subi de plein fouet la crise des “migrants-réfugiés” ; cet évènement est considéré avec une grande crainte et un mouvement de refus par l’opinion publique de ce pays profondément catholique, en même temps que se rallument les craintes du terrorisme djihadiste. Dès lors, les Russes et Poutine qui sont en Syrie depuis une semaine pour s’attaquer à ce terrorisme deviennent les héros de cette même opinion publique. La narrative officielle, qui a l’habitude de précéder et d'inspirer, à du mal à suivre et à s'y retrouver...
Voici quelques précisions venues d’un article de Sputnik.News du 6 octobre, signalé plus haut : « Support for Russia’s air campaign in Syria appears to be gaining steam in Poland, with a wave of pro-Russian commentary appearing on Polish social media and causing embarrassment for the country's traditional, anti-Russian media, news and analysis magazine Mysl Polska has discovered. Sifting through Polish-language online forums and social media over the past few days, the Mysl Polska explained that if a year ago, “these same forums were full of entries about ‘Putler’ as a threat to the entire world,” today the situation is very different, with “millions of people shocked” out of complacency by the hundreds of thousands of refugees coming from Syria, and by “the US and the West's apparent tolerance of the murderous Islamic State.”
» According to the magazine, “ordinary people just cannot understand how it can be that instead of supporting Russia in its war against ISIL, the West is doing everything it can to try and make the intervention look loathsome.” The article explains that “the latest wave of primitive lies coming from leading Western media sources” and their counterparts in Poland have “awakened people to the fact that they have been crudely manipulated. Never before has the gap between public opinion and the media been so great.” And if “for some time the Poles, always susceptible to anti-Russian provocations, have allowed themselves to be led by the nose…now they have spotted the mechanisms of such manipulation and lies.”
» “The more the media attempt to convince the Polish people that Putin, rather than Obama, Cameron and Hollande is the one responsible for destabilizing the Middle East, the greater the frustration and rage among the Poles becomes. Nobody likes it when someone tries to make a fool out of them and treats them like an imbecile.” Accordingly, the magazine suggests that “what is happening now…may be of paramount importance as far as the future is concerned. This is the most significant moment in the moral crisis facing the West and its ideology.”
» The magazine illustrates this thought by pointing to a slew of comments over an article on the Russian intervention in Syria on Wirtualna Polska, one of the country's largest web portals and the country’s leading online news source. Commenting on the article, written by Rzeczpospolita journalist Jedrzej Bielecki, entitled “Putin Provoked the Jihad,” Mysl Polska points to dozens of responses to the piece, and their resounding support for the Russian initiative. »
Certes, les choses vont à une très grande vitesse. De plus, les contradictions et les paradoxes entre ces diverses crises qui se succèdent, se rajoutent les unes aux autres, se connectent et se déconnectent sans arrêt, s’influencent à mesure, sont extrêmement nombreux et mettent dans une grande souffrance, principalement les narrative officielles. Mais cela va au-delà ... Il y a six mois, même les adversaires du Système et de ses narrative, et nous-mêmes par conséquent, avaient tendance à tenir les Polonais pour irréductiblement liés au parti du Système par les connexions existant avec la crise polonaise, avec l’UE, avec l’OTAN et les USA. Nous non plus, nous n’avions pas prévu le retournement qui nous est décrit, qui pourrait avoir des conséquences politiques tant les directions-Système et leurs narrative sont faibles et sensibles aux impulsions de la communication.
Mais cette impuissance prévisionnelle n’a, dans notre chef, guère d’importance puisque, le plus souvent au nom de la vertu de l’inconnaissance, nous nous abstenons de prévoir en nous tenant au simple niveau du constat, tout en cherchant à identifier les tendances antiSystème pour pouvoir les éclairer et les encourager. Ce retournement de l’opinion publique polonaise est bien entendu de cette sorte, plus parce qu’il agit contre les narrative du Système que parce qu’il agit en faveur de la Russie, parce que l’essentiel reste la dynamique antiSystème. (La Russie occupe aujourd’hui une place importante dans cette dynamique antiSystème, comme point de référence et productrice d’actions diverses d'une réelle importance mais elle n’est pas en elle-même la source de la dynamique antiSystème prise d’un point de vue général.)
