Les USA face à leur déroute : l’option d’une Grande Guerre

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Les USA face à leur déroute : l’option d’une Grande Guerre

Le quotidien italien Il Giornale a effectué une analyse hypothétique sur ce que pourrait, ou ce qui devrait être la réaction des USA devant la déroute de leur influence au Moyen-Orient, depuis l’intervention russe en Syrie. Cette déroute suit une série de revers par rapport à des projets nés de la simple logique expansionniste du Système. L’Ukraine est l’exemple le plus évident de cette dynamique de déroute déjà à bonne vitesse de croisière et apparue au grand jour en Syrie. L’opération d’investissement US qui s’est développée d’elle-même depuis le “coup de Kiev” (février 2014) s’est trouvée bloquée par une “guerre” contre la partie pro-russe du pays qui a été gelée au désavantage de Kiev, incapable de prendre un avantage décisif et subissant même des revers cuisants ; l’intervention germano-franco-russe dans le processus de Minsk a entériné formellement ce blocage. Ce développement a été aggravé par le désordre intérieur et l’incompétence du nouveau régime qui est incapable de forger un outil capable de constituer une base de pression contre la Russie et se trouve de plus en plus délaissée par la coalition pro-ukrainienne de départ (UE + pays de l’Est membres de l’UE) qui tend à se dissoudre rapidement. Le résultat est une déroute de la politique US, qui a ensuite atteint une intensité dramatique avec l’intervention russe en Syrie.

Il Giornale estime, non sans justesse du point de vue de la psychologie des USA, que cette puissance ne pourra pas, ne voudra pas se satisfaire de cette situation. A cette lumière, on considérerait le passage actuel à une diplomatie de tentative d’arrangement en Syrie comme une entreprise vaine, qui sera à un moment ou l’autre bloquée par des exigences US. L’idée est que cette perspective est moins le fait des habituels groupes extrémistes s’imposant contre les autres, que l’influence de ces groupes extrémistes exprimant finalement un sentiment général de frustration qui touche l’ensemble de l’establishment US toujours sous l’influence déstructurante du Système. Le président Obama, qui serait rationnellement incliné à des arrangements, serait également, – la contradiction n’étant nullement illogique, – préoccupé par sa stature politique, par le legs qu’il veut laisser dans l’histoire ( la petite histoire, pas la métahistoire), ne supportant pas finalement de rester dans les mémoires comme le président de l’effondrement de l’influence mondiale des USA, pour ne pas parler de concepts aussi vains dans l’ère de la toute-puissance du système de la communication que l’“hégémonie”.

Il Giornale envisage donc qu’il y aura une riposte US sous la forme d’une escalade vers un conflit beaucoup plus large que les actuels affrontements “hybrides” et extrêmement complexes du point de vue de l’identification des adversaires. Encore une fois, l’hypothèse est à considérer, et un rapport de son contenu est intéressant. Le site Sputnik.News donne ce jour un résumé en anglais de l’article du Giornale, qui permet de saisir l’essentiel du propos, – notamment les quatre scénarios envisagés par le journal italien.

« American foreign policy has been quite idle recently, the Italian newspaper wrote, but it would be a mistake to take the country's lack of intervention in the Middle East for pacificism. However, now that the US is “psychologically suppressed” by Russia's actions in Syria, the Nobel Peace Prize laureate Obama is showing signs of shifting toward the risk of a big war. The US stands on the threshold of four potential battle grounds, the article says, and each of these possible wars could be disastrous.

» “The first war arena is obviously Syria and Iraq,” the wrtier notes. “Obama followed the footsteps of George Bush when he decided to bring troops to Syria.” The second war scenario — with China — came to light when the US torpedo boat destroyer USS Lassen was sent "on purpose" within 12 nautical miles of artificial islands built by China in the South China Sea. Chinese flag-officers made it clear that if this happens again, gunfire is inevitable. “The political paradox is that US president decided to fly in the face of Beijing by claiming its free navigation rights, which in Anglo-Saxon tradition could be interpreted as a motive for declaration of war,” Il Giornale wrote.

