Les silences de StratCom

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Les silences de StratCom

20 novembre 2017 – Je ne cesserai pas, dans tous les cas pour quelques heures ou quelques jours avant qu’une autre stupéfaction ne me submerge, d’éprouver et de tenter de faire partager ma stupéfaction justement devant ce concert de silences du commentateur qui accompagne les frasques des généraux des forces américanistes, particulièrement le commandement essentiel de StratCom. (Voir les deux textes du site sur ce sujet, le 17 novembre et le 19 novembre 2017.) On signale la chose ici et là dans les divers réseaux de communication, mais sans trop s’attarder aux circonstances, aux conditions générales, à la signification de ces événements et à leurs effets possibles.

Depuis que les USA sont engagés dans la folie de 9/11, dont tout ce que nous connaissons de ce laps de temps procède peu ou prou, y compris l’arrivée de Trump au pouvoir, il y a eu bien peu de remous publics, de contestation chez les militaires US pourtant si largement mis à contribution. Pourtant, je crois fermement qure cette mise à contribution de les ravit guère, surtpout à suivre les folies des civils type-neocons... Je fais un rapide décompte, sorte de “pour rappel” et je ne trouve guère que trois occurrences de remoius d’une certaine importance et d’une réelle signification générale :

• Le désaccord du chef d’état-major de l’US Army avec le secrétaire à la défense Rumsfeld sur les effectifs, que le premier jugeait trop faible, des forces engagées contre l’Irak en 2003. Ce général fut prié de se taire et il quitta sa fonction et l’US Army plus vite que prévu. (On le retrouva ministre des vétérans sous l’administration Obama, quelques années plus tard.) Cet incident marquait indirectement le malaise des militaires devant les ambitions déconstructrices et nihilistes des dirigeants civils, illustré également de façon indirecte et faussement contradictoire pour nombre d'interprétation par l’anecdote du général Clark que je rappelai encore récemment.

• Une “fronde des généraux”, jamais confirmée officiellement, que Seymour Hersh détailla dans un article du New Yorker, du temps où il y travaillait encore. C’était au printemps 2006 (voir le 9 avril 2006 et le 3 juillet 2006) et Hersh nous avait informé que “les généraux” (et les amiraux, et comment) s’étaient élevés contre la proposition de Cheney d’attaquer l’Iran avec du nucléaire. Le projet fut prestement enterré, sans autre forme de procès, sans éclat public sinon l’article de Hersh certes.

• Les prises de position publiques de l’amiral Fallon, devenu commandant-en-chef de Central Command, encore à propos de l’Iran. Ce n’était pas directement une insubordination mais l’esprit était là, et Fallon ne faisait qu’exprimer le sentiment notamment et essentiellement de l’US Navy, hostile à toute attaque de l’Iran, en sollicitant dans l’administration GW Bush le soutien officieux de la faction la moins belliciste, voire du président lui-même contre ses extrémistes. Fallon se signala par diverses interventions publiques ainsi que par une discrète menace de démission s’il n’était pas entendu ; cette menace, qui pesa de tout son poids pour contrecarrer les projets de Cheney & Cie, était toute entière contenue dans sa déclaration qu’« il n’y aura[it] pas d’attaque contre l’Iran tant que j’exercerai ce commandement ». (C’est-à-dire qu’il démissionnerait plutôt qu’accepter un ordre d’attaque.)

Nous, sur notre site, nous avions fixé la dimension de cet affrontement à peine feutré, comme nous le ressentions, c’est-à-dire comme vraiment très important parce que nous avons toujours considéré et continuons à considérer la hiérarchie militaire comme “le maillon faible” du déchaînement belliciste des USA et du Système : « L’administration s’est montrée aveugle et mal avisée (en nommant Fallon et en croyant qu’il suivrait sa politique) et d’une faiblesse extraordinaire en cédant (la menace implicite de démission de Fallon a fait reculer Bush : cette démission aurait provoqué une tempête politique, à Washington, et diplomatique, dans le monde, tant elle aurait mis en évidence l’intention d’attaquer l’Iran de l’administration, – peut-être encore plus fortement que n’était la réalité de cette intention). In illo tempore, un tel conflit se résolvait par le retrait de l’officier de son commandement (MacArthur et Truman en 1952, lors de la guerre de Corée). »

