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7269C’est une question de sémantique... « Les Russes se préparent à la guerre, les Américains préparent la guerre ». Ces fortes paroles, entourées d’autres qui ne le sont pas moins, ont été prononcées dans une enceinte des Nations-Unies. C’est un fait sans précédent, ces déclarations aussi tranchées, aussi dramatiques sinon tragiques, dans cette enceinte pleines de langues de coton de ceux qui n’osent s’opposer aux USA, et des imprécations démentes de la partie de l’américanisme (Haley & Cie) qui vit dans son simulacre plein de menaces, d’anathèmes et de narrative à la fois enfantines et pathologiques.
Quoi qu’il en soit de l’ONU, les Russes, qui savent l’importance des formes et le poids des mots, ont dit et fait dire cela à l’ONU pour bien faire comprendre qu’ils sont diablement, c’est-à-dire mortellement sérieux ; et notre jugement est qu’ils doivent être entendus comme tels et qu’en un certain sens non dénué de schizophrénie ils le sont... Les Européens, par exemple, comme le note Pépé Escobar à propos de confidences qui lui ont été faites par des diplomates de l’UE : « [L]a décision des États-Unis [de quitter le traité FNI] a été un “choc” et “la goutte d’eau qui fait déborder le vase pour l'UE, car elle met en péril notre existence même et nous soumet à la destruction nucléaire par des missiles à courte portée”, qui ne pourrait jamais atteindre les États-Unis. »
Pourtant, l’intervention russe, qui s’est faite au sein de la commission désarmement et sécurité internationale de l’assemblée des Nations-Unies, accompagnait une proposition de résolution visant à renforcer le traité FNI. La résolution a été repoussée à une écrasante majorité orchestrée par les USA, et dans laquelle majorité on trouve la France et l’Allemagne qui se sont grandement alarmées du projet US de tuer le traité FNI par leur départ. L’asservissement volontaire type hyper-La Boétie finit par faire faire, psychiatriquement parlant, de bien étranges choses.
En attendant le verdict des psychiatres, nous laissons à Spoutnik-français du 27 octobre 2018 le soin de nous rapporter les détails de la circonstance : « Intervenant lors d'une réunion de la Première commission désarmement et sécurité internationale de l’Assemblée générale des Nations unies, Andreï Beloussov, chef adjoint du département de la non-prolifération et du contrôle des armements au ministère russe des Affaires étrangères, a fait la lumière sur la différence d’attitude envers la guerre en Russie et aux États-Unis.
» “Les États-Unis ont récemment annoncé que la Russie se préparait à la guerre. Oui, la Russie se prépare à une guerre, je le confirme. Oui, nous nous préparons à défendre notre patrie, notre intégrité territoriale, nos principes, notre peuple. Nous nous préparons à une telle guerre. Mais il existe d'importantes différences entre nous et les États-Unis. Sur le plan linguistique, la différence ne réside que dans un mot, que ce soit en russe ou en anglais”, a déclaré Andreï Beloussov [...] lors d'une réunion de la Première commission de l'Assemblée générale.“La Fédération de Russie se prépare à la guerre et les États-Unis préparent la guerre”.
» “Sinon, pourquoi les États-Unis devraient-ils se retirer du traité (FNI), augmenter leur potentiel en armes nucléaires et adopter une nouvelle doctrine nucléaire permettant de réduire le niveau d'utilisation de ces armes ? C'est une question qui nous concerne tous”, a-t-il ajouté.
» Les paroles de Belousov ont été prononcées après qu'un projet de résolution russe visant à renforcer le traité FNI, qui interdit les armes nucléaires à portée intermédiaire, ait été rejeté à une écrasante majorité à la Première Commission des Nations Unies. “La plupart de ceux qui ont voté contre étaient des partisans du traité FNI. Je ne comprends pas leur position”, a déclaré Belousov. Le Royaume-Uni, l'Allemagne, la France et, bien entendu les Etats-Unis, ont voté contre. »
Il semble assuré que les USA quitteront le traité FNI : les Russes ont dit leur quasi-certitude à cet égard après les rencontres avec Bolton à Moscou. La pression monte et montera donc régulièrement autour de ce qui est devenu naturellement une crise majeure. Il faut considérer qu’il s’agit d’un événement crisique considérable, devenant aussitôt structurel, à cause de sa centralité politique et stratégique, et au grand nombre de domaines essentiels qu’il affecte. Outre les relations entre les USA et la Russie, c’est essentiellement la question de la sécurité européenne qui est en jeu, et par conséquent, la question des relations entre l’Europe et la Russie et aussi, et de loin le cas le plus incertain et le plus énigmatique, la question des relations entre les USA et l’Europe.
Pour cette dernière raison des relations de sécurité entre les USA et l’Europe, il faut suivre avec intérêt une affaire qui prend de l’importance à Washington, qui est l’affrontement entre le conseiller de sécurité nationale du président et directeur du NSC, John Bolton, et le secrétaire à la Défense Mattis. Depuis que Trump a lâché dans une interview à l’émission 60 minutes le 14 octobre 2018 que Mattis “est une sorte de démocrate” et qu’il est, disons selon une traduction adaptée, appelé “à partir un jour”, le dossier du possible départ de Mattis a été ouvert.
(Selon Foreign Policy : « “I have people now on standby that will be phenomenal,” Trump told CBS News correspondent Lesley Stahl. “There are some people that I’m not happy with.” When pressed, Trump would not say with certainty that Mattis would soon depart. But he didn’t deny it either. Then he twisted the knife: “I think he’s sort of a Democrat, if you want to know the truth. … He may leave.” »)
Le désaccord entre Bolton (soutenu par Pompeo) et Mattis porte essentiellement sur deux points :
• L’Iran : Bolton est partisan de l’affrontement direct avec ce pays par tous les moyens (harcèlement, regime change, attaque militaire s’il le faut), et jusqu’à l’emploi des forces US en Syrie contre les détachements iraniens qui s’y trouvent. Mattis est opposé à des mesures anti-iraniennes extrêmes, et notamment l’emploi des forces US en Syrie.