» The third war scenario is also a marine one — this time in the Atlantic Ocean. Recently, US intelligence agencies were highly alarmed when they spotted the Russian oceanographic vessel The Yantar (Amber) close to the Naval Base at Kings Bay. American authorities believed that the ship had equipment capable of severing communications systems, which could prove catastrophic for Europe and the US. “That situation was especially nerve wracking for Norway, which is obsessed with the Russian Threat,” the author argued.

» “And then comes the most dangerous scenario: in Eastern and Northern Europe. Obama has already regretted withdrawing almost all US troops since the end of the Cold War (there used to be about 300,000 troops in Europe, and now less than 30,000 are left). Now he is trying to create an illusive army to scare Russia,” Il Giornale wrote. But bringing troops and military equipment would be too expensive for the US at the moment. Currently, anti-Europe sentiment is growing among US citizens and Congress, the newspaper stressed. People don't understand why Europe can't protect itself without using American resources and the money of its taxpayers.

» According to Il Giornale, while the US feels suppressed by Russia's actions in Syria, Obama’s “pacifist doctrine” is no longer working, and the American President is shifting towards the risk of a big war. »

En citant cet article, la première chose qu’il nous faut noter, en forme de rappel, est le doute extrême que nous entretenons vis-à-vis de la pratique de la prévision dans une époque où même les évènements que nous vivons sont incompréhensibles. Ceux qui viennent et qui sont nécessairement enfantés par ceux que nous vivons sont non seulement incompréhensibles mais imprévisibles, puisqu’on ne peut prévoir ce qui naît de ce qu’on ne comprend pas. Les prévisionnistes tournent cela en ignorant l’incompréhensibilité des évènements présents, – ce n’est pas leur travail de “comprendre les évènements en cours”, – et en rétablissant la déesse-Raison pour ce qui ne peut être contesté sur l’instant. Cette réserve dite, il ne semble pas du tout impossible, par contre, que le sentiment de l’amertume, de l’hybris blessé, de l’insupportable sensation que l’exceptionnalisme évident des USA est battu en brèche par ce qui se passe présentement, nourrisse un sentiment de fureur impuissante qui débouche sur des projets du type de ceux que détaille Il Giornale ; en quelque sorte, on ne peut attendre que le géant exceptionnaliste se contente de bouder devant le sort contraire et ne se mette pas à fiévreusement imaginer “des plans” pour satisfaire la fureur impuissante que dissimule à peine cette bouderie. Et l’impuissance de cette fureur, manifeste au niveau des conflits dits-“hybrides” que les USA ont eux-mêmes provoqués et qu’ils jugent désormais comme des trahisons du destin et des déloyautés-impolies de leurs adversaires, a effectivement toutes les chances (?) de conduire à envisager des conflits “plus francs”, – vous voyez ce que cela signifie, la “franchise” ultime pouvant être après tout l’attaque nucléaire qui règle tous les problème de tout le monde, ad vitam æternam si l’on peut dire...

Certes, nous n’en sommes pas là, et même les quatre scénarios d’Il Giornale sont encore loin de l’apocalypse nucléaire. Néanmoins, ils ont l’avantage de fixer d’une façon opérationnelle ce qui doit être l’état d’esprit et la psychologie actuels de nombre de membres de l’establishment washingtonien. Quant à Obama, s’il est réputé pour être partisan des arrangements, il l’est aussi pour son caractère assez arrogant, pour la suffisance de sa dialectique de l’exceptionnalisme, et par conséquent on peut aisément imaginer qu’une partie de lui-même n’est pas indifférente à cette idée d’une “riposte” à l’occasion d’un conflit de haute intensité où les USA sont assurés qu’ils regagneraient tout leur lustre perdu. (Ce dernier point est une hypothèse vraiment, vraiment, extrêmement aventureuse et douteuse, – mais comment voudriez-vous que les USA puissent douter une seconde que leur exceptionnalisme ne se manifestât enfin ?)