Certains se souviennent de Fallon comme du héros d’une des séquences semi-secrètes les plus remarquables d’une manifestation d’une position politique des militaires par rapport à un pouvoir politique devenu fou (déjà “D.C.-la-folle”, disons dans ses prémisses). Le Saker-US lui-même nous le rappelle à notre souvenir dans un texte quasiment “du jour”, du 19 novembre 2017 sur UNZ.com, dans des termes ô combien élogieux puisque Mattieu lui-même est convoqué :

« …the best hope the world has is that a US American patriot will see through this rather obvious plot to “wag the dog” and tell the ZioWahabis “not on my watch, like Asmiral Fallon did in 2007 (will that honorable man ever get the historical recognition he deserves, say a Nobel Peace Prize? Possibly never in this world, but in the judgment of God he shall be called a “son of God” (Matt 5:9)). »

Depuis Fallon, il n’y a plus eu grand’chose en fait de contestation de militaires US, ou même d’incident avec des chefs militaires, sinon des broutilles et principalement les avatars médiocres de Petraeus (mais lui-même devenu directeur de la CIA) et l’aventure malheureuse de McChristal en Afghanistan. (*) Dans les deux cas, les généraux se trouvèrent en position de faiblesse et durent démissionner, sans gloire, d’un côté un intrigant qui se prend à son propre jeu, de l’autre un naïf assez honnête et qui parle trop… Je trouve que ce passé-là, et notamment l’épisode Fallon qui resurgit de dix ans d’oubli pour raviver le souvenir, c’est bien assez pour juger par comparaison et par référence le caractère extraordinaire de ce qui se passe aujourd’hui, qui est bien supérieur en importance politique que l’affaire Fallon, et se déroulant dans le champ de la communication, à ciel ouvert.

Effectivement, à l’échelle de l’affaire Fallon, il y a déjà dix ans, cette affaire du mouvement actuel d’insubordination de comportement, ce fait extraordinaire d’annoncer publiquement qu’on discutera ou qu’on refusera les ordres présidentiels, est également extraordinaire par le peu d’écho et surtout de commentaires qu’elle éveille. Je ne parle certainement pas ni de l’orientation de l’événement, ni du jugement politique qu’on peut lui porter mais de l’importance brute de l’événement. Peu importe qui est pour qui et qui favorise qui, je ne veux parler que de ce que cette affaire nous dit de l’état du pouvoir, – à “D.C.-la-folle”, what else ? – de l’effondrement des principes, de la grotesquerie que sont devenues hiérarchie et légitimité dans l’esprit de ceux qui doivent être les principaux serviteurs du Système. Il serait agréable à l’esprit idéologisé d’en faire, pour s’en réjouir ou s’en émouvoir, la production de l’affrontement politique en cours, – mais non, mais non ! – je crois qu’il faut voir plus loin et au-dessus de cela…

Pourquoi n’en dit-on rien d’intéressant et d’ambitieux à propos de la cause profonde et des effets probables, notamment chez les dissidents, particulièrement dans notre presse antiSystème ? Ne comprend-on pas qu’il s’agit d’un “marquoir” d’une extraordinaire puissance de l’intensité de la crise, de sa diffusion, de sa tension ?

Cette indifférence elle-même, ou cette mollesse du commentaire, représentent un danger pour l’esprit, pour ceux qui la subissent, – sans rien dégrader de l’événement, qui est ce qu’il est et qui poursuit sa route. On ne doit pas perdre la capacité d’être étonné, stupéfait comme je ne cesse de l’être à l’évocation du cas du StratCom ; sinon, on se prive de la perception d’une évolution capitale, de la part d’un des fondements du Système, par la nécessité des choses.

Ainsi ma stupéfaction, pour en finir avec le cas, va-t-elle à cette absence de stupéfaction. Il faut craindre par-dessus tout de ne plus être stupéfait par le caractère extraordinaire des événements, car ainsi on en perd le fil, on n’en distingue plus l’esprit, on ne perçoit plus l’intensité de la crise, bref on est subjugué et emporté par le Système.

 

Note

(*) Hollywood, en bonne forme, en a fait un film plein d’un humour grinçant et pathétique, témoignage d’une impuissance tragique des “armées de l’Empire”… (War Machine, avec Brad Pitt dans la rôle de McChrystal.)