Bien entendu, il faut le répéter, ce retournement en Pologne, qui est pour l’instant dissimulé et encore en partie potentiel pour sa manifestation politique, n’est pris que comme un exemple parmi d’autres cas probables, ou en train de se faire, de cette sorte d’évènements. C’est à cause de ce que nous désignerions comme la collusion des crises plus que leur collision à l’intérieur du “tourbillon crisique” que cette sorte d’évènements se produit. En effet, il y a comme une complicité entre les crises dans ce bouillonnement crisique pour défaire continuellement les logiques que nous imposent les diverses narrative qui sont présentées par le Système ; face à cela, les crises et leurs interconnexions agissent comme à plaisir, comme un chat avec des souris.
Le phénomène crisique général (“tourbillon crisique”, interconnexion crisique, collusion crisique) constitue aujourd’hui un évènement étonnant qui génère sinon produit, lui, une dynamique antiSystème. Le paradoxe est que le phénomène crisique qui est déstructurant par nature, est d’une telle rapidité, d’une telle habileté en un sens, d’une telle volatilité, qu’il produit effectivement cette dynamique antiSystème en attaquant les structures qui se présentent le plus aisément à son action et constituent les cibles les plus évidentes, qui sont les structures de communication employées dans les narrative.
Ainsi, même si l’on ne peut identifier stricto sensu dans les tensions crisiques que nous décrivons une source antiSystème assurée, la fragilité et les contradictions grandissantes des narrative du Système contribuent décisivement à placer les effets de ces tensions dans le sens de l’antiSystème. Aujourd’hui, l’on se trouve au cœur même du processus d’effondrement du Système, qui est son autodestruction par l’effet déstructurant des crises qu’il engendre, parce qu’il (le Système) est désormais le premier producteur de structures de communication (les narrative) qui sont aussi les plus fragiles, et donc le premier soumis à cet “effet déstructurant des crises”. La question qui se pose est de savoir si le Système se rend encore compte de l’impasse où il se trouve avec cette production échevelée de narrative, par rapport à sa tâche principale qui est de constamment conquérir “les cœurs et les esprits” des “citoyens” qu’il doit absolument contrôler, notamment les populations des pays du bloc BAO. La réponse à cette question se trouve, à notre sens, dans le constat que ce qui est en train d’être vraiment contrôlé (pris sous contrôle), ce sont “les cœurs et les esprits” des dirigeants-Système, par les narrative qu’ils produisent eux-mêmes ou laissent produire au nom du Système. (Si l’on veut, c’est une sorte d’extension de la doctrine de la totale liberté du marché, de type néo-hyperlibéral, à la production de narrative : effectivement, puisque les produits courants ne sont plus soumis à aucun contrôle ni à moindre régulation tatillonne et dépassée, au nom de quoi continuerait-on à contrôler la production et la circulation des narrative ? Le libre-échange des narrative est la formule de demain, qui devrait figurer dans le TTIP.)
Un enquêteur aussi peu incliné à la parabole (et bien entendu aussi libre des influences du Système) que Robert Parry peut écrire cette remarque qui apporte un élément d’une situation très concrète, – celle de Washington aujourd’hui, dans le chef du processus de décision US dans la crise syrienne, – en faveur de notre appréciation : “En effet, il y a aujourd’hui tant de narrative fausses ou douteuses qui désinforment le processus de ‘groupthinking’ de la capitale, que les décisions des USA sont plus le produit de la mythologie que des faits.” (« Indeed, there are now so many false or dubious narratives dis-informing the capital’s ‘group think’ that U.S. decisions are driven more by mythology than facts. ») C’est effectivement nous dire que les désinformateurs qui produisent leurs pensées et éventuellement des narrative dans le processus du groupthinking, à partir d’une source commune qu’est le Système, laissent eux-mêmes ce processus du groupthinking être désinformé par des narrative que plus personne ne contrôle. Le contrôle même et la manipulation de la “réalité” fabriquée sous la forme de narrative sont devenus les proies du domaine de l’incontrôlé et de la manipulation, sous la forme d’autres narrative. C’est peu de dire que l’arroseur est extrêmement arrosé.
Mis en ligne le 7 octobre 2015 à 17H09
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