Par conséquent, il nous semble assuré, – mais nous ne faisons que répéter notre conviction, – que les USA vont effectivement chercher des points de provocation où affirmer hautement que leur puissance en cours de dissolution accélérée est encore pleine de vigueur et sans pareille. Dans ce cas, les scénarios d’Il Giornale indiquent sans nul doute des domaines et des zones géographiques où il est assez probable que les USA chercheront, s’ils ne sont déjà en train de le faire, à provoquer des incidents, à faire monter la tension, etc., – ce qu’on nomme dans leur langue “looking for trouble”. La situation dans les zones navales autour de la Chine constituent un de ces points favoris, tant l’US Navy et le secrétaire à la défense Carter avec l’étonnante constance de sa médiocrité ne cessent d’affirmer la nécessité d’une action vigoureuse pour remettre cette Chine-là dans le droit chemin des consignes de l’exceptionnalité navale US. Mais on commence déjà à distinguer les avatars que cette sorte d’aventure implique, notamment avec la Syrie, autre point d’orgue des scénarios, où l’intention d’Obama de déployer des forces terrestres commence à susciter les signes d’une débat intérieur houleux qui risque d’épuiser un peu plus un pouvoir marqué par l’impuissance et l’hystérie, en pleine campagne électorale avec un Donald Trump prêt à faire donner la grosse artillerie pour une cause où l’interventionnisme n’est nullement assuré d’avoir le dessus. (Il faut rappeler que c’est, en août-septembre 2013, un projet d’attaque en Syrie, et encore ne comprenant que la composante aérienne, qui mit  Obama devant le très grand danger d’une crise constitutionnelle, guêpier dont il ne se sortit que grâce à l’aide providentielle de Poutine. Cette fois, il n’est pas assuré qu’il l’aurait [l’aide providentielle du susdit].)

Quoi qu’il en soit, nous voici revenus à notre thèse générale, que nous répétons à chaque crise, qui est d’affirmer que les USA particulièrement, et d’une façon générale tout ce qui est directement affecté par le Système, n’accepteront jamais une politique d’arrangement, de pacification des relations internationales. Nous développions cette idée classique dans nos conceptions, récemment encore à propos des Russes et de la Syrie, – mais cela valant pour n’importe quel “ennemi”, pour n’importe quelle circonstance. Nous rappelions un jugement figurant déjà dans un texte du 7 mai 2011 : « ...Ni l’expérience ni, bien entendu, la réalité n’ont aucune espèce d’effet sur eux ; ils restent et resteront ce qu’ils sont, induisant de plus en plus dans l’erreur ceux qui en sont affectés, les dirigeants américanistes, à mesure que la puissance US s’effondrera et rendra à son tour, dans une sorte de cercle vicieux, ces mêmes traits d’autant plus insupportables et producteurs d’erreurs catastrophiques. Ils sont la garantie que l’effacement et l’effondrement américanistes ne peuvent en aucun cas se dérouler dans un certain ordre, un certain rangement, mais qu’ils seront au contraire un ébranlement majeur et catastrophique, et peut-être décisif pour l’ensemble du Système. »

La thèse des “quatre scénarios” va dans ce sens, sauf qu’elle ne précise pas assez que cette tendance à rechercher des affrontements à plus haut niveau constitue, plus encore que la possibilité d’une “grande guerre”, la probabilité d’un accroissement toujours plus rapide de la déstructuration intérieure du Système (du pouvoir washingtonien) et de la dissolution de la puissance de l’américanisme, c’est-à-dire la perspective de nouvelles crises internes, – enchaînement sans fin de crise sur crise, – toujours dans la logique de l’autodestruction décrite par la prévision sans cesse répétée de Lincoln, à la lumière éclatante et terrible d’un beau poème de Robinson Jeffers, – « Respendis, République agonisante »... (Lincoln en 1838 : « ...Si la destruction devait un jour nous atteindre, nous devrions en être nous-mêmes les premiers et les ultimes artisans. En tant que nation d’hommes libres, nous devons éternellement survivre, ou mourir en nous suicidant. »)

 

Mis en ligne le 2 novembre 2015 à 10H46