• Mattis a été la principale force de stabilisation entre Trump et les pays européens, et particulièrement pour ce qui est de la structure otanienne. Bolton n’a aucune estime pour les Européens et entend les traiter, au niveau de la sécurité, comme Trump les traite au niveau commercial. Bolton, notamment, ne tient aucun compte des Européens dans l’affaire du traité FNI. D’une façon générale, Bolton est, à la différence d'un Mattis beaucoup moins idéologisé, un nationaliste unilatéraliste qui se méfie des alliances (y compris l'OTAN) imposant certaines obligations aux USA, et l’on comprend aisément qu’il est très proche de Trump de ce point de vue qui conditionne toute une stratégie.
La revue Foreign Policy (FT) a publié plusieurs articles sur cette affaire, y compris un article explorant les possibles remplaçants de Mattis si Mattis partait. ZeroHedge.com explore un autre article de FT où est abordée la question de l’affrontement Bolton-Mattis. Cela n’est nullement évoqué dans ce sens, mais il apparaît qu’on peut envisager la possibilité que Bolton agisse avec l’assentiment de Trump, sinon sur sa recommandation.
Il semble assez clairement assuré que Mattis n’a aucune intention de partir, et qu’il ne céderait sans doute pas jusqu’à démissionner à une campagne de dénigrement et à un isolement qui grandit au sein du cabinet, sur les questions de sécurité nationale (notamment avec l’espacement des réunion de sécurité nationale gérées par Bolton, qui est la seule occasion où Mattis peut faire entendre sa voix et peser directement sur le président). Mattis est extrêmement populaire à Washington, notamment au Congrès, et il serait très difficile à Trump de le renvoyer, si c’était là son intention, et une démission que Mattis ne semble guère être enclin à envisager serait évidemment la meilleure issue dans ce cas. On comprend aisément que le conflit est d’une grande complexité.
« Mais des sources proches de Mattis auraient dit à FT que Mattis ne démissionnerait probablement pas. Il faudrait le chasser pour cela... [...] “Il ne s’en ira pas”, dit l’une de ces sources. “Ils le forceront peut-être à partir mais il n’abandonnera pas”.
» Les proches de Mattis insistent pour que le secrétaire à la Défense ne démissionne pas. Si Trump veut qu’il s’en aille – et c’est toujours un grand “si”, disent-ils, le président devra le renvoyer. “Je le connais depuis longtemps et il ne partira pas”, a déclaré Michèle Flournoy, ancienne sous-secrétaire à la défense chargée des questions politiques, qui fut le premier choix de Mattis pour le poste de secrétaire adjointe à la défense (elle rejeta finalement cette offre). “Ils le forceront peut-être à partir, mais il n’arrêtera pas”, a déclaré Flournoy. “Il juge que c’est son devoir de rester à son poste.”
» Un ancien chef militaire a fait écho à ce sentiment. “Ce n’est pas le genre de gars à se mettre à genoux.” »
Bien entendu, rien ne sera fait avant les élections du 6 novembre. Trump ne veut pas laisser apparaître d’une façon trop voyante un quelconque désaccord avec un homme (Mattis) venu de la seule branche populaire des pouvoirs en place (l’armée), et qui a lui-même une très grande popularité à Washington. Après le 6 novembre, si les républicains l’emportent et si Trump est conforté, ce sera une autre affaire et le gouvernement deviendra nécessairement instable au niveau de sa politique extérieure et de sécurité nationale. D’un autre côté, si les démocrates l’emportent le 6 novembre, l’instabilité existera d’une autre façon et à un autre niveau que les affaires de sécurité nationale, mais cela n’empêchera nullement les affaires de sécurité nationale d’en ressentir les effets ni les concurrences de s’exercer, et notamment celle qui nous intéresse, entre Bolton et Mattis...
Parce que, de toutes les façons et quoi qu’il en soit de la logique habituelle de la politique washingtonienne, le post-6 novembre est, dans cette période de crise intensive, une étape de plus dans la descente aux enfers du désordre. L’on voit bien, dans toutes ces occurrences et circonstances, que personne ne domine vraiment la scène de Washington D.C. et que personne n’est vraiment la marionnette de personne à “D.C.-la-folle”.
C’est dans ce contexte, péremptoirement, qu’il faut placer toute analyse qu’on veut faire sur la question de la sécurité nationale dans le cadre de la crise du traité FNI, y compris sur la situation politique créée en Europe et entre les États-Unis et leurs alliés européens. La situation politique à Washington D.C., y compris dans sa séquence-“D.C.-la-folle” bien entendu, est plus que jamais un facteur essentiel de l’évolution de la situation générale, et l’on voit clairement combien sont grandes son instabilité et son imprévisibilité.
Il est impossible de tenir pour acquise telle ou telle orientation, selon telle ou telle chronologie ; qu’il nous suffise tout de même d’observer qu’il nous paraît extrêmement difficile, malgré tous les efforts de vassalisation servile qui sont accomplis, que les liens de sécurité entre les USA et l’Europe soient complètement à l’abri de très graves avatars. La crise du traité FNI est bien entendu un brûlot pour porter les relations entre les USA et la Russie proche de l’incandescence, mais il n’y en a pas tellement moins à envisager pour ce qui concerne les relations entre les USA et ses alliés européens de l’OTAN.
Mis en ligne le 28 octobre 2018 à 17H04
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