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279624 juin 2018 – Nous le rappelions le 4 février 2003, souvenir d’un briefing off the record pour les journalistes à l’OTAN (PhG, dans ces temps incertains, y était alors accrédité), en 1984, où un fonctionnaire de l’administration Reagan venait avertir les Européens que, dans certaines conditions, les USA devraient être conduits à rapatrier des troupes US déployés en Europe pour faire face militairement à une situation d’urgence sur la frontière mexicaine.
• Ce rappel de février 2003 prenait place dans une nouvelle circonstance de grande tension entre les USA et le Mexique à la suite d’un échec pour un accord sur l’émigration mexicaine entre les présidents Bush et Fox (cet accord avait été esquissé début septembre 2001, quelques jours avant le 11, lors d’une visite de Fox à Washington, puis complètement oublié après 9/11 [Voir le 16 août 2002]) :
« Les conditions d’aggravation de la question de l’immigration illégale peuvent ramener au climat de 1982-85, où un bouclage de la frontière septentrionale par l’U.S. Army fut envisagé pour protéger les USA d’un flot migratoire brutal en cas de situation révolutionnaire au Mexique (les conditions semblaient s’y prêter alors). Dans ce cadre, un retrait de forces armées US d’Europe avait été envisagé. Cette fois, la situation est différente et plus grave en un sens : ce n’est plus un flot migratoire potentiel, c’est un flot migratoire d’ores et déjà existant ; et la crainte pourrait porter directement sur la situation aux USA même (alors qu’en 1982-85, c’est d’abord la situation mexicaine qui était préoccupante). »
• En 2006, il y eut une nouvelle alerte avec la confusion extraordinaire qui accompagna les élections présidentielles au Mexique, où le candidat de gauche Obrador faillit l’emporter, l’emporta même pendant quelques jours, avant d’être finalement écarté. On peut lire divers textes sur cet épisode dont, par exemple, ceux du 30 août 2006 et du 17 septembre 2006. Durant cette période, à nouveau, la tension fut très vive entre les USA et le Mexique à cause de la possibilité de l’élection d’un candidat très à gauche, tandis que le problème de l’émigration restait toujours dans l’impasse, sans règlement ni accord.
• En 2009, il n’y eut pas à proprement de tension particulière, à moins que l’on considère cette frontière du Sud des États-Unis en état de tension permanente (ce qui est sans doute vrai). Il y eut surtout un rapport rendu public (voir le 10 janvier 2009), qui constitua un signal adressé au public par le Pentagone sur le danger potentiel constant, en termes militaires, de la frontière Sud. Dans ces temps où l’on ne parlait que de terrorisme, que du Moyen-Orient, où l’on relevait de l’énorme crise financière de l’automne 2008, etc., il s’agissait de réaliser que, pour le Pentagone, la dangerosité de l’instabilité du Mexique, pour le pays lui-même et pour ses voisins, était la plus haute du monde avec celle du Pakistan, – en ayant à l’esprit, si on l’a assez vif, que la frontière des USA avec le Pakistan est moins préoccupante que celle des USA avec le Mexique. Nous écrivions le 4 avril 2018 :
« Dans la période récente, le Mexique a été plutôt perçu comme un facteur de troubles du fait de l’extraordinaire développement des pouvoirs criminels parallèles (cartels de la drogue) et de l’instabilité intérieure, ces deux caractères pouvant être transférés vers la ceinture méridionale des USA. En 2008-2009, les planificateurs du Pentagone considéraient le Mexique comme le pays le plus dangereusement instable au monde avec le Pakistan, et d’une particulière préoccupation en raison de sa proximité des USA. Nous écrivions le 10 janvier 2009 : “Les planificateurs du Pentagone placent désormais dans une appréciation similaire le Mexique et le Pakistan, parmi les grands pays qui pourraient connaître un effondrement de l’État avec les troubles qui s’ensuivraient. C’est une évaluation particulièrement significative dans la gravité qu’envisage le Pentagone, et particulièrement significative en raison bien entendu de la position qu’occupe le Mexique par rapport aux USA.” »
• Le 1erjuillet prochain, Obrador (coucou, le revoilà), mieux connu sous ses initiales révolutionnaires de AMLO (Andres Manuel Lopez Obrador, que certains aux USA écrivent sans le “r” [“Obrado”]) est semble-t-il absolument assuré de l’emporter, comme nouveau Président. Sa tendance politique est superbement catastrophiste puisqu’il est pour nombre de commentateurs US, au moins (!) socialiste et plus clairement communiste ; ses jugements sur Trump, sa politique de contrôle de l’immigration, et sur le reste tel qu’on l’imagine, sont extrêmement péjoratifs sinon agressifs et il encourage clairement l’immigration vers les USA.
Aujourd’hui, la dangerosité de la situation au Mexique est toujours n°1 au hit-parade des planificateurs US, toujours ex-aequo mais cette fois le concurrent a changé : la Syrie et non plus le Pakistan. Simplement les divers groupes djihadiste, milices, etc., sont remplacés par les divers gangs et cartels de la drogue, mais aussi par des milices de citoyens, avec certaines provinces ou villes tenues par des cartels tandis que d’autres ont proclamé leur autonomie de facto et sont sous le protection des milices locales. Les “forces de l’ordre”, police et armée, sont redoutées pour leur brutalité et leur corruption, et cantonnées à des territoires sûrs sous leur contrôle.
Les articles divers annonçant des tensions, des répliques à Trump, et des situations graves, jusqu’aux plus catastrophistes dont le site WhatDoesItMeans fait son régal (invasion du Mexique, avec explication inédite de la présence de nombreux porte-avions de la Navy repliés sur leurs ports d’attache continentaux -USA). La grande question qui se pose aux stratèges US est de savoir dans quelle mesure Obrador n’aurait pas fait alliance avec les cartels ou avec certains d’entre eux.
(Constance caractéristique de l’époque : la proximité entre le crime organisé et le terrorisme qui sont de constitution transnationale, avec diverses forces politiques nationales, y compris certaines assumant le pouvoir, sans véritable importance de la tendance de ces forces politiques. Cette nouvelle forme d’action caractéristique de la chute et de la décadence accompagnant l’effondrement civilisationnel va un peu dans tous les sens politiques et idéologiques, selon l’opportunité. Elle est caractérisée en général par la perte de légitimité et de souveraineté de la fonction étatique des forces politiques, avec la complète corruption, y compris psychologique, qui va avec. Cette collaboration, c’est en fait l’une des meilleures définitions d’un “État failli” dans le sens des principes souverains plus que dans le sens comptable...)
Comme on le constate, ce n’est pas la première fois qu’on parle de tensions entre les USA et le Mexique, et de “menace du Sud” pour les USA. Il y a d’ailleurs une logique historique, le Mexique ayant été le premier pays agressé par la jeune République dans les années 1846-1848 au nom d’un “principe” forgé pour l’occasion mais rendant compte de la conception exceptionnaliste et providentialiste que les USA se sont attribuée dès l’origine : “la Destinée manifeste” (Manifest Destiny). La naissance des USA est en bonne partie fondée sur cette conception de “naissance d’un monde nouveau” qui lui donne une destinée exceptionnelle et de facto un “droit d’annexion” pour le “bien de l’Humanité”. (Thomas Paine écrit en 1776 : « Nous avons en notre pouvoir de recommencer le monde... [...] Le cas de l’Amérique et les circonstances qui s’y rattachent se présentent comme au commencement d’un monde nouveau. [....] Nous sommes mis d’emblée dans la situation de voir le gouvernement commencer, comme si nous [vivions] au commencement du temps. ») La guerre contre le Mexique de 1846-1848, qu’il serait incongru et déplacé dans les salons et les talk-shows de qualifier d’“impérialiste” et “d’agression”, se termine par la “vente” forcée de la moitié du territoire mexicain aux USA (la Californie, l'Utah, le Nevada, le Colorado, le Wyoming, le Nouveau-Mexique, et l'Arizona contre 15 millions de dollars de l'époque, ce qui équivaut à environ 600 millions de dollars de l'an 2000). Cette humiliation scandaleuse a marqué depuis, d’une façon très profonde, les rapports du Mexique avec les USA et fondé le mouvement dit de La Reconquista (“La Reconquête”, bien entendu) qui essaime au travers de l’immigration mexicaine vers les USA, aussi bien que les périodes régulières de tension entre les deux pays.
Mais aujourd’hui, le contexte est très particulier et sans précédent. Les États-Unis traditionnellement sur l'offensive sont sur la défensive, avec le rapport démographique en changement accéléré en défaveur des WASP de l’origine et en faveur des Latinos qui habitent aux USA ou qui y affluent. L’immigration est devenu un facteur universel non pas de ce “conflit de civilisations” qui est une explication superficielle et de convenance, mais bien de la Grande Crise d’Effondrement du Système (GCES). Comme l’on sait, la lutte contre l’immigration est l’un des piliers fondamentaux de la politique de Trump et le principal argument de ralliement de son électorat, en même temps qu’un formidable facteur dans la division radicale qui déchire les USA.
C’est dire si l’arrivée très probable d’Obrador, avec ses ambitions si particulières (en 2006, Obrador avait le soutien enthousiaste de Chavez et des régimes antiaméricanistes d’Amérique du Sud), constitue une extraordinaire source de tensions nouvelles dans une situation crisique déjà très puissante, avec des populations civiles surarmées et des groupements paramilitaires d’ores et déjà constituées, en plus des forces régulières. Ses rapports possibles d'entente avec les cartels, auxquels il donnerait un sens politique nécessairement antiaméricaniste, représentent un facteur potentiel important de la “menace”, ou de la perception de la “menace” vue du point de vue US/Trump.
C’est non seulement la possibilité de conflit entre le Mexique et les USA qui est en jeu, mais également la question de la situation civile intérieure aux USA, où l’on se trouve déjà dans un état de quasi-“guerre civile de la communication”. On connaît bien aujourd’hui le cas de l’État de la Californie, – où la première communauté est désormais celle des Latinos, ayant dépassé les WASP et autres Blancs, ou Caucasiens-Américains comme l’on dit, – qui se trouve dans une situation de quasi-sécession, et avec des mouvements internes demandant la partition.
(Il faut noter que la guerre de 1846-1848 provoqua aux USA des tensions et des polémiques très vives dont la forme se retrouve aujourd’hui, et certains, comme le général commandant en chef nordiste puis président Grant, y voient la cause opérationnelle et politique indirecte de la Guerre de Sécession : selon Grant, « La rébellion du Sud fut l'avatar de la guerre avec le Mexique. Nations et individus sont punis de leurs transgressions. Nous reçûmes notre châtiment sous la forme de la plus sanguinaire et coûteuse guerre des temps modernes ».)
La crise des rapports entre le Mexique et les USA et les tensions/les conflits qui peuvent désormais se concrétiser avec l’arrivée d’Obrador constituent un cas peu ordinaire de confusion des positions par rapport aux choix à faire pour figurer dans le conflit entre le Système et les antiSystème. Il y a d’abord ce simple fait objectif, déjà latent avec la politique migratoire de Trump : cette politique est totalement contraire aux “valeurs” que défend l’Europe-UE, et notamment Merkel, qui sont absolument les relais opérationnels du Système. Par ailleurs, “en même temps” et au contraire, L’Europe-UE et Merkel sont par principe des alliés-serviteurs inconditionnels et serviles des USA et surtout du gouvernement central (Washington D.C./“D.C.-la-folle” au choix). L’engagement d’un véritable conflit de D.C. avec le Mexique, avec comme motif premier les questions migratoires mais aussi comme menace indirecte de l’intégrité interne des USA, met l’Europe-UE et les dirigeants européens type-Merkel dans une situation contradictoire particulièrement délicate.
La même chose en sens inverse pour les antiSystème, populistes, eurosceptique, etc., qui s’expriment avec force en Europe à l’occasion de la crise migratoire. Doivent-ils soutenir Trump qui s’oppose au courant migratoire, mais c’est-à-dire les USA, créateurs et “parrains” de l’Europe-UE et des divers Merkel, et donc de la politique centraliste de contrainte, l’accord entre la bureaucratie de l’Europe-UE et le capitalisme transnational anti-souverainisme soutenant l’afflux migratoire, qu’ils combattent ? Ou bien doivent-ils soutenir Obrador s’il est élu comme, en d’autres temps, nombre d’antiSystème soutinrent Chavez contre l’expansionnisme militariste et capitalistique US ?
Le même dilemme (ou les mêmes dilemmes) existe(nt) aux USA et en Europe où entrent en jeu contradictoire des convictions, des opinions de principe et des jugements de circonstance, et ainsi de suite...
... Aux USA, quelle position prendrait un antiSystème libertarien ou paléoconservateur comme un Raimondo (ou un Buchanan), plutôt favorable (selon les circonstances) à Trump et partisan d’un strict contrôle de l’émigration, en plus d’être adversaire de tout ce qui ressemble de près ou de loin au socialisme ou au communisme que prône Obrador ; mais par ailleurs, ennemi plus ou moins acharné du Corporate Power et de l’interventionnisme mercantiliste de Washington D.C., – en Amérique latine comme dans d’autres parties du monde, – et auquel Trump a donné des gages et duquel il reste proche dans certains domaines... Les mêmes remarques, simplement renversées dans l’ordre des priorités, jouent à fond pour les antiSystème de gauche. Si l’on ajoute que l’on peut avancer la possibilité qu’Obrador ait établi une alliance ou un modus vivendi avec des cartels de drogue, les dilemmes ne font que s’élargir.
... En Europe, que diraient les populistes antiSystème et partisans de la souveraineté nationale, et donc adversaires de tout mouvement migratoire pour ces raisons, si des incidents graves sur la frontière Sud des USA, voire une situation conflictuelle, conduisaient les USA à retirer leurs troupes d’Europe comme il en avait été question en 1982-1985, laissant l’OTAN à elle-même, en plein désarroi, desserrant du même coup l’étau des USA sur l’Europe et ouvrant la voie à un regain des souverainetés nationales ? Inutile d’ajouter que la situation n’est pas plus facile, pas moins truffée de dilemme, pour les partisans du Système : applaudissant à un mouvement US contre Obrador, incontestable antiSystème à l’image d’un Chavez à leurs yeux, les voilà, dans les mêmes circonstances vues à l’instant, devant la perspective d’un effondrement de la présence militaire US en Europe et de l’OTAN par conséquent. Que leur resterait-il, à ces pro-Système, pour les protéger contre la “menace russe”, simulacre si bien dessiné qu’il leur est devenu impossible de n’y plus croire ?
Le constat est celui du dilemme partout, dans un désordre considérable et tournoyant, qui n’épargne pas plus les antiSystème que les pro-Système, dans l’imbroglio des positions culturelles, politiques et idéologiques vraies, mais aussi des simulacres forcenés que nous nous sommes créés et dont il faut tenir compte même si on les sait et les dénonce comme simulacres. Pour nous antiSystème, c’est-à-dire selon notre conception de l’“être-antiSystème”, constatant l’essentialité de ces évènements et leur extrême complexité avec la capacité d’ouvrir une nouvelle dimension crisique qui accélérera encore et rendra plus irréversible et irrésistible le tourbillon crisique, il est impératif de se tenir dans l’Inconnaissance et dans l’Incertitude comprises comme des vertus de réservistes prêts au combat dès qu’il sera démontré que tel combat n’est ni trompeur ni faussaire.
Il s’agit de n’en rien juger de péremptoire tant que cela n’est que préjuger, tout en nous tenant prêt à appréhender n’importe quel événement qui s’impose parmi les autres, pour éventuellement porter sur lui, puisqu’il le mériterait, le jugement qui convient à notre but ultime de l’antiSystème. Ce jugement est immuable, s’appuyant sur les principes allant dans le sens qui leur est naturel de la vertu structurante, pour le seul but acceptable et concevable du Delenda Est Systemum